L’architecture de la cité idéale
La perspective urbinate
La perspective urbinate
La Cité idéale des architectes entretient parfois des rapports troubles avec l’utopie mais, dans son essence, elle s’en différencie fondamentalement. Pour comprendre en quoi, il faut entrer dans la chambre dite de la » garde-robe » du palais ducal d’Urbino où est exposé un long panneau rectangulaire de bois peint, peut-être une spalliera, une sorte de dosseret dressé sur un meuble, auquel a été donné le nom de Citta ideale. Il représente, groupés autour d’un temple rond, quelques palais urbains dont l’auteur s’est efforcé de varier les façades comme s’il voulait expérimenter les diverses possibilités de les composer en mettant en œuvre les inventions de la nouvelle architecture renaissante, en particulier les ordres architecturaux superposés, imités de l’antiquité romaine.
La critique historique a rapproché ce panneau de deux autres semblables où les mêmes essais d’ordonnances palatines se poursuivent, l’un conservé à Baltimore (Walters Art Gallery) et l’autre à Berlin (Staatliche Museen Preussicher Kulturbesitz Gemäldegalerie).
Au centre du premier panneau, de part et d’autre d’un arc de triomphe, s’élèvent deux édifices sur plan centré : un temple octogonal dont la salle s’enchâsse dans un bas-côté annulaire et un amphithéâtre inspiré du Colisée mais résolument cylindrique. Le panneau berlinois montre, vue au travers des trois travées d’une loggia, une rue aboutissant à un port où accostent caravelles et caraques.
Les trois panneaux aurait pu être peints pour la résidence de Federico da Montefeltro qui régna sur le duché d’Urbino de 1444 à 1482. Tous trois illustrent le même thème, tout comme les intarsia, les marqueteries des portes intérieures qui, elles aussi, multiplient les variations sur la façade palatine. Souvent, deux vantaux contigus opposent la nouvelle architecture renaissante, à l’ancienne, médiévale.
Federico recevait les plus grands humanistes de son temps, en particulier, une fois par an, à l’automne, le grand théoricien du nouvel art, son ami Leon Battista Alberti qui, vers 1460, avait dessiné pour le Florentin Giovanni Rucellai la première façade ornée d’une superposition d’ordres. Rien ne permet d’affirmer qu’il soit l’auteur des panneaux, ni Luciano Laurana, l’architecte du palais, ni Piero della Francesca, dont la présence à la cour ducale est documentée en 1465, ni celui qui fut peut-être son élève, Donato Bramante, né dans une localité des environs, mais on peut imaginer que ce furent au cours de discussions qu’ils animèrent que les perspectives des trois spalliere comme celles des portes furent conçues.
Dans les chambres claires du palais de Federico, les perspectives urbinates ouvrent un angle de vision où se focalise le point de vue architectural sur la cité idéale : point de fuite dans l’imaginaire utopique, il s’agit d’expérimenter, dans le laboratoire du projet, une architecture alors nouvelle, dans ses éléments comme dans ses dispositifs, afin de visualiser la forme urbaine qu’elle promet.
L’idéal réalisé : fragments urbains et villes neuves
Si les perspectives urbinates montrent les places et les rues d’une même ville, son tracé général reste inconnu. On en apprendra guère plus en feuilletant De Re aedificatoria, le traité qu’Alberti dédia à son ami le pape Nicolas V en 1452. Celui d’Antonio di Pietro Averlino dit le Filarete, écrit entre 1460 et 1464, fut plus hardi et proposa que l’enceinte de Sforzinda, la ville dédiée au nouveau maître de Milan, dessinât un polygone inscrit dans un cercle, figure à seize côtés produit de l’intersection de deux carrés.
Le Trattato di architettura civile e militare du Siennois Francesco di Giorgio Martini, le successeur de Laurana sur le chantier d’Urbino, est plus généreux, les tracés, quadrillés ou en étoile, voire spiralés pour escalader des collines bombées, s’y multiplient tout comme les enceintes fortifiées, dont on ne sait si leur complexité est née d’une imagination artiste ou de la crainte de l’artillerie de siège.
Les commanditaires ne comprirent pas toujours l’idéal des architectes dont les ambitions dépassèrent souvent leurs moyens politiques et financiers. En Toscane, entre 1459 et 1464, Bernardo Rossellino construisit pour le pape Pie II, au centre du bourg de Corsigano, que l’on nomma bientôt Pienza, un grand palais et deux autres plus modestes pour l’évêque et le gouverneur ainsi qu’une cathédrale, une église halle à la mode allemande. La nouvelle architecture dut composer non seulement avec les souvenirs de voyage du pape mais aussi avec la tradition médiévale et pourtant Rossellino avait été l’exécutant d’Alberti au palais Rucellai. La cité idéale ne se réalisa d’abord qu’en fragments mais dont la beauté a souvent rejailli sur la ville entière et cela, au-delà des siècles.
Certains édifices semblent n’avoir été construits que pour installer une barre de mesure afin de rythmer les mouvements erratiques des bâtisses qui les entourent. On peut citer la galerie des Antiques de Sabbionetta, la Petite Athènes des Gonzague, ou encore, terminé en 1581, le Palais des Loges de Giorgio Vasari, un édifice de cent vingt-cinq mètres de long qui impose son ordre à la vieille Piazza Grande d’Arezzo.
Il faut encore signaler les réalisations de John Nash dans le quartier londonien de Marylebone. Ses immeubles introduisent dans le tissu urbain non seulement leur vocabulaire néoclassique et l’évidence de leurs rythmes mais aussi la surprise de leur géométrie comme le Park Crescent, la courbe de Regent Street ou encore Carlton House Terrace en face de Saint-James Park.
Le plus souvent, la nouvelle architecture créa des places. Celle de Vigevano construite à l’initiative de Ludovic Sforza dit le More vers 1492–1494 et dont l’inventeur est peut-être Vinci, associé à Bramante. Pour Alberto Sartoris, auteur d’un Léonard architecte publié en 1952, lui seul était préparé à concevoir ce qu’il estime être la plus nouvelle des contributions à la réalisation de ce qu’il baptise » l’urbanisme intégral « .
Mais la première place à programme fut le Capitole de Rome projetée par Michel-Ange à partir de 1537. Obligé de conserver les structures de deux anciens palais et de réemployer des statues antiques, il créa pourtant un nouveau type d’espace composé autour d’une statue équestre de Marc-Aurèle, le prototype de la place baroque et des places royales françaises des XVIIe et XVIIIe siècles.
La ville régulière existe depuis les époques les plus reculées : villes hellénistiques construites sur les rives d’Asie Mineure, villes romaines inspirées des camps des légions, bastides médiévales de l’Aquitaine. À partir du seizième siècle, la nouvelle architecture investit ces fondations si propices à ses desseins.
La ville de Palmanova créée par la République de Venise en 1593 fut composée sur un plan étoilé, centré sur une place hexagonale et limité par une muraille ennéagonale. Freudenstadt, tracée en 1632 par l’architecte Heinrich Schickhardt pour le duc de Wurtenberg afin d’accueillir les protestants français persécutés, s’organise sur un plan carré, autour d’une grande place carrée, occupée par un château carré. Le temple situé à un angle de la place eut donc une forme surprenante, sa nef se développant dans deux directions perpendiculaires.
Les places fortes que bâtit Sébastien Leprestre marquis de Vauban s’organisèrent elles aussi selon des compositions régulières : parmi tant d’autres, la ville haute de Longwy au périmètre hexagonal, créée en 1679, ou Neuf-Brisach, octogonale, vingt ans plus tard, toutes deux autour de leur place d’armes carrée.
La nouvelle architecture inventa un motif original : la place embrochée, une place carrée desservie par quatre rues alignées sur ses médianes. Esthétique et facilités distributives ne s’y marient-elles pas ? : inscrites dans une maille orthogonale, ses rues offrent des perspectives identiques à celles des plans en étoile. Cette forme a séduit de nombreux théoriciens, parmi eux Francesco di Giorgio, Vasari il Giovane, Vincenzo Scamozzi ou Jacques Perret de Chambéry. Les places de Charleville, du centre de Christiania, l’ancienne Oslo, d’Ansbach en Bavière l’adoptèrent.
La Cité idéale de l’urbanisme moderne
Industrialisation et extension urbaine bouleversèrent les conceptions architecturales, les types d’édifices et les théories de la composition quoique, sur ce second point, le classicisme sût résister. Avec le projet d’extension d’Ildefons Cerdà pour Barcelone, la planification urbaine se confondit un moment avec un idéal urbanistique.
Aujourd’hui encore, la maille régulière des îlots carrés semble interroger l’imbroglio des rues du centre ancien, comme lorsqu’elle fut tracée dans la seconde moitié du XIXe siècle, et l’extension anarchique qui lui a succédé. L’architecte Eugène Hénard, ancien élève de l’École des beaux-arts publia, entre 1903 et 1909, les huit fascicules des Études sur les transformations de Paris et fut le premier président de la Société française des architectes urbanistes créée en 1911.
Préoccupé par la circulation, après Léonard de Vinci ou Hector Horeau, lors d’une conférence organisée en 1910 à Londres par le Royal Institut of British Architecture, il proposa de créer des sols artificiels et » la rue à étages multiples « . Grâce au ciment armé, les immeubles seraient couverts par des terrasses-jardins où, dans un avenir qu’il espérait prochain, se poseraient des aéroplanes. Il avait lu la Guerre dans les airs de Herbert George Wells et pris au sérieux l’idée d’un petit appareil pratique, maniable et dirigeable, un » aéroplane-abeille « . La circulation aérienne devait transformer le profil urbain. Il se fit une idée de la ville future et en donna un dessin, une perspective vue d’avion : au cœur du centre historique se dresse une tour de cinq cents mètres couronnée par un phare puissant. Ensuite, une première ceinture de grandes tours de deux cent cinquante à trois cents mètres signale l’espace interdit aux aviateurs. Lui succède la zone des maisons à toits plats, de deux à trois kilomètres de largeur, où les aéroplanes-abeilles se déplacent de terrasse en terrasse et, enfin, une ceinture de grands mâts avec les postes de vigie de la police aérienne qui interdisent la zone urbaine au survol des machines lourdes qui trouvent en périphérie des aéroports, aboutissements des grandes routes de l’air.
Au début des années dix, le grand prix de Rome de 1904, Ernest Hébrard, collègue et condisciple de Hénard et, comme lui, fondateur de la première société française d’urbanisme, dessina avec son frère Jean et le sculpteur nord-américain, Henrick Christian Andersen, un Centre mondial de communication. Limité par un canal périphérique, sa composition symétrique s’organise sur un axe qui relie un port, un stade olympique, un temple des arts et enfin, plantée au centre d’une cité scientifique, la Tour du Progrès, haute de trois cents mètres, qui informerait le monde de chaque nouvelle découverte.
Le tracé de la grille orthogonale des rues est animé par des avenues diagonales et une esplanade centrale plantée, ornée de places et de pièces d’eau. Il illustre les principes exposés par le premier manuel français d’urbanisme qui fut publié en 1915 sous un titre marqué par une actualité douloureuse : Comment reconstruire nos cités détruites. Notions d’urbanisme s’appliquant aux villes, bourgs et villages.
La vue à vol d’oiseau de plus de trois mètres dans sa plus grande dimension du projet d’Hébrard et Andersen pourrait bien être l’image idéale de cette ville plus saine et plus belle que promettait une doctrine où se mêlaient héritage haussmannien, composition beaux-arts et zonage. Plusieurs implantations furent envisagées, l’une d’elles sur la route de Berne, entre les rives des lacs de Neuchâtel et de Morat.
Une dizaine d’années avant la publication du Centre mondial, un autre grand prix de Rome joignit à ses envois à l’Académie le plan d’une cité industrielle. Perfectionné en 1904 et nourri par les travaux de l’agence, il fut publié en 1917. Tony Garnier fut plus audacieux qu’Hébrard. Son plan est plus libre : son périmètre est découpé, les symétries y sont partielles, la monumentalité discrète. L’architecture de gros béton qui apparut dans son œuvre à partir de 1908 a renoncé au décor, aux moulures.
L’absence d’un lieu de culte, d’une prison – mais il existe un » tribunal d’arbitrage » et des » services de surveillance de l’alimentation » – ainsi que la suppression des limites de propriété entre les maisons, pour la plupart unifamiliales, tout comme les citations extraites de Travail, le roman d’Émile Zola, gravées au fronton de l’édifice des salles de réunions et d’assemblées, pimentent cette cité idéale d’un soupçon d’utopie quasi socialiste que ne contredit en rien ce rêve d’une méditerranéité hellénique qui couvre de terrasses les maisons cubiques, d’une nudité toute antique sous les ombres parallèles des pergolas. Même la demi-douzaine de cheminées qui se dressent sur la perspective des hauts fourneaux s’abstiennent de cracher de noires fumées délétères.
En 1913, alors que le gratte-ciel le plus haut du monde et de New York, le Woolworth Building de Cass Gilbert atteignait l’altitude de deux cent quarante et un mètres, Umberto Boccioni publia Architecture futuriste, suivi un an après par Antonio Sant’Elia. Leurs dessins rêvaient d’immeubles en gradins, de passerelles aussi légères que vertigineuses, de cages d’ascenseur détachées, d’antennes, de pylônes, de tubulures, de treillis métalliques et affichaient une plastique expressive bien loin de la cité idyllique de Garnier.
Le Corbusier sut marier tout cela dans un projet de cité idéale : gratte-ciel, verre et béton armé, volumes purs, composition classique, frondaisons salubres, voies superposées, aéroport pour aérotaxis sur le toit de la gare centrale et ce fut la Ville contemporaine de trois millions d’habitants, dont il concocta tout de suite une version parisienne, le Plan Voisin. Les vingt-quatre gratte-ciel cruciformes, hauts de soixante étages accueillaient quatre cent mille urbains, les lotissements » à redents » ou » fermés » composés » d’immeubles-villas » de cinq à six étages doubles, six cent mille. Quant aux deux millions d’habitants restants, baptisés suburbains ou mixtes, ils étaient logés dans des cités-jardins au-delà de la » zone asservie « , une zone » interdite à toute construction « .
Comme Garnier son aîné, Le Corbusier avait nourri sa cité idéale avec un projet d’agence. L’immeuble-villas était une proposition faite en 1922 au Groupe de l’habitation franco-américaine qui voulait construire des appartements de grand luxe en copropriété combinant bon goût français et confort américain. Il superposait des cellules dont les pièces se distribuaient sur deux étages dans les branches d’un L ouvertes sur une terrasse-jardin.
L’architecture puriste, à la fois machiniste et classique, démontrait sa capacité à créer la ville moderne. Au cours des années trente, Le Corbusier en perfectionna les éléments : le gratte-ciel devint cartésien, les lotissements fermés furent abandonnés et les redans se différencièrent selon leur orientation pour former les méandres orthogonaux de la Ville radieuse.
L’idéal contre la ville
Pour Adolphe Dervaux, architecte et urbaniste, auteur de L’Édifice et le milieu, un essai publié en 1919, la grande ville devait s’inspirer du village, l’agglomération primitive et naturelle. Il préférait l’orientation libre de ses maisons aux façades jointes et alignées. La revue La Vie à la campagne, qui militait pour une architecture régionaliste, offrit son numéro de juillet 1919 à Paul de Rutté pour y présenter ses travaux d’architecture et d’urbanisme villageois commencés en 1907.
Mais ce fut un sténographe anglais qui, au tournant du siècle, conçut un nouveau type d’agglomération censée unir les avantages de la campagne à ceux de la ville : la cité-jardin. Ebenezer Howard voulait que chaque cité, limitée à trente mille habitants, fût isolée de ses voisines par une vaste zone rurale de deux mille hectares. En 1903, il créa une coopérative qui mit en chantier à Letchworth la première cité-jardin sur un plan de Raymond Unwin et Barry Parker, deux architectes appartenant au mouvement Arts and Crafts. L’idée connut un succès mondial. Dans de nombreux pays, se créèrent des associations pour la promouvoir mais elles oublièrent vite que la cité-jardin avait l’ambition de contrôler la croissance de la mégalopole pour n’en retenir que l’image bucolique d’un ensemble de cottages dans une verte prairie.
Un ingénieur madrilène Arturo Soria y Mata imagina que ces cottages plutôt que de se grouper ponctuellement s’installeraient le long d’une rue infinie. Il nomma cette nouvelle forme urbaine la Cité linéaire et entreprit, en 1884, d’en construire une de cinquante kilomètres de long qui devait absorber l’extension de Madrid. L’entreprise s’arrêta au cinquième kilomètre. Mais la notion survécut. Les désurbanistes soviétiques qui voulaient supprimer les contradictions entre ville et campagne s’en emparèrent. Nikolaï Milioutine publia en 1930 Sotsgorod (Ville socialiste) qui proposait un » schéma fonctionnel continu » où le territoire urbain était divisé en six bandes parallèles :
1 – le chemin de fer,
2 – l’industrie et les installations scientifiques et scolaires,
3 – la zone verte,
4 – l’habitat,
5 – les parcs et terrains de sport,
6 – la zone agricole de proximité.
Son projet pour Magnitogorsk s’inspira de ce schéma. La » Cité linéaire industrielle » fut l’un des trois établissements humains – avec la » Cité radio-concentrique d’échange » et » l’Unité d’exploitation agricole » – que Le Corbusier étudia au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, développant une théorie conçue au sein de la mouvance planiste dans les années trente.
Il restait à supprimer tout schéma formel et à imaginer la dispersion des maisons individuelles sur tout le territoire desservi par une circulation automobile fluide et heureuse. En 1935, au Rockfeller Center de New York, Frank Llyod Wright exposa un projet qui illustrait cette conception profondément anti-urbaine : Broadacre City, qui connut près de vingt ans après une seconde version The Living City.
En 1962, Le Crépuscule des villes, un essai d’Erwin A. Gutkin, un Américain d’origine allemande, proposa une stratégie qui devait conduire à la création d’une » région idéale « , » résultat d’une dispersion et d’un réaménagement systématique du peuplement de la population, de l’industrie et des possibilités culturelles » : jamais une zone de taudis ne devait être reconstruite mais remplacée par un parc, tout comme les centres urbains trop denses. Il admettait toutefois que les fonctions d’administration et de commerce fussent concentrées dans une Desk City peu étendue.
La cité de l’espace ou les espaces de la cité
Alors que l’urbanisme devenait une profession, que la planification urbaine se dispersait dans le kaléidoscope des disciplines sectorielles, que les compositions urbaines s’effaçaient derrière les règlements, les normes, le tachisme du zoning, l’architecture rêva de nouvelles formes pour une ville dont l’avenir relevait de la science-fiction : elle l’imagina perchée dans des nappes tridimensionnelles, lancée sur des ponts qui franchissaient les mers, nichée dans de gigantesques cratères ou hissée jusqu’à cinq mille mètres d’altitude, installée dans un X haut de quinze étages ou sur des planchers obliques. Elle était alors spatiale, cybernétique, spaciodynamique, totale, cosmique…
Puis, dans les années soixante-dix, s’opposant aussi bien à l’urbanisme officiel qu’à ce romantisme technologique, apparut en Italie puis en Belgique et en France un courant de pensée qui affirma que l’avenir de la ville c’était son passé, qu’il fallait conserver les quartiers anciens, densifier les grands ensembles, retrouver les formes urbaines traditionnelles, rues, avenues, boulevards, places, squares, jardins publics…
Aujourd’hui est-il encore possible d’imaginer la cité idéale ? Tout semble déjà avoir été inventé, la mort de la ville annoncée et sa renaissance proclamée ! Dans cet héritage où l’architecture a hésité entre expérimentation et rêverie, ne faut-il pas que les citoyens, les édiles, les maîtres d’ouvrage, les architectes choisissent leur voie, leur tradition, en débattent et, à l’échelle du quotidien, pour la construction d’un nouveau quartier ou le remodelage d’un ancien y puisent le courage de penser la ville réelle, celle que nous habitons ?