L’audit de Propriété Industrielle
REPÈRES
REPÈRES
Les chapitres principaux de l’audit PI sont au nombre de trois : d’abord l’analyse du portefeuille PI de la société ; puis la situation PI des projets internes – par rapport à la propriété industrielle globale de la société par indication d’un code de « pertinence », et par rapport à la propriété industrielle de tiers ; ce point est appelé communément « étude de liberté d’exploitation » (freedom to operate, FTO) pour des audits plus complets ; enfin, une analyse de la stratégie propriété industrielle pour le présent et l’avenir.
Pour mémoire, un portefeuille de propriété industrielle comprend de manière générale trois groupes d’éléments.
Droit européen
L’article 52.2 de la Convention sur le brevet européen (CBE) indique que « ne sont pas considérés comme des inventions […] les programmes d’ordinateur ». Néanmoins, moyennant certaines précautions, un grand nombre de brevets protégeant directement ou indirectement les programmes d’ordinateur, y compris des algorithmes, sont accordés au niveau européen (G03/08). Il faut donc ne pas omettre de clarifier la situation PI de tels éléments.
Tout d’abord, la propriété industrielle, qui recouvre dessins et modèles, brevets d’invention, secrets de fabrique, produits semi-conducteurs, certificats d’obtention végétale, marques, appellations d’origine, topologies de semi-conducteurs.
Ensuite, et dans certains cas, l’analyse de la propriété littéraire et artistique (PLA) : droit d’auteur et droits voisins, logiciels (dans leur forme), base de données (loi 98⁄536). En ce qui concerne les logiciels, y compris le matériel de conception préparatoire, ils sont considérés comme des œuvres de l’esprit qui bénéficient, en France, d’une protection par le droit d’auteur (articles L‑112.2 CPI 13 §) dès lors qu’ils satisfont aux conditions d’originalité.
Enfin, on n’oubliera pas d’analyser aussi le savoir-faire, les cahiers de laboratoire et les contrats.
Analyse du portefeuille
L’analyse du portefeuille des brevets comprend un état complet du statut légal du portefeuille des demandes de brevets (en cours d’examen) et des brevets acceptés.
En l’absence de droit spécifique, la seule protection du savoir-faire est le secret
On vérifie notamment si les titres sont en vigueur : état de paiement des annuités et inscriptions à des registres européens ou nationaux des brevets, qui en outre donnent une idée des droits éventuels qui ont pu être consentis (contrat de licence, cession, nantissement, restauration si perte de droit à un moment de la vie du brevet par exemple). On se procure une copie des éléments de procédure les plus classiques, à savoir le rapport de recherche et l’opinion préliminaire associée de la demande internationale (PCT), ainsi que les pièces de procédures américaines et européennes qui permettent, grâce à la recherche d’antériorité réalisée (notamment en Europe ou pour le PCT), d’avoir une idée préliminaire sur la validité de l’invention.
Historique des procédures
Les procédures éventuelles qui ont pu être diligentées sur les brevets accordés seront analysées : action en nullité, contrefaçon ou opposition et recours. Les offices nationaux et l’OEB (Office européen des brevets) ont produit ces dernières années un effort considérable de la mise en ligne de ce type d’information, mais aucun lien n’existe encore entre eux. Des sites privés tels que www.darts-ip fournissent une vision plus globale en répertoriant notamment, pour un même brevet, l’ensemble des arrêts nationaux en Europe et en établissant des statistiques utiles pour déterminer dans quels pays les procédures ont abouti positivement pour l’audité.
Le savoir-faire peut se définir comme « l’ensemble des informations techniques non brevetées qui sont secrètes, substantielles, et qui sont identifiées de toute manière appropriée ». Cette catégorie recouvre non seulement toutes les informations utilisables, par exemple pour l’optimisation d’une invention brevetée, mais également celles qui ne sont pas reliées directement à un brevet mais permettent de mettre en place un process ou un produit.
L’enveloppe Soleau
L’enveloppe Soleau (du nom de son créateur), moyen de preuve simple et peu coûteux, est un produit de l’INPI qui, sans être un titre de propriété industrielle, permet de dater de façon certaine la création d’une œuvre et de s’identifier comme auteur.
Actuellement, en l’absence de droit spécifique, la seule protection du savoir-faire est le secret. Il y a donc lieu, lors de l’audit, de vérifier si les conditions de secret ont bien été prises en compte, au niveau physique (coffre par exemple), juridique, notamment contractuellement à l’égard des tiers qui peuvent être aussi bien des licenciés, des organismes officiels, des visiteurs, des stagiaires, etc. Il faut également vérifier le support du savoir-faire, ce support pouvant être un cahier de laboratoire (tenu conformément à une charte), une enveloppe Soleau ou un dépôt de pli cacheté par exemple.
Contrôler tous les contrats
L’audit doit contrôler tous les contrats sur les droits de propriété industrielle. En France, de nombreuses sociétés, notamment des startups, sont créées à partir de recherches réalisées au sein d’organismes publics, et le fonctionnaire inventeur souhaite participer à la valorisation de l’invention. Ces contrats conclus avec des fonctionnaires ou des agents de l’État sont régis par les articles L413‑1 et 8 (Code de la recherche), aussi est-il nécessaire de vérifier qu’ils ont bien reçu l’aval des organismes auxquels appartiennent ces fonctionnaires ou agents de l’État.
Les contrats ne doivent pas nuire au développement futur de la société
Il peut être utile aussi de vérifier les contrats de travail, de consultance, de conseil scientifique. Il doit être clair dans tous ces contrats que les droits de propriété industrielle doivent pouvoir être acquis ou utilisés par la société. Parmi les contrats, on trouve des « accords préparatoires » : les accords de confidentialité, dits aussi non-disclosure agreements, c’est-à-dire des contrats conclus pour échanger des informations mais qui peuvent contenir des clauses susceptibles d’entraver les développements de la société, de même que le memorandum of understanding ou la lettre d’intention. Ces contrats ne doivent pas nuire au développement futur de la société.
Pour les contrats de prestations de services ou les contrats de recherche et développement, de même que pour les contrats de transfert de technologie, contrats de savoir-faire, contrats de licence, et éventuellement les cessions, il est important de rechercher l’impact que peuvent avoir ces contrats sur la valorisation de la société et sur son développement futur, notamment en termes de durée et d’obligations, notamment financières. Les clauses de non-concurrence ou d’exclusivité peuvent avoir une importance – positive ou négative – sur l’évaluation de la société.
Qu’est-ce que le Traité de coopération en matière de brevets (PCT)?
Le PCT est un traité international administré par l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) qui lie plus de 125 pays parties à la Convention de Paris. Ce traité permet d’obtenir simultanément la protection d’une invention dans un grand nombre de pays en déposant une demande « internationale » unique au lieu de déposer plusieurs demandes de brevet nationales ou régionales distinctes. La délivrance des brevets reste sous le contrôle des offices de brevets nationaux ou régionaux dans ce qu’il est convenu d’appeler la « phase nationale ».
Évaluer la situation PI des projets
Il est indispensable de vérifier, au regard des projets en développement, envisagés ou réalisés, si ces projets sont bien couverts par la propriété industrielle de la société. Rappelons que la propriété industrielle doit protéger les développements de la société ou couvrir les développements d’un concurrent. Un portefeuille trop important peut être le produit d’astuces de procédure, sans réel intérêt pour la société. Il est donc indispensable de vérifier la « pertinence » du portefeuille. L’audit peut ainsi permettre de faire par la suite un nettoyage du portefeuille et de réduire les frais liés au maintien en vigueur des titres. Il est ensuite indispensable de vérifier la liberté d’exploitation des projets. Cette opération est souvent celle qui demande le plus de temps, qui est la plus coûteuse et la plus hasardeuse.
Dépôts annuels en 2010
France : 16 580
Europe : 150 961
PCT (WO) : 164 300
États-Unis (utility patent seulement) : 490 226
Dans un premier temps, il faut rechercher quels sont les brevets de tiers qui pourraient empêcher la commercialisation ou la valorisation des projets de la société dans chacun des pays d’exploitation envisagés, souvent les pays européens, les États-Unis et le Japon. Dans un second temps, il faudra vérifier si les brevets opposables sont toujours en vigueur et valables avant d’entamer la phase des solutions. Il faut, du reste, toujours garder en tête que cette étude devrait être mise à jour très régulièrement, car toutes les semaines de nouvelles publications peuvent remettre en cause une conclusion positive.
Si des solutions s’imposent de façon évidente, il faudra soit négocier, ce qui n’est jamais un processus instantané, soit envisager des procédures « contentieuses », opposition, action en nullité, par exemple, qui sont des processus parfois assortis d’un timing particulier (opposition en Europe au plus tard dans les neuf mois de la délivrance du titre) qui peuvent être onéreux, soit encore attendre, notamment lorsque l’on dispose de solutions alternatives. Quelle que soit la solution, les risques conduiront à une diminution de la valeur de la société car les investisseurs n’aiment pas les risques (perte de temps, d’argent).
Mener une analyse stratégique
Quelle que soit la solution, les risques conduiront à une diminution de la valeur de la société
Dans certains cas, il est également demandé que la société puisse expliciter à la fois sa stratégie propriété industrielle passée et à venir, en termes de type de protection, de choix de couverture géographique, et quelles en sont les raisons. De même, quelles sont les stratégies contractuelles qui ont été développées ou que l’on développera dans l’avenir, et enfin quelles sont les stratégies de propriété industrielle des principaux concurrents, et en quoi les stratégies qui ont été développées par la société permettent de s’opposer aux stratégies des concurrents.
Sur ce dernier point, la cartographie des brevets, système très en vogue actuellement, se révèle comme outil intéressant pour avoir un certain point de vue sur sa propre stratégie ainsi que sur celles des concurrents. Attention cependant à l’interprétation des résultats suivant le type et la taille du corpus de documents analysés. Sans esprit critique, on peut rapidement tomber dans de mauvaises interprétations.
Jacques Warcoin vous invite sur la rubrique « Publications » du Cabinet Regimbeau, Conseils en Propriété Industrielle