Le Bahutage
L’initiation, devenue l’absorption, puis le bahutage, est une tradition qui remonte aux origines de l’École et qui ne s’est perdue qu’en 1967.
L’expérience a montré que ces manifestations baroques et souvent puériles. ces épreuves que les élèves s’imposaient à eux-mêmes d’année en année, étaient à la base des traditions les plus saines, et un élément important de la formation morale des Polytechniciens.
C’est le bahutage qui permit d’élaborer. de transmettre et d’imposer le « Code X » qui. sous son aspect burlesque. est un code d’honneur auquel la communauté polytechnicienne resta longtemps attachée.
Cela est si vrai que les commandements de l’École, tout en s’opposant aux abus du bahutage, l’ont toujours toléré, et que parfois, même, lorsque les circonstances séparaient les promotions, ils ont pris des mesures pour qu’il ne disparaisse pas complètement1.
Les rites de l’absorption s’élaborèrent à partir du moment où les élèves furent casernés sur la Montagne Sainte Geneviève.
Gaston Pinet. dans son Histoire de l’École Polytechnique ( 1887). en dresse un tableau pittoresque.
« Le premier effet du régime militaire et du casernement fut de provoquer. contre l’autorité, un véritable système d’ententes. de ligues, absolument ignoré sous l’ancien régime de l’externat libre. Au Palais· Bourbon, l’autorité n’avait pu s’exercer d’une manière sensible que pendant les études. Les Élèves n’avaient pas entre eux de rapports très fréquents, de relations bien intimes. surtout d’une division à l’autre. Ils n’avaient pas senti le besoin de se liguer contre leurs chefs.
Une fois réunis. casernés, constamment en présence de ces chefs, ils résolurent de se liguer pour échapper à la surveillance et résister au Commandement. Alors commença entre eux. sous l’apparence de jeux. une sorte d’association qui se perpétua d’une promotion à l’autre. Grâce à une espèce d’initiation. combinée de toutes sortes de punitions et d’épreuves, les anciens s’arrogèrent, pendant un temps, sur les nouveaux, une autorité à l’aide de laquelle ils leur dictaient jusqu’aux fautes qu’il fallait commettre.
Ils exigeaient des conscrits (c’est le nom qu’on commença à leur donner, et il est resté), des témoignages de respect, qu” ils imposèrent quelquefois par la force.
Des questions baroques de science leur étaient adressées ; on leur infligeait mille vexations. les huées, les arrosements, l’enlèvement et la destruction des effets de casernement, d’habillement ou d’étude, l’infection des chambrées, etc., etc., surtout la bascule et les postes.
Ces initiations couvraient du nom de jeux de véritables désordres ; elles ont occasionné plusieurs fois des voies de fait et des duels. Elles duraient ordinairement deux mois, depuis le mois de novembre jusqu’au mois de janvier, époque à laquelle le temps d’épreuve était considéré comme terminé, et alors les anciens consentaient à traiter de pair avec les nouveaux.
Dès la seconde année de casernement, les initiations fonctionnaient. Elles avaient donné naissance à de tels désordres dans les dortoirs qu’on fut obligé d’y mettre pendant quelque temps des sentinelles en permanence et d’y faire de fréquentes patrouilles.
Sous la Restauration, les mystifications, les initiations. les bascules, les brimades, fort innocentes du reste, qu’on infligeait à la promotion nouvelle, continuèrent.
Le baron Bouchu, décidé à faire un exemple, demanda le renvoi de dix Élèves qui s’étaient fait remarquer. Deux seulement furent exclus. L’une des mystifications qu’il blâmait sévèrement était la dénomination de conscrits que les anciens donnaient aux nouveaux. Elle est humiliante, écrivait-il, j’espère qu’elle ne sera plus reproduite à l’École. Elle s’est transmise jusqu’à aujourd’hui.
Le coup du poulet
L’année suivante, l’autorité essaya sans succès un système, qu’on ne saurait d’ailleurs approuver. Elle voulut exiger de chaque Élève sa parole d’honneur de ne prendre part à aucune délibération, ni à aucun acte convenu. Les désordres recommencèrent avec plus d’audace et elle n’osa intervenir.
A la rentrée de 1818, le baron Bouchu, à bout d’arguments, dit qu’il ne voulait pas traiter sérieusement de pareilles plaisanteries. Le spectacle des initiations et des mystifications se fit alors publiquement et se termina par une représentation grotesque des autorités de l’École. »
La bascule consistait à étendre le conscrit sur un tabouret auquel on imprimait une succession de mouvements alternatifs d’élévation et d’abaissement des plus saccadés.
La crapaudine, en usage alors dans l’armée, s’appliquait de la manière suivante : on couchait, à plat ventre, le conscrit sur le tabouret, les jambes repliées, on attachait le bras droit à la jambe gauche et le gauche à la jambe droite et on rafraîchissait le patient à l’aide de bombes hydrauliques.
Les postes étaient plutôt une peine qu’une brimade et s’infligeaient après un vote. Dix camarades traînaient dans la cour, avec une vitesse que venaient accroître de nouveaux auxiliaires. le patient qu’ils laissaient épuisé.
Amphi-gueule.
Les camarades Lévy et Pinet ont donné dans l’Argot de l’X l’ordre qu’affichaient les anciens, dans chaque brigade. dès l’entrée de la nouvelle promotion :
Conscrit
La bascule tu recevras
De bonne grâce en arrivant.
La porte ouverte laisseras
Chaque soir au casernement.
Sans cela tu ressentiras
notre courroux chimiquement.
Dans nos salles tu n’entreras
Que bien après le jour de l’an.
Ton bonnet pris rachèteras
Par la bascule seulement.
Ou sinon tu le recevras
Défiguré nitriquement.
Ton ancien tu respecteras
Et serviras diligemment.
A son abord tu trembleras
Et salueras bien humblement.
Nulle part ne te placeras
Sans avoir son consentement.
Sans quoi la poste tu courras
Dans notre cour, tambour battant.
Dans un de ses rapports, un sous-inspecteur déclare qu’entendant des cris dans la cour, il a trouvé un conscrit à qui deux anciens donnaient la bascule sous la pompe, le conscrit n’ayant pas voulu se laisser appliquer la bascule ordinaire. Il se plaint ensuite que cette bascule ordinaire est si vite donnée qu’on ne peut jamais arriver à temps pour saisir les coupables. « L’usage grossier des bascules, dit un rapport, du mois de novembre 1819. au moins tempéré l’année dernière, a été remplacé par d’autres épreuves de contrariété et de mystifications de diverses espèces employées par les anciens à l’égard des nouveaux.
Toute la surveillance possible ne parvient pas à empêcher ces bizarres initiations de dégénérer en vexation et d’altérer la discipline. »
A l’Initiation succéda l’Absorption, qui consistait surtout en plaisanteries. Ainsi, le premier jour, on forçait un conscrit revenant de la lingerie à endosser une chemise sur ses habits et à chanter, sur un air connu, un passage quelconque d’un livre ouvert au hasard. La cérémonie se passait dans la cour. Elle était dirigée par l’absorbeur, placé au centre du cercle formé par les deux promotions dans lequel entraient successivement les conscrits désignés.
Voici une description de l’Absorption, vers 1840 : « L’Absorption des conscrits dans le sein de l’École, en costume bourgeois, le bonnet de coton sur l’oreille et la queue de billard à la main, n’est pas moins plaisante : là, un des plus anciens, celui dont le berry (redingote de petite tenue) est le mieux culotté, offre les traces les plus accumulées de rapatonage (rapiècement), ce qui est un signe d’honneur équivalent aux chevrons des vieux soldats, pique un laïus aux nouveaux condisciples, il les engage en un style du cru à ne point trop se pélicaner (se saigner les flancs par un travail trop ardent), à ne pas redouter de temps en temps de bouquiner, à vivre dans la crainte des colles (examens) et dans l’amour des suçons (sucres d’orge) dont le goût est de tradition dans l’École et qui servent souvent d’enjeu au billard ou aux échecs pour intéresser la partie. »
L’absorption se passait alors à l’École même. A partir de 1840 environ, elle se fit au Holl – le « Café hollandais » – aujourd’hui disparu. situé sous les arcades du Palais Royal, Galerie Montpensier.
Le bahutage ne se déroulait pas selon un schéma immuable, chaque promotion et sa Kommiss y ajoutant quelques perfectionnements ou en supprimant quelques épisodes. Nous allons essayer de citer, dans le désordre qui convient à de telles coutumes, les pratiques les plus courantes. Que les camarades qui constateront l’omission des épreuves qu’ils ont personnellement subies, nous écrivent ou viennent nous les infliger à titre de châtiment.
Les conscrits étaient mis en condition au cours des « amphi-gueules », où leur promotion rassemblée et prosternée subissait les sarcasmes des Anciens. Quelques noms privilégiés inspiraient des quatrains aussi spirituels que ceux-ci :
« En salle le crotal Hublot
assis tout près de la fenêtre
veille aux destinées de Fenêtre
qu’il couve comme un bibelot. »
ou
Il n’a donc pas mis ses lunettes,
le Bib au regard paternel
qu’il laisse entrer les mains nettes
des Catin, Dheu, Bordel. »
Au cour du grand monôme. dont Pinet fait remonter l’origine à 1836, la promotion rangée en file indienne derrière son major, parcourait la cour au milieu d’une foule d’anciens qui la harcelait, la bousculait et la bombardait de redoutables bombes à eau.
Le grand monôme était suivi de l’exercice qui n’avait que de lointains rapports avec l’instruction militaire. Il s’agissait, en fait, d’un parcours du combattant, aménagé avec toutes sortes d’obstacles improvisés. Et gare au conscrit qui cherchait à tirer au flanc… Ce ne sont pas des SAS ou des SAR qui s’abattaient sur lui, mais bien la terrible main de la komiss, et il était promis aux mystérieuses tortures du cryptage.
La tradition ancienne retient l’existence de l’exercice des majors de tête et de queue, armés de queues de billard, et de celui des funestes, élèves d’une complexion « monstrueuse » , qui n’avaient pas encore pu recevoir la tenue complète de récole.
Les crotaux bénéficiaient d’un traitement de faveur. Ils étaient obligés de participer, sous une étroite surveillance, à une course par dessus et par dessous bancs, tables et bourets. L’exercice s’achevait par une revue passée par un ancien à cheval sur un conscrit ou par des chics tracés sur le sol par les conscrits, en rendant hommage à la couleur de la promo des anciens.
Le coup du poulet se faisait le mardi, jour où ce volatile. jadis fort prisé, figurait au menu. La rafle avait lieu sur les tables, ou avant le service au magnan, et elle était très bien connue de l’Administration puisque cette dernière, alma mater secourable, prévoyait d’avance un plat de bœuf supplémentaire pour calmer la faim des conscrits frustrés.
Au coup du poulet succédait le coup des frites : lorsque ce tubercule apparaissait pour la première fois au menu, les anciens en remplissaient leur phécys le plus crasseux et venaient présenter ce plat alléchant aux conscrits. Il était aussi dangereux qu’incivil de refuser cette collation improvisée.
Il existait naturellement bien d’autres épreuves : le classique « cirage », le « flambage » qui consistait à placer dans le dos ou sous les chausses d’un conscrit un papier qu’on enflammait. Le « flambage » a été désigné à partir de 1900 par le mot « Delort », du nom d’un commandant en second qui avait fait afficher dans chaque salle les consigne à appliquer en cas d’incendie. C’est une coutume qui s’est maintenue longtemps et développée au point de devenir une des plaisanteries favorites des Polytechniciens.
Une autre pratique courante était celle du « Zanzi » (Zanzibar) : un verre de lampe était introduit dans le pantalon, l’extrémité supérieure dépassant un peu la ceinture ; un bouchon était placé sur le front renversé du patient qui devait, au commandement de l’ancien, le faire retomber adroitement dans le verre de lampe.
Mais pendant que, la tête en arrière, le conscrit attendait religieusement le signal, une carafe d’eau vidée dans le tube inondait son pantalon … l’eau étant souvent remplacée par de la peinture, du vin rouge, de la marmelade, de la soupe de pois, etc.
Dans les caserts, on pratiquait l’omelette, sorte de rangement à l’envers où les meubles étaient jetés pèle-mêle au milieu de la pièce, le percement des souriaux (vases de nuit) avec les tangentes, les lits en portefeuille, les salades de bottes jetées en tas dans la cour.
Le couvre-feu ne mettait pas fin aux tourments des malheureux conscrits, bien au contraire. Les Anciens. à la faveur de l’obscurité, multipliaient les persécutions : en pleine nuit, ils faisaient irruption dans les caserts des conscrits et les viraient ou les pisurdetaient. Ce dernier verbe, dont l’étymologie est claire, définit une manœuvre qui consistait à soulever le lit par les pieds et à le mettre en position verticale : l’occupant s’effondrait lentement, couvert par son matelas.
Le pisurdentage simultané des huit lits d’un casert par huit anciens bien entraînés constituait une très belle manœuvre.
Dans certains cas, ces exactions étaient précédées du coup des sardines. Le conscrit, à demi éveillé, se voyait contraint de gober quelques-uns de ces savoureux poissons ; pour « faire passer ». on lui versait dans le gosier l’huile de la boite.
Plus angoissante était l’intervention de la Kommiss dont les membres, dissimulés derrière des cagoules, entouraient le lit d’un conscrit rétif, l’informaient de sa condamnation, puis, s’emparant de lui, l’entraînaient dans les noires profondeurs du Styx où il allait subir les affreuses tortures du kryptage.
Le kryptage …
censuré2
La guerre 1939–1945 a marqué une discontinuité dans la vie de l’École. Celle-ci a été transportée : le contact a été rompu à diverses reprises entre promotions successives, enfin, au cours des années qui ont suivi, les bâtiments ont été presque entièrement renouvelés.
Aussi, ne faut-il pas s’étonner que beaucoup de traditions se soient perdues à cette époque. Moins, toutefois, qu’on aurait pu le craindre et d’autre apparurent, qui ne manquaient pas de pittoresque. L’essentiel fut sauvegardé : c’est-à-dire l’esprit de l’École.
On peut néanmoins regretter que la méthode de bahutage se soit modifiée. Celui-ci, beaucoup plus court – il durait moins d’une semaine, du mercredi de la rentrée au lundi soir – était l’œuvre presque exclusive de la Kommiss qui traitait un peu les conscrits à la chaîne. Le reste de la promotion était spectateur3. Jadis, l’active participation de tous au bahutage avait conféré à celui-ci un tour plus nuancé, plus personnel, plus subtil.
Séance des cotes en 1931.
A travers les plaisanteries et les épreuves innocentes, une intimité s’établissait plus rapidement entre les deux promotions.
Nous avons évoqué l’apparition, après 1945, de nouveaux épisodes du bahutage. Parmi ceux-ci, les déportations et la course au Trésor.
La déportation consistait à enlever un conscrit au cours de la nuit, et à l’emmener « faire un tour en voiture » à l’issue duquel il était abandonné, souvent fort loin de l’École, et dans une tenue généralement sommaire. Les inconvénients de la promenade étaient aggravés par le fait. qu’en ce temps là, existait encore une coutume barbare nommée l’appel du matin.
Pour la course au Trésor, la Kommiss distribuait à chaque salle de conscrits une liste d’objets hétéroclites que devaient, en quelques heures, rapporter ses occupants, ainsi que la cotation de ces objets.
Les conscrits se répandaient fébrilement dans Paris pour éviter la dernière place. qui leur aurait valu un bain de minuit dans la piscine, et si possible obtenir la première, récompensée d’un sompteux magnan offert par la Kommiss.
Parmi les objets (ou les êtres) les plus insolites qui aient figuré sur les listes de la Kommiss, signalons ceux qui avaient été proposés à l’ingéniosité des promos 56 et 57 : un car de police – le stick du général – une tortue électronique – la porte du micral – l’insigne du paragraphe4 – un ministre – un académicien – le lorgnon de M. Divisia5 – le tour de cuisse de la « Marie« 6 – un panier de fruits a variés, etc.
A l’heure dite, en 1956, les objets demandés étaient rassemblés dans la cour de l’École en plusieurs exemplaires, même ceux qui, par définition paraissaient uniques. Il y avait en particulier deux cars de police !
Par contre, il ne s’y trouvait qu’un académicien, et point de ministre, mais seulement un chef de cabinet.
Ballade du conscrit
L’entrée à Carva ne peut pas
Quelle que soit votre insolence
Transformer un fangeux amas
En une promo. C’est la chance
Qui vous a, par négligence,
Sur une liste, un jour, inscrits.
C’est le schicksal seul, qui, je pense.
A fait de vous tous nos conscrits.
Vous avez eu quelques tracas :
C’était pour votre réjouissance.
Nul ne fit vraiment d’embarras
Pour contenter votre exigence.
Le bahutage est sans violence :
Tout se termine par des cris.
La tradi, malgré la défense,
A fait de vous tous nos conscrits.
Conscouères. en tous les cas.
Avons-nous bien fait connaissance ?
C’est fini le branle-bas
De celte étonnante séance.
Prenons un ton de circonstance
C’est en votre honneur que j’écris.
Quinze jours, à notre convenance,
Ont fait de vous tous nos conscrits.
Le dernier épisode du bahutage était la séance des cotes.
L’origine de la séance des cotes remonte à 1840. C’est celle année là que. fut inaugurée. dans une salle spéciale du « Holl », une cérémonie dont Gaston Claris nous donne la description :
» Le néophyte était introduit dans un vestibule sombre séparé du café par d’épaisses tentures. Quelques anciens à la mine féroce après l’avoir débarrassé de sa tangente et de sa capote, assuraient d’une formidable tape son claque en bataille, inscrivaient à la craie sur la partie charnue, son numéro de classement et le soulevant ensuite, le lançaient brusquement à travers les rideaux dans la pièce voisine.
Il y retombait au milieu d’une vraie bande de démons qui, les manches retroussées, se le passaient de mains en mains comme jeu de balle, lui faisaient traverser plusieurs salles et le déposaient tout ahuri devant le « parc aux huîtres » où il était forcé de pénétrer en franchissant une corde tendue contre laquelle il trébuchait généralement.
Dans cet étroit espace, où venait s’entasser peu à peu toute la promotion, les anciens circulant parmi les victimes, variaient aux dépens des pauvres « huîtres » leurs plaisirs et leurs distractions, faisant chanter les uns, boire les autres, au milieu du vacarme le plus épouvantable qui se puisse imaginer.
Lorsque tous les conscrits avaient subi le baptême, on procédait à la lecture des Cotes. La Cote est un laïus composé par un ancien et destiné à flageller les défauts de quelques conscrits poseurs ou d’un mauvais caractère. L’inculpé extrait du parc. hissé sur le billard en face de l’accusateur. subissait devant les deux promotions, la lecture du réquisitoire et de la sentence. La peine consistait à avaler dans une omelette ou simplement sous la forme brutale d’une boulette de papier si le cas était grave, la Cote qu’on venait de lire.
La fête se terminait enfin par un immense gueuleton dont les antiques étaient presque seuls à savourer les vins exquis et les délicieux pâtés de foie gras. La place manquait pour la plupart des anciens : quant aux conscrits. victimes de libations plus ou moins volontaires. mais trop abondantes. ils avaient dû être reconduits en grande partie à l’Écoie par les Commissaires. Une longue file de fiacres s’alignait, à cette intention, d’un bout à l’autre de la rue Montpensier ».
Plan de l’Ecole Polytechnique. Jusqu’en 1930.
Après 1883, la séance des cotes eut lieu à l’Ëcole, dans l’amphithéâtre récemment construit, l’amphi de phy, devenu l’Arago. Elle s’y poursuivit, selon des rites invariables, jusqu’à sa disparition, en 1968.
La Kommiss, constituée en tribunal , vêtue de robes et cagoules, siégeait sur l’estrade. Devant elle, de terrifiants bourreaux, eux aussi encagoulés et armés d’énormes haches.
La Kommiss procédait à la lecture des cotes, dont le nombre avait beaucoup augmenté depuis le Holl. et la faisait suivre de discours traitant le cas de chacun. Voici une liste non limitative des cotes les plus classiques :
Les côtes maj et maj de queue, la cote 100 (ou Longchamp) attribuée au l00e du schicksal d’entrée7, plus tard remplacée par la cote λ, caractérisant le rang médian, les cotes géant et ε appliquées au plus grand et au plus petit de la promotion, la cote pose pour les vaniteux, la cote journal pour ceux dont le succès avait été célébré dans quelque feuille de chou locale, la cote laïus, réservée à l’auteur de la meilleure dissertation française, et qui valait à son titulaire le privilège de prononcer un discours, la cote bébé pour le conscrit le plus joufflu, la cote lèche, la cote chamô, sanctionnant les succès féminins de l’impétrant, la cote gnouf, les cotes éléphant, soulographe, podneu, maboul, dégueulasse, magnan-phana, p’tit n’Ange et enfin la cote rogne dont le titulaire enfermé dans une cage d’osier était lancé du haut de l’amphi jusqu’à l’estrade sur le fil d’un téléphérique improvisé.
Parmi les cotes tôt disparues, signalons les cotes mascotte, pet de nonne, époil, pépin, lendit (major en éducation physique), et la cote Chambergeot décernée le cas échéant au premier prix de mathématiques au Concours général.
En 1880 fut attribuée au premier conscrit de race noire entré à l’École la cote nègre, afin qu’il soit, dès le début, délivré d’un éventuel complexe.
La séance des cotes s’achevait par la lecture du Code X, dont les conscrits reprenaient, en un chœur balbutiant, les articles successifs.
La fin du bahutage.
En 1966, les anciens votèrent pour savoir s’ils bahuteraient leurs conscrits. Le résultat du vote fut positif, et la promotion 67 fut bahutée ; mais ce fut la dernière. La tradition la plus ancienne et la plus significative de l’X s’est donc perdue à cette date.
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1. En particulier en 1906. lors de l’application d’une nouvelle loi sur le recrutement.
2. Selon la tradition. les « Kryptés » ont pris l’engagement de ne rien révéler des traitements qui leur avaient été appliqués.
3. Une exception toutefois : le jumelage des caserts. Pendant la semaine du bahutage, les conscrits de chaque casert apportaient leur petit déjeuner au lit à leurs anciens du casert jumelé.
4. Rébus indéchiffrable pour les non-initiés, Le para Graff, Graff était capitaine parachutiste en service à l’Ecole.
5. Professeur d’économie politique
6. Cabaretière de la rue de la Montagne-Sainte-Geneviève.
7. Certaines Kommiss ajoutaient une cote 69, sur laquelle nous ne fournirons aucune précision.