L’avenir climatique
J’avais lu auparavant L’Effet de serre que Jancovici a écrit avec Hervé Le Treut (recensé dans La Jaune et la Rouge de mars 2002). Cet ouvrage présentait un constat. Dans L’avenir climatique, Jancovici élargit le propos et examine comment l’humanité pourrait éviter le bouleversement climatique de notre planète, son habitat biologique.
C’est un livre sans prétention, raisonnablement complet, courageux, rigoureux. Jean-Marc Jancovici m’avait communiqué quelques “ bonnes feuilles ” avant la publication. J’aurais dû l’inciter davantage à corriger son français, même si la maladresse de la forme ne gêne pas la lecture et fait parfois un plaisant contraste avec la rigueur du fond.
Jancovici est modeste. Je ne suis pas un scientifique ni un expert, dit-il ; je ne suis qu’un ingénieur dont le métier est de tirer parti de la science existante et qui laisse à d’autres le soin de la faire progresser.
Cette attitude n’est pas de mise dans une époque où tant de gens font semblant de comprendre ce qu’ils ignorent (Jacques Bouveresse dit que c’est le cas de la plupart des philosophes qui citent la relation d’incertitude d’Heisenberg ou le théorème de Gödel), où la prétention est très rentable sur les plans politique et médiatique. Elle est toutefois intellectuellement féconde : l’ingénieur soumet les résultats de la science à une épreuve de cohérence à laquelle les spécialistes n’auraient peut-être pas songé, et il en tire des conclusions pratiques qui ne leur seraient sans doute pas venues à l’esprit.
Cette approche permet à Jancovici de présenter la synthèse d’une immense diversité de travaux. Il sait élaguer sans déformer, ce qui lui permet d’être complet sans lourdeur. Fidèle à l’adage selon lequel “la physique, c’est la science de l’approximation ”, il n’hésite pas à calculer des ordres de grandeur et à tirer les conséquences qualitatives du calcul. Cet effort est méritoire : son texte étant facile à lire, ceux qui manquent d’expérience croiront qu’il a été facile à écrire. La rigueur, ici, réside discrètement dans les choix qu’il a fallu faire pour pouvoir être simple.
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Au XVIIIe siècle, l’humanité a commencé à produire de l’énergie en utilisant des carburants fossiles. Cela a facilité la motorisation qui a elle-même permis l’accroissement de la richesse. Mais cela a par ailleurs changé la composition de l’atmosphère. L’augmentation de la proportion de gaz carbonique, en particulier, accroît l’effet de serre et suscite donc un lent réchauffement. Certes aujourd’hui la température n’excède pas encore de façon significative l’ampleur des fluctuations historiques, mais il est très probable que le mécanisme du réchauffement est déjà enclenché. La compilation des modèles de simulation indique la fourchette de l’évolution future et aucun d’eux ne permet d’anticiper un refroidissement.
Le raisonnement est probabiliste. Ceux qui n’ont pas l’habitude de la statistique disent qu’un raisonnement probabiliste ne prouve rien. Pourtant quand un médecin leur dit : “ Si vous ne changez pas votre mode de vie, la probabilité que vous mourriez d’un accident cardiovasculaire dans les dix prochaines années est de 70%”, cela les décide à faire plus d’exercice et à s’alimenter autrement. Jancovici est comme un médecin de la planète qui dirait : “ Si nous ne changeons pas notre mode de vie, la probabilité d’une évolution climatique catastrophique dans les décennies à venir est de 99%.” Qui osera négliger un tel signal ?
Voici les conséquences probables de la hausse prévisible de la température : augmentation de la sécheresse des zones désertiques et de la fréquence des ouragans et tempêtes ; changement des courants océaniques, perturbant la vie marine et la répartition du climat ; hausse du niveau des océans, inondation des régions côtières ; déplacement des zones fertiles (d’où risques de guerre) ; enfin, passé un seuil critique, l’émission dans l’atmosphère du méthane retenu par le permafrost ou le déstockage des écosystèmes rendrait l’accroissement de l’effet de serre irréversible quelles que soient les décisions humaines. La Terre irait alors vers un point d’équilibre tout différent : ce ne serait sans doute pas le même que celui de Vénus, avec ses 450 °C au sol et ses pluies d’acide sulfurique, mais cela transformerait peut-être assez notre planète pour la rendre inhabitable à terme.
Nous soupçonnions qu’en rejetant ses déchets dans l’air, l’eau et le sol, l’humanité modifiait les conditions de vie des générations futures ; le diagnostic est désormais assez précis pour que l’on puisse établir une prescription. Si l’on veut stabiliser la concentration du gaz carbonique dans l’atmosphère (objectif modeste, car il vaudrait mieux la diminuer), il faudra limiter les émissions annuelles à 50 % du niveau atteint en 1990. Pour une population de 6 milliards d’individus cela représenterait 500 kg d’équivalent carbone par personne/an, soit (en retenant les chiffres de 1998) 10 % des émissions d’un Américain, 25 % des émissions d’un Français, 80 % des émissions d’un Chinois, etc. (p. 186–188).
L’American way of life, qui implique une forte consommation d’énergie, ne pourra donc pas se généraliser au monde entier : le mode de vie des pays riches est non un exemple à imiter, mais une anomalie historique et biologique dont la persévérance, la généralisation risqueraient d’être mortelles pour notre espèce. La sobriété, qui relevait auparavant d’un choix esthétique, moral ou intellectuel, devient alors une obligation.
Pour répondre au risque climatique il faut d’une part réduire la consommation d’énergie, d’autre part réviser les procédés techniques de sa production. L’utilisation des combustibles fossiles est à proscrire ; l’énergie hydraulique et le vent offrent des ressources limitées ; la solution pourrait résider dans l’utilisation conjointe de l’énergie solaire et du nucléaire.
Le nucléaire à la rescousse de l’écologie (p. 230) ! Il faut du courage pour énoncer une prescription qui va choquer beaucoup de monde. Jancovici est un écologiste, pas un politicien. Il ne se soucie pas de l’image qu’il donne. Ayant mis le doigt sur un problème qu’il juge capital, il l’appuie. Il n’a rien à voir avec les Verts pour qui la peur du nucléaire est un levier électoral. Certains d’entre eux ne le lui pardonneront pas.
Il termine pourtant par une recommandation politique (p. 275) : celle d’un référendum européen, seul moyen de susciter un débat à la hauteur de l’enjeu, puis de réduire les émissions mondiales de façon significative, enfin d’indiquer la voie au reste du monde. Cette proposition surprend au premier abord, mais plus on y réfléchit, plus on la trouve raisonnable.
L’ingénieur a ici terminé son travail. Au politique de prendre le relais.