Hommage de la promotion 1970 à Laurent Schwartz
La promo 1970 a fêté ses 50 ans le 3 février, avec trois ans de retard pour cause de Covid. Les retrouvailles n’en ont été que plus chaleureuses et nous ont donné l’occasion d’évoquer nos souvenirs : en particulier nous avons tous été profondément marqués par notre professeur de mathématiques, Laurent Schwartz, auquel nous souhaitons qu’une voie de Paris rende hommage.
Sans doute faut-il expliquer aux camarades qui n’ont pas eu la chance de le connaître qu’il était non seulement un mathématicien de renommée mondiale, mais aussi un pédagogue exceptionnel, un éminent lépidoptériste et un défenseur infatigable des opprimés, des droits de l’homme et de ceux des peuples.
Un illustre mathématicien
Laurent Moïse Schwartz est né dans une famille imprégnée de culture scientifique, le 5 mars 1915 à Paris ; il y est mort le 4 juillet 2002. Son oncle maternel est le professeur Robert Debré, père de la pédiatrie moderne en France, et aussi père de Michel Debré. Son grand-oncle par alliance, Jacques Hadamard, est lui aussi un célèbre mathématicien.
“On ne peut pas avancer si l’on n’est pas subversif.”
Il est le premier Français à avoir obtenu, en 1950, la médaille Fields, l’équivalent du prix Nobel pour les mathématiques, pour ses travaux sur la théorie des distributions, devenue un outil indispensable à la physique théorique. Il était membre de l’Académie des sciences et plusieurs objets mathématiques portent son nom. Créer, en mathématiques, c’est « vaincre une inhibition et une tradition. On ne peut pas avancer si l’on n’est pas subversif », a‑t-il écrit dans son autobiographie, Un mathématicien aux prises avec le siècle (Odile Jacob, 1997). Cette phrase résume toute sa vie.
Un professeur remarquable
Il a été un professeur emblématique à l’École polytechnique de 1959 à 1980 : en amphi tout nous paraissait limpide mais, lorsque le moment était venu d’apprendre le cours, tout devenait soudainement très compliqué. Un souvenir parmi d’autres : un jour il a mis un théorème aux voix et, constatant qu’une majorité d’élèves le pensait exact, il a entrepris de le démontrer… Dans son combat pour moderniser l’École polytechnique, il a aussi participé à la création de son Centre de mathématiques en 1966, consolidant ainsi le lien indispensable entre enseignement et recherche.
Nombre de camarades ne le savent pas, même s’ils ont suivi ses cours : Laurent Schwartz était également passionné par les papillons. Sa collection, l’une des plus prestigieuses au monde, comptait près de 20 000 boîtes et pas moins de six espèces portent son nom. Selon ses dernières volontés, elles ont été données au Muséum national d’histoire naturelle et à d’autres institutions en France et à l’étranger.
Un intellectuel engagé et courageux
Il s’est aussi distingué par ses nombreux combats politiques, partout dans le monde : Algérie, Vietnam, Union soviétique, Afghanistan, Chili, Bolivie, Uruguay. Signataire en 1960 du Manifeste des 121 en faveur du droit à l’insoumission des appelés français pendant la guerre d’Algérie, il a été écarté de l’enseignement à l’X de 1961 à 1963. Il s’est inlassablement battu pour que toute la lumière soit faite sur la disparition de Maurice Audin, son élève. Comme de nombreux intellectuels anticolonialistes, il a été menacé d’un attentat par l’OAS – son appartement a même été plastiqué en 1962.
Très surpris que plus de vingt ans après son décès aucune voie parisienne ne lui rende encore hommage, la promo 1970 a unanimement souhaité que cet oubli soit enfin réparé et a envoyé un vœu aux maires de Paris et du 5e arrondissement.
Photographie : © École polytechnique – Ph. Lavialle
14 Commentaires
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Est-ce que d’autres promos pourraient s’associer à la demande de la 70 pour honorer Laurent Schwartz par une voie parisienne à son nom ? Et sous quelle forme ?
Elève de la première promo à avoir bénéficié de l’enseignement Laurent Schwartz, je ne peux que soutenir cette initiative. Une rue parisienne à son nom est un bon moyen de perpétuer le souvenir de cet homme et de ce professeur exceptionnel. Gérard MAAREK (X59)
Je suis de la 71 et je soutiens votre initiative !
Excellente idée que de donner le nom de notre professeur à une voie de Paris ou d’ailleurs. Je me rappelle avoir appris son décès un jour vers 11 heures. C’était dans un magasin qui diffusait quelque radio récréative (Chérie FM peut-être) et c’était l’heure des informations. On n’a pas manqué de rappeler qu’il était l’auteur de la théorie des distributions. Je doute que beaucoup d’auditeurs aient compris de quoi il s’agissait mais ce coup de chapeau était le bienvenu.
Xavier Lavaud X75
Très bonne initiative. C’était assurément à tous points de vue un homme exceptionnel.
Il faut élargir la demande à toutes les promos qui ont bénéficié de son enseignement.
Pour la 63, prendre contact avec le major, Jacques Attali, qui me semble être un point d’entrée intéressant vers l’aboutissement de la démarche.
Voir aussi
https://paysdepoesie.wordpress.com/2013/08/13/schwartz-et-banach/
De la promo 71, je soutiens aussi cette initiative. Laurent Schwartz a donné son « témoignage pour l’avenir » dans l’ouvrage de ses souvenirs : Un mathematicien aux prises avec le siècle (Odile Jacob 1997)
L’enseignement de Laurent Schwartz était un véritable théâtre, tant il excellait à rendre vivant ses cours de mathématiques.
Je garde un souvenir extraordinaire de son amphi inaugural en 1959 : nous n’avions probablement pas conscience d’avoir la chance d’avoir un tel savant comme professeur.
C’est uen excellente idée de nommer une rue en sa mémoire
J’ai gardé un souvenir ébloui de ce professeur, et je soutiens complètement cette démarche.
Aux admirateurs de Laurent Schwartz qui s’intéressent également à l’histoire des mathématiques, je signale la thèse de doctorat d’Anne-Sandrine Paumier « Laurent Schwartz (1915−2002) et la vie collective des mathématiques ».
Avec notamment ses chapitres sur l’élaboration de la Théorie des Distributions et sur la création du Centre de Mathématiques de l’Ecole Polytechnique.
https://www.google.com/url?sa=t&source=web&rct=j&url=https://core.ac.uk/download/pdf/47091476.pdf&ved=2ahUKEwjRseLnsLv-AhUSVKQEHRrPBN0QFnoECDYQAQ&usg=AOvVaw35YXzLVkU5SceChMZWMCrC
J’ai eu d’excellents profs dans ma vie, mais jamais comme Laurent Schwartz. En suivant son cours d’analyse, j’ai eu le sentiment, le privilège de côtoyer un grand savant, un grand pédagogue, un humaniste, bref, un grand homme.
Je m’associe bien sûr à la bonne idée de lui dédier une rue, à Paris ou ailleurs.
Une simple précision : son appartement n’a pas été seulement plastique par l’OAS, mais son fils enleve, heureusement sans mal.
En 1965, il ne semblait plus porter heureusement les stigmates de tout cela.
C’est Laurent Schwartz qui nous a fait notre premier amphi à l’X.
Sujet : l’infini en mathématiques, les axiomes de Cantor, les théorèmes de Bermstein, l’hypothèse du continu.
A nos côtés se trouvait un élève de la 66 qui, selon ses dires, avait redoublé pour avoir Schwartz comme professeur : il était époustouflé.
Quant à nous, nous étions émerveillés. Le charme a duré toute l’année.
Nous suivions ses cours comme des romans policiers : vite, la suite !
A la fin de chaque cours, il prenait soin de dire quelques mots d’introduction sur le sujet suivant : pour nous donner envie de revenir.
Mais l’instant le plus fabuleux s’est produit le jour où Schwartz a « séché ».
Explications : malgré une apparente facilité, il est probable qu’il préparait beaucoup ses cours. Il arrivait en cours avec quelques notes, juste un canevas.
Et un jour, après avoir énoncé une propriété intermédiaire, il a eu un blocage.
Il ne parvenait pas à démontrer cette propriété. Après quelques tentatives, il nous a dit : « On cherche chacun de notre côté. On se donne trois minutes. Si on ne trouve pas, on admettra cette propriété et on continuera le cours ».
Et c’est alors que nous avons vu Schwartz démonter la mécanique et, selon un mot qui lui était cher, « prouver ».
Nous connaissions l’enseignant.
Ce jour-là, nous avons vu le mathématicien en action.
Ce fut l’instant le plus marquant de nos études à l’X.
C’était en effet un professeur éblouissant et fascinant. Tout paraissait simple lorsqu’il enseignait, (à grandes enjambées), les théories les plus complexes. Un grand savant et un pédagogue hors pair.
Je soutiens moi aussi l’idée de lui dédier une rue dans le 5 arrondissement
Cher camarades,
Merci pour tous vos soutiens, encouragements, commentaires et réactions.
Les choses paraissent être en bonne voie. Notre camarade René-Francois Bernard (70), conseiller de Paris, nous fait savoir que la Commission de Dénomination de la Ville de Paris avait inscrit à son ordre du jour de juin la dénomination d’un espace public en faveur de Laurent Schwartz. L’Adjointe à la Maire de Paris Laurence Patrice a indiqué les nombreuses interventions en faveur de cette délibération et le vœu au Conseil du 5ème de sa collègue Mme Lemardeley. Il a rappelé que la Promotion X70 était à l’origine de cette mobilisation collective, relayée individuellement par nos camarades, pour le Professeur qui a porté sa très forte marque tant sur le plan pédagogique que pour ses engagements politiques… Les différentes propositions d’espaces publics formulées par nos camarades ont été évoquées et il a rajouté l’allée centrale du jardin qui est concédé à la Ville de Paris devant le Pavillon Boncourt ( Ministère de la Recherche) dans l’axe de la Salle Hubert Curien…
C’est à l’étude à la Direction des Espaces Verts avant d’être délibéré au Conseil de Paris de juillet.