L’Association “ Dans la rue ” aide les jeunes au Canada
Il a quinze ou vingt ans. Il n’a pas de demeure, seulement des abris temporaires ou la rue. Par ses compagnons de galère, il a entendu parler, un peu, du « Bunker », de « La Roulotte », du centre de jour « Chez Pops », de la possibilité de manger et de dormir au chaud et même de s’asseoir et de discuter avec une personne qui voudra bien l’écouter sans le juger.
“ Il n’est pas sorti d’affaire mais il n’est plus seul ”
C’est tentant. Il aimerait, comme on dit, « s’en sortir », c’est-à-dire, en fait, « entrer » dans une vie vivable.
Il se laisse offrir un hot-dog à « La Roulotte ». Il entre en contact. Il n’est pas sorti d’affaire bien sûr, mais il n’est plus seul.
La Roulotte
« La Roulotte », c’est là où tout a commencé il y a vingt-cinq ans. C’est là où, en 1988, le père Emmett Johns, surnommé Pops, accueillait ses jeunes rescapés.
Le camion a bien sûr été remplacé mais c’est encore un genre de camping-car qui parcourt la ville, le lieu des premiers contacts et des premiers échanges, notamment avec les jeunes les plus marginalisés qui craignent et évitent la fréquentation des services gouvernementaux.
Chaque année, environ 180 000 hot-dogs y sont distribués par des bénévoles qui sont formés et suivis par l’Association.
Le Bunker
« Le Bunker » est aussi un lieu culte. C’est une maison d’hébergement mixte, qui peut accueillir chaque jour quelque vingt jeunes de 12 à 21 ans. Ils sont ainsi environ 600 jeunes par an, qui viennent dormir, se réchauffer, se poser tout simplement, dont un tiers de mineurs avec notamment un nombre important de jeunes fugueurs.
Des intervenants formés et salariés les accueillent sept jours sur sept.
Le centre de jour
Animée par 70 salariés permanents et plus de 150 bénévoles, l’Association « Dans la rue » est presque intégralement financée par des donateurs privés et des fondations, à hauteur d’un peu plus de 4 millions de dollars canadiens (environ 3 millions d’euros) et ne bénéficie que de 3 à 5 % de subvention des gouvernements du Québec et du Canada.
On n’aurait pas une idée de l’impact que peut avoir « Dans la rue » si l’on s’arrêtait à ces deux lieux, même s’ils sont déjà exemplaires et efficaces. Il y a aussi, en effet, tous les programmes d’aide.
Au centre de jour on propose à environ 150 jeunes par jour des repas, des vêtements et une assistance de premiers soins mais aussi et surtout, après ce premier contact, des programmes de remise sur pied.
Afin de passer, comme l’illustre bien le sigle en quatre silhouettes de l’association, de la position de jeune assis par terre à la position debout, en marche. Les jeunes peuvent entrer en contact à tout moment avec des intervenants prêts à les écouter et à les aider dans leurs démarches.
Ils ont accès à de nombreux services : consultation psychologique, école secondaire alternative, clinique de soins infirmiers et « clinique » juridique, programme d’activités éducatives et socioculturelles, atelier d’art, musique.
Les jeunes peuvent aussi participer à des programmes d’emploi ou de préemploi.
Du logement enfin
« Dans la rue » complète son action avec dix-sept unités de logement social avec soutien communautaire, ouvertes en décembre 2014. Les jeunes ont leur appartement, paient un loyer subventionné et bénéficient de la présence et de l’aide d’intervenants pour apprivoiser la vie quotidienne indépendante et poursuivre leur parcours de vie.
La qualité des contacts compte plus que la quantité. Un repas pris peut apaiser une faim en passant. Mais ce repas peut être aussi une sorte de cadeau de bienvenue et une occasion d’échanger quelques mots, de s’exprimer en se sentant écouté.
« Dans la rue » a compris depuis longtemps l’importance de la pluridisciplinarité qui permet d’accompagner le jeune dans tous les aspects de sa vie. Cette approche globale s’enrichit de partenariats forts avec de nombreuses institutions : équipes de recherche universitaire qui étudient et valident les programmes, services de police et de protection de la jeunesse qui ont signé un protocole pour faciliter l’accueil de jeunes fugueurs par l’organisme, services de santé pour essayer de développer des corridors d’accès.
Un des exemples marquants de ces dernières années est le partenariat avec une équipe spécialisée en santé mentale. Un jeune dont la santé mentale se dégrade peut être accueilli rapidement par des spécialistes en épisodes psychotiques ou en toxicomanie et bénéficier ensuite d’un suivi rapproché sur sa prise de médicaments, sa stabilisation en logement, ses démarches administratives.
Les jeunes peuvent aussi participer à des programmes d’emploi ou de préemploi. Des travaux de déneigement, nettoyage, jardinage ou cuisine sont rémunérés car ce ne sont pas « des occupations », mais un vrai travail utile qui mérite donc salaire, et qui a plusieurs vertus : développer l’aptitude de chacun à travailler, à accomplir un programme précis, à être intégré dans une équipe, à acquérir de nouvelles compétences qui lui seront utiles pour un futur travail.
Le regard du jeune sur lui-même évolue : il se croyait sans qualités et voilà qu’il est une personne reconnue apte à un travail. Le regard des autres, qui le voient en train de travailler, change du tout au tout. Le jeune peut se voir comme un citoyen à part entière et peut espérer qu’il sera accepté comme tel.
La santé mentale reste cependant un des enjeux majeurs sur lesquels travailler dans les années à venir. Psychoses, anxiété, dépression, troubles de personnalité limite viennent hypothéquer l’autonomisation de ces adultes en devenir.
« Dans la rue » représente du reste les jeunes en situation précaire dans un projet de recherche pancanadien sur les services en santé mentale pour les jeunes. Il faut aussi continuellement s’atteler à améliorer la transition à la sortie de la protection de la jeunesse à 18 ans ainsi que l’accès aux traitements en dépendance et au logement.
À Montréal, au Québec et au Canada, de nombreuses équipes travaillent en partenariat pour réduire l’itinérance des jeunes. « Dans la rue » fait partie du comité liaison itinérance et de la table de concertation itinérance jeunesse à Montréal, du National Learning Community on Youth Homelessness (réseau pancanadien) et suit de près le tout nouveau programme de recherche en itinérance jeunesse du Canadian Observatory on Homelessness.
(Notez que de plus en plus de leurs travaux sont désormais traduits en français.) Le partage d’expérience avec des associations ou organisations françaises serait aussi très bénéfique. Ceci est une invitation à nous contacter.
On voit des sourires
“ Une approche globale pour réduire l’itinérance ”
« Dans la rue », plus grand organisme du Québec pour les jeunes en situation précaire, veut jouer un rôle moteur dans le pari un peu fou de réduire l’itinérance tout en continuant à aider les jeunes au quotidien, avec des programmes collant à leurs besoins, accueillants, sans jugement.
Une donatrice a noté récemment, lors d’une première visite au centre de jour : « Ici, on voit des sourires, on entend des bribes de conversation ; on sent que c’est un lieu d’accueil. Décidément, l’empathie et l’espoir sont les seuls choix possibles. »
Nous continuerons à donner un coup de pouce à cet espoir.