L’avenir des climats au XXIe siècle

Dossier : La France en 2050Magazine N°603 Mars 2005
Par Robert KANDEL

L’entrée de l’homme dans l’histoire des climats

Le cli­mat résume ce qu’on attend du temps, où par le temps j’en­tends la météo­ro­lo­gie, la suc­ces­sion des condi­tions atmo­sphé­riques fluc­tuantes. Le cli­mat défi­nit donc en par­tie les condi­tions phy­siques per­met­tant l’é­pa­nouis­se­ment de la vie à la sur­face de la Terre. Mais notre pla­nète a plus de quatre mil­liards d’an­nées d’his­toire der­rière elle. Pen­dant sa longue his­toire, les cli­mats ont chan­gé, comme ont chan­gé la com­po­si­tion de l’at­mo­sphère, la dis­po­si­tion des conti­nents et des océans, et, bien sûr, la vie. Pen­dant cette longue évo­lu­tion, la pla­nète a connu bien des catas­trophes, et elle en connaî­tra bien d’autres au cours des mil­liards d’an­nées qui lui res­tent avant la muta­tion du Soleil en géante rouge.

Le cli­mat change. Les conti­nents n’ont guère bou­gé au cours du der­nier mil­lion d’an­nées, mais le cli­mat a oscil­lé entre périodes gla­ciaires et inter­gla­ciaires. Au cours des mil­lé­naires consé­cu­tifs au der­nier maxi­mum gla­ciaire (d’il y a dix-huit mille ans seule­ment), le cli­mat s’est réchauf­fé de 5 à 7 degrés en moyenne glo­bale. Il change aujourd’­hui, avec un réchauf­fe­ment rela­ti­ve­ment modeste, depuis la fin du xixe siècle. Mais pour les décen­nies à venir, à cause de l’in­fluence crois­sante et cumu­la­tive des acti­vi­tés humaines, on attend une véri­table mue cli­ma­tique. Pour l’an 2100, le Groupe inter­gou­ver­ne­men­tal d’ex­perts sur l’é­vo­lu­tion du cli­mat (GIEC, ou IPCC en anglais) pré­voit une hausse de la tem­pé­ra­ture moyenne à la sur­face du globe entre 1,4 et 5,8 degrés.

Pour­quoi un réchauf­fe­ment si fort en si peu de temps ? Et pour­quoi une si large four­chette de réchauf­fe­ment ? Aujourd’­hui, en 2005, même pour le cli­mat de 2050, nous nous trou­vons devant deux types d’incertitudes.

Depuis 1950, les acti­vi­tés humaines pèsent de plus en plus lour­de­ment sur la com­po­si­tion de l’at­mo­sphère et par là sur le deve­nir du cli­mat. Pre­mière ques­tion, alors : com­ment vont évo­luer ces acti­vi­tés ? D’i­ci 2050, com­ment aurons-nous chan­gé les concen­tra­tions atmo­sphé­riques de CO2 et d’autres gaz à effet de serre ? La réponse dépend de la crois­sance éco­no­mique dans dif­fé­rentes par­ties du monde, de déci­sions poli­tiques, d’a­van­cées tech­no­lo­giques et de choix de socié­té. Et pour l’a­ve­nir du cli­mat, les incer­ti­tudes sur cette réponse importent autant que les incer­ti­tudes propres aux sciences du cli­mat : com­ment vont chan­ger les cli­mats en réponse à l’al­té­ra­tion anthro­pique de l’atmosphère ?

Laissez-moi faire un retour en arrière

Avant la fin du XIXe siècle, grâce aux tra­vaux de Jean-Bap­tiste-Joseph Fou­rier (1768−1830) et de John Tyn­dall (1820−1888), on com­pre­nait bien que le bilan éner­gé­tique pla­né­taire dépend d’une part de l’ab­sorp­tion de rayon­ne­ment solaire, d’autre part de l’é­mis­sion vers l’es­pace de rayon­ne­ment infra­rouge ther­mique. On savait bien que la vapeur d’eau (H2O) et le dioxyde de car­bone (CO2) entravent la perte de cha­leur par rayon­ne­ment infra­rouge, assu­rant par cet effet de serre natu­rel des tem­pé­ra­tures confor­tables à la sur­face du globe.

En 1896, le chi­miste sué­dois Svante Arrhe­nius for­mule l’hy­po­thèse qu’a­vec la com­bus­tion de car­bu­rants fos­siles – à l’é­poque essen­tiel­le­ment du char­bon – les humains fini­raient par dou­bler la quan­ti­té de CO2 dans l’at­mo­sphère, ren­for­çant l’ef­fet de serre et réchauf­fant le cli­mat de quelques degrés en moyenne globale.

En 1975, les mesures de la concen­tra­tion atmo­sphé­rique du CO2 montrent que ce pro­ces­sus était bien enga­gé. La nature ne com­pense qu’à moi­tié les émis­sions anthro­piques crois­santes de CO2 vers l’at­mo­sphère (500 mil­lions de tonnes de car­bone par an en 1900, près de 7 mil­liards de tonnes aujourd’­hui). De 290 ppm (par­ties par mil­lion, soit des cm3 de CO2 par m3 d’air) en 1900, le CO2 est pas­sé à 315 ppm en 1957, 335 ppm en 1975, à 375 ppm aujourd’­hui (figure 1).

L’a­na­lyse des carottes de glace de l’An­tarc­tique et du Groen­land montre que pen­dant au moins huit cent mille ans la concen­tra­tion du CO2 est res­tée infé­rieure à 300 ppm. Les géo­logues nous disent qu’il faut remon­ter quelques dizaines de mil­lions d’an­nées plus loin dans le pas­sé pour trou­ver des concen­tra­tions supé­rieures. Depuis le début de l’ère indus­trielle, sur­tout depuis 1900, il y a rup­ture de pente : la concen­tra­tion du CO2 monte en flèche.

Aujourd’­hui, on sait sans aucun doute que, depuis au moins un siècle, l’aug­men­ta­tion du CO2 dans l’at­mo­sphère résulte sur­tout de la com­bus­tion des car­bu­rants fos­siles – char­bon, pétrole, gaz natu­rel. On sait que si le déve­lop­pe­ment conti­nue sur la base de car­bu­rants fos­siles, avec émis­sion vers l’at­mo­sphère du CO2 qui en résulte, la concen­tra­tion atmo­sphé­rique de CO2 pour­ra très bien dépas­ser les 600 ppm avant 2100.

FIGURE 1
Avec une pério­di­ci­té d’environ cent vingt mille ans, la concen­tra­tion du CO2 a oscil­lé entre 180 et 280 ppm. Depuis 1900 elle a bon­di hors de cet inter­valle (d’après l’observation de l’équipe de Gre­noble et de Gif-sur-Yvette). Le gra­phique de 1957 à 2000 montre la pro­gres­sion récente de la carotte de glace de Vos­tok, ain­si que l’oscillation annuelle due à la pho­to­syn­thèse dans les forêts des conti­nents de la zone tem­pé­rée Nord.

Quid de la deuxième partie de l’hypothèse d’Arrhenius – le réchauffement planétaire ?

En 1975, on n’é­tait pas sûr que l’ef­fet de serre (réchauf­fe­ment) dû au CO2 l’emporterait sur l’ef­fet para­sol (refroi­dis­se­ment) sus­ci­té par les autres types de pol­lu­tion. On ne pou­vait non plus exclure des varia­tions de la lumi­no­si­té du Soleil.

Aujourd’­hui, trente ans après, on sait que les varia­tions solaires récentes sont faibles par rap­port au ren­for­ce­ment de l’ef­fet de serre, qu’elles ne jouent qu’un rôle tout à fait mineur. On sait aus­si que le ren­for­ce­ment de l’ef­fet para­sol par diverses pol­lu­tions (SO2 et par­ti­cules car­bo­nées) reste limi­té dans l’es­pace et dans le temps, et que son impor­tance rela­tive dimi­nue­ra au cours des pro­chaines décen­nies, alors que le CO2 anthro­pique s’ac­cu­mu­le­ra. C’est seule­ment en tenant compte du ren­for­ce­ment anthro­pique de l’ef­fet de serre dû aux acti­vi­tés humaines, qu’on peut expli­quer le réchauf­fe­ment depuis 1975.

Quelques certitudes

Les acti­vi­tés humaines altèrent l’at­mo­sphère de la pla­nète. La science pro­gresse-t-elle assez vite pour que la socié­té puisse maî­tri­ser cette alté­ra­tion ? Les incer­ti­tudes sur le réchauf­fe­ment futur sont-elles encore trop grandes ? De toute façon, ce que l’on cherche réel­le­ment à pré­voir n’est pas tant la tem­pé­ra­ture moyenne à la sur­face du globe, que les tem­pé­ra­tures et pré­ci­pi­ta­tions en chaque région, le temps qu’il fera, les risques de séche­resses, de tem­pêtes, d’i­non­da­tions. Avec un réchauf­fe­ment pla­né­taire de trois degrés, quel sera le risque d’une cani­cule pire que 2003 en France ? Com­ment chan­ge­ront les hivers en Savoie, en Scan­di­na­vie, ou en Sibé­rie ? Que devien­dra le bilan hydrique en Beauce, en Argen­tine, dans l’Illi­nois, ou dans le nord de la Chine ? Avec quelle fré­quence les oura­gans dévas­te­ront-ils les Caraïbes, les typhons le Japon ?

Que peuvent dire les modèles uti­li­sés pour simu­ler le chan­ge­ment cli­ma­tique qui résulte d’un scé­na­rio don­né d’al­té­ra­tion anthro­pique de l’at­mo­sphère ? Aujourd’­hui, les pro­jec­tions se contre­disent sur cer­tains points, notam­ment sur les modi­fi­ca­tions des pré­ci­pi­ta­tions et du ruis­sel­le­ment. Cepen­dant, on aurait tort de ne pas tenir compte du risque de chan­ge­ment cli­ma­tique dan­ge­reux sous pré­texte des incer­ti­tudes des modèles.

Pre­miè­re­ment, l’al­té­ra­tion de l’at­mo­sphère par les émis­sions anthro­piques de CO2 est une ten­dance lourde. Dans la plu­part des pays, ces émis­sions viennent sur­tout de la pro­duc­tion d’élec­tri­ci­té et d’in­fra­struc­tures à longue durée de vie impli­quant des inves­tis­se­ments impor­tants. Une fois le CO2 dans l’at­mo­sphère, son temps de rési­dence dépasse le siècle. Pour chaque mil­lion de tonnes de CO2 émises aujourd’­hui où que ce soit sur le globe ter­restre (et on en émet 70 mil­lions de tonnes par jour), ou en 2010, où que ce soit sur le globe, quelques cen­taines de mil­liers de tonnes res­te­ront bien mélan­gées dans l’at­mo­sphère, affec­tant tout le globe, en 2050, en 2100.

Deuxiè­me­ment, les modèles du cli­mat tra­duisent les lois bien éta­blies de la phy­sique, que l’on ignore à ses risques et périls. Les modèles fonc­tionnent bien pour la pré­vi­sion du temps à l’é­chéance de quelques jours. Les incer­ti­tudes des modèles, sur­tout dans leurs appli­ca­tions cli­ma­tiques, pro­viennent de la sché­ma­ti­sa­tion incon­tour­nable de la com­plexi­té du monde réel. Ils com­portent en par­ti­cu­lier des repré­sen­ta­tions gros­sières des pro­ces­sus impor­tants qui se déroulent à des échelles infé­rieures à celle de la maille des modèles – conden­sa­tion de la vapeur d’eau pour for­mer des nuages et des pré­ci­pi­ta­tions, par­tage des pré­ci­pi­ta­tions arri­vant au sol et sur la végé­ta­tion entre éva­po­ra­tion, éva­po­trans­pi­ra­tion, et ruis­sel­le­ment, inter­ac­tions entre des masses d’eau plus ou moins salées avec les glaces et dans les pro­fon­deurs de l’o­céan. Mal­gré ces dif­fi­cul­tés, les modèles, pour une atmo­sphère avec 600 ppm de CO2, s’ac­cordent sur un réchauf­fe­ment plus ou moins impor­tant(1) (figure 2).

Laissez-moi maintenant imaginer l’avenir proche

D’i­ci 2025, les émis­sions de CO2 auront conti­nué d’aug­men­ter, mais à un rythme quelque peu modé­ré. Les pays ayant pris au sérieux le Pro­to­cole de Kyo­to seront récom­pen­sés par un sup­plé­ment de com­pé­ti­ti­vi­té dû à leurs éco­no­mies d’éner­gie et aux tech­no­lo­gies nou­velles qu’ils auront mises en ser­vice à cet effet. Mais les autres auront contri­bué à accroître la concen­tra­tion du CO2 et celle-ci aura pro­ba­ble­ment dépas­sé les 420 ppm (voir gra­phique ci-contre).

En 2025, sauf catas­trophe vol­ca­nique, il sera encore plus clair qu’au­jourd’­hui que le ren­for­ce­ment anthro­pique de l’ef­fet de serre domi­ne­ra le chan­ge­ment cli­ma­tique au XXIe siècle. On com­pren­dra mieux qu’au­jourd’­hui com­ment la pol­lu­tion (par le dioxyde de soufre notam­ment) modi­fie l’ef­fet para­sol et limite le réchauf­fe­ment. Mais il est pos­sible que ces pol­lu­tions aient com­men­cé à dimi­nuer même dans les pays à crois­sance rapide – Chine et Inde notam­ment – suite aux sou­cis de san­té et aux pres­sions des citoyens.

En 2025, la tem­pé­ra­ture moyenne à la sur­face du globe aura aug­men­té – je parie­rais sur 0,6° de plus par rap­port à la décen­nie 1991–2000, à peu près 1° de plus en Europe occi­den­tale. On aura connu de nou­veau des étés chauds en France, sans tou­te­fois une répé­ti­tion de la cani­cule de 2003. Avec un peu de chance, il y aura eu des cani­cules ter­ribles dans le centre et le sud des États-Unis au cours des étés pré­cé­dant les élec­tions de 2006 et de 2008. Dans le Grand Nord, de la Sibé­rie au Groen­land en pas­sant par l’A­las­ka, la tem­pé­ra­ture aura aug­men­té de plus de 3° d’i­ci 2025 ; plu­sieurs navires tra­ver­se­ront l’o­céan Arc­tique chaque été. Le réchauf­fe­ment dépas­se­ra 2° en Asie cen­trale et dans une grande par­tie du Cana­da, même à la fron­tière des États-Unis. Pour la plu­part, les gla­ciers de mon­tagne auront per­du plus du tiers de leur glace, et la neige en alti­tude fon­dra bien plus tôt au prin­temps, avec des consé­quences impor­tantes pour la ges­tion des bar­rages. Il n’y aura pas eu de débâcle géné­rale de la calotte gla­ciaire Antarc­tique, mal­gré quelques dis­lo­ca­tions spec­ta­cu­laires de la banquise.

Le niveau des océans sera mon­té d’en­vi­ron 20 cm par rap­port au niveau pré­sent, sur­tout par dila­ta­tion ther­mique de l’eau dans la couche super­fi­cielle. Quant aux tem­pêtes, je ne crois pas à une aug­men­ta­tion géné­rale de leur fré­quence et de leur sévé­ri­té, mais il est pos­sible que l’Ir­lande, l’É­cosse et la Scan­di­na­vie en subissent plus que pen­dant les der­nières décen­nies, la France un peu moins. Les recherches de l’IN­RA per­met­tront à l’a­gri­cul­ture de faire face à l’as­sè­che­ment crois­sant de la cam­pagne fran­çaise. Une aug­men­ta­tion pro­bable du nombre et de la force des oura­gans attei­gnant les Caraïbes et les États-Unis entraî­ne­ra de grandes pertes éco­no­miques dans les régions côtières où beau­coup a été construit entre 1980 et 2000.

FIGURE 2
Réchauf­fe­ment pla­né­taire ΔT (par rap­port à la moyenne des années 1951–1980). Depuis 1975, le réchauf­fe­ment dû au ren­for­ce­ment de l’effet de serre émerge de la varia­bi­li­té natu­relle de scé­na­rios d’émissions, à crois­sance modé­rée (moins d’un fac­teur deux au XXIe siècle). Pour la période 2000 à 2100, la four­chette jaune (1 à 3°) cor­res­pond à une crois­sance modé­rée (fac­teur 2) de l’émission de CO2 alors que la four­chette rouge (+ 3 à 5°) cor­res­pond à une crois­sance forte (fac­teur 5). Si les émis­sions aug­mentent d’un fac­teur douze comme au XXe siècle, le réchauf­fe­ment sera encore plus fort.

Les progrès de la prévision météorologique en 2025

En 2025, les sciences de la météo­ro­lo­gie et du cli­mat auront beau­coup avan­cé, grâce aux pro­grès dans l’ob­ser­va­tion spa­tiale et sous-marine des dif­fé­rents consti­tuants du « sys­tème cli­ma­tique », grâce aus­si à une puis­sance de cal­cul encore accrue. La pré­vi­sion météo­ro­lo­gique à 10 jours d’é­chéance sera deve­nue tout à fait fiable. À courte échéance, on sau­ra don­ner des pré­vi­sions bien plus fiables à l’é­chelle locale. Les évé­ne­ments céve­nols conti­nue­ront à dévas­ter des construc­tions impru­dem­ment tolé­rées en zone inon­dable, mais comme pour les tem­pêtes vio­lentes, avec de meilleures pré­vi­sions, les res­pon­sables de la sécu­ri­té publique devront réduire les pertes humaines au mini­mum. Des pré­vi­sions pro­ba­bi­listes à plus de deux semaines d’é­chéance com­men­ce­ront à se mon­trer utiles, et comme les pré­vi­sions sai­son­nières, elles auront une forte influence sur l’é­co­no­mie mon­diale, dans les domaines des assu­rances, des mar­chés de matières pre­mières agri­coles (céréales, café, cacao, coton…), du tou­risme, et des acti­vi­tés off­shore. Quelques tech­niques de modi­fi­ca­tion du temps seront peut-être deve­nues effi­caces, mais leur emploi, dans les par­ties du monde où la pluie sera deve­nue (ou aura tou­jours été) rare, sou­lè­ve­ra de plus en plus de litiges entre régions voire États.

En 2025, on aura com­pris les grandes lignes du réchauf­fe­ment obser­vé dans les dif­fé­rentes par­ties du monde entre 1975 et 2025, mais on aura encore du mal à expli­quer l’é­vo­lu­tion irré­gu­lière de la carte des pré­ci­pi­ta­tions et leurs fluc­tua­tions. Il res­te­ra des incer­ti­tudes sur les inter­ac­tions entre les océans, les glaces et l’at­mo­sphère. Il n’y aura pas eu un arrêt brusque de la dérive Nord-Atlan­tique entraî­nant – para­doxa­le­ment au milieu du réchauf­fe­ment pla­né­taire – la sur­ve­nue en une décen­nie (pas le jour d’a­près !) d’hi­vers extrê­me­ment froids en Europe. Cepen­dant, avec l’aug­men­ta­tion notable des pré­ci­pi­ta­tions en Nor­vège, et la fonte accé­lé­rée de la ban­quise en marge du Groen­land, la sali­ni­té des eaux super­fi­cielles de la mer de Nor­vège aura dimi­nué. La ques­tion du seuil à ne pas dépas­ser sera posée.

En 2025, mal­gré les incer­ti­tudes sur l’é­vo­lu­tion des pré­ci­pi­ta­tions, la modé­li­sa­tion du cli­mat aura suf­fi­sam­ment avan­cé pour que l’on prenne plus au sérieux qu’au­jourd’­hui les risques atta­chés à la pour­suite des émis­sions de CO2. Mais que de temps per­du ! En 2025, sans mesures ambi­tieuses post-Kyo­to, ces émis­sions auront atteint voire dépas­sé les 8 mil­liards de tonnes de car­bone par an.

Alors, en 2050 ?

Aujourd’­hui, cer­tains racontent que les chan­ge­ments réel­le­ment obser­vés d’i­ci 2025 démon­tre­ront que les rétro­ac­tions de la vapeur d’eau et de la cou­ver­ture nua­geuse agissent plu­tôt pour limi­ter le réchauf­fe­ment à un niveau tolé­rable (met­tons 1 degré en 2100) mal­gré un dou­ble­ment du CO2. Pos­sible – mais j’es­time, au contraire, que c’est se faire des illu­sions. Les ana­lyses des obser­va­tions récentes et des modèles les plus per­for­mants sug­gèrent plu­tôt qu’un dou­ble­ment du CO2 entraî­ne­ra un réchauf­fe­ment d’au moins 2,5°. Tout en excluant un scé­na­rio catas­trophe, je pense qu’on aura trou­vé d’i­ci 2025 encore plus de rai­sons de craindre la mue cli­ma­tique ; mue dan­ge­reuse, non pas parce qu’un monde plus chaud sera néces­sai­re­ment invi­vable, mais parce qu’aug­men­ter en moins de deux siècles la tem­pé­ra­ture moyenne à la sur­face du globe de 5° (autant que pen­dant les mil­lé­naires qui ont mis fin à la der­nière période gla­ciaire), implique un chan­ge­ment bio­géo­gra­phique qui prend des allures de catastrophe.

Si, arri­vé en 2025, on juge qu’il faut abso­lu­ment faire pla­fon­ner la concen­tra­tion atmo­sphé­rique de CO2 à 500 ppm, il fau­dra dimi­nuer les émis­sions d’un fac­teur deux avant 2050. Sau­ra-t-on le faire ? Même si on com­pren­dra bien le détail des échanges de car­bone entre atmo­sphère, océan, bio­sphère marine, et bio­sphère conti­nen­tale, que sau­ra-t-on sur l’ef­fi­ca­ci­té et les risques d’une accé­lé­ra­tion arti­fi­cielle de la » pompe bio­lo­gique » trans­por­tant du car­bone vers les pro­fon­deurs abyssales ?

Les expé­riences se pour­sui­vront à grande échelle. Les inquié­tudes sur ces expé­riences, comme sur les ten­ta­tives d’ex­trac­tion de méthane des sédi­ments sous-marins d’hy­drates, ne frei­ne­ront guère les entre­pre­neurs. D’un autre côté, même si l’on aura fait des pro­grès vers des tech­no­lo­gies de « séques­tra­tion » du CO2, pour­ra-t-on rai­son­na­ble­ment espé­rer une réduc­tion impor­tante des émis­sions nettes (en 2025, 8 mil­liards de tonnes de car­bone, soit 30 mil­liards de tonnes de CO2 par an !) avant 2050 ? Peut-on comp­ter sur une géné­ra­li­sa­tion du nucléaire, de la fusion contrô­lée, des éner­gies renou­ve­lables ? Du vent ? Faut-il attendre la vraie catas­trophe pour faire quelque chose ? Les choix des pro­chaines années et décen­nies déter­mi­ne­ront en grande par­tie, sauf catas­trophe vol­ca­nique, com­ment chan­ge­ront le cli­mat et la carte du globe au cours des pro­chains siècles.

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1.
Avec dou­ble­ment du CO2, les cal­culs rigou­reux du trans­port du rayon­ne­ment infra­rouge donnent néces­sai­re­ment une aug­men­ta­tion signi­fi­ca­tive de l’o­pa­ci­té infra­rouge de l’at­mo­sphère, ampli­fiée pro­ba­ble­ment par une aug­men­ta­tion de la quan­ti­té de vapeur d’eau (H2O) dans l’at­mo­sphère. Le réchauf­fe­ment dépend du cycle de l’eau et entraîne néces­sai­re­ment des modi­fi­ca­tions de la carte des flux d’eau.

Quelques lec­tures
► Deneux M., Séna­teur, 2002 : Rap­port (OPECST). L’é­va­lua­tion de l’am­pleur des chan­ge­ments cli­ma­tiques, sur la géo­gra­phie de la France à l’ho­ri­zon 2025, 2050 et 2100. Paris : Assem­blée Natio­nale N° 3603, Sénat N° 224.
► Kan­del R., 2004 : Le Réchauf­fe­ment cli­ma­tique (Col­lec­tion Que sais-je ?) N° 3650, 2e édition.
► Le Treut H. et J.-M. Jan­co­vi­ci, 2001 : L’ef­fet de serre : allons-nous chan­ger le cli­mat ? Paris, Flam­ma­rion (Col­lec­tion Dominos).

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