L’Australie, une santé économique insolente

Dossier : L'AustralieMagazine N°592 Février 2004
Par Joël HAKIM

L’Aus­tra­lie résiste de façon éton­nante aux crises suc­ces­sives qui ont frap­pé l’é­co­no­mie mon­diale et en par­ti­cu­lier l’A­sie, son pre­mier client de matières pre­mières en 1997. En lais­sant à l’é­poque s’é­ro­der son taux de change, le pays a per­mis à ses entre­prises expor­ta­trices de miné­raux et de laine de retrou­ver des mar­chés aux États-Unis et en Europe en atten­dant la reprise en Asie. Par ailleurs, la baisse conti­nuelle des taux d’in­té­rêt a sou­te­nu la construc­tion et la consom­ma­tion des ménages contri­buant à faire de l’Aus­tra­lie le bon élève de l’OCDE. De même les inves­tis­se­ments indus­triels et miniers ont été sou­te­nus par la poli­tique moné­taire. Depuis, le taux de change s’est redres­sé mais entre-temps les dif­fi­cul­tés avaient été surmontées.

Le pays, grâce à une poli­tique bud­gé­taire ver­tueuse et une consom­ma­tion inté­rieure robuste, a pu ain­si affi­cher des crois­sances annuelles qui frisent les 3 à 3,5 % ; un des meilleurs et des plus enviables de l’OCDE.

Mal­gré ce bilan favo­rable et des inten­tions d’a­chat de bon niveau dans le com­merce de détail des signes de ralen­tis­se­ment sont per­cep­tibles à mi-2003.

Dans ce contexte la pré­sence fran­çaise se porte plu­tôt bien. Et ce en dépit d’une vision depuis l’Hexa­gone qui ne devrait plus avoir cours : » C’est trop loin, c’est un petit mar­ché, les Fran­çais sont mal vus  » et autres cli­chés tous aus­si erro­nés et dépas­sés les uns que les autres.

Le concept de l’é­loi­gne­ment est le plus résis­tant. Les vingt-quatre heures de vol depuis l’Eu­rope rebutent plus d’un. Il est vrai que l’Aus­tra­lie est aux anti­podes de la France et que depuis les prin­ci­pales villes d’A­sie il faut comp­ter huit heures d’a­vion pour atteindre Syd­ney ou Mel­bourne. Or, le rai­son­ne­ment à faire est qu’ar­ri­vé en Aus­tra­lie l’homme d’af­faires fran­çais retrouve un envi­ron­ne­ment fami­lier s’il a déjà trai­té au Royaume-Uni ou aux États-Unis. Les sys­tèmes juri­diques, com­mer­ciaux, finan­ciers en vigueur dans les pays anglo-saxons sont les mêmes en Aus­tra­lie, et on se retrouve très rapi­de­ment dans un uni­vers connu et maî­tri­sé. Les huit heures d’a­vion sup­plé­men­taires ne pèsent plus lourd dans la com­pa­rai­son si on consi­dère le temps néces­saire dans un pays d’A­sie pour s’a­dap­ter à l’en­vi­ron­ne­ment cultu­rel et com­mer­cial. Il est donc tout à fait jus­ti­fié de trai­ter l’Aus­tra­lie sur le même plan que ces mar­chés d’A­sie si attractifs.

En matière de dimen­sion de mar­ché, la faible popu­la­tion du pays est lar­ge­ment com­pen­sée par un pou­voir d’a­chat éle­vé et une concen­tra­tion de la popu­la­tion le long de la côte sud-est, sur un crois­sant qui va de Bris­bane à Adé­laïde. Il convient de gar­der à l’es­prit que le PIB de l’Aus­tra­lie est proche de la somme des PIB de l’In­do­né­sie, de la Malai­sie, de la Thaï­lande et de Sin­ga­pour. Or si aucun chef d’en­tre­prise en France n’hé­site à consi­dé­rer ces mar­chés comme des mar­chés dignes d’in­té­rêt, rares sont ceux pour qui l’Aus­tra­lie a l’i­mage attrac­tive à laquelle elle pour­rait prétendre.

Les suc­cès rem­por­tés par de nom­breuses entre­prises fran­çaises sont pour­tant là pour en témoi­gner. His­to­ri­que­ment les pre­miers à arri­ver à la fin du XIXe siècle ont été les lai­niers accom­pa­gnés de banques et de trans­por­teurs mari­times. Ils sont tou­jours là et les noms d’en­tre­prises telles que : Char­geurs, CGM, BNP Pari­bas sont des réfé­rences connues et res­pec­tées. Plus tard d’autres entre­prises fran­çaises ont sui­vi le mou­ve­ment, et leur aven­ture aus­tra­lienne a sou­vent été cou­ron­née de succès.

Dans le domaine des res­sources, le cas le plus mar­quant est celui de Pechi­ney qui a appro­ché le pays il y a plus de qua­rante ans et dis­pose main­te­nant d’une base solide. Arri­vé en pre­mier lieu en rai­son de la dis­po­ni­bi­li­té de bauxite, et d’un pro­jet de raf­fi­ne­rie d’a­lu­mine à Glad­stone, Pechi­ney a pour­sui­vi son implan­ta­tion avec une élec­tro­lyse d’a­lu­mi­nium à Toma­go près de New­castle dans les années quatre-vingt en pro­fi­tant d’un excé­dent durable de capa­ci­té de pro­duc­tion d’éner­gie élec­trique. Ces deux implan­ta­tions, la pre­mière en joint-ven­ture avec Alcan et Rio Tin­to, et la deuxième dont Pechi­ney bailleur de la tech­no­lo­gie est opé­ra­teur sont de véri­tables suc­cess sto­ry de l’im­plan­ta­tion fran­çaise en Aus­tra­lie. Des­ti­née à ali­men­ter les mar­chés consom­ma­teurs d’A­sie, Toma­go a aug­men­té régu­liè­re­ment sa pro­duc­tion jus­qu’à arri­ver aux 450 000 tonnes actuelles par an.

Des pro­jets d’ex­ten­sion sont à l’é­tude. Les fac­teurs de suc­cès n’ont pas été limi­tés à la dis­po­ni­bi­li­té de matières pre­mières ou d’éner­gie abon­dante. Un pro­gramme de for­ma­tion de cadres tech­niques à la tech­no­lo­gie mai­son par des séjours de plu­sieurs années en France comme ingé­nieurs en usine, en recherche ou en vente de tech­no­lo­gie a per­mis d’as­su­rer la relève des pre­miers spé­cia­listes envoyés par le siège pour la construc­tion et le démar­rage de la pro­duc­tion. Par la suite, en de mul­tiples occa­sions l’or­ga­ni­sa­tion locale a ser­vi de vivier pour accom­pa­gner les trans­ferts de tech­no­lo­gie vers des pays tiers, au Moyen-Orient, en Afrique du Sud, ou même en Aus­tra­lie. Dans un mou­ve­ment inverse les usines aus­tra­liennes ont per­mis à de jeunes ingé­nieurs fran­çais de se for­mer à la tech­no­lo­gie de Pechi­ney dans un contexte les pré­pa­rant à des car­rières internationales.

Depuis, les suc­cès d’autres entre­prises fran­çaises sont au ren­dez-vous. Quelques exemples suivent qui sont loin d’être les seuls :

  • . Accor a fait appel à la Bourse de Syd­ney pour son déve­lop­pe­ment en Asie, et est deve­nu en quelques années le pre­mier hôte­lier du pays ;
  • Suez-Lyon­naise (Ondeo) s’est asso­cié à une socié­té locale, et a obte­nu le trai­te­ment des eaux de Syd­ney. Viven­di envi­ron­ne­ment en plus du trai­te­ment des eaux de la ville d’A­dé­laïde a obte­nu la conces­sion de nom­breux réseaux de trans­port public à Mel­bourne et dans le New South Wales, et du ramas­sage et du trai­te­ment de déchets dans tout le pays ;
  • Tha­lès en joint-ven­ture avec une socié­té aus­tra­lienne a rache­té le prin­ci­pal pro­duc­teur aus­tra­lien d’ar­me­ments (ADI, Aus­tra­lian Defence Industries) ;
  • EADS a rem­por­té les inten­tions de com­mandes de Qan­tas pour l’Air­bus A380, et un contrat de four­ni­tures d’hé­li­co­ptères pour l’ar­mée australienne ;
  • AXA a pris le contrôle d’une mutuelle locale très bien implan­tée en Asie ;
  • Per­nod-Ricard est pro­prié­taire de la marque Jacob’s Creek, pre­mière marque expor­ta­trice de vins australiens ;
  • der­nière en date, Schnei­der a fait une acqui­si­tion majeure en repre­nant la socié­té d’ap­pa­reillage élec­trique Clip­sal, qui a une pré­sence forte sur le mar­ché asiatique.

Les condi­tions de ces suc­cès ne sont pas dif­fé­rentes de celles néces­saires sur d’autres mar­chés déve­lop­pés. L’as­so­cia­tion avec des entre­prises locales, l’u­ti­li­sa­tion de cadres locaux dont la com­pé­tence n’a rien à envier à celles des meilleurs cadres inter­na­tio­naux, l’a­dap­ta­tion aux condi­tions de tra­vail locales, et si néces­saire l’ap­pel à un mar­ché des capi­taux effi­cace et sophis­ti­qué à la Bourse de Sydney.

Joël Hakim a effec­tué l’es­sen­tiel de sa car­rière dans le groupe Pechi­ney, en France, en Amé­rique latine, au Japon et en Aus­tra­lie où il réside depuis qu’il a quit­té le Groupe en 1999. Il y exerce une acti­vi­té de consul­tant, et siège dans des conseils d’ad­mi­nis­tra­tion en Aus­tra­lie et en Corée du Sud. Il a été pré­sident de la Chambre de com­merce fran­co-aus­tra­lienne. Il est actuel­le­ment conseiller du Com­merce exté­rieur et pré­sident du Comi­té de l’Al­liance fran­çaise à Syd­ney.

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