Le bâtiment intelligent, nouveau venu dans la transition énergétique
Les bâtiments sont responsables d’une grande part de la consommation énergétique (44 % en France selon l’Ademe). Les défis environnementaux (réduction de l’empreinte carbone), de transition énergétique (décentralisation de la production avec des sources renouvelables), de transport (avec une forte augmentation attendue de véhicules électriques) et de communication (objets connectés, gros volumes de données…) nécessitent que ces bâtiments deviennent des acteurs énergétiques. Dans cet objectif, Trend‑X s’emploie à modéliser des systèmes de gestion énergétique et à développer des démonstrateurs avec des bâtiments du campus.
Apporter au réseau électrique la flexibilité nécessaire constitue un formidable défi scientifique, industriel et sociétal, avec de multiples interrogations : comment prendre en compte les incertitudes de prévision de production et consommation pour la gestion efficace d’un microréseau ? Quelle est la gestion optimale de l’énergie d’un bâtiment dans le contexte de son quartier et de sa région ? Dans quelle mesure les consommateurs peuvent-ils jouer un rôle dans la gestion intelligente d’un bâtiment ?
REPÈRES
Un cadre réglementaire existe désormais correspondant à l’autoconsommation individuelle et collective en France (loi n° 2017-227 du 24 février 2017) ; 40 000 foyers en autoconsommation sont attendus pour 2018 et 4 millions à l’horizon de 2030 selon l’association Think Smart Grids ; la tarification est en train d’évoluer et de s’adapter. Les producteurs deviennent « consom’acteurs » de petits systèmes, ou microréseaux, interconnectés, qui peuvent avoir des moyens de stockage et échangent avec le réseau électrique principal qui, à son tour, bénéficie de la flexibilité que ces microréseaux peuvent lui apporter.
Le bâtiment intelligent, clé pour la flexibilité
Dans le contexte de la transition énergétique, un bâtiment intelligent a trois caractéristiques principales. D’abord l’efficacité : il consomme l’énergie nécessaire à ses fonctions primaires et au confort de ses occupants, mais avec sobriété ; il doit ensuite être autoproducteur : il génère et autoconsomme une partie de cette énergie à partir de sources renouvelables. Les moyens de production d’énergie peuvent être de diverses natures, les plus habituels étant l’énergie solaire d’origine photovoltaïque et thermique. Enfin, il doit être flexible : capable de s’adapter à des contraintes soit internes soit externes (du réseau). La flexibilité peut être apportée par une gestion locale de l’électricité, notamment à partir de la modulation de la consommation et du stockage/déstockage.
Les bâtiments intelligents sont naturellement adaptés à l’accueil des énergies renouvelables, notamment le solaire thermique et photovoltaïque, qui s’intègrent en toiture ou en façade de manière simple.
Les bâtiments intelligents offrent une opportunité de développement économique, notamment autour des solutions numériques, liées à l’internet des objets et à la domotique.
Si un marché est bien en train de se créer pour l’autoconsommation individuelle ou collective, avec des tarifs qui la rendent compétitive, il n’est qu’en début de maturation. Des démonstrateurs regroupant plusieurs industriels, comme les projets Kergrid (morbihan-energies.fr/kergrid), IssyGrid (issygrid.com) et Nice Grid (nicegrid.fr), participent à cette maturation. L’inclusion de partenaires académiques dans ce type de démonstrateurs permet de pousser l’innovation dans les solutions.
Des démonstrateurs de bâtiments intelligents à l’X
Dans ce contexte, la démarche de Trend‑X vise à modéliser des systèmes de gestion énergétique et à développer des démonstrateurs avec trois bâtiments. La modélisation des systèmes de gestion énergétique, intégrant production, stockage et consommation, repose d’une part sur la modélisation mathématique : il s’agit de développer des algorithmes de gestion et de prévision de la ressource et de la consommation, tirant parti des prévisions météorologiques et de méthodes statistiques pour optimiser les choix d’énergie et de stockage. Elle repose également sur la modélisation physique, où un micro-réseau est simulé à l’échelle réduite avec un panneau solaire, une éolienne, une batterie de stockage et des émulateurs de consommation et de source d’énergie secondaire (typiquement le réseau national). Dans le cadre de Trend‑X, le soutien du Siebel Energy Institute et la collaboration de plusieurs laboratoires – LMD, LPICM, GeePs, Laboratoire d’informatique pour la mécanique et les sciences de l’ingénieur (Limsi) – ont permis la construction de ce microréseau, baptisé NRLAB. Ce microréseau simule à l’échelle réduite le fonctionnement des bâtiments de taille réelle détaillés ci-dessous et de tester des scénarios de gestion de ces bâtiments. Ce microréseau NRLAB, installé dans une salle du LMD et à disposition de tout le consortium Trend‑X, est un outil innovant pour la recherche et l’enseignement. En effet, NRLAB est utilisé comme support de travaux pratiques pour des enseignements dispensés dans les parcours d’approfondissement du cycle polytechnicien, des graduate degrees et de la formation continue dispensée dans l’Executive Education de l’X.
Les modélisations mathématique et physique permettent de caractériser le système de gestion en fonctionnement, l’améliorer du point de vue algorithmique et l’adapter à des bâtiments de taille réelle. Le développement de démonstrateurs à taille réelle permet d’intégrer un élément fondamental du bâtiment : la présence d’usagers. Optimiser le fonctionnement de bâtiments intelligents nécessite d’étudier le comportement des usagers, par exemple par des méthodes de type nudge (voir article page 46) pour assurer une meilleure adéquation entre pic de consommation et pic de production.
Dans le cadre de Trend‑X, les démonstrateurs en développement sont de deux types : des bâtiments à usage tertiaire, bien adaptés à l’installation photovoltaïque, avec un profil de consommation élevé dans la journée, aux moments de production maximale, et des bâtiments à usage d’habitation, qui intègrent de nombreux logements partageant des ressources d’autoproduction et des outils de gestion collective.
Démonstrations en grandeur réelle
L’objectif de ces démonstrateurs est de combiner des données de mesures (production, consommation, niveau de charge des batteries…) et des caractéristiques comportementales pour estimer le potentiel de flexibilité de consommation énergétique, pour gérer de façon optimale le bâtiment. Trois bâtiments du campus de l’École polytechnique font l’objet d’études : le Drahi‑X Novation Center, qui héberge des start-up, des équipes de recherche académique, des équipes industrielles de R & D, un fablab et des bureaux d’étudiants, est le premier démonstrateur de microréseaux développé dans Trend‑X. Il est construit sur un bâtiment existant et compte avec la collaboration de plusieurs PME et start-up (comme e‑Lum et SpinalCom) et de groupes de recherche interdisciplinaires. Le bâtiment de l’observatoire du climat Sirta est également un bâtiment à usage tertiaire. Ce nouveau bâtiment, qui verra le jour en 2020, a été conçu dès le départ avec un réseau électrique indépendant permettant l’autoconsommation à partir d’une ferme photovoltaïque, un système de stockage fixe et mobile (véhicule électrique) et des espaces pour l’expérimentation et la pédagogie. Il sera ouvert aux étudiants, pour y réaliser des projets sur les énergies renouvelables mais aussi au public en général pour des visites, séminaires et événements autour du climat et de l’énergie.
L’utilisation de bâtiments d’usages différents permettra une étude comparée des modes de gestion et d’optimisation, et des comportements des usagers. Ces travaux combinant prévisions de la production et de la consommation énergétique, analyse des mesures, optimisation mathématique, analyse des comportements font collaborer des chercheurs de disciplines variées (géophysique au LMD, mathématiques appliquées et informatique au CMAP et LIX, gestion à I3) et doivent permettre des innovations conséquentes dans la façon de gérer les bâtiments intelligents, comme le contrôle prédictif.
Du bâtiment à la ville
Les démonstrateurs de bâtiments intelligents sont avant tout des outils de recherche. Cependant le projet Trend‑X vise aussi à déployer des versions optimisées et stabilisées de ces démonstrateurs de façon massive dans les territoires, en impliquant les communes volontaires. Dans le cadre du projet Écoblock, la municipalité volontaire du projet américain est la ville d’Oakland, en Californie. Dans le contexte de Trend‑X, le territoire francilien est tout naturellement à explorer pour déployer notre démonstrateur d’Écoblock. Par exemple, la ville de Paris s’est fixée pour objectif dans son plan climat d’être une ville 100 % écorénovée aux bâtiments bas carbone et à énergie positive, avec notamment la rénovation d’un million de logements d’ici 2050. L’analyse économique de ces enjeux économiques, environnementaux et sociaux sera pilotée au sein de Trend‑X par le Crest, et abordée dans la formation du graduate degree Smart Cities and Urban Policy.
Les enjeux sont d’identifier les quartiers à rénover et à instrumenter, puis d’y déployer les solutions techniques développées à l’échelle d’un bâtiment. La société nam.R spécialisée en intelligence artificielle devrait soutenir le programme Trend‑X pour travailler sur l’identification des quartiers d’habitation où déployer notre démonstrateur Écoblock. Le déploiement massif du démonstrateur opérationnalisé nécessitera une association forte entre collectivités territoriales et industriels.
Le bâtiment bachelor, démonstrateur d’autoconsommation collective
Le bâtiment Bachelor doit héberger jusqu’à 480 personnes au cœur du campus à partir de la rentrée 2019. Sa surface en toiture importante, ses logements avec des formats différents et des moyens de production et gestion centralisés font de ce bâtiment un terrain d’application propice à la gestion collective, la coopération et l’étude du rôle des consommateurs. Total va l’équiper à cet effet dans le cadre d’une collaboration de recherche avec l’École. Ce bâtiment sera un des premiers démonstrateurs d’autoconsommation collective et constituera le démonstrateur français du projet international Écoblock conduit en collaboration avec l’université de Berkeley.
Des objectifs ambitieux
Si l’Union européenne a inscrit l’objectif de 27 % d’énergie renouvelable dans son bouquet énergétique pour 2030, la France en a de plus ambitieux avec 32 % à l’horizon 2030, et 40 % en ce qui concerne la production d’électricité.