Le big data peut-il accélérer la transition écologique des bâtiments ?
La réglementation incite et même oblige les propriétaires à rénover les bâtiments qu’ils possèdent pour accompagner la transition écologique conduite au niveau national. De nombreuses et significatives aides ont été mises en place à cette fin. Pourtant l’effet en est limité et la France prend du retard dans ce domaine. Cela s’explique notamment par les incertitudes qui pèsent sur les propriétaires. Or le big data permet de développer des outils qui éclairent les décideurs et leur permettent de choisir les 20 % d’investissements qui auront une efficacité de 80 %.
L’urgence écologique génère des attentes très fortes sur la transformation du parc de bâtiments. D’abord sur la réduction de leur empreinte carbone : l’Europe s’est engagée à réduire les émissions du bâtiment de 60 % d’ici 2030. Les leviers de mise en œuvre sont essentiellement liés à la rénovation énergétique et à l’exploitation du potentiel de production d’énergies renouvelables associées au bâtiment (solaire notamment).
Un renforcement du reporting
Ensuite, sur l’estimation de leur vulnérabilité face au changement climatique et sur l’identification de mesures d’adaptation. La directive européenne CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) impose aux entreprises de plus de 250 salariés de prendre en compte des risques climatiques, dits « physiques » et « de transition », dans leur reporting extrafinancier. Une évaluation rigoureuse des impacts climatiques physiques susceptibles d’affecter l’activité de l’entreprise devra être réalisée, en se fondant sur des projections climatiques à court, moyen et long termes. L’exposition du portefeuille immobilier de ces entreprises constitue une part significative de ce reporting et nécessite une donnée qualifiée au bâtiment.
La préservation des ressources naturelles
Enfin, la préservation des ressources naturelles (eau et biodiversité) constitue également une contrainte pour l’évolution du parc immobilier : repenser les formes urbaines pour intégrer la nature en ville, recréer les trames vertes et bleues dans les territoires tout en répondant aux objectifs de production de logements, trouver des solutions pour préserver la ressource en eau d’un point de vue qualitatif et quantitatif dans des territoires artificialisés. Et tout cela dans un contexte de développement territorial avec un objectif de zéro artificialisation nette des sols : ce qui signifie qu’il faut prioritairement agir sur le parc de bâtiments « déjà-là ». Transformer le bâti existant, c’est en effet garantir des logements habitables en 2050 pour éviter d’avoir à reconstruire du neuf sur des surfaces agricoles ou naturelles ailleurs. C’est une bonne nouvelle : en rénovant les bâtiments, non seulement on évite des émissions carbone en limitant les consommations d’énergie, mais encore on préserve la biodiversité en limitant la consommation d’espace liée à notre habitat.
Rénover, c’est possible
Contrairement à d’autres défis de la transition écologique, rénover le parc bâti semble une action réalisable : il y a des solutions techniques existantes, il y a des filières structurées (même si pas encore assez développées), il y a des lois contraignantes, il y a des dispositifs d’aide financière pour inciter les propriétaires à agir. Bref, nous sommes prêts ! S’agissant des solutions techniques pour l’efficacité énergétique, il faut avant tout travailler sur l’enveloppe et son isolation afin de limiter les déperditions en hiver ; et cela permettra aussi d’assurer un meilleur confort d’été. Un second axe est de travailler sur l’efficacité des modes de production de chauffage et d’eau chaude sanitaire, avec la mise en œuvre de pompes à chaleur par exemple ; puis si possible de décarboner la source de production avec des énergies renouvelables telles que des panneaux solaires ou de la géothermie.
Avoir une approche systémique
Ces solutions techniques permettent d’agir sur l’impact carbone du bâti, mais il est d’autant plus intéressant de jouer sur l’ensemble des axes environnementaux, car la transition écologique est systémique. Les solutions sont plus variées et touchent à la fois aux systèmes, aux matériaux et aux usages. Quelques exemples : ajouter une toiture végétalisée permet à la fois de ralentir le remplissage des bassins d’orage en cas de forte pluie, d’isoler le bâti et de créer un puits de biodiversité ; surélever un bâtiment permet d’éviter d’artificialiser de nouveaux terrains ; multiplier les usages pour créer de l’hyper-occupation ; ou encore utiliser des matériaux recyclés ou biosourcés dans la rénovation. Il est donc vraiment essentiel d’analyser la rénovation du bâti en fonction de sa décarbonation, mais aussi d’estimer son impact sur l’eau et le ruissellement, ses risques climatiques (comme l’inondation par exemple), le phénomène d’îlot de chaleur ou encore la densification. Un bâtiment rénové peut participer de manière positive à l’ensemble de ces impacts, s’il est évalué de manière multicritère… C’est là qu’on a besoin de modèles complexes !
Rénover, c’est obligatoire
En outre, l’évolution récente de la réglementation a créé de nombreuses incitations pour entreprendre la rénovation énergétique du parc bâti. Pour les entreprises, le décret tertiaire paru en juillet 2019 impose aux locataires et propriétaires de bâtiments dont la surface est égale ou supérieure à 1 000 m² un suivi et une diminution de leurs consommations énergétiques. Pour les particuliers, la loi climat et résilience impose aux propriétaires de logements énergivores toute une série de contraintes progressives dans le temps pour les inciter à réaliser des travaux de rénovation énergétique : gel des loyers, interdiction de location, obligation de réaliser un audit énergétique avant une vente… À noter : la loi considère progressivement les passoires thermiques comme des logements indécents, ce qui signifie par exemple qu’un locataire peut exiger l’exécution de travaux de rénovation énergétique pour faire évoluer l’étiquette énergétique du logement.
Les aides financières
Un deuxième axe réglementaire incitatif concerne le déploiement de projets solaires : pour les entreprises, le fait d’installer des panneaux solaires en toiture peut être un axe de réponse au décret tertiaire, si l’énergie produite est utilisée en autoconsommation. En outre, la loi d’accélération des énergies renouvelables contraint les entreprises à solariser les parkings de plus de 1 500 m². Enfin la contrainte du « zéro artificialisation nette » associée à la loi climat et résilience génère aussi une forte incitation à rénover le bâtiment existant, puisque les projets en extension urbaine seront largement mis en difficulté par cet objectif.
Toutes ces mesures créent un cadre de contraintes fort dont on pourrait attendre qu’il déclenche une massification des décisions de rénovation. De plus, l’État et les collectivités territoriales ont mis en œuvre de nombreuses aides financières pour accompagner les propriétaires dans la rénovation du parc. Le budget consacré en 2023 à MaPrimeRénov (principale aide de l’État pour la rénovation énergétique) est fixé à 2,4 milliards d’euros, comme en 2022, auxquels s’ajoutent près de 600 millions d’euros pour la version MaPrimeRénov’ Sérénité. L’objectif est de favoriser les rénovations les plus performantes et d’accentuer le soutien aux ménages modestes. À cela s’ajoutent les dispositifs CEE (certificats d’économie d’énergie), les aides locales versées par les collectivités, d’autres dispositifs financiers incitatifs comme l’exonération partielle de taxe foncière.
Mais alors, pourquoi un tel retard ?
Force est de constater que l’ensemble de ces mesures ne produit pas les effets escomptés et que la France est toujours en retard pour tenir les engagements pris dans la Stratégie nationale bas carbone pour 2050. Plusieurs raisons peuvent expliquer ce manque de succès, notamment : la défiance des particuliers vis-à-vis des artisans après les scandales médiatisés sur les arnaques associées à la rénovation énergétique, le manque de confiance dans le diagnostic de performance énergétique du bâtiment (cf. les nombreuses études mettant en lumière les résultats approximatifs voire complètement incohérents en matière de DPE), la complexité administrative pour mobiliser les aides, le manque d’accompagnement des particuliers pour monter des projets anxiogènes et techniquement complexes et, bien sûr, le coût important des projets qui ont réellement un impact.
La limite des gestes isolés
Car oui, malgré les nombreuses études (notamment menées par l’Institut de l’économie pour le climat I4CE) et les publications plaidant pour des approches globales de rénovation, la majorité des gestes de rénovation énergétique effectués par les propriétaires aujourd’hui concernent des gestes de rénovation isolés. Or ces gestes isolés, bien qu’ayant un coût bien entendu moins élevé, ne produisent pas les effets attendus. C’est ainsi qu’une enquête récente de 60 Millions de consommateurs met en lumière de nombreuses plaintes de ménages concernant les installations de pompes à chaleur qui, si elles ne sont pas installées dans des logements ayant déjà une bonne isolation thermique, peuvent générer des ressentis de froid, de fortes consommations d’énergie… bref, du mécontentement.
À cela s’ajoute le comportement des ménages consistant à n’agir qu’une fois sur un bâtiment en matière de rénovation énergétique : l’inconfort durant les travaux, le fait d’avoir épuisé une enveloppe financière liée au projet…Tout cela fait que, une fois une opération réalisée, les ménages ne veulent plus y revenir, même si on leur démontre qu’ajouter tel geste ou tel autre aurait un bien meilleur bénéfice sur l’isolation de leur bien, donc leurs économies d’énergie et la valorisation de leur logement à terme.
L’exemple de Vierzon
Chez namR, nous avons mené une étude sur le centre ancien de Vierzon, pour caractériser plus finement la « performance » des gestes de rénovation énergétique. Grâce à notre jumeau numérique du bâti, nous sommes capables de donner une estimation, par bâtiment, du coût des travaux de rénovation, geste par geste ou en rénovation globale, et d’y associer des bénéfices (baisse de consommation d’énergie, baisse d’émission carbone, économies sur la facture). Nous avons simulé sur l’ensemble de ce secteur tous les gestes possibles et les métriques associées (coûts de chaque geste, économies d’énergie associées).
Cette simulation a fait apparaître un principe classique de Pareto : il est possible d’atteindre 80 % des économies d’énergie sur le territoire en allant chercher les 20 % des gestes travaux les plus performants. Ce que cette analyse nous montre également, c’est que la majorité des gestes travaux sur les bâtiments résidentiels ont une faible efficacité (au sens coût des travaux-économie d’énergie générée). Ainsi, distribuer des aides publiques à la rénovation énergétique sans cibler finement le geste (ou plus généralement le bouquet de gestes) performant génère massivement : une mauvaise utilisation de l’argent public et la contamination générale de la population autour de la conviction que la rénovation énergétique coûte cher et ne sert à rien.
Des injonctions contradictoires
Enfin, la dynamique de rénovation peut être freinée par des contradictions potentielles liées à la complexité de la prise en compte des enjeux climatiques : on me dit d’isoler ma toiture, mais est-ce que je devrais aussi envisager l’installation de panneaux solaires pour sécuriser l’approvisionnement en énergie de mon logement ? Ou plutôt végétaliser la toiture pour réduire l’effet d’îlot de chaleur urbain en cas de canicule ? Lorsque j’ai acheté mon logement, mon agent immobilier me présentait l’installation au gaz comme une solution économique et performante, or la crise énergétique actuelle montre les limites de ce choix, est-ce que je dois investir dans une pompe à chaleur ou est-ce encore un effet de mode qui sera critiqué dans quelques années ? Les injonctions contradictoires, les convictions antérieures perpétuellement remises en cause freinent les prises de décision des propriétaires pour rénover leur bien.
L’efficacité de l’utilisation de la donnée
Face à ces difficultés de mise en œuvre concrète de la dynamique de rénovation écologique du bâtiment, notre conviction est que la réussite dépend d’un pilotage des actions, à la maille du bâtiment, pour stopper l’hémorragie de gestes inefficaces qui génère un sentiment partagé d’impuissance et donc de l’immobilisme dans les prises de décision.
“Le big data permet l’accélération de la transition écologique des bâtiments.”
Chez namR, nous avons développé une base de données unique qui permet de caractériser tous les bâtiments d’un territoire, la France – soit 34 millions de bâtiments –, du point de vue de leur morphologie (mesures du bâtiment, matériaux de toiture, etc.) et du point de vue de chacun des axes de potentiel écologique, de développement et de transformation des bâtiments (sur ces trois axes : réduction du carbone, résilience face au changement climatique et développement harmonieux avec la nature). Pour chacun de ces axes, les données permettent de cibler les meilleures solutions d’évolution et de rénovation de chacun des bâtiments.
Il s’agit ainsi de donner la possibilité aux acteurs associés à la chaîne de valeur du bâtiment d’activer le potentiel écologique d’un bâtiment, d’un portefeuille immobilier, d’un territoire, avec des recommandations métiers précises et concrètes pour (re)valoriser ces actifs.
Des objectifs ambitieux
Pour ce faire, utiliser toutes les données que l’on possède ou que l’on peut créer sur ces bâtiments (à l’aide machine learning, de computer vision, de règles métiers, etc.) permet de modéliser, de projeter, de simuler les meilleurs modèles multicontraintes, et de trouver les solutions les plus impactantes dans un monde écosystémique. Pour donner une image simple, notre objectif est de devenir le Waze de la transformation écologique du bâtiment : trouver le chemin le plus court, en intégrant les contraintes et objectifs des décideurs (faire des économies d’énergie, valoriser le bien immobilier, œuvrer pour la planète…) pour mettre le bâtiment dans un état dans lequel il sera toujours habitable en 2050.
Ces données, nous les livrons directement à nos clients qui les utilisent pour prioriser les bâtiments à rénover sur un territoire donné ou un parc de bâtiments, définir leur stratégie d’adaptation, se donner des objectifs compatibles avec les potentiels et contraintes réels. Nous les mettons en valeur également au travers de plateformes SaaS clés en main pour des usages précis : par exemple une solution de cadastre solaire pour les collectivités qui souhaitent engager les habitants de leur territoire dans la solarisation de leur toiture, ou une solution aujourd’hui distribuée notamment par les banques pour révéler le projet et le budget associé à différents scénarios de rénovation énergétique sur une adresse donnée, et ainsi accélérer la distribution des « prêts verts ».
Nous travaillons aussi sur les questions d’adaptation du bâtiment aux changements climatiques, avec notamment une solution de prédiction des îlots de chaleur urbains qui permet de connaître finement sur un territoire le niveau d’exposition, mais aussi les principaux facteurs qu’il faudrait corriger pour lutter contre cet effet (ex. : taux d’artificialisation des sols, forme urbaine dense, etc.).
Des espoirs raisonnables
Le parcours dans nos plateformes est toujours orienté vers une action, car l’objectif est d’enclencher une prise de décision massive de rénovation, ciblée et efficace. Ce parti pris est également lié aux enseignements des neurosciences : pour s’engager dans la transition, nous avons besoin de nous projeter sur des solutions activables.
Savoir que son bien immobilier est exposé à un risque de retrait-gonflement d’argile (donc à des fissures) peut être source d’anxiété et d’immobilisme, mais connaître également les solutions adaptées à son bien (solutions techniques, solutions de financement) peut mettre dans une dynamique d’action. C’est pourquoi nous sommes convaincus que le big data permet l’accélération de la transition écologique des bâtiments par une action à la fois massifiée (on a les data sur tous les bâtiments de France) et personnalisée (on a les data de chacun des bâtiments de France). Les data permettent de se projeter, de mesurer, de cibler, de modéliser, de comparer des thématiques multicritères de la transition écologique.
Bien-Demain.fr
S’attaquer à la rénovation écologique des bâtiments existants, c’est sécuriser un lieu de vie pour les générations futures. 80 % des logements de 2050 sont déjà construits aujourd’hui : l’objectif est de garantir leur transformation pour qu’ils soient encore viables en 2050. Parce que la transition écologique des bâtiments concerne en premier lieu les particuliers, nous avons décidé de mettre à disposition sur Bien-Demain.fr les données inédites sur les biens résidentiels en France, afin d’éclairer les choix d’investissement et d’action de chacun.
Les (futurs) propriétaires peuvent décider d’investir et de rénover leur bien en connaissant les projets possibles à une adresse associés à la rénovation énergétique, au confort d’été, à l’installation de renouvelables, aux risques inondation, au recyclage et à la réutilisation de l’eau, etc. La transition écologique ne pourra se faire à grande échelle que si nous transformons la contrainte en une prise de conscience collective et arrivons à nous projeter vers un futur désirable, où nous serons bien demain.