L’Atlantique à la rame : retour sur l’aventure
La Jaune et la Rouge consacrait dans ses numéros des mois d’octobre et décembre 2009 deux articles sur les préparatifs et les aspects techniques de ce défi. L’équipe des » Rames-Dames » raconte.
Route et système météo
Le départ, initialement prévu le 6 décembre 2009, a finalement été donné un mois plus tard, faute de fenêtre météo pour lancer la flotte dans l’immensité de l’Atlantique. Cela laissait présager des conditions que nous avons rencontrées. En effet, une coquille de noix comme la nôtre – 8 m de long sur 2 m de large – est extrêmement sensible aux conditions de navigation (vent, houle, courant). 10 nœuds de vent d’ouest suffisent à nous faire reculer vers l’Afrique.
Nous avions établi une route optimale en fonction des données statistiques pour cette période de l’année : cap au sud-ouest pour le premier tiers du trajet, puis ouest au large du cap Vert afin de profiter des alizés. Nous avions prévu ensuite d’optimiser cette route en fonction des systèmes météo que nous croiserions in situ.
Aux prises avec les vents contraires
Nous avions pour nous aider dans nos choix un routeur basé à Paris, Jean-Philippe Ricard (97). Au jour le jour, nous décidions avec lui du cap à prendre pour optimiser au mieux notre route. Nous avons ainsi finalement plongé beaucoup plus au sud afin d’échapper aux dépressions qui défilaient vers l’ouest, et afin de partir en quête des alizés, les grands absents cette année.
On regroupe sous le terme d’alizés ces vents persistants et réguliers qui proviennent des zones tropicales et se dirigent vers l’équateur en soufflant, à longueur d’année, du nord-est vers le sud-ouest dans l’hémisphère Nord et du sud-est vers le nord-ouest dans l’hémisphère Sud. Ils sont en général mieux établis entre décembre et avril.
Nous avons optimisé autant que faire se pouvait, mais avons tout de même été prises dans un système de vents contraires au milieu de la traversée. Nous avons alors dû nous mettre sur ancre de mer1 afin de ralentir autant que possible notre dérive vers l’est. Dur pour le moral, mais nous en avons profité pour réparer ce qui devait l’être et notamment faire de la maintenance sur nos sièges qui commençaient déjà à faire des leurs.
Comment gérer les petits soucis
Nous ramions nuit et jour, nous relayant toutes les une heure et demie la journée et toutes les deux heures la nuit.
Les conditions ont été assez sportives au départ et à l’arrivée : nous avons dû faire avec des creux de quatre à cinq mètres au large des Canaries et essuyé deux gros grains au large des Caraïbes.
Les petits soucis que nous avons dû gérer furent essentiellement d’ordre mécanique : forte corrosion des roulements à billes des sièges coulissants et alimentation défaillante du pilote automatique. Le jeu de l’autonomie ou comment doper l’ingéniosité des membres de l’équipage. Les sièges étaient, en effet, comme sur un aviron classique, montés sur roues et coulisses. Les roulements à billes des roues portant les sièges ont été très rapidement corrodés par le sel et l’eau. Sans roues, nous aurions dû ramer à la force des bras uniquement, il fallait qu’elles tournent . Le pilote automatique, quant à lui, avait des problèmes d’alimentation, sa prise étant sujette aux assauts des vagues qui passaient pardessus bord ou sur le pont.
A l’arrivée
Une traversée en autonomie
Nous avons ramé pendant soixante-quatre jours sans voir de bateau, quelques cargos de transport de marchandises au loin tout au plus. Nous avons en revanche croisé baleine, dauphins, raies, marlin et autres représentants de la faune aquatique. Sans oublier les oiseaux : à chaque lever et coucher du soleil, nous avions la visite de petits oiseaux type sterne. Surprenant, surtout au beau milieu de l’Atlantique.
Vraiment délicieux, les repas déshydratés
Les repas se constituaient essentiellement de déshydratés, une des bonnes surprises de cette aventure d’ailleurs. Vraiment délicieux. Nous étions en effet, rappelons-le, en autonomie complète. L’énergie était produite par les panneaux solaires et stockée dans deux batteries. Elle nous servait à dessaler l’eau (20 l/heure, désalinisateur par osmose inverse, électrique), à faire fonctionner nos appareils de navigation (pilote automatique, GPS) et à recharger divers équipements (appareil photo, etc.). La nourriture, quant à elle, était stockée sous le pont.
Nous avons touché terre le 9 mars 2010, après soixante-quatre jours de mer. L’instant fut magique. Nous avons retrouvé nos proches qui nous attendaient au port, avec une démarche mal assurée… le mal de terre sans doute.
Une belle aventure. Humaine, physique, mentale, globale. Nous avons aujourd’hui repris un quotidien qui, bien loin de nous sembler gris, a au contraire une autre saveur. Un peu plus de sel.
1. L’ancre de mer est un parachute d’1 m 50 de diamètre, relié au bateau par un bout de 80 m (ou 30 m suivant les temps). Déployé, il freine le bateau, l’empêchant ainsi de trop dériver en cas de vent contraire.