L’attractivité des territoires, enjeu politique majeur

Dossier : Économie numérique : Les enjeuxMagazine N°674 Avril 2012
Par Lionnel TARDY

La pre­mière condi­tion pour accueillir des acti­vi­tés numé­riques est la qua­li­té des infra­struc­tures. Si, à terme, la vitesse d’accès à Inter­net est défi­ciente, il est inutile d’aller plus loin. Dans la com­pé­ti­tion qui fait rage, le très haut débit est néces­saire. L’enjeu est très sen­sible en ce moment, avec le déploie­ment d’un réseau de fibre optique des­ti­né à rem­pla­cer la boucle de cuivre. Des moyens finan­ciers impor­tants doivent être enga­gés afin d’éviter une frac­ture numé­rique entre dif­fé­rents territoires.

REPÈRES
L’expansion for­mi­dable à venir de l’Internet des objets (asso­ciant aux objets ou aux lieux des éti­quettes munies de codes ou de puces) et de la télé­vi­sion connec­tée va néces­si­ter de lourds inves­tis­se­ments en infra­struc­tures. Il est pri­mor­dial de tra­vailler sur la soli­di­té et la rési­lience des réseaux. Les enjeux de sécu­ri­té infor­ma­tique et de sécu­ri­té des réseaux sont tout aus­si essen­tiels pour atti­rer des entre­prises et des acti­vi­tés numériques.

Héberger et maîtriser les données

Au-delà de l’enjeu d’aménagement d’un ter­ri­toire, il existe aus­si un enjeu natio­nal. Il n’y a pas que le débit qui soit en cause. Les infra­struc­tures, ce sont aus­si des data cen­ters. Il est indis­pen­sable d’être capable d’héberger et de maî­tri­ser les don­nées, de savoir où elles sont, de savoir quel droit leur est appli­cable (de pré­fé­rence le nôtre).

L’indépendance numé­rique est aus­si impor­tante que l’indépendance énergétique

L’indépendance numé­rique est aus­si impor­tante que l’indépendance éner­gé­tique. Cette maî­trise passe aus­si par la pré­sence, sur nos ter­ri­toires, d’entreprises lea­ders dans tous les seg­ments, équi­pe­ments, réseaux ou ser­vices. Ne pas maî­tri­ser des tech­no­lo­gies, c’est dépendre des autres. On le voit bien dans le domaine des ser­vices (Ama­zon, eBay, etc.) ou dans celui des moteurs de recherche (Google, Yahoo, etc.), où les prin­ci­pales entre­prises sont amé­ri­caines. Elles captent leurs reve­nus chez nous, sans contri­buer au finan­ce­ment de nos infra­struc­tures ni rever­ser leur juste part aux autres acteurs de la chaîne de valeur, que ce soit les pro­duc­teurs de conte­nus ou les opé­ra­teurs de réseaux.

Entre la chaise et le clavier

Les infra­struc­tures sont une chose, mais il ne faut jamais oublier que, der­rière les machines, il y a des êtres humains. Un pro­verbe infor­ma­tique dit que l’essentiel des pro­blèmes se situe « entre la chaise et le cla­vier ». L’humain est au cœur du numé­rique. Il est donc essen­tiel d’avoir une popu­la­tion for­mée au numé­rique, pour deux raisons.

Former pour utiliser

Un rap­pro­che­ment culturel
Les ser­vices sont aus­si conçus en tenant compte de la culture et des habi­tudes du mar­ché. On ne conçoit pas un même pro­duit pour l’Amérique du Nord, l’Europe, la Chine ou l’Afrique. En clair, plus le mar­ché sera euro­péen, plus les entre­prises amé­ri­caines et asia­tiques devront en tenir compte.

Une popu­la­tion lar­ge­ment for­mée uti­lise et consomme davan­tage de ser­vices numé­riques, et consti­tue donc un vec­teur poten­tiel de crois­sance plus impor­tant. Pour les entre­prises, cap­ter un mar­ché en crois­sance est une étape essen­tielle, vitale même. Plus un mar­ché est impor­tant, plus elles ont la volon­té de s’en rap­pro­cher, et cela passe sou­vent par un rap­pro­che­ment physique.

Former pour développer

D’autre part, une popu­la­tion for­mée consti­tue une main-d’oeuvre pré­cieuse dans un sec­teur où la recherche, l’innovation et la matière grise sont pri­mor­diales. Il faut avoir des labo­ra­toires, des cher­cheurs, des déve­lop­peurs, et cela demande un ter­reau humain sans lequel les entre­prises du numé­rique ne pour­ront ni naître ni se déve­lop­per. Une popu­la­tion for­mée, c’est enfin une popu­la­tion qui contri­bue à l’enrichissement des connais­sances. L’internaute est de moins en moins consom­ma­teur pas­sif et de plus en plus pro­duc­teur. L’un des moteurs de la crois­sance se trouve dans cette éco­no­mie de la contri­bu­tion, qu’il faut apprendre à maî­tri­ser. Cela repré­sente un inves­tis­se­ment humain for­mi­dable. Nous avons déjà beau­coup d’atouts, avec des centres de recherche, une école mathé­ma­tique fran­çaise recon­nue comme l’une des pre­mières au monde. Il faut pré­ser­ver ces filières d’excellence.

Mettre à niveau la population

L’internaute est de moins en moins consom­ma­teur pas­sif et de plus en plus pro­duc­teur lui-même

Il faut aus­si déve­lop­per l’éducation aux usages de l’Internet, tâche immense qui concerne une popu­la­tion entière, avec ses dif­fé­rences d’âge, de situa­tion sociale, d’envie et de capa­ci­té d’apprendre. Sur ce plan, nous en sommes aux bal­bu­tie­ments. Des ini­tia­tives inté­res­santes fleu­rissent dans les écoles, à des­ti­na­tion des jeunes. Mais ce n’est pas suf­fi­sant. Une mise à niveau numé­rique de l’ensemble de la popu­la­tion exi­ge­ra un plan d’action glo­bal, avec des moyens humains et péda­go­giques qui ne sont pas for­cé­ment coû­teux en argent, car les équi­pe­ments existent. Un élan poli­tique doit être insuf­flé, afin que ceux qui maî­trisent ces tech­niques trans­mettent leurs connais­sances aux autres. Après avoir for­mé cette main-d’oeuvre, il fau­dra savoir la rete­nir. Cela nous amène au troi­sième point, celui qui fait toute la dif­fé­rence, et sur lequel nous avons quelques pro­blèmes en France : la capa­ci­té d’accueil.

Disposer d’une capacité d’accueil

Les acti­vi­tés numé­riques ont besoin d’un cadre, d’une légis­la­tion stable et intel­li­gem­ment construite. Elles ont aus­si besoin de se sen­tir com­prises et bien­ve­nues, de sen­tir qu’elles vont trou­ver sur un ter­ri­toire des condi­tions juri­diques favo­rables à leur déve­lop­pe­ment. Des infra­struc­tures maté­rielles, une popu­la­tion cor­rec­te­ment for­mée, ce n’est fina­le­ment pas si dif­fi­cile à avoir, c’est une ques­tion de déci­sion poli­tique et d’argent. En revanche, l’état d’esprit ne s’achète pas.

Au niveau de la France et de l’Union euro­péenne, nous avons d’immenses chan­tiers à trai­ter, et mal­heu­reu­se­ment des erreurs à rat­tra­per, des tirs à corriger.

Comprendre le numérique

Com­prendre le numé­rique est une pre­mière étape. Vou­loir légi­fé­rer contre les réa­li­tés tech­niques est une erreur dont on com­mence à reve­nir. Nous étions bien peu nom­breux, lors des débats sur la loi Hado­pi, à affir­mer que cette loi n’apporterait rien, car elle était obso­lète avant même d’être pro­mul­guée. À cette occa­sion, les élites diri­geantes – poli­tiques, mais aus­si indus­triels et médias – ont mon­tré leur mécon­nais­sance de l’Internet, et sur­tout, plus grave, une cer­taine absence de volon­té d’apprendre et d’évoluer.

Favoriser l’innovation

Immer­ger les élites dirigeantes
Les men­ta­li­tés com­mencent à évo­luer, mais il y a encore beau­coup de che­min à par­cou­rir et cela ne se fera pas d’un seul coup. Tout est en cours et com­mence par une immer­sion des élites diri­geantes dans le grand bain du numé­rique. Ouvrir, par exemple, un compte sur Twit­ter et s’en ser­vir est déjà un grand pas. Cela per­met de décou­vrir un outil qui peut être très utile, mais aus­si d’entrer dans la com­mu­nau­té des uti­li­sa­teurs et d’en sai­sir l’esprit, les usages, et d’être là où les choses se font. La prise de conscience a eu lieu, le pas a été fran­chi chez cer­tains, mais c’est encore très récent.

Le numé­rique est l’économie de l’immatériel par excel­lence. Les poten­tia­li­tés sont immenses, mais les risques d’échec aus­si. Il faut expé­ri­men­ter, prendre le risque de se trom­per, d’échouer. Pour cela, il faut une culture qui favo­rise l’innovation, c’est-à-dire qui admette l’échec, qui accepte d’investir avec un retour sur inves­tis­se­ment aléa­toire et sur le moyen terme. Cette culture fait assez lar­ge­ment défaut en France, où le goût du risque est modé­ré. Il est indis­pen­sable de pro­mou­voir le capi­tal-risque. Le gou­ver­ne­ment l’a com­pris et a mis en place tous les outils. Mais on se heurte à des résis­tances cultu­relles qui plongent leurs racines très loin : la France est mal­heu­reu­se­ment davan­tage un pays de ren­tiers que d’entrepreneurs. Les acteurs publics doivent éga­le­ment prendre leur part dans l’effort. Après quelques hési­ta­tions, la France s’est enga­gée réso­lu­ment sur cette voie, avec un cré­dit impôt-recherche effi­cace et des dis­po­si­tifs ciblés, notam­ment celui qui concerne les jeunes entre­prises innovantes.

Assurer un cadre juridique stable

Une fis­ca­li­té à définir
Il est plus que temps d’ouvrir le chan­tier de la fis­ca­li­té du numé­rique. Il est nor­mal que les acti­vi­tés du numé­rique contri­buent au finan­ce­ment des infra­struc­tures. Per­sonne ne le conteste, mais encore faut-il que ce soit sur des bases justes et selon des moda­li­tés com­pa­tibles avec les contraintes tech­niques et les modèles éco­no­miques du numérique.

Comme tous les sec­teurs, le numé­rique a besoin d’un cadre juri­dique et, si pos­sible, stable. La matière étant assez nou­velle, les pre­miers cadres juri­diques, notam­ment les direc­tives euro­péennes prises dans les années 1990 et au début des années 2000, ont par­fois été insuf­fi­sants. Un gros tra­vail de remise à niveau est en cours ; à terme, il devrait don­ner à l’Europe une assise juri­dique qui per­mette d’y voir clair.

Ne pas manquer le train

Si la France et l’Europe sont attrac­tives pour les acti­vi­tés du numé­rique, la concur­rence reste féroce. Sur bien des sujets, des pays comme la Corée du Sud ou l’Inde ont plu­sieurs lon­gueurs d’avance, et les États-Unis pos­sèdent une telle masse cri­tique qu’ils res­te­ront encore lea­ders pour long­temps. La nou­velle révo­lu­tion indus­trielle, c’est le numé­rique ; les cartes sont en train de se dis­tri­buer en ce moment même.

Nous ne devons donc pas traî­ner pour nous mettre à niveau, sous peine de man­quer le train de l’histoire.

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