L’ART, Autorité de Régulation des Télécommunications
La loi de réglementation des télécommunications de 1996 a été innovante à plus d’un titre ; non seulement elle mettait fin au monopole des télécommunications vieux de plus d’un siècle, mais elle mettait aussi en place une nouvelle méthode de gestion d’un secteur économique : la régulation exercée par un régulateur indépendant du gouvernement, dont les missions et les moyens sont décrits ci-après.
Objectifs et missions de la régulation
Le 1er janvier 1998, le secteur des télécommunications s’ouvrait à une concurrence totale en France comme dans la plupart des États membres de l’Union européenne. Si l’ensemble des principes permettant la libéralisation a été posé à l’échelon communautaire, leur application au plan national a également tenu compte de la situation et de l’histoire de chaque pays.
En France, le processus s’est caractérisé par un souci de s’engager résolument dans le mouvement de la concurrence, tout en assumant les exigences d’un service public qui a largement contribué à la modernisation de notre pays et à l’aménagement de notre territoire. L’organisation institutionnelle de ce dispositif s’inscrit dans la loi du 26 juillet 1996 qui a transposé en droit français les directives communautaires en vue de l’ouverture complète du marché à la concurrence.
La loi pose trois principes fondamentaux qui déterminent largement la physionomie actuelle et future du marché des télécommunications.
► Premier principe : les activités de télécommunications s’exercent librement. L’apparente simplicité de cette affirmation cache mal la complexité de son application. Dans un secteur où la plupart des pays du monde connaissent ou ont connu une situation de monopole, l’exercice de la concurrence suppose des mesures spécifiques pour garantir la concurrence parfois installée, souvent encore émergente.
► Deuxième principe : la loi réaffirme l’existence d’un service public des télécommunications, dont la principale composante est le service universel, qui se définit comme la fourniture à tous d’un service téléphonique de qualité, à prix abordable.
► Troisième et dernier principe : la fonction de régulation est indépendante de la fonction d’exploitation. Comme le prévoient les directives européennes, la loi établit un dispositif de régulation du secteur. Pour que cette régulation soit assurée de manière objective et équitable, il faut que l’organisme qui en est chargé soit indépendant à l’égard de l’ensemble des opérateurs de télécommunications et en particulier de l’opérateur historique. Comme dans la majeure partie des pays européens, la loi française s’est résolument engagée dans l’application de ce principe avec la création de l’Autorité de régulation des télécommunications.
La loi définit ainsi les objectifs de la régulation :
► favoriser l’exercice au bénéfice des utilisateurs d’une concurrence effective, loyale et durable. Ce principe est fondamental ; il signifie que la concurrence n’est pas une fin en soi ; l’établissement d’une concurrence loyale n’est qu’un moyen au service de l’intérêt des consommateurs ;
► veiller au développement de l’emploi, de l’innovation et de la compétitivité dans le secteur des télécommunications. L’exercice de la concurrence est subordonné à une finalité économique ; la concurrence ne vaut que si elle est un facteur de croissance du marché ;
► prendre en compte les intérêts des territoires et des utilisateurs dans l’accès aux services et aux équipements : l’équipement du territoire est une des missions principales du régulateur.
L’ART a été créée le 5 janvier 1997, un an avant l’ouverture du marché à la concurrence. Elle tire en particulier son indépendance des modalités de désignation de ses membres. L’ART est composée d’un collège de cinq membres, non renouvelables et non révocables, nommés pour une durée de six ans. Trois d’entre eux sont désignés par le Président de la République et les deux autres par les Présidents des deux Assemblées. Le collège s’appuie, pour préparer ses décisions, sur une équipe d’environ 150 personnes.
Champ et exercice de la régulation
À l’époque où la régulation a été inscrite et définie dans la loi, elle n’avait encore ni son sens dans un environnement économique en pleine transformation, ni sa place dans un paysage institutionnel dubitatif. En un mot, elle était un objet juridique nouveau, auquel il fallait donner la vie.
La notion de régulation
La régulation doit contribuer à la visibilité, en traçant le fil directeur le plus réaliste, le plus compréhensible et le plus porteur pour le marché. Elle le fait en rapprochant deux finalités :
- celle de la politique publique, qui est sa référence et qu’elle met en œuvre ;
- celle du marché, synthèse de la réalité conjoncturelle et d’une prévision raisonnable.
En gagnant sa légitimité, la notion de régulation a pu cependant apparaître porteuse d’une certaine ambiguïté :
- d’abord en désignant une manière d’assurer la maîtrise publique sur des tendances profondes de l’économie et de répondre à la nécessité de réguler la mondialisation ; elle deviendrait ainsi synonyme d’action du gouvernement. Or, le rôle du régulateur n’est pas de tracer le cap des politiques publiques ou d’en définir les contours. Par exemple, le maintien d’un service public des télécommunications et la définition du service universel sont des choix politiques qui relèvent du débat démocratique et de la représentation nationale ;
- mais également en confondant (ce que favorise la traduction anglaise) les notions de réglementation et de régulation. Or la régulation est d’abord une fonction de catalyse d’un secteur d’activité économique, pour lui permettre d’atteindre, au travers de ses mutations, les finalités ou objectifs fixés par la politique publique. Le régulateur doit donc, en ajustant l’utilisation de ses divers moyens d’intervention, favoriser un développement dynamique qui installe, progressivement et durablement, un véritable état de concurrence là où prévalait auparavant le monopole. C’est dire que son action est tournée vers l’intérêt du consommateur, qui doit accéder à des offres de service plus diversifiées et financièrement plus attrayantes.
La méthode du régulateur
LEXIQUE DES SIGLES RENCONTRÉS DANS LES DIFFÉRENTS ARTICLES
ADSL | : | ASYMMETRIC DIGITAL SUBSCRIBER LINE |
ART | : | AUTORITÉ DE RÉGULATION DES TÉLÉCOMMUNICATIONS |
DSLAM | : | DIGITAL SUBSCRIBER LINE ACCESS MULTIPLEXER |
FAI | : | FOURNISSEURS D’ACCÈS INTERNET |
FCC | : | FEDERAL COMMUNICATIONS COMMISSION (ÉTATS-UNIS) |
GPRS | : | GENERAL PACKET RADIO SERVICE : accès de transmission de données sur réseaux mobiles GSM limitée à 114 kbit/s. |
IP | : | INTERNET PROTOCOL |
ISP | : | INTERNET SERVICE PROVIDER |
MVNO | : | MOBILE VIRTUAL NETWORK OPERATOR : fournisseurs de téléphonie mobile louant le réseau d’un autre fournisseur (comme cela se pratique en téléphonie internationale où le client français parti à l’étranger utilise le réseau du pays où il vient d’arriver). |
TIC | : | TECHNOLOGIE DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION |
UMTS | : | UNIVERSAL MOBILE TELEPHONY SERVICE |
WAP | : | WIRELESS ACCESS PROTOCOL : accès de données sans fil à quelques kbit/s. |
WIFI | : | WIRELESS FIDELITY |
La régulation, c’est une méthode fondée sur la concertation et la transparence. Concertation à travers les travaux des Commissions consultatives, les consultations publiques et les groupes de travail ; transparence à travers la publication systématique des décisions, de lignes directrices ou de recommandations.
Cette approche est essentielle pour permettre au régulateur de percevoir les attentes des acteurs dans leur diversité et construire une légitimité fondée sur une action aussi pertinente qu’impartiale. Elle s’inscrit parfaitement dans cette contrainte majeure qu’est le rapport au temps.
Car le temps est, pour les acteurs du marché, un paramètre clé dont la prise en compte est déterminante pour l’efficacité et la crédibilité de l’action du régulateur. Si l’horizon d’un investissement n’est pas celui du court terme, il n’est en effet pas illimité : l’attente d’un retour financier de l’investissement par l’accès à la rentabilité ne saurait être éternelle du côté des financeurs, de sorte qu’un marché qui s’ouvrirait trop lentement finirait par les décourager, avec les conséquences que l’on imagine sur les opérateurs. Le dossier de l’UMTS l’a suffisamment montré.
Le régulateur agit par nature avec pragmatisme et non par esprit de système. Face à une situation constamment fluctuante où la conjoncture technologique, économique ou internationale peut évoluer rapidement, il doit s’efforcer d’utiliser avec lucidité toute la gamme des leviers dont il dispose.
L’ART a la chance d’avoir été assez largement dotée à cet égard. Certains de ses outils d’intervention sont originaux et souples, en particulier la procédure de règlement de litige, qui permet de dégager, à partir d’un différend commercial entre deux parties, des solutions équilibrées qui auront ensuite vocation à se diffuser par le jeu du principe de non-discrimination. D’autres sont plus classiques et plus lourds tels que la procédure de sanction, soumise dès l’origine pour l’ART à la contrainte d’une mise en demeure préalable et plus récemment aux exigences de plus en plus strictes du droit à un procès équitable que les jurisprudences européenne et nationale ont dégagées.
Mais la diversité des registres d’intervention donne au régulateur des degrés de liberté et des possibilités d’arbitrage. C’est ainsi qu’au cours des dernières années l’ART a obtenu plusieurs baisses des charges de terminaux d’appels fixes vers mobiles (de 15 % à 20 % par an pendant cinq ans), ou a réellement ouvert la voie au dégroupage de la boucle locale, en s’appuyant selon les circonstances sur la concertation entre opérateurs, sur un règlement de litige, sur des pouvoirs d’injonction issus d’un règlement communautaire, voire sur l’instruction de procédures de sanction.
Cette marche ininterrompue vers la concurrence met le régulateur des télécommunications en relation fréquente avec le Conseil de la concurrence. La loi a prévu un dispositif clair, pragmatique et efficace de saisine réciproque sur les questions intéressant les deux parties ; il fonctionne harmonieusement grâce à une compréhension partagée des enjeux et des approches de chacun.
L’impulsion vers le marché
La régulation n’a pas pour rôle de contraindre le marché, mais de le libérer de ses contraintes, voire de ses contradictions internes ; elle ne se substitue pas aux acteurs, mais elle facilite leur capacité d’intervention.
Elle n’est à cet égard pas indifférente à la situation de ceux qui sont en difficulté et ne saurait s’arrêter au seul commentaire : » Ils ont pris leur responsabilité, à eux de les assumer. » La régulation, c’est d’abord une approche d’équité. L’objectif de concurrence durable est plus que jamais d’actualité ; il passe par le maintien d’acteurs viables par-delà les crises qui affectent le secteur.
La régulation, conduite par une institution de l’État, vise fondamentalement à donner un nouveau visage à son action pour développer une capacité effective d’influence sur des processus économiques complexes, mettant en jeu des intérêts collectifs. Le rôle du régulateur est à cet égard pleinement complémentaire de celui des pouvoirs publics traditionnels au sein de l’organisation de l’État.
La régulation, c’est en définitive une forme nouvelle, institutionnelle et pragmatique, de relation entre l’État et le marché. Elle est plus ouverte dans ses analyses, plus souple dans ses méthodes et plus rapide dans ses procédures. En ce sens, elle apporte une forme de modernité à l’action publique.
Un premier bilan et de nouvelles perspectives pour la régulation
Selon une expression largement partagée, l’ART est aujourd’hui solidement inscrite dans le paysage institutionnel français ; et pourtant sa tâche est loin d’être achevée. L’intensité du travail accompli depuis janvier 1997 est généralement reconnue mais ne saurait se limiter au seul nombre de ses décisions et avis, près de 6 500 en six ans.
L’essentiel est que l’effort de l’ART lui donne d’ores et déjà une réelle crédibilité en France même et un rayonnement effectif sur le plan international, par la mise en place de processus de concertation et de décision originaux, par l’expression d’une doctrine nécessairement évolutive à l’intention des opérateurs, par l’intégration dans son action de dimensions absentes de la loi de 1996, le développement d’Internet notamment, et par un rôle moteur dans l’installation des organes de concertation entre les régulateurs indépendants de l’Union européenne : d’abord le groupe informel des régulateurs indépendants, et maintenant le groupe des régulateurs européens, appelé à travailler étroitement avec la Commission. Les régulateurs, installés ou en devenir, des pays francophones sont également regroupés dans un réseau créé en 2002 et dont l’ART assure la présidence.
Le mouvement d’ouverture du marché s’est manifesté par l’émergence d’un grand nombre d’opérateurs (plus d’une centaine) qui ont au total pris plus du tiers du marché des communications téléphoniques de longue distance. Il s’est aussi traduit par une diversification des offres disponibles pour le consommateur : encore modeste sur la téléphonie fixe, elle est forte sur la téléphonie mobile (forfaits horaires, cartes prépayées…) et sur Internet avec les forfaits d’accès illimité au haut débit. Enfin, le processus a engendré un mouvement de baisse des tarifs au bénéfice du consommateur pour les ménages et plus encore pour les entreprises, sur les communications longue distance où le mouvement a été le plus fort et plus récemment sur les communications locales. La diminution des prix a notamment bénéficié largement aux utilisateurs d’Internet puisqu’elle aura été de plus de 30 % depuis l’automne 2002, plaçant le marché français au niveau des tarifs les plus favorables en Europe.
Pour autant, le chemin de l’ouverture à la concurrence est loin d’être terminé et place le régulateur en situation d’adaptation permanente.
Un régulateur sectoriel n’a certes pas vocation à l’éternité, mais il serait pour autant prématuré de considérer aujourd’hui que sa mission pourrait approcher de son terme au bénéfice d’une régulation concurrentielle transversale de droit commun.
À bien des égards, la maturité concurrentielle du secteur des télécommunications reste encore à construire, l’ancienneté de la FCC américaine et de l’Oftel britannique en témoigne d’ailleurs.
Cette exigence d’adaptation se fonde aussi bien sur l’évolution de la technologie et du marché que sur celle de la réglementation européenne. Et à cet égard, les chantiers en cours ou à venir ne manquent pas !
La marche vers l’UMTS et ses enjeux industriels, l’irruption du WiFi et de l’Internet mobile, les multiples impacts de l’ADSL, sur le haut débit et potentiellement sur l’offre de télévision, l’avenir des réseaux câblés, toutes ces questions s’expriment en termes de concurrence, entre acteurs mais aussi entre technologies.
Pour être équitable et loyale, cette concurrence suppose des règles pour lesquelles il faut parfois innover, mais toujours avec la préoccupation d’apporter non pas de la contrainte, mais de la visibilité.
La transposition du nouveau cadre communautaire est assurément l’un des événements majeurs de l’année 2003, l’importance des travaux préparatoires du Gouvernement et la réflexion engagée depuis plus d’un an sur ce thème par l’ART en témoignent d’ores et déjà, avant même l’ouverture du débat parlementaire, dont les étapes récentes relatives au service universel, au rôle des collectivités locales ou à la régulation des services en ligne font clairement ressortir la sensibilité et les enjeux. Enjeu européen, qu’exprime le plan e‑Europe dans ses différentes phases 2003–2005 ; enjeu national, inscrit dans les priorités du Gouvernement avec le plan RESO-2007.
Quel chemin parcouru en moins d’une décennie, pour passer d’un monopole apportant ses services à des usagers à une situation de marché dans laquelle le consommateur individuel ou entreprise est devenu un acteur majeur au sein d’une âpre compétition, industrielle et internationale. Les télécommunications s’intègrent dans le champ plus vaste des technologies de l’information ; leur spécificité au regard de l’audiovisuel doit être repensée au titre de la convergence, symbolisée par l’apparition renforcée des mêmes services sur des réseaux différents. Quant au service de la voix, fixe ou mobile, la place qu’il tient encore dans l’économie du secteur ne doit en rien masquer le développement des services de données et d’images, concrétisant ainsi la progression vers la société de l’information.
La crise récente qui a affecté les technologies de l’information et l’éclatement de la bulle Internet ont pu faire naître le doute sur ce secteur, qui n’en demeure pas moins l’un des principaux ressorts de la croissance par son impact sur la modernisation et la productivité de notre économie, dans sa pleine dimension industrielle et sociale.
Dans la lucidité qu’apportent les épreuves et qu’exige le retour à la raison, il faut garder confiance et fonder un nouvel espoir en l’avenir. Un potentiel considérable d’innovation, et la formidable appétence du consommateur, notamment des jeunes, voilà deux atouts majeurs pour la France et pour l’Europe. Leur valorisation doit être une exigence partagée.