Laura Chaubard (99) DG de l’établissement public de La Villette
Robert Ranquet (72) est allé rencontrer Laura Chaubard à La Villette, dont elle dirige l’établissement public. Retour sur le parcours de cette polytechnicienne de la promo 99.
J & R : Comment es-tu passée d’un cursus plutôt classique d’ingénieure de l’armement à La Villette ?
Laura Chaubard : À vrai dire, mon cursus comme ingénieure de l’armement n’a pas été si classique que ça : après un début de carrière plutôt technique sur des programmes de renseignement, je me suis vite concentrée sur les questions d’innovation, de soutien aux PME et de transformation numérique, qui étaient à l’époque encore peu explorées par les Armées. Jusqu’à mon dernier poste au cabinet de la ministre Florence Parly dans lequel j’ai notamment contribué à la création de l’Agence de l’innovation de défense ainsi que d’un fonds de capital-risque dédié aux PME de défense…
Mon arrivée à La Villette répondait à plusieurs envies.
D’abord, j’avais envie d’un poste de direction générale, avec une vraie autonomie et une responsabilité « 360 degrés » ; ensuite, j’éprouvais le besoin d’élargir mon horizon, même si mes fonctions au cabinet de Florence Parly me donnaient une vue très large sur les questions de défense et le fonctionnement de ce grand ministère. Enfin, j’avais une appétence personnelle pour le monde de la culture.
Il se trouve que la directrice générale précédente était une camarade de promo, Marie Villette (quel nom prédestiné !). C’est elle qui m’a encouragée à candidater pour sa succession. Elle m’avait déjà aiguillée quelques mois auparavant vers le poste de DG de la Cité des sciences, mais cela n’avait pas marché. Et, quand elle est partie comme secrétaire générale du ministère de la Culture (encore un beau parcours original pour une X !), j’ai retenté ma chance en faisant acte de candidature auprès du président de l’établissement Didier Fusillier et du ministre Franck Riester, et là, ça a marché, et cette fois pour la direction générale de l’ensemble de l’établissement public de La Villette !
J & R : Peux-tu rappeler à nos lecteurs ce qu’est l’Établissement public du Parc et de la Grande Halle de La Villette (EPPGHV) ?
Laura Chaubard : Un nom et un acronyme bien longs ! Au départ, c’est une belle idée, née dans les années 80, de créer LE parc culturel du XXIe siècle, associant culture, sport et nature. Aujourd’hui, nous sommes trois établissements publics principaux sur le site : la Cité des sciences et de l’industrie, dans les fameux anciens abattoirs ; la Cité de la musique avec la nouvelle Philharmonie ; et l’établissement de La Villette que je dirige, qui est le plus petit par le nombre de permanents, mais qui embrasse la programmation de la Grande Halle et une multitude de concessions culturelles dont le Zénith, le Cabaret sauvage, un théâtre, un centre équestre, etc., au total plus de 30 acteurs culturels ou sportifs à coordonner…
J & R : Deux mois après ta nomination, un rapport d’étonnement ?
Laura Chaubard : C’est un endroit formidable ! Bien sûr, je le connaissais déjà, pour y être venue régulièrement avec mes enfants. Mais j’ai vraiment découvert une richesse et un foisonnement d’activités auxquels je ne m’attendais pas. Et puis, c’est un milieu professionnel très différent de celui que j’avais connu jusqu’ici au ministère des Armées. On y retrouve des valeurs communes, comme l’engagement et la solidarité au sein des équipes. Mais j’ai découvert par exemple le rôle de l’éducation culturelle et artistique dans la construction citoyenne, notamment au travers de nos activités de proximité avec les établissements scolaires du 19e arrondissement ou des quartiers du 93 au-delà du périphérique.
C’est aussi un mode de fonctionnement très particulier : ici, il n’y a pas de barrière, le parc est entièrement ouvert, sans clôture ni portes d’entrée. Il n’y a pas non plus d’horaires ; c’est un flux continu d’activités culturelles ou sportives. On sent que l’utopie originelle est toujours très prégnante dans les équipes. C’est aussi un milieu très opérationnel : on est dans le monde du spectacle, et on a constamment à l’esprit qu’il faut assurer le concert ou le spectacle du soir. Et bien sûr il y a l’attention à porter au public : plus de 12 millions de visiteurs et spectateurs par an !
En proposant une programmation de très haut niveau et en relançant une politique d’investissement sur le parc, le projet de l’établissement, porté par Didier Fusillier, est de rester tout à fait fidèle à l’esprit de l’architecte Bernard Tschumi qui avait conçu ce parc comme le « parc urbain populaire du XXIe siècle » parsemé de 26 « folies » rouges.
J & R : Et quels sont maintenant tes projets ?
Laura Chaubard : J’ai devant moi trois défis importants : avant tout, maintenir la programmation pluridisciplinaire de grande qualité du site et de la Grande Halle. L’année 2019 a été marquée par le succès record de l’exposition Toutankhamon, mais aussi par de très beaux spectacles de danse, de cirque ou de théâtre, il faudra faire aussi beau en 2020 !
Le deuxième défi sera d’assurer notre rôle de site olympique. La Villette est dans le périmètre olympique, d’abord avec des épreuves sportives qui se dérouleront au Zénith, et aussi parce que le Parc a été choisi comme un des deux sites de vie olympique, avec le Trocadéro. Ce sera un lieu de célébration populaire autour des Jeux, associant sport et culture (notre marque de fabrique !). Nous avons d’ores et déjà lancé une programmation dédiée avec par exemple cette année une création théâtrale sur les épreuves olympiques confiée à Frédéric Ferrer ou l’accueil de compétitions nationales de danses urbaines.
Le dernier défi est le déploiement du projet « Microfolies », porté par le ministère de la Culture et piloté par La Villette, en partenariat avec une quinzaine de grands établissements culturels : le Louvre, le Grand Palais, etc. Ce projet consiste à déployer un peu partout en France, des lieux culturels d’un nouveau type regroupant : un musée numérique, qui donne accès aux collections des grands musées, à des opéras, à des expositions de la Cité des sciences… ; un « FabLab », avec des ateliers de création ; de la médiation, avec l’accueil de classes scolaires pour des conférences en partenariat avec les grandes institutions ; et une programmation de spectacles, avec du cinéma, du cirque…
La Villette est le coordonnateur de l’ensemble du projet et chargé de la formation des animateurs. Nos équipes ont déjà déployé près de 80 Microfolies en France et à l’étranger et le ministre a annoncé sa volonté d’en voir 1 000 ouvrir leurs portes d’ici à 2022. Un sacré challenge !
J & R : Un dernier mot, sur ton parcours en tant que femme dirigeante. C’est un sujet qui préoccupe beaucoup en ce moment !
Laura Chaubard : À La Villette, j’ai découvert un milieu beaucoup plus féminisé que celui que j’ai connu aux armées, où je ne comptais plus les réunions où j’étais la seule femme, avec la ministre, autour de la table. Ici, les équipes sont globalement à la parité hommes-femmes, et cela donne de fait une culture d’entreprise très différente. Mais je dois dire que je n’ai jamais souffert de mon statut de femme au ministère des Armées ou à la DGA, où l’ambiance a toujours été bienveillante.