L’Australie et la France
William Fisher est ambassadeur d’Australie en France depuis le 15 décembre 2000.
Il fut successivement ambassadeur d’Australie en Israël puis en Thaïlande avant de rejoindre la mission basée à Paris.
M. Fisher est aussi, depuis 2001, ambassadeur d’Australie auprès du Royaume du Maroc, de la République algérienne démocratique et populaire et de la République islamique de Mauritanie, résidant en France.
C’est un grand honneur en effet de voir l’Australie être choisie comme sujet de ce numéro de La Jaune et la Rouge. Il ne sera sans doute pas surprenant pour de nombreux lecteurs d’apprendre que la réputation d’excellence de l’École polytechnique est bien connue en Australie, et c’est pourquoi je saisis avec grand plaisir cette opportunité d’écrire, pour cette édition spéciale dédiée à l’Australie, sur les traditions de richesse et de dynamisme qui caractérisent les relations entre nos deux pays.
L’histoire des relations franco-australiennes commence bien avant l’époque des premiers colons européens, lorsque les explorateurs français menèrent d’importantes expéditions scientifiques et cartographiques en Australie. En fait, la croyance populaire, tant en Australie qu’en France, pense que si La Pérouse était arrivé à Botany Bay quelques jours plus tôt, avant l’arrivée du Capitaine Philips le 26 janvier 1788, l’Australie serait devenue une colonie française. Que La Pérouse ait eu l’intention de revendiquer l’Australie pour la France, avec l’intention d’y établir une colonie, est une hypothèse historiquement peu fondée.
Mais si, par un caprice de l’histoire, la France n’a pas colonisé l’Australie, ses explorateurs n’en continuèrent pas moins de développer la carte de l’île continent. Les voyages d’Entrecasteaux et de Baudin en particulier ont beaucoup contribué à la cartographie des côtes sud et occidentales de l’Australie. Le nom qu’ils ont donné à certains endroits, pour la plupart inchangés jusqu’à présent, est un témoignage durable des exploits des Français durant la fin du XVIIIe et le début du XIXe siècle.
L’impact des travaux scientifiques qu’ils ont dirigés est inestimable. L’extraordinaire entreprise de Baudin, comprenant plus de 200 personnes à bord des navires Le Naturaliste et Le Géographe, est certainement une des plus grandes expéditions scientifiques de tous les temps. Baudin lui-même perdit la vie au cours de cette mission (à l’île Maurice en septembre 1803) mais son expédition revint en France avec dans ses soutes plus de 10 000 nouveaux spécimens de plantes, 2 500 échantillons de minéraux et une douzaine de cartons de notes scientifiques, d’observations et de journaux de bord.
Le nombre impressionnant de peintures et de croquis, quelque 1 500 en tout, dessinés par ses illustrateurs Nicolas-Martin Petit et Charles-Alexandre Lesueur, fournit la première description en image et l’un des tout premiers récits illustrés de l’Australie
Même si l’immigration française fut rare au commencement de l’histoire de notre pays, il y eut tout de même quelques Français et Françaises qui apportèrent une touche française à cette nation naissante. Cette influence s’est certainement ressentie dans l’industrie du vin, où les premiers colons furent les premiers viticulteurs de ce côté du » Nouveau Monde « . Le fait que l’Australie était aussi proche des colonies françaises du Pacifique, et que beaucoup de Français étaient engagés dans le commerce maritime et la chasse à la baleine, a contribué à l’établissement d’une communauté considérable d’intérêts français. L’établissement du Consulat de France à Sydney en 1839 en est le meilleur exemple et fit de la France la première mission étrangère à s’installer dans le pays.
Au XXe siècle, la relation bilatérale fut renforcée par notre détermination commune dans les deux guerres mondiales. Sur les 313 814 soldats qui embarquèrent d’Australie pendant la Première Guerre mondiale, 46 319 furent tués et 130 919 autres blessés parfois grièvement.
Quelque 5 500 Australiens de plus, principalement des membres de l’Air Force, perdirent la vie en France lors de la Seconde Guerre mondiale.
Les Australiens avec qui je discute, et particulièrement ceux qui ont visité la France, sont toujours émus et honorés par l’hommage qui est rendu à leurs ancêtres qui voyagèrent 20 000 kilomètres pour participer, dans la Somme, au combat pour la liberté. Chaque année lors de l’Anzac Day le 25 avril, le jour où les Australiens rendent hommage à tous les soldats qui ont servi dans des opérations militaires depuis la guerre des Boers, des cérémonies commémoratives ont lieu dans beaucoup de villes et villages de la Somme. En même temps, dans toute l’Australie, les unités des pays alliés, y compris la France bien sûr, rejoignent les militaires australiens dans les rangs des parades organisées pour l’Anzac Day.
Les relations commerciales ont toujours représenté une part importante des relations bilatérales dès le début de la colonisation de l’Australie ; mais les vingt dernières années ont vu le commerce, et plus spécialement l’investissement, devenir une facette incontournable de la relation franco-australienne. Attiré par les nombreuses opportunités offertes par l’Australie, un pays revigoré par une réforme approfondie et par le fait que l’Australie est située dans une des régions du monde les plus dynamiques économiquement, l’investissement français en Australie s’est accru de 5 milliards de dollars australiens (3 milliards d’euros) et place la France au huitième rang des investisseurs dans le pays.
Le bilan est impressionnant. Les sociétés françaises emploient aujourd’hui plus de 70 000 Australiens. Quinze grandes entreprises françaises dirigent leurs opérations régionales depuis l’Australie. Pour ne citer que quelques exemples : Accor, qui possède en Australie une centaine d’hôtels sous différentes enseignes, est la première entreprise hôtelière en Australie (près de trois fois plus gros que son concurrent le plus proche) ; Thalès, le nom international derrière Australian Defence Industries, les experts australiens en matière de Défense, est le premier fournisseur de nos armées. Les branches australiennes de sociétés telles que Alcatel et Alstom exportent aujourd’hui directement de l’Australie. Pernod Ricard est le plus gros exportateur de vins australiens du fait qu’il possède la société Orlando Wyndham propriétaire de Jacob’s Creek. EADS a fait de l’Australie une priorité globale et espère s’approprier 50 pour cent du marché des avions neufs dans les prochains cinq à dix ans. (Et la relation fonctionne parfaitement dans les deux sens dans la mesure où des entreprises australiennes ont sécurisé des contrats à hauteur de 500 millions de dollars australiens afin de fournir EADS en composants de pointe.)
La mère et l’enfant, dessin de Nicolas-Martin Petit.
Muséum d’histoire naturelle du Havre. Collection Lesueur n° 20 026.
À l’origine, BNP s’est établi en Australie pour financer le commerce de laine entre l’Australie et l’Europe en 1881 sous l’enseigne du Comptoir National d’Escompte de Paris. Jusqu’à la dérégulation du système bancaire australien au milieu des années quatre-vingt, la BNP était la seule grande banque étrangère disposant d’une licence pour opérer en Australie. Aujourd’hui, BNP Paribas est la troisième plus grande banque en Australie en termes de capitaux et s’est récemment élevé au dixième rang dans le classement général. Et il y a beaucoup d’autres exemples : le siège social d’AXA pour la région Asie-Pacifique se trouve à Melbourne et Sodexho est l’un des plus gros employeurs de personnel australien du secteur privé ; c’est aussi l’un des plus grands concessionnaires d’un des endroits sacrés du sport australien : le Stadium Australia de Sydney.
Alors que le niveau des investissements et le succès des entreprises françaises sont les piliers de notre relation commerciale, il est évident qu’il y a encore à faire. En termes absolus, l’investissement français est relativement modeste comparé à d’autres pays européens. La France est le cinquième plus gros investisseur au monde et pourtant seulement environ 1,5 pour cent de l’investissement total français est en Australie. De la même manière, le commerce franco-australien (qui représente 5 milliards de dollars australiens soit 3 milliards d’euros par an) place la France au rang de quinzième partenaire commercial de l’Australie et permet à la France de représenter environ 2 pour cent de part de marché en Australie, derrière les États-Unis qui détiennent quelque 22 pour cent et l’Allemagne et l’Angleterre qui détiennent chacune 6 pour cent.
Une de nos priorités dans la relation bilatérale est de sensibiliser les cercles français des affaires et des administrations aux avantages qu’offre l’Australie. Il ne fait aucun doute qu’il existe un nombre immense de possibilités pour développer davantage les échanges commerciaux entre la France et l’Australie. Cela surprendra probablement certains, mais l’industrie viticole en est un exemple : depuis la fin des années quatre-vingt, à l’époque où Pernod Ricard fit l’acquisition d’Orlando Wyndham, les sociétés de vins australiennes BRL Hardy et Southcorp ont établi des intérêts modestes dans le Midi. Un autre exemple de cet échange entre le » Vieux Monde » et le » Nouveau Monde » est fourni par les quelque soixante jeunes viticulteurs australiens qui se rendent chaque année dans la seule région du Languedoc pour y forger leur expérience.
Les gouvernements, australien et français, sont conscients que la capacité de croissance de la coopération commerciale est très réelle. Dans cet esprit, la visite du ministre délégué au Commerce extérieur, monsieur François Loos, en Australie en mars dernier, accompagné d’une importante délégation d’hommes d’affaires, était très opportune. Sa visite, ainsi que les visites de ministres australiens, telles que celles du ministre du Commerce, monsieur Mark Vaile, venu en France à deux reprises depuis 2000, et celle du ministre des Affaires étrangères, monsieur Alexander Downer, plus récemment en janvier 2003, ont contribué à promouvoir les opportunités commerciales qu’offre chacun des pays. La croissance des exportations françaises en Australie, en particulier, a été un grand succès dans la mesure où la France exporte aujourd’hui plus du double de ce qu’elle importe d’Australie.
Le succès des entreprises françaises en Australie, en tant qu’investisseurs et exportateurs, reflète également les progrès de l’économie australienne ces dernières années. En tant que l’un des pays les plus performants de l’OCDE, l’économie australienne a résisté à un nombre de crises consécutives, depuis la grippe asiatique de 1997 jusqu’au ralentissement mondial de la croissance économique suite à l’éclatement de la bulle Internet et des hautes technologies.
Curieux petit kangourou à dos rayé de la côte ouest de l’Australie, signé Nicolas-Martin Petit.
Muséum d’histoire naturelle du Havre. Collection Lesueur n° 80 055.
Selon le rapport de mars 2003 de l’OCDE sur l’économie australienne, ses succès » doivent beaucoup à une combinaison judicieuse de politiques budgétaires et monétaires prudentes axées sur le moyen terme et de réformes de grande envergure appliquées aux marchés du travail, des produits et des capitaux durant ces deux dernières décennies. » Nous sommes, bien sûr, fiers de ces réussites et espérons continuer à construire sur cette base solide. Pour les entreprises françaises intéressées pour investir ou exporter en Australie, le message est on ne peut plus clair : l’Australie est un endroit idéal pour les affaires. Je remarque que certaines entreprises françaises présentes en Australie ont aimablement accepté de contribuer à cette édition en offrant leurs observations sur leurs propres expériences australiennes.
Les racines historiques et la nature à multiples facettes de la relation bilatérale sont reflétées par les nombreux domaines de coopération dans lesquels les deux pays sont engagés. La coopération dans le domaine de la défense est devenue une importante caractéristique de cette relation ces dernières années. La participation de la France dans l’opération INTERFET sous le commandement australien au Timor oriental en 1999 donne une bonne idée de cette coopération. Nos militaires continuent de collaborer très étroitement dans les Océans du Pacifique-Sud, y compris dans les interventions à la suite d’un désastre et dans la prévention de la pêche illégale. L’Australie achète aussi traditionnellement son équipement technologique militaire à la France ; l’armée australienne a retenu fin 2001 le Tigre franco-allemand pour devenir son nouvel hélicoptère armé de reconnaissance et ceci démontre que l’Australie apprécie l’expertise française dans ce domaine.
J’ai brièvement mentionné le Pacifique-Sud mais il s’agit d’un domaine dans lequel s’exerce une activité bilatérale méritant plus de reconnaissance. L’Australie et la France partagent des intérêts communs dans la région du Pacifique et se considèrent comme des partenaires ayant des rôles importants à remplir pour la stabilité et la prospérité de la région. Cela comprend notre collaboration continue pour le développement de la coopération dans la région, mise en évidence récemment avec l’annonce en juillet 2003 d’une initiative commune franco-australienne sur cinq ans ciblant la propagation du virus du Sida/VIH et des maladies sexuellement transmissibles (MST) dans la région du Pacifique.
À la dimension politique des relations entre l’Australie et la France dans le Pacifique s’ajoute une forte dimension économique, dans la mesure où la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie- Française constituent deux des principaux partenaires commerciaux de l’Australie dans la région du Pacifique. Et naturellement les liens entre les peuples restent forts si l’on en croit le nombre croissant d’Australiens qui profitent de l’entente qui existe entre l’Australie et le Pacifique français et qui autorise les ressortissants à séjourner pour une courte durée dans l’autre pays sans visa.
Les liens entre les populations ont plus généralement continué de se développer fortement dès les premiers temps de la colonisation. Selon notre dernier recensement, il y a environ 20 000 natifs français résidant en Australie, et à peu près le triple si l’on inclut ceux ayant de proches ancêtres français. Le nombre de touristes français qui viennent visiter les diverses attractions de l’Australie continue de croître chaque année ; notre dernière estimation suggère que quelque 60 000 touristes français ont visité l’Australie l’année dernière. La France, bien sûr, demeure une destination très prisée des touristes australiens.
Le sport nous donne de plus en plus l’occasion de nous connaître. Les récents succès de nos cyclistes au Tour de France, et notamment les cyclistes australiens qui ont remporté le Maillot vert deux années consécutives, ont beaucoup contribué à la promotion de l’Australie auprès du public français traditionnellement amateur de cyclisme. Nos rencontres fréquentes en Rugby et lors de la Coupe Davis n’ont pas seulement été des événements sportifs d’une grande intensité, ils nous ont aussi donné l’occasion de célébrer notre passion commune pour le sport.
Les relations culturelles bilatérales ont également été un domaine où l’activité a été bourgeonnante. Je ne surprendrai personne en constatant que la France a, au fil du temps, été une source d’inspiration et d’enseignement pour beaucoup d’artistes australiens. Un exemple contemporain se trouve en la personne de Geoffrey Rush, l’acteur australien victorieux d’un Academy Award, qui apprit son art au sein de l’école de Jacques Lecoq à Paris. Stéphane Jacob vous offre une introduction à l’art visuel australien dans son article inclus dans ce volume et je suis certain que vous trouverez ses propos très pertinents. Nous attendons aussi l’ouverture en temps voulu du nouveau Musée du Quai Branly qui présentera de nombreuses œuvres d’art des communautés indigènes d’Australie.
En conclusion, je pense donc pouvoir affirmer qu’avec la longue tradition d’amitié et de coopération entre l’Australie et la France, cette relation est aujourd’hui en très grande forme. Elle est basée sur des fondations solides à la fois politiques, économiques et socioculturelles. Avec tout ce que nous avons en commun et notre attraction mutuelle, ainsi que les synergies, dans bon nombre de domaines, je vois un grand potentiel pour l’épanouissement de nos relations dans les prochaines années. Je suis convaincu que je pourrai compter sur le rôle que l’École polytechnique, et la communauté de ses anciens élèves, ne manquera pas de jouer dans ce projet.
Aborigènes transportant leur feu dans leur canot. Muséum d’histoire naturelle du Havre. Collection Lesueur n° 20 025–1.