L’armée de terre, les réformes, l’armée de demain
L’armée de terre de la guerre froide a subit un grand bouleversement depuis 1989, lié à la suppression de la conscription. Cette refondation de l’armée de terre concerne tous ses paramètres constitutifs : structures, équipements, ressources humaines, ancrage dans la nation…
L’armée de terre de la guerre froide
À l’été 1997, bien que considérablement réduite en volume, l’armée de terre se présente encore sous un aspect général qui est celui que nous avons connu tout au long de la guerre froide.
Ce modèle d’armée était parfaitement adapté à la politique militaire de défense de la France, mise en œuvre pendant la période 1965–1990, et qui constitue aujourd’hui une référence historique simple et sans ambiguïté. Disposant d’une force de dissuasion autonome, la France se devait, à cet égard, de garder sa liberté de décision ; elle ne faisait donc pas partie de l’organisation militaire intégrée de l’Otan. Pour autant elle était un partenaire à part entière, fidèle et crédible de l’Alliance atlantique. Elle participait d’ailleurs pleinement à toutes les planifications qui étaient conduites dans le cadre de l’article 5.
La « guerre froide », ce formidable affrontement entre deux blocs puissamment armés et prêts au combat en permanence, mobilisait de nombreuses énergies : celles des chercheurs, des industriels et, à temps plein, celle des militaires eux-mêmes.
Ainsi, pendant trente-cinq ans, dans le cas où la dissuasion aurait échoué, l’armée de terre a été prête à s’engager en Centre Europe, en six jours, mobilisation faite, tous moyens réunis c’est-à-dire 550 000 hommes d’un seul bloc, sous le commandement de la 1re Armée, pour une bataille conduite avec nos alliés, violente, meurtrière et brève (quelques jours tout au plus) et qui ne se serait achevée que par l’arrêt de l’adversaire ou le déclenchement du feu nucléaire.
Toute l’armée de terre était conçue et organisée à cet effet, active et réserve. La conscription donnait les effectifs de base aux régiments de combat, la mobilisation apportait un complément aux forces et nourrissait la logistique. La structure du temps de paix était la même que celle du temps de guerre ce qui donnait un sens très fort aux commandements organiques qu’étaient les trois corps d’armée, la force d’action rapide et les quinze divisions. L’expression bien connue « un chef, une mission, des moyens » avait toute sa valeur.
À la marge, mais ce n’est qu’à la marge (parce que l’on peut estimer que les forces concernées représentaient environ 5 % du potentiel total), certaines unités de la FAR, peu nombreuses et modestement armées, traitaient quelques problèmes de faible ampleur dans des zones où l’histoire nous a donné des responsabilités particulières, en Afrique notamment.
En 1989, l’armée de terre du temps de paix (avant mobilisation) avait un effectif de 292 500 militaires et 39 200 civils. Elle était capable d’aligner au combat 45 régiments d’infanterie, 1 340 chars de bataille, 560 pièces d’artillerie ou mortiers lourds, 475 hélicoptères divers.
L’attitude très consensuelle de la nation vis-à-vis de la politique de défense trouvait sa concrétisation dans la conscription, vecteur essentiel du lien armée nation, et garantie de l’adhésion de l’armée aux valeurs fondamentales de la République. Ce n’est pas par hasard si, dans le langage commun, l’armée est souvent confondue avec l’armée de terre.
Les conséquences du bouleversement stratégique engagé en 1989
Les nations occidentales et leurs armées ont gagné la bataille de la guerre froide. Nos cadres et nos excellents appelés doivent être collectivement fiers de cette victoire ; ils ont remarquablement défendu leur pays et le monde occidental pendant toute cette période.
La chute du mur de Berlin a été la déchirure initiale qui a provoqué la rupture de la situation géostratégique, laquelle a trouvé sa pleine dimension avec la dissolution du pacte de Varsovie et l’éclatement de l’Union soviétique. C’est donc sur notre continent que les changements les plus spectaculaires sont intervenus ; nous sommes passés d’une Europe qui cristallisait toutes les tensions à une Europe dont la grande affaire est aujourd’hui l’élargissement du monde occidental.
Lancement d’un drone © SIRPA/ECPA |
La menace d’agression extérieure s’est estompée et éloignée de nos frontières. Très vite des conclusions ont été tirées de cette situation pour l’armée de terre française qui a subi de 1991 à 1994 une importante réduction de son format en perdant deux corps d’armée, six divisions, cinquante-quatre régiments et quatre-vingts organismes divers. Simultanément la durée du service a été ramenée de un an à dix mois. Bien que lourdes, ces mesures n’étaient que des dispositions d’adaptation. En effet, compte tenu de la violence du choc initial, tout laissait penser que la recomposition stratégique du monde prendrait de dix à quinze ans et il fallait à l’évidence se donner quelques années avant de pouvoir faire des choix définitifs pertinents.
Il est très vite apparu (nul n’en doutait vraiment, connaissant la nature de l’homme) que le monde restait éminemment instable et que les risques de crises, éventuellement graves, n’étaient pas écartés. Mais la géographie des menaces a changé. La France, qui veut promouvoir la construction de l’Europe et la stabilité de l’ordre international, peut être conduite désormais à protéger ses intérêts à grande distance de son territoire, parfois plusieurs milliers de kilomètres. Elle doit pouvoir le faire rapidement, sans préavis, et avec les équipements nécessaires au combat moderne. Ces interventions auront, par la force des choses, parce que nous ne serons pas chez nous, une dimension collective, avec nos amis européens tout d’abord, puis avec nos alliés, et avec les partenaires qui, dans le monde, partagent avec nous les valeurs que nous défendons.
Dans l’ancien contexte, l’armée était fondée sur la double exigence de la dissuasion et de l’action aux frontières. La dissuasion constituait l’articulation de notre défense ; elle s’appuyait sur les forces conventionnelles qui devaient conjuguer le nombre, la mobilité et les capacités défensives pour être en mesure de contenir, à quelques centaines de kilomètres de notre territoire, un adversaire clairement identifié et disposant de puissantes forces aériennes, blindées et mécanisées.
Dans le nouveau contexte, la dissuasion demeure l’ultime garantie contre toute menace sur nos intérêts vitaux quelles qu’en soient l’origine et la forme ; elle reste donc un élément fondamental de notre stratégie mais elle ne constitue plus l’articulation de la défense. L’architecture des forces conventionnelles doit désormais s’organiser autour des fonctions opérationnelles prioritaires que sont devenues la prévention des crises et des conflits et la projection de puissance.
Après une phase d’étude qui s’est déroulée au cours du deuxième semestre 1995, et prenant en compte le souci de maîtrise des dépenses publiques, le Président de la République a arrêté en conseil de défense les grandes orientations de la réforme des armées puis les a annoncées le 22 février 1996. Ces décisions politiques se traduisent par une nouvelle définition des capacités militaires demandées à nos forces, associée à leur professionnalisation et à une réduction significative de leur format.
Il s’agit donc pour l’armée de terre d’abandonner un système bien rodé dont l’organisation repose pour une très large part sur la conscription et d’évoluer vers un nouveau modèle de forces dont la réalisation complète, y compris pour les équipements, interviendra dans le long terme, vers 2015. Toutefois les évolutions concernant les effectifs, avec une réduction du nombre des personnels militaires d’environ un tiers (soit ‑96 000 hommes) devront être terminées en 2002.
Les nouvelles capacités demandées à l’armée de terre
Pour définir les capacités dont devra disposer l’armée de terre future, c’est-à-dire son contrat opérationnel, il a été envisagé différentes hypothèses d’emploi et plusieurs types de conflits.
Trois hypothèses majeures illustrent les contextes prévisibles d’engagement de nos forces :
– la première hypothèse est celle d’un engagement dans le cadre de l’Otan ou de l’UEO par la mise en jeu de nos alliances, du fait par exemple des instabilités possibles sur le flanc sud du continent européen ou dans le bassin méditerranéen ;
– une autre hypothèse verrait notre contribution à des opérations de sécurité internationale, de maîtrise d’une crise ou de maintien de la paix sur mandat des Nations unies ou d’une organisation européenne, partout où nos intérêts le commanderaient et dans un cadre multinational ;
– enfin, une troisième hypothèse correspondrait à la mise en œuvre de nos accords de défense, au profit notamment de partenaires africains et dans un cadre national qui pourrait à terme s’élargir à l’Europe.
Les conditions de l’engagement, pour leur part, peuvent être caractérisées par deux grands types de conflits possibles :
– les « conflits symétriques entre armées conventionnelles » menés en coalition comportant un engagement de plus ou moins longue durée mais dont la phase d’action pourrait être brève et de très haute intensité, nécessitant des équipements puissants, lourds et protégés. Le récent conflit du Golfe entre dans cette catégorie ;
– les « conflits non classiques » souvent menés en coalition, se caractérisant par de nombreuses imbrications entre civils et militaires, peu de batailles mais des opérations ponctuelles contre des actions de terrorisme ou de guérilla ; leur durée peut être longue.
Pour répondre aux besoins liés à ces différents types de conflit, il a été décidé que l’armée de terre future devrait comporter des forces disposant de moyens de commandement et de renseignement sensiblement valorisés, aptes en priorité à emporter la décision dans un contexte de combat à haute intensité, et capables de conduire des actions de contrôle du milieu dans un contexte moins intense.
Le contrat opérationnel fixé à l’armée de terre, en termes d’effectifs, par le pouvoir politique se définit par les deux termes suivants :
– soit engager plus de 50 000 hommes dans le cadre d’une intervention majeure en Europe, au sein de l’Alliance atlantique ;
– soit déployer à distance 30 000 hommes et leurs moyens logistiques associés avec des relèves partielles limitées pendant environ un an sur un théâtre principal, et simultanément projeter une force de 5 000 hommes sur un autre territoire pendant une longue durée avec des relèves tous les quatre mois.
Les crises n’étant pas prédéterminées, il faudra, la plupart du temps, organiser les forces opérationnelles terrestres en fonction du besoin. Les forces ne seront donc plus comme dans l’ancien contexte des ensembles constitués et entraînés de longue date mais des forces de circonstance. La notion de modularité s’impose désormais, tous les dosages sont possibles entre éléments lourds et moyens légers, entre combattants et appuis. C’est l’efficacité et bien souvent aussi le coût de l’intervention qui seront les facteurs déterminants. C’est en quelque sorte une nouvelle devise qui s’impose « une mission, des moyens, un chef ».
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Au total la contraction du format, la suppression de la conscription et l’introduction du principe de modularité dans la mise sur pied des forces conduisent à démonter l’armée de terre et à en reconstruire une autre complètement différente.
Il s’agit, sans aucun doute, d’une véritable refondation. Tous les paramètres constitutifs sont concernés : structures, équipements, ressources humaines, ancrage dans la nation.
Les structures
Char Leclerc |
Hélicoptère Tigre © SIRPA/ECPA |
Le premier aspect caractéristique de l’évolution des structures concerne l’équilibre entre les forces proprement dites et leur environnement. La réalisation du nouveau contrat opérationnel suppose qu’au sein de l’armée de terre future, dont les effectifs totaux sont arrêtés à 172 000 dont 138 000 militaires, les forces, c’est-à-dire les états-majors opérationnels et les régiments de combat, d’appui et de soutien, regroupent au moins 100 000 militaires, ce qui autorise environ 80 régiments. Les autres personnels seront répartis dans les organismes interarmées, et dans les fonctions de soutien général (la vie de tous les jours) ou de formation et d’entraînement. Ainsi c’est 72,5 % des militaires qui seront désormais directement consacrés à une fonction de caractère opérationnel ce qui traduit un gain de productivité militaire considérable. L’atteinte de cet objectif devrait s’accompagner d’un recours significatif à la sous-traitance dans de nombreux domaines relevant de la vie courante.
La réalisation de ce premier défi ne sera pas chose aisée. Elle se jouera, selon le calendrier arrêté pour les réorganisations, à partir de l’an 2000. Dans une première phase, commençant dès 1997, l’armée de terre voit ses régiments d’appelés recruter peu à peu des engagés ; c’est une opération généralement bien perçue, surtout par les jeunes cadres, car ils ont une vision claire de ce qu’est un régiment professionnel, il en existe déjà qui ont tous des références à faire valoir. Ultérieurement, il faudra passer d’une armée de conscription à une armée de métier, entité que personne ne connaît véritablement dans notre armée d’aujourd’hui et c’est au moment de cette transformation-là que l’on va totalement mesurer ce que les appelés apportaient à la constitution de nos forces en leur fournissant une ressource de qualité nombreuse et bon marché.
Une autre évolution essentielle concerne l’organisation de l’armée de terre aujourd’hui très verticale et conférant aux grands commandements (corps d’armée et divisions) à la fois des responsabilités opérationnelles mais aussi de commandement au quotidien, ce qui a pour effet de compliquer et de limiter la capacité de projection. L’organisation future reposera sur un système croisé donnant à chaque chaîne des responsabilités clairement identifiées.
La chaîne des forces sera débarrassée de toute responsabilité autre qu’opérationnelle et sera articulée en trois niveaux. Au sommet, un commandement unique des forces (commandement de la force d’action terrestre, CFAT) activé en 1998 à Lille qui aura deux missions principales : d’une part organiser et conduire la préparation opérationnelle des états-majors et de toutes les forces projetables, d’autre part entretenir la capacité à mettre sur pied, lui-même, pour une opération majeure un PC de corps d’armée classe Otan ou un PC de théâtre multinational. Couplé au CFAT, il sera constitué un commandement de la force logistique terrestre (CFLT) implanté à Montlhéry. Le deuxième niveau, subordonné au CFAT sera constitué par quatre états-majors de forces (EMF) qui n’auront aucun moyen subordonné en permanence et seront totalement tournés vers la planification opérationnelle, l’organisation et la conduite des exercices français ou interalliés, et la projection sur les théâtres extérieurs du moment. Au troisième niveau se situent les régiments qui seront regroupés par dominante ou par métier en huit brigades interarmes, une brigade aéromobile, deux brigades logistiques, quatre commandements d’appui spécialisé et enfin la brigade franco-allemande.
La chaîne de commandement organique sera fondée sur une logique de proximité et organisée autour de cinq « Régions » qui assureront l’instruction et le soutien administratif, financier et matériel des forces au quotidien. Il s’agit véritablement d’une chaîne nourricière, fixe et non projetable, ayant autorité en permanence sur les régiments sauf dans le domaine opérationnel.
Enfin, les services ainsi que certains commandements spécialisés, dans la formation par exemple, s’inséreront dans la structure matricielle ainsi définie.
Les équipements
On attend des forces classiques soit qu’elles emportent la décision par les armes, comme dans la guerre du Golfe, soit qu’elles créent sur le terrain les conditions de stabilité propices à un règlement politico-diplomatique de la crise, comme en ex-Yougoslavie. Disposant de ressources limitées tant en hommes qu’en finances, l’armée de terre ne peut pas réaliser deux systèmes de force et doit s’accommoder d’un compromis. Le contrat opérationnel fixé par le chef de l’État lui impose de mettre l’accent sur la capacité à combattre des armées blindées et mécanisées, en coopération avec des alliés qui disposeront de technologies évoluées et avec lesquelles il faudra être interopérable. C’est le premier paramètre dimensionnant pour les équipements.
Le second paramètre décisif est constitué par la révolution de l’information. Sans aller jusqu’à viser exclusivement un concept opérationnel totalement novateur, s’affranchissant du combat de contact et caractérisé par la fluidité, tout doit être mis en œuvre pour développer au sein des forces terrestres les facteurs multiplicateurs de puissance.
Au premier rang d’entre eux figurent les capacité de renseignement tactique et de commandement : capteurs, moyens de communication protégés suffisants et redondants, systèmes d’information internes et d’aide à la décision. Dans cet esprit, la capacité de surveillance autonome du champ de bataille sera obtenue par la mise en service du système radar héliporté Horizon, l’équipement en drones de reconnaissance tactique (CL 289, Crecerelle) sera mené à son terme, l’arrivée des radars de trajectographie Cobra donnera une capacité de contrebatterie qui faisait largement défaut. D’autre part, le système d’information et de commandement des forces (SICF) et le système d’information régimentaire (SIR) entreront en service à partir de 1999. Parallèlement une revalorisation du réseau d’information tactique (RITA) est engagée et l’acquisition des postes de quatrième génération (PR4G) se poursuit. Enfin les systèmes de maillage radar antiaérien Martha ainsi que le système de conduite de tir d’artillerie Atlas apporteront la réactivité souhaitable aux armes du feu.
Les systèmes d’information et de communication permettent aussi de donner davantage de dynamisme et de puissance aux formations de combat. C’est en cela que le char Leclerc (qui sera construit à 320 exemplaires) n’est pas un char comme les autres. Il combine un accroissement spectaculaire des performances intrinsèques de tout char de bataille avec la capacité – sans précédent au sein des unités blindées – de conduire une manœuvre dynamique et non linéaire, faite de concentrations fugitives et de déconcentrations immédiates. Cette aptitude nouvelle est encore renforcée par les possibilités de l’hélicoptère Tigre et celles d’une artillerie aux performances accrues.
Toutes les actions devant permettre une entrée rapide de nos forces terrestres dans l’âge de l’information semblent donc bien engagées. Il reste cependant, et ce n’est pas un problème marginal, à développer et à construire le véhicule blindé de combat de l’infanterie (VBCI) ayant les capacités de protection, d’ergonomie, de mobilité, d’agilité et de puissance de feu que le pays doit à ceux de ses soldats qui font le métier le plus difficile, celui de fantassin, et qui jouent un rôle déterminant en opération où les effectifs sont à 70 % fournis par l’armée de terre.
Les ressources humaines
Plus qu’un ensemble de matériels performants et complémentaires, une armée de terre est avant tout un système d’hommes. Sous cet aspect la refondation prend une amplitude extrême. En effet notre armée va devoir en six ans gérer la décroissance du service militaire en perdant quelque 132 300 appelés, recruter, former et fidéliser 30 000 engagés supplémentaires, se séparer de 7 700 cadres, recruter 2 000 personnels civils de plus et réaffecter cette catégorie de personnels selon la future organisation, attirer 5 500 volontaires du service national, et modifier en profondeur son dispositif de réserves. Peu de corps sociaux seraient prêts à engager une mutation aussi profonde : elle constitue la priorité de l’armée de terre. Ces différents mouvements se traduiront par une réduction de format de près de 35 % d’ici 2002, ce qui est inéluctable puisque la professionnalisation doit être conduite à budget constant pour ce qui est des rémunérations et charges sociales.
Depuis le début de l’année 1997, les armées n’incorporent plus que des appelés sursitaires. Il faut souligner ici le bon esprit et la générosité avec lesquels cette jeunesse continue à répondre à ses obligations militaires. La décroissance régulière et dans la durée, jusqu’à 2002, des effectifs est un facteur de réussite pour la conduite sans à‑coups des mesures d’adaptation que sont les dissolutions et les restructurations d’organismes. Elle est aussi indispensable au succès initial de la politique de recrutement des soldats engagés dont les jeunes issus du service national constituent, actuellement encore, le vivier majoritaire.
Le recrutement des engagés volontaires de l’armée de terre (EVAT) s’effectue en fait beaucoup mieux qu’il n’était possible de le craindre. Au moment où l’armée de terre se présente comme la première entreprise créatrice d’emplois stables (10 000 par an), les résultats des premières campagnes d’information ont été particulièrement favorables et les objectifs retenus pour 1997 seront tous atteints. Cette performance tient largement au fait que l’image de l’armée de terre, traduisant la perception de son efficacité par la nation, n’a cessé de s’améliorer au cours des dernières années du fait des résultats obtenus par nos unités en opérations extérieures. Pour l’avenir le défi est double ; d’une part il faudra conquérir sur le marché du travail, parmi des jeunes gens qui n’auront pas connu l’institution militaire, la ressource dont nous aurons besoin ; d’autre part il faudra fidéliser cette ressource dont il est souhaitable qu’elle serve huit ou neuf ans en moyenne avant reconversion.
La déflation des cadres officiers et sous-officiers est bien amorcée grâce à la mise en œuvre d’un dispositif légal d’incitation et d’aide au départ dont le pécule constitue l’outil le plus performant.
Le système « armée de terre future » sera beaucoup plus intégré que précédemment. Il y aura à l’avenir une seule armée de terre homogène et cohérente ; on trouvera en effet toutes les catégories de personnels dans la structure de base qu’est le régiment : cadres d’active ou sous contrat, engagés, civils, volontaires du service national, réservistes, et il est clair qu’ils partageront tous la même culture.
L’ancrage dans la nation
Le lien entre l’armée et la nation s’établissait depuis le début du siècle sur la base de la conscription. Ce lien était très fort car l’engagement des appelés, comme celui des cadres, revêtait un sens supérieur dans le cadre d’une possible « lutte à mort » pour la survie de la nation et du camp de la liberté. Cette communion a généré un échange intense qui a vu les cadres militaires beaucoup s’investir pour faire du service militaire une expérience valorisante alors que l’irrigation permanente de nos forces par la jeunesse du pays interdisait toute différence significative entre les valeurs de l’armée et celles qui fondent la République et l’entité nationale.
Les valeurs qui fondent la culture de notre armée ne doivent pas changer car celle-ci ne saurait devenir un corps expéditionnaire au professionnalisme élevé mais peut-être sans âme ; la nation doit continuer à se reconnaître en son armée. Ainsi la discipline, la cohésion, le respect de la dignité humaine, le sens de l’effort et du don de soi devront sans cesse être mis en valeur par les chefs de demain, et ceci peut-être d’autant plus que les hommes ne se sentiront pas, en permanence, concernés par la protection immédiate du territoire.
Le lien entre l’armée et la nation s’établira bien évidemment sur de nouvelles bases et le fait que les unités soient largement réparties sur le territoire national y aidera.
L’une des voies d’action les plus prometteuses est constituée par une politique active d’insertion des régiments dans leur garnison. Nos régiments futurs auront en effet des besoins nouveaux pour les cadres, les engagés et les familles. Il s’agit par exemple de recrutement, de formation professionnelle, de reconversion, d’emploi des conjoints, de logement, de scolarisation, de loisirs et de culture. Symétriquement, ces régiments offrent à la ville et à la région où ils stationnent un important apport démographique et économique, un concours à la sécurisation, une concrétisation de l’identité nationale. Toutes les conditions sont donc réunies pour développer et réussir un partenariat où chacun trouvera son compte : l’armée de terre, les services de l’État, les collectivités locales et les associations diverses.
Les réserves auront aussi à jouer un rôle important ; elles seront largement constituées par d’anciens militaires d’active qui seront en mesure de faire connaître à leur environnement la nature profonde de l’armée et les résultats de son action.
Enfin, il serait extrêmement souhaitable que des moyens suffisants soient mis en place pour permettre un réel succès du volontariat du service national. Même si les effectifs concernés doivent rester relativement modestes, il y a dans ce dispositif la possibilité pour les armées de garder un contact étroit avec la jeunesse du pays tout en satisfaisant certains besoins particuliers.
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L’avenir de l’armée de terre a été redéfini. Elle a, en conséquence, établi, sous forte contrainte financière et d’effectifs, un projet cohérent qu’elle ne réalisera qu’à travers une véritable refondation. Celle-ci demande un effort considérable d’adaptation et de création à ses personnels qui s’y sont engagés sans état d’âme, tout en continuant à servir le pays et leurs compatriotes partout où cela est nécessaire.
Il y aura des difficultés mais il est dans la nature des soldats de savoir s’adapter à toutes les situations, et ils disposent d’un atout important pour mener à bien cette mission : le cap est clairement défini.