L’ascenseur social par l’enseignement supérieur
Les élèves des grandes écoles françaises sont actuellement, pour la plupart, des enfants de cadres supérieurs et d’enseignants. De ce fait, suivant l’avis de M. Charpak, le recrutement s’effectue en France dans une population d’environ 6 millions de personnes. Cet état de fait résulte d’une évolution qui dure depuis une vingtaine d’années. De ce fait, le niveau de recrutement ne peut s’améliorer et il ne sera pas possible de répondre aux besoins des entreprises en ingénieurs et cadres scientifiques. L’uniformité du recrutement est en outre un obstacle à la créativité et à l’innovation qui sont facilitées par la rencontre des cultures différentes. Enfin, les enfants de milieux moins favorisés, qui en seraient capables par leur intelligence et leur aptitude au travail, sont frustrés de ne pas pouvoir accéder à des situations de qualité.
Que faire pour permettre l’accession aux grandes écoles à d’autres couches de la société française ?
Le phénomène est lié au niveau souvent faible des classes de première et terminale notamment en mathématiques et en physique. Cela est compensé dans les milieux plus favorisés par l’apport des parents sous la forme de compléments de cours.
Les parents de milieux défavorisés et leurs enfants, souvent très mal informés, ont peur de l’échec et préfèrent choisir des voies qu’ils considèrent comme moins risquées. Il faut donc donner aux élèves le goût d’oser se lancer ; il faut proposer des cours supplémentaires en première et terminale pour les préparer à réussir en classes préparatoires ; il faut aussi leur donner confiance en eux et leur dire qu’ils seront aidés pendant les classes préparatoires. Enfin, pendant ces mêmes classes préparatoires, les enfants de milieux défavorisés doivent être placés dans des conditions favorables de travail : cela est très difficile s’ils ne sont pas pensionnaires.
Depuis plus de quatre ans, l’Institut Paul Delouvrier est engagé dans l’aide aux élèves de milieux défavorisés ayant les capacités de réussir dans les classes préparatoires aux grandes écoles. Cette action concerne, chaque année, une dizaine d’élèves de première et terminale choisis en concertation avec les responsables des lycées : cela a été réalisé au lycée de Montataire. Actuellement, elle est mise en œuvre dans les lycées Colbert et Bergson à Paris. Des membres de l’Institut et d’autres personnes, jeunes retraités, apportent une aide scolaire sous la forme de cours particuliers : l’Association Tremplin fondée par de jeunes polytechniciens et normaliens apporte son concours dans certaines matières notamment en français. Par ailleurs, les membres de l’Institut aident Tremplin dans son action en Seine-Saint-Denis en encadrant deux jeunes polytechniciens chargés de la préparation d’élèves de première et terminale aux classes de préparation aux grandes écoles scientifiques dans sept lycées du département. Une centaine d’élèves bénéficient de cette aide. Les résultats sont excellents puisque de nombreux élèves sont en classe préparatoire et quelques-uns sont entrés dans de grandes écoles, à l’université ou à Sciences Po par le concours direct.
Ces actions peuvent et doivent s’amplifier. Une des difficultés rencontrées concerne le financement des études.
• Financement des études en classe préparatoire
Il est souvent souhaitable que les élèves de milieux défavorisés soient pensionnaires pendant la durée des classes préparatoires. En effet, ces jeunes sont chez leurs parents dans des conditions matérielles peu favorables au travail important qu’ils auront à faire. En outre, la durée des transports est souvent longue surtout pour ceux qui habitent en banlieue. Enfin, l’internat et donc la vie en commun devraient être profitables au niveau de la culture. Mais la pension et l’achat des fournitures sont d’un coût élevé qui ne peut être couvert par les bourses de l’État français : il faut donc rechercher un complément auprès de fondations diverses (Fondation Georges Besse, Fondation Euris, Suez, etc.), Un complément annuel d’environ 3 000 euros serait nécessaire.
• Financement des frais d’études dans les grandes écoles
Il faut assurer les frais afférents au cursus des grandes écoles et au logement correspondant. Cela doit être prévu au moins sur le principe dès l’entrée des jeunes en classe préparatoire.
Une autre difficulté concerne le suivi scolaire et moral des élèves engagés dans un cursus long et difficile : il faut si possible prévoir des parrains et des aides scolaires ponctuelles.
En conclusion , il est possible de diversifier le recrutement des futurs élèves des grandes écoles, ce qui serait un élément très important pour le développement des entreprises et pour la remise en route de l’ascenseur social dans notre pays. Pour cela, il faut :
• détecter les élèves ayant du potentiel : c’est le rôle des responsables de l’Éducation nationale,
• trouver des étudiants, des jeunes cadres des entreprises et des retraités pour aider ces élèves à acquérir en première et terminale un complément de formation, notamment dans le domaine scientifique. Il faut en outre leur donner confiance pour qu’ils osent s’engager dans des voies d’excellence. Il faut enfin leur garantir une aide morale et scolaire en cas de difficultés,
• il faut assurer le financement de ces études par des bourses d’un montant suffisant pour leur permettre le cas échéant d’être pensionnaires. Il faut aussi prévoir le financement des études et du logement dans les grandes écoles,
• enfin, il faut prévoir une organisation simple, décentralisée et efficace pour coordonner l’ensemble des acteurs. L’AX pourrait s’impliquer dans cette action.