Le bitcoin et la SEC : trois clés pour prendre de la hauteur
Alors que le débat sur la légitimité du bitcoin reste d’actualité au sein de la communauté polytechnicienne, la récente décision de la SEC (Securities and Exchange Commission) en faveur des ETF (Exchange traded funds) bitcoin spot invite à oser un nouveau regard sur la reine-mère des cryptomonnaies.
« Tout ce qui possède de la valeur dans le monde aujourd’hui ne la possède pas en soi, en vertu de sa nature – la nature est toujours dénuée de valeur – au contraire, une valeur lui a un jour été donnée et offerte, et c’est nous qui avons donné et offert ! C’est nous seuls qui avons d’abord créé le monde qui intéresse les hommes en quelque manière ! Mais c’est justement le fait de le savoir qui nous manque. » Nietzsche in Le Gai Savoir, § 301.
Quelle est la valeur du bitcoin en dehors de son prix ?
Si la première valeur du bitcoin est le réseau de paiement mondial, décentralisé et résilient qu’il permet d’utiliser, c’est ensuite la confiance qu’on lui fait et, partant, le nombre d’investisseurs et d’utilisateurs qu’il attire – donc nous – qui lui donnons sa valeur.
Sans doute le taux de pénétration de bitcoin dans l’économie réelle et sa rareté lui confèrent-ils également de la valeur, rareté voulue par le livre blanc de Satoshi Nakamoto pour éviter le phénomène de création monétaire illimitée. Or, depuis sa création en 2009, le réseau Bitcoin semble avoir fait preuve d’une certaine valeur, d’une certaine résilience, elles-mêmes éprouvées par des années de mise à l’index par la SEC (Securities and Exchange Commission). Les récents scandales des PDG fondateurs de FTX et Binance ont révélé des abus dans la gestion des actifs (rien de nouveau sous le soleil) et non dans le système technique du bitcoin, qui reste toujours à ce jour infalsifiable et non duplicable. À la différence de la plupart des actifs existants, il ne peut exister de faux bitcoins.
Quelle est la taille du marché des cryptomonnaies ?
La capitalisation totale du marché des cryptomonnaies est environ deux fois moins élevée que celle d’Apple (2 875 milliards de dollars pour Apple en janvier 2024). Nous parlons donc d’un micromarché à l’échelle de la finance mondiale institutionnelle et privée, encore sujet à des effets d’annonce car certains acteurs en détiennent de grandes quantités, ceux que l’on appelle les Whales. Avec la récente autorisation par la SEC de mise sur le marché des ETF (Exchange traded funds) bitcoin spot, on peut espérer que les effets d’annonce opérés en son temps par Elon Musk sur le bitcoin – mettant en évidence le FOMO si caractéristique de tous les marchés d’innovation (fear of missing out, cette peur de manquer quelque chose) – soient de moins en moins possibles, du fait de la réglementation renforcée sur le bitcoin et sur les actifs numériques, à l’instar de la réglementation qui s’applique sur les produits financiers.
À noter que la France est pionnière en la matière avec le cadre défini dès 2019 par la loi PACTE, qui crée à la fois un régime encadrant les PSAN (prestataires de services sur actifs numériques) et les Initial Coin Offerings (ICO) ou offres au public de jetons, « une opération de levée de fonds par laquelle une société ayant un besoin de financement émet des jetons, aussi appelés tokens, auxquels les investisseurs souscrivent principalement avec des cryptomonnaies » (définition de l’AMF). Le Parlement européen a lui-même adopté le Règlement européen sur les marchés de cryptoactifs (MiCA) le 20 avril 2023, qui renforce et uniformise cette réglementation.
Quels sont les freins à la confiance dans le bitcoin ?
Le bitcoin demande à ses utilisateurs d’être initiés. Les spécialistes du secteur disent qu’il faut 100 heures au minimum pour comprendre le bitcoin. Il faut donc fournir un effort conséquent pour faire sien son usage. Or l’on entend parfois dans des conversations la confiance mise de préférence dans la blockchain, et non dans le bitcoin, alors que le bitcoin est précisément le premier cas d’usage de la blockchain, moyen irréfutable de valider une transaction, de certifier l’existence d’un actif et de le rendre non duplicable et infalsifiable.
Cette blockchain publique désigne un registre décentralisé dans lequel chaque acteur du réseau peut lire et valider toutes les transactions du réseau, l’algorithme de consensus entre les mineurs permettant de s’assurer que les règles ont bien été respectées. En effet, il n’existe pas de sponsor centralisateur qui gère le bitcoin, selon le souhait initial de Satoshi Nakamoto qui, faut-il le rappeler, a publié son livre blanc en octobre 2008, au lendemain de la faillite de la banque Lehman consécutive à la crise des subprimes. Cette décentralisation qui substitue la transparence (via la blockchain) à la confiance (aux institutions financières centrales) bouscule un modèle très rassurant, celui d’un État à même de garantir la valeur et la stabilité de la monnaie.
On pourrait opposer que ce modèle rassurant concerne un nombre très limité de pays et qu’il n’y a ainsi rien d’étonnant à ce que les ressortissants des pays aux institutions centrales défaillantes soient naturellement plus enclins à faire confiance au bitcoin.
Ce que font les institutions
La toute récente validation par la SEC le 10 janvier 2024 des ETF bitcoin spot, de même que la validation par l’AMF depuis le 19 juillet 2023 de prestataires de services sur actifs numériques (PSAN) dans la foulée de la loi PACTE, vont dans le sens d’une reconnaissance de la résilience et de la légitimité du bitcoin. Certes la demande est aujourd’hui encore incertaine, la volatilité toujours présente, mais dorénavant le bitcoin fait officiellement partie des actifs de diversification du risque.
Larry Fink, le PDG de BlackRock, confère même au bitcoin le statut de valeur refuge plus sûre que l’or, prévoit la tokenisation (c’est-à-dire la valorisation et la matérialisation d’actifs réels dans le monde numérique) d’actifs réels tels que l’or comme évolution naturelle de la finance et s’est montré favorable au lancement d’un ETF Ethereum. Allons-nous connaître bientôt des financiers, investisseurs et épargnants crypto natives comme est apparue la génération des digital natives ? Que nous le voulions ou non, le bitcoin et les cryptoactifs sont aujourd’hui une réalité financière, les transferts de valeur qu’ils ont vocation à rendre possible vont devenir familiers à notre économie. Sans doute est-il dans notre intérêt d’apprendre bientôt à les connaître.