L’avion en classe affaires au meilleur prix
Après un début de carrière à la DGAC, au ministère des Transports et chez ADP, Pierre-Hugues SCHMIT peaufine les conditions pour faire, sur le trajet Paris/New-York, du low-cost en classe affaires avec un confort inégalé puis cofonde « La Compagnie » avec une équipe de professionnels amis et le succès semble être là.
Qu’est-ce qui a changé dans le secteur du transport aérien ces dernières années ?
L’arrivée des low cost bouleverse en profondeur le secteur, et un des corollaires est que l’écart entre classe affaires et classe économique continue de croître.
D’un côté, en classe économique, la concurrence acharnée sur les prix a poussé les opérateurs à rivaliser de créativité pour rogner le produit et les coûts, au détriment du confort, même en long-courrier.
De l’autre, en classe affaires des grandes compagnies rivalisent d’ingéniosité pour proposer des services de plus en plus sophistiqués et personnalisés, tirés à la hausse notamment par les compagnies du Golfe.
Cela se traduit sur ce segment par un produit de plus en plus cossu, plus luxueux mais avec moins de sièges, et donc plus coûteux, tant pour l’opérateur que pour le passager.
Cela crée un espace intermédiaire grandissant, que La Compagnie entend bien exploiter.
Comment La Compagnie en tire-t-elle bénéfice ?
Nous ne sommes pas les seuls à avoir repéré cet espace. Mais nous pensons apporter la meilleure réponse. Nous pensons qu’un produit classe affaires simple et efficace – low cost – correspond au véritable besoin dans cet espace intermédiaire.
Les voyageurs soucieux de ce niveau de confort sont aussi soucieux du prix, surtout ceux qui voyagent fréquemment ou les entreprises qui les emploient.
De leur côté, les compagnies traditionnelles proposent des produits dits « economy-premium », qui ressemblent en fait aux classes économiques d’antan, et qui sont vendues à prix élevé. Les passagers ne s’y trompent pas.
Notre approche connaît un succès commercial qui conforte notre stratégie.
Comment t’est venue l’idée de créer ta société dans ce secteur ?
L’idée est en fait venue d’une expérience précédente (la compagnie aérienne L’Avion 2006–2009 fondée par mon ami Frantz Yvelin).
“ Notre approche connaît un succès commercial qui conforte notre stratégie ”
Mais la niche occupée par cette expérience était vacante depuis quelques années, alors avec Frantz, et deux autres grands professionnels du secteur, Peter Luethi et Yann Poudoulec, nous avons bâti un nouveau modèle économique, en réévaluant notamment point par point ce qui est nécessaire aujourd’hui pour voyager dans de bonnes conditions (siège-lit, fluidité aéroportuaire, calme en cabine).
Puis convaincus du potentiel financier d’un tel produit, nous nous sommes lancés en levée de fonds début 2012, puis en phase opérationnelle fin 2013.
Quels ont été les freins au démarrage ?
Les difficultés sont multiples dans un projet d’une telle envergure. Il faut trouver des appareils, réaménager les cabines, recruter des pilotes expérimentés, lever les barrières réglementaires diverses, en France et aux États-Unis, organiser les opérations aériennes et aéroportuaires…
Il faut juste ne pas s’arrêter à cela.
Comment les as-tu surmontés ?
Nous avions eu le temps en phase de levée de fonds de bien préparer la phase d’amorçage, avec une organisation en mode projet assez structurée.
Par ailleurs le noyau dur de l’équipe est assez complémentaire, se connaît très bien, et dispose d’une solide expérience dans le secteur. Nous avons chacun pu gérer nos parties en bonne coordination.
Naturellement nous avons eu notre lot de revers et de nuits très courtes, mais la conduite d’un projet aussi excitant stimule les esprits et les corps.
Qu’est-ce que le numérique change dans ton domaine ?
La Compagnie propose un produit classe affaires simple, efficace et low cost.
Sur la partie divertissement embarqué, nous avons fait un choix technologique de tablettes amovibles permettant d’intégrer la presse, des livres, les menus, en plus des films et de la musique. Nos vols sont donc paperless.
Côté cockpit nous y travaillons également, mais paradoxalement c’est l’administration qui nous impose encore de la documentation papier.
Le numérique change aussi beaucoup les relations avec nos clients, qui passent en grande partie par les réseaux sociaux, ou par l’application dédiée.
Y a‑t-il un risque d’ubérisation du transport aérien ?
On n’obtient pas sa licence de pilote comme on obtient son permis de conduire ; l’ubérisation au sens de transport individuel me paraît peu réaliste à grande échelle.
Elle a du sens pour des déplacements moyenne distance privée et la petite aviation d’affaires ; la France, avec sa grande tradition aéronautique et sa densité aéroportuaire, a des atouts sur ces niches, si l’administration laisse faire…
Dans le transport aérien grand public, l’ubérisation est aussi présente au travers des nombreux comparateurs de prix, mais il ne s’agit que de recyclage d’offres existantes et non de l’ajout d’une offre nouvelle.
En quoi ta formation – l’X en particulier – t’a aidé à te lancer ?
La prépa m’a appris la rigueur et la résistance au stress ; grâce à sa formation à la fois pointue et généraliste, l’X a ensuite répondu à ma curiosité interdisciplinaire.
“ La prépa m’a appris la rigueur et la résistance au stress ”
Elle m’a aussi ouvert la haute fonction publique, où j’ai exercé pendant près de dix ans, y compris en cabinet ministériel.
L’X apporte un sens de l’effort, de la pondération du risque (assez maîtrisé en ce qui me concerne car je suis en disponibilité) et sans doute aussi un certain panache. Il faut un peu tout cela pour oser l’entreprise.
Que faudrait-il faire pour pousser plus de polytechniciens à créer leur entreprise ?
À l’X, le cadre reste plutôt académique, et pas toujours orienté sur la pratique, et encore moins sur les aspects administratifs de l’entreprise. Cela peut freiner celui qui tient une bonne idée et qui hésite à se lancer.
Or les X ont plus d’atouts qu’ils ne pensent dans cette phase (formation généraliste, agilité intellectuelle, gestion de la complexité…).
Les incubateurs et les groupes X (Business Angels par exemple) apportent un soutien essentiel dans cette phase de mise en pratique. Les X doivent accepter de se faire aider. L’humilité n’est hélas pas toujours notre fort.
Quels conseils donnerais-tu à un jeune X à sa sortie ?
Chacun choisit sa sortie selon ses goûts et ses talents, mais les choix ne sont pas définitifs, et les carrières sont longues. Il faut garder un regard ouvert sur les opportunités, même de remise en question, et ne pas forcément avoir de plan de carrière établi. Et oser.