L’assurance-crédit contre le risque d’impayés
REPÈRES
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En France, le montant du crédit interentreprises peut être estimé à 700 milliards d’euros. Le crédit clients représente en moyenne 20 % du bilan des entreprises, chiffre élevé non pas du fait d’une faible proportion des fonds propres des entreprises françaises (sujet qui n’est plus vraiment d’actualité contrairement à la situation des années 1990) mais du fait d’une relative faible part de la dette financière dans les bilans des entreprises.
Délais de paiement
Les principaux banquiers des entreprises sont les entreprises elles-mêmes
L’affirmation fera peut-être sourire mais c’est une réalité : les principaux banquiers des entreprises sont… les entreprises elles-mêmes. La très grande majorité des relations commerciales entre entreprises dans le monde (relations B to B, business to business) ne s’effectuent en effet pas au comptant mais voient les fournisseurs consentir des délais de paiement à leurs clients (mécanisme dit d’open account).
Les délais de paiement varient selon les pays, entre une trentaine de jours aux États-Unis jusqu’à un an ou presque dans certains pays d’Europe du Sud. Il en résulte ce que l’on appelle le crédit interentreprises, qui a deux composantes selon le point de vue que l’on adopte. Le crédit clients (asset receivables en anglais, A/R) correspond au crédit accordé par un fournisseur à ses clients. Au bilan, il figure alors à l’actif et se traduit par un besoin de financement pour le fournisseur. La dette fournisseurs (asset payables en anglais, A/P) correspond à la dette due par le client à ses fournisseurs. Au bilan, elle figure au passif et s’analyse comme un financement du client par ses fournisseurs.
La somme des crédits clients est égale à la somme des dettes fournisseurs et elle est égale au montant du crédit interentreprises. Celui-ci s’élève à environ 25 000 Md€ dans le monde (soit environ la moitié du PIB mondial).
Deux grands paradoxes
Crédits non encadrés
Comment ne pas être étonné que l’activité de crédit soit strictement encadrée lorsqu’il s’agit de financement bancaire (Bâle II aujourd’hui, Bâle III demain) mais extrêmement peu lorsqu’il s’agit d’opérations commerciales, seules les normes comptables IFRS exigeant des entreprises et filiales d’entreprises cotées qu’elles indiquent dans leur rapport annuel la manière dont elles gèrent leur poste clients et le risque qu’il représente ?
Ces éléments posés, on voit tout de suite émerger deux grands paradoxes. Le premier est lié au fait que la plupart des entreprises actives dans le B to B se retrouvent dans une position de banquier, alors que ce n’est en rien leur métier et qu’elles n’en mesurent pas toujours les risques.
Ces derniers sont loin d’être négligeables : on estime en effet qu’une faillite d’une entreprise sur quatre dans le monde est provoquée par l’insolvabilité d’un de ses clients. C’est le fameux effet domino : du fait du poids du poste clients dans le bilan, le non-paiement de certaines créances peut largement dépasser le résultat d’une entreprise et entraîner à son tour son dépôt de bilan.
Le second paradoxe est lié au fait qu’il ne viendrait à l’idée d’aucune entreprise bien gérée de ne pas assurer ses principaux actifs mais qu’il en va différemment lorsqu’il s’agit du poste clients qui peut représenter jusqu’à 40 % de l’actif d’une entreprise oeuvrant dans le B to B. Or un nombre non négligeable d’entreprises, surtout les plus petites d’entre elles, continuent aujourd’hui de ne pas se protéger contre le défaut de leurs clients, l’assurance contre ce type de risque n’étant en rien obligatoire.
Se prémunir des faillites
Information pertinente
Par information pertinente, il ne faut pas entendre une information que tout le monde peut trouver sur Internet, à faible valeur ajoutée, ou les derniers états financiers qui peuvent ne refléter en rien la situation actuelle réelle d’une entreprise, tout particulièrement en période de retournement de cycle, mais au contraire une information parfaitement à jour, à forte valeur ajoutée car connue d’un faible nombre d’intervenants.
L’origine de l’assurance-crédit remonte au dix-huitième siècle. En France, c’est dans les années 1830, précisément en 1839, qu’un économiste italien, Bonajuto Paris Sanguinetti, adresse un projet aux présidents des Chambres de commerce françaises recommandant d’établir « en France une Compagnie d’assurances mutuelles contre les faillites « . Toutefois, l’assurance- crédit, comme ailleurs dans les principaux pays européens (Allemagne, Royaume- Uni, Italie…), n’y prospère véritablement qu’à l’issue de la Première Guerre mondiale.
Avec le recul du temps, deux raisons essentielles ont poussé au développement de cette activité. La première, de bon sens, tient tout simplement à la volonté des entreprises de protéger un élément clé de leur actif. C’est une approche assurantielle classique. La seconde, plus subtile, relève de la question de savoir s’il est plus efficace pour une entreprise de disposer en interne d’une équipe de gestion du risque de crédit ou d’externaliser cette fonction.
Il ne s’agit pas là d’un débat entre assurance et auto-assurance mais de bien autre chose. La décision de consentir un crédit ou non à un client nécessite en effet tout d’abord d’investir dans une ressource rare et coûteuse à obtenir si elle est pertinente : l’information sur ce client.
Mutualisation des coûts
Fonds propres
Si une entreprise ne transfère pas son risque à un tiers, elle doit en théorie mobiliser des fonds propres pour couvrir celui-ci. Là aussi, il est évident que moins de fonds propres devront être mobilisés si les risques sont mutualisés chez un assureur que s’ils restent au sein de l’entreprise.
Cette information pertinente, l’entreprise a le choix entre l’acquérir elle-même ou à recourir à un assureur-crédit. Si elle fait le choix de l’acquérir elle-même, elle s’expose à des coûts fixes (chaque fois qu’elle acquiert un nouveau client) et récurrents (pour entretenir la qualité de sa base de données) très conséquents.
Les assureurs-crédits disposent des meilleures bases de données sur les entreprises
L’assureur-crédit, a contrario, a la faculté de mutualiser le coût d’acquisition de cette information sur l’ensemble des assurés qui portent des risques sur ce client. Il peut donc faire diminuer ce coût ou, à coût égal, améliorer considérablement la qualité de l’information. De fait, les assureurs-crédits disposent certainement des meilleures bases de données et des plus complètes au monde sur les entreprises. Ce coût considérable que représente l’acquisition d’informations pertinentes explique également pourquoi le secteur s’est concentré comme il l’a fait ces dernières années.
Transparence
Une troisième raison émerge aujourd’hui qui pousse puissamment de plus en plus d’entreprises, notamment les plus grands groupes internationaux, à recourir à une assurance-crédit : les exigences croissantes en matière de gouvernance. Combien de dirigeants sont en effet incapables de mentionner les plus grands risques clients portés par leur entreprise.
À leur décharge, la complexité des liens capitalistiques et financiers unissant certaines de leurs contreparties ne cesse de croître. Comment se faire une idée du soutien réel apporté par une maison mère à l’une de ses filiales quand les cas d’abandon pur et simple se multiplient de la part de très grands groupes ? Comment estimer le risque porté sur une filiale européenne d’une entreprise américaine en difficulté ? Comment y voir clair dans les accords de cash pooling ? Autant de questions auxquelles il est difficile de répondre sans des investigations très complexes.
Prévention des risques
L’assuré peut éviter une grande partie des sinistres qu’il aurait eu à assumer
L’assurance-crédit est un type d’assurance original dans la mesure où elle intervient pour couvrir le risque de défaut des clients moins par un mécanisme assurantiel pur que par un mécanisme de prévention. Couvrir le risque de manière purement assurantielle, sans prévention, coûterait en effet trop cher aux entreprises.
Celles-ci devraient en effet payer une prime au moins égale au taux de défaillance moyen des entreprises. Cela représenterait une ponction considérable sur leur taux de marge que l’on peut estimer en moyenne à un quart mais qui dans certains cas pourrait atteindre, voire dépasser les 100%. Le mécanisme de prévention repose sur des contacts fréquents, qui peuvent être quotidiens, entre l’assureur-crédit et l’assuré.
Effets induits
Les échanges entre assureur et assuré, qui s’apparentent à ceux existant au sein de l’entreprise entre la direction financière et la direction commerciale, présentent un caractère éminemment vertueux, quoiqu’ils ne soient pas toujours aisés : ils poussent en effet l’entreprise à développer une clientèle profitable. Rien n’est en effet plus inefficace pour une entreprise que de pousser ses forces de vente sur des marchés qui n’existeront plus demain, rien n’est plus efficace que de développer des relations d’affaires avec des clients à potentiel.
Chaque fois que ce dernier contracte avec un nouveau client ou développe son activité avec un client existant, il discute avec son assureur-crédit des garanties dont il peut disposer. De son côté, l’assureur informe régulièrement son assuré de l’évolution de la situation de ses clients, notamment s’agissant de leur solvabilité. Lorsque pour un débiteur donné celle-ci est menacée à court terme, ou que la prime payée par l’assuré n’est plus compatible avec le risque pris, l’assureur peut décider d’une réduction, voire d’une annulation des garanties sur ce débiteur.
Cette réduction ou cette annulation ne prennent évidemment effet que pour les factures futures et avec un préavis minimum qui varie selon les pays. L’assuré peut ainsi éviter une grande partie des sinistres qu’il aurait eu à assumer. Si l’assureur n’est pas en mesure d’assurer une prévention adéquate des sinistres, il indemnise alors son assuré et procède la plupart du temps pour son compte au recouvrement des créances.
Un exemple concret
En décembre 2009, l’entreprise A n’est pas assurée. Elle a 10000 clients et réalise un CA de 870 M?. Cinq défauts de paiement de respectivement 1,45 M€, 0,98 M€, 0,53 M€, 0,82 M€ et 0,57 M€ ont marqué l’année pour un total de 4,35 M€ (0,5 % du CA). Si elle avait été assurée, elle n’aurait subi des pertes que dans le dernier cas et son loss ratio aurait été ramené à 0,07%.
En décembre 2010, elle est assurée. Avec 10700 clients, elle réalise un CA de 915 M€. Grâce à son assurance son loss ratio s’établit à 0,07 %. Elle paie une prime égale à 0,2% de son CA. Le gain net pour elle est égal à 4,35 M€ – (0,2% + 0,07%) x 915 M€, soit 1,88 M€.
Prévoir les crises
Anticipation
Dès le milieu de l’année 2007 aux États-Unis et dès le début de 2008 en France (c’est-à-dire plusieurs mois avant la chute de Lehman Brothers), il a été possible de discerner les signes avant-coureurs clairs d’une crise de très grande ampleur : les délais de paiement s’allongeaient, les défauts croissaient d’une manière qui ne pouvait pas tromper.
Une des particularités de l’assurance-crédit est de se situer en amont des cycles économiques et, plus généralement, de servir de révélateur des tendances économiques de fond.
Cela est dû tout d’abord au fait qu’avant de ne pas payer son banquier et risquer ainsi de mettre en péril son financement, une entreprise qui connaît des difficultés a tendance à commencer à ne pas rembourser ses fournisseurs, ou, à tout le moins, certains d’entre eux. De par les obligations contractuelles de ses assurés, l’assureur-crédit est le réceptacle naturel de ces informations relatives à l’allongement des délais de paiement qui annonce des difficultés à venir.
Bâle III
Un autre facteur joue en faveur du développement du crédit interentreprises : le renforcement de la réglementation bancaire. Bâle III notamment ne devrait en rien faciliter le financement des entreprises. Or celles-ci ont des besoins de financement pour se développer.
Le capital est cher et donc le crédit interentreprises, qui l’est moins et n’est d’ailleurs pas toujours facturé à son juste prix, ne peut que se développer.
Plus généralement, l’assureur-crédit couvrant l’intégralité du poste clients de ses assurés, il perçoit aussi clairement l’évolution des stratégies des entreprises, notamment en matière de développement international. De par la richesse et la profondeur de ses bases de données sur les entreprises, il est également capable, en les consolidant, d’anticiper les grands mouvements de plaques tectoniques de l’économie mondiale.
De ce point de vue, force est de constater la montée en puissance fulgurante, beaucoup plus rapide que ce que beaucoup pensent encore, de grands groupes industriels et financiers dans les pays désormais émergés d’Asie et d’Amérique latine.
Des besoins au niveau mondial
Avec la croissance des échanges internationaux qui progressent en moyenne à un rythme double du PIB mondial, le crédit interentreprises ne cesse de croître. Par ailleurs, on observe très clairement en Asie, en Amérique latine et au Moyen-Orient une montée en puissance du mécanisme d’open account, moins lourd et d’un coût plus faible que d’autres moyens de financement comme la lettre de crédit.
Le développement économique s’est toujours accompagné de risques
Est-ce une bonne chose ou une mauvaise chose ? C’est avant tout une réalité. Le crédit interentreprises existe partout dans le monde. Des tentatives existent pour le réguler mais qui connaissent des fortunes diverses. Ainsi en a‑t-il été en France de la loi LME sur la réduction des délais de paiement qui partait d’un souhait louable. Ce qui joue en soi n’est en effet pas seulement le délai de paiement lui-même mais l’effet net entre délais fournisseurs et délais clients. Cela signifie que toute régulation peut ultimement s’analyser comme un transfert de trésorerie de certaines entreprises ou certains secteurs d’activité à d’autres, sujet dont on mesure la sensibilité.
Cette montée en puissance du crédit interentreprises entraîne à sa suite celle de l’assurance- crédit, non seulement parce que le volume du crédit interentreprises croît mais aussi parce que les risques dont il est porteur évoluent. Quelle entreprise européenne peut ainsi affirmer qu’elle connaît parfaitement ses contreparties russes, chinoises, indiennes ou brésiliennes ? Qu’elle maîtrise parfaitement le droit des faillites dans les grandes économies émergées qui constituent désormais le moteur de la croissance mondial ?
Mais là n’est finalement pas l’essentiel. Le développement économique s’est toujours accompagné de risques et c’est bien ainsi. Il faut seulement savoir les reconnaître et les maîtriser.
Domination française
Le marché mondial de l’assurance-crédit représente environ 5 milliards d’euros de primes et s’organise autour de trois grands acteurs mondiaux : Euler Hermes, Coface et Atradius. Alors qu’on ne cesse de dire que la France n’est pas un pays suffisamment exportateur, force est de constater que les deux premiers parmi ces trois acteurs mondiaux sont français : Euler Hermes et Coface. Cette remarquable spécificité trouve son origine essentiellement dans la manière dont ces groupes ont su tirer parti de la mondialisation dans les années 1990 en bâtissant des leaders mondiaux à partir des leaders français.