L’attractivité des territoires, enjeu politique majeur
La première condition pour accueillir des activités numériques est la qualité des infrastructures. Si, à terme, la vitesse d’accès à Internet est déficiente, il est inutile d’aller plus loin. Dans la compétition qui fait rage, le très haut débit est nécessaire. L’enjeu est très sensible en ce moment, avec le déploiement d’un réseau de fibre optique destiné à remplacer la boucle de cuivre. Des moyens financiers importants doivent être engagés afin d’éviter une fracture numérique entre différents territoires.
REPÈRES
L’expansion formidable à venir de l’Internet des objets (associant aux objets ou aux lieux des étiquettes munies de codes ou de puces) et de la télévision connectée va nécessiter de lourds investissements en infrastructures. Il est primordial de travailler sur la solidité et la résilience des réseaux. Les enjeux de sécurité informatique et de sécurité des réseaux sont tout aussi essentiels pour attirer des entreprises et des activités numériques.
Héberger et maîtriser les données
Au-delà de l’enjeu d’aménagement d’un territoire, il existe aussi un enjeu national. Il n’y a pas que le débit qui soit en cause. Les infrastructures, ce sont aussi des data centers. Il est indispensable d’être capable d’héberger et de maîtriser les données, de savoir où elles sont, de savoir quel droit leur est applicable (de préférence le nôtre).
L’indépendance numérique est aussi importante que l’indépendance énergétique
L’indépendance numérique est aussi importante que l’indépendance énergétique. Cette maîtrise passe aussi par la présence, sur nos territoires, d’entreprises leaders dans tous les segments, équipements, réseaux ou services. Ne pas maîtriser des technologies, c’est dépendre des autres. On le voit bien dans le domaine des services (Amazon, eBay, etc.) ou dans celui des moteurs de recherche (Google, Yahoo, etc.), où les principales entreprises sont américaines. Elles captent leurs revenus chez nous, sans contribuer au financement de nos infrastructures ni reverser leur juste part aux autres acteurs de la chaîne de valeur, que ce soit les producteurs de contenus ou les opérateurs de réseaux.
Entre la chaise et le clavier
Les infrastructures sont une chose, mais il ne faut jamais oublier que, derrière les machines, il y a des êtres humains. Un proverbe informatique dit que l’essentiel des problèmes se situe « entre la chaise et le clavier ». L’humain est au cœur du numérique. Il est donc essentiel d’avoir une population formée au numérique, pour deux raisons.
Former pour utiliser
Un rapprochement culturel
Les services sont aussi conçus en tenant compte de la culture et des habitudes du marché. On ne conçoit pas un même produit pour l’Amérique du Nord, l’Europe, la Chine ou l’Afrique. En clair, plus le marché sera européen, plus les entreprises américaines et asiatiques devront en tenir compte.
Une population largement formée utilise et consomme davantage de services numériques, et constitue donc un vecteur potentiel de croissance plus important. Pour les entreprises, capter un marché en croissance est une étape essentielle, vitale même. Plus un marché est important, plus elles ont la volonté de s’en rapprocher, et cela passe souvent par un rapprochement physique.
Former pour développer
D’autre part, une population formée constitue une main-d’oeuvre précieuse dans un secteur où la recherche, l’innovation et la matière grise sont primordiales. Il faut avoir des laboratoires, des chercheurs, des développeurs, et cela demande un terreau humain sans lequel les entreprises du numérique ne pourront ni naître ni se développer. Une population formée, c’est enfin une population qui contribue à l’enrichissement des connaissances. L’internaute est de moins en moins consommateur passif et de plus en plus producteur. L’un des moteurs de la croissance se trouve dans cette économie de la contribution, qu’il faut apprendre à maîtriser. Cela représente un investissement humain formidable. Nous avons déjà beaucoup d’atouts, avec des centres de recherche, une école mathématique française reconnue comme l’une des premières au monde. Il faut préserver ces filières d’excellence.
Mettre à niveau la population
L’internaute est de moins en moins consommateur passif et de plus en plus producteur lui-même
Il faut aussi développer l’éducation aux usages de l’Internet, tâche immense qui concerne une population entière, avec ses différences d’âge, de situation sociale, d’envie et de capacité d’apprendre. Sur ce plan, nous en sommes aux balbutiements. Des initiatives intéressantes fleurissent dans les écoles, à destination des jeunes. Mais ce n’est pas suffisant. Une mise à niveau numérique de l’ensemble de la population exigera un plan d’action global, avec des moyens humains et pédagogiques qui ne sont pas forcément coûteux en argent, car les équipements existent. Un élan politique doit être insufflé, afin que ceux qui maîtrisent ces techniques transmettent leurs connaissances aux autres. Après avoir formé cette main-d’oeuvre, il faudra savoir la retenir. Cela nous amène au troisième point, celui qui fait toute la différence, et sur lequel nous avons quelques problèmes en France : la capacité d’accueil.
Disposer d’une capacité d’accueil
Les activités numériques ont besoin d’un cadre, d’une législation stable et intelligemment construite. Elles ont aussi besoin de se sentir comprises et bienvenues, de sentir qu’elles vont trouver sur un territoire des conditions juridiques favorables à leur développement. Des infrastructures matérielles, une population correctement formée, ce n’est finalement pas si difficile à avoir, c’est une question de décision politique et d’argent. En revanche, l’état d’esprit ne s’achète pas.
Au niveau de la France et de l’Union européenne, nous avons d’immenses chantiers à traiter, et malheureusement des erreurs à rattraper, des tirs à corriger.
Comprendre le numérique
Comprendre le numérique est une première étape. Vouloir légiférer contre les réalités techniques est une erreur dont on commence à revenir. Nous étions bien peu nombreux, lors des débats sur la loi Hadopi, à affirmer que cette loi n’apporterait rien, car elle était obsolète avant même d’être promulguée. À cette occasion, les élites dirigeantes – politiques, mais aussi industriels et médias – ont montré leur méconnaissance de l’Internet, et surtout, plus grave, une certaine absence de volonté d’apprendre et d’évoluer.
Favoriser l’innovation
Immerger les élites dirigeantes
Les mentalités commencent à évoluer, mais il y a encore beaucoup de chemin à parcourir et cela ne se fera pas d’un seul coup. Tout est en cours et commence par une immersion des élites dirigeantes dans le grand bain du numérique. Ouvrir, par exemple, un compte sur Twitter et s’en servir est déjà un grand pas. Cela permet de découvrir un outil qui peut être très utile, mais aussi d’entrer dans la communauté des utilisateurs et d’en saisir l’esprit, les usages, et d’être là où les choses se font. La prise de conscience a eu lieu, le pas a été franchi chez certains, mais c’est encore très récent.
Le numérique est l’économie de l’immatériel par excellence. Les potentialités sont immenses, mais les risques d’échec aussi. Il faut expérimenter, prendre le risque de se tromper, d’échouer. Pour cela, il faut une culture qui favorise l’innovation, c’est-à-dire qui admette l’échec, qui accepte d’investir avec un retour sur investissement aléatoire et sur le moyen terme. Cette culture fait assez largement défaut en France, où le goût du risque est modéré. Il est indispensable de promouvoir le capital-risque. Le gouvernement l’a compris et a mis en place tous les outils. Mais on se heurte à des résistances culturelles qui plongent leurs racines très loin : la France est malheureusement davantage un pays de rentiers que d’entrepreneurs. Les acteurs publics doivent également prendre leur part dans l’effort. Après quelques hésitations, la France s’est engagée résolument sur cette voie, avec un crédit impôt-recherche efficace et des dispositifs ciblés, notamment celui qui concerne les jeunes entreprises innovantes.
Assurer un cadre juridique stable
Une fiscalité à définir
Il est plus que temps d’ouvrir le chantier de la fiscalité du numérique. Il est normal que les activités du numérique contribuent au financement des infrastructures. Personne ne le conteste, mais encore faut-il que ce soit sur des bases justes et selon des modalités compatibles avec les contraintes techniques et les modèles économiques du numérique.
Comme tous les secteurs, le numérique a besoin d’un cadre juridique et, si possible, stable. La matière étant assez nouvelle, les premiers cadres juridiques, notamment les directives européennes prises dans les années 1990 et au début des années 2000, ont parfois été insuffisants. Un gros travail de remise à niveau est en cours ; à terme, il devrait donner à l’Europe une assise juridique qui permette d’y voir clair.
Ne pas manquer le train
Si la France et l’Europe sont attractives pour les activités du numérique, la concurrence reste féroce. Sur bien des sujets, des pays comme la Corée du Sud ou l’Inde ont plusieurs longueurs d’avance, et les États-Unis possèdent une telle masse critique qu’ils resteront encore leaders pour longtemps. La nouvelle révolution industrielle, c’est le numérique ; les cartes sont en train de se distribuer en ce moment même.
Nous ne devons donc pas traîner pour nous mettre à niveau, sous peine de manquer le train de l’histoire.