Le bitcoin et la SEC © mark-in / Adobe Stock

Le bitcoin et la SEC : trois clés pour prendre de la hauteur

Dossier : IntroductionMagazine N°792 Février 2024
Par Alix VERDET

Alors que le débat sur la légi­ti­mi­té du bit­coin reste d’actualité au sein de la com­mu­nau­té poly­tech­ni­cienne, la récente déci­sion de la SEC (Secu­ri­ties and Exchange Com­mis­sion) en faveur des ETF (Exchange tra­ded funds) bit­coin spot invite à oser un nou­veau regard sur la reine-mère des cryptomonnaies.

« Tout ce qui pos­sède de la valeur dans le monde aujourd’hui ne la pos­sède pas en soi, en ver­tu de sa nature – la nature est tou­jours dénuée de valeur – au contraire, une valeur lui a un jour été don­née et offerte, et c’est nous qui avons don­né et offert ! C’est nous seuls qui avons d’abord créé le monde qui inté­resse les hommes en quelque manière ! Mais c’est jus­te­ment le fait de le savoir qui nous manque. » Nietzsche in Le Gai Savoir, § 301.

Quelle est la valeur du bitcoin en dehors de son prix ? 

Si la pre­mière valeur du bit­coin est le réseau de paie­ment mon­dial, décen­tra­li­sé et rési­lient qu’il per­met d’utiliser, c’est ensuite la confiance qu’on lui fait et, par­tant, le nombre d’investisseurs et d’utilisateurs qu’il attire – donc nous – qui lui don­nons sa valeur.

Sans doute le taux de péné­tra­tion de bit­coin dans l’économie réelle et sa rare­té lui confèrent-ils éga­le­ment de la valeur, rare­té vou­lue par le livre blanc de Sato­shi Naka­mo­to pour évi­ter le phé­no­mène de créa­tion moné­taire illi­mi­tée. Or, depuis sa créa­tion en 2009, le réseau Bit­coin semble avoir fait preuve d’une cer­taine valeur, d’une cer­taine rési­lience, elles-mêmes éprou­vées par des années de mise à l’index par la SEC (Secu­ri­ties and Exchange Com­mis­sion). Les récents scan­dales des PDG fon­da­teurs de FTX et Binance ont révé­lé des abus dans la ges­tion des actifs (rien de nou­veau sous le soleil) et non dans le sys­tème tech­nique du bit­coin, qui reste tou­jours à ce jour infal­si­fiable et non dupli­cable. À la dif­fé­rence de la plu­part des actifs exis­tants, il ne peut exis­ter de faux bitcoins.

Quelle est la taille du marché des cryptomonnaies ? 

La capi­ta­li­sa­tion totale du mar­ché des crypto­monnaies est envi­ron deux fois moins éle­vée que celle d’Apple (2 875 mil­liards de dol­lars pour Apple en jan­vier 2024). Nous par­lons donc d’un micro­marché à l’échelle de la finance mon­diale insti­tutionnelle et pri­vée, encore sujet à des effets d’annonce car cer­tains acteurs en détiennent de grandes quan­ti­tés, ceux que l’on appelle les Whales. Avec la récente auto­ri­sa­tion par la SEC de mise sur le mar­ché des ETF (Exchange tra­ded funds) bit­coin spot, on peut espé­rer que les effets d’annonce opé­rés en son temps par Elon Musk sur le bit­coin – met­tant en évi­dence le FOMO si carac­té­ris­tique de tous les mar­chés d’innovation (fear of mis­sing out, cette peur de man­quer quelque chose) – soient de moins en moins pos­sibles, du fait de la régle­men­ta­tion ren­for­cée sur le bit­coin et sur les actifs numé­riques, à l’instar de la régle­men­ta­tion qui s’applique sur les pro­duits financiers.

À noter que la France est pion­nière en la matière avec le cadre défi­ni dès 2019 par la loi PACTE, qui crée à la fois un régime enca­drant les PSAN (pres­ta­taires de ser­vices sur actifs numé­riques) et les Ini­tial Coin Offe­rings (ICO) ou offres au public de jetons, « une opé­ra­tion de levée de fonds par laquelle une socié­té ayant un besoin de finan­ce­ment émet des jetons, aus­si appe­lés tokens, aux­quels les inves­tis­seurs sous­crivent prin­ci­pa­le­ment avec des crypto­monnaies » (défi­ni­tion de l’AMF). Le Par­le­ment euro­péen a lui-même adop­té le Règle­ment euro­péen sur les mar­chés de cryp­toac­tifs (MiCA) le 20 avril 2023, qui ren­force et uni­for­mise cette réglementation.

Quels sont les freins à la confiance dans le bitcoin ? 

Le bit­coin demande à ses uti­li­sa­teurs d’être ini­tiés. Les spé­cia­listes du sec­teur disent qu’il faut 100 heures au mini­mum pour com­prendre le bit­coin. Il faut donc four­nir un effort consé­quent pour faire sien son usage. Or l’on entend par­fois dans des conver­sa­tions la confiance mise de pré­fé­rence dans la blo­ck­chain, et non dans le bit­coin, alors que le bit­coin est pré­ci­sé­ment le pre­mier cas d’usage de la blo­ck­chain, moyen irré­fu­table de vali­der une tran­sac­tion, de cer­ti­fier l’existence d’un actif et de le rendre non dupli­cable et infalsifiable.

Cette blo­ck­chain publique désigne un registre décen­tra­li­sé dans lequel chaque acteur du réseau peut lire et vali­der toutes les tran­sac­tions du réseau, l’algorithme de consen­sus entre les mineurs per­met­tant de s’assurer que les règles ont bien été res­pec­tées. En effet, il n’existe pas de spon­sor cen­tra­li­sa­teur qui gère le bit­coin, selon le sou­hait ini­tial de Sato­shi Naka­mo­to qui, faut-il le rap­pe­ler, a publié son livre blanc en octobre 2008, au len­de­main de la faillite de la banque Leh­man consé­cu­tive à la crise des sub­primes. Cette décen­tra­li­sa­tion qui sub­sti­tue la trans­pa­rence (via la blo­ck­chain) à la confiance (aux ins­ti­tu­tions finan­cières cen­trales) bous­cule un modèle très ras­su­rant, celui d’un État à même de garan­tir la valeur et la sta­bi­li­té de la monnaie.

On pour­rait oppo­ser que ce modèle ras­su­rant concerne un nombre très limi­té de pays et qu’il n’y a ain­si rien d’étonnant à ce que les res­sor­tis­sants des pays aux ins­ti­tu­tions cen­trales défaillantes soient naturelle­ment plus enclins à faire confiance au bitcoin.

Ce que font les institutions

La toute récente vali­da­tion par la SEC le 10 jan­vier 2024 des ETF bit­coin spot, de même que la vali­da­tion par l’AMF depuis le 19 juillet 2023 de pres­ta­taires de ser­vices sur actifs numé­riques (PSAN) dans la fou­lée de la loi PACTE, vont dans le sens d’une recon­nais­sance de la rési­lience et de la légi­ti­mi­té du bit­coin. Certes la demande est aujourd’hui encore incer­taine, la vola­ti­li­té tou­jours pré­sente, mais doré­na­vant le bit­coin fait offi­ciel­le­ment par­tie des actifs de diver­si­fi­ca­tion du risque.

Lar­ry Fink, le PDG de Bla­ckRock, confère même au bit­coin le sta­tut de valeur refuge plus sûre que l’or, pré­voit la toke­ni­sa­tion (c’est-à-dire la valo­ri­sa­tion et la maté­ria­li­sa­tion d’actifs réels dans le monde numé­rique) d’actifs réels tels que l’or comme évo­lu­tion natu­relle de la finance et s’est mon­tré favo­rable au lan­ce­ment d’un ETF Ethe­reum. Allons-nous connaître bien­tôt des finan­ciers, inves­tis­seurs et épar­gnants cryp­to natives comme est appa­rue la géné­ra­tion des digi­tal natives ? Que nous le vou­lions ou non, le bit­coin et les cryp­toac­tifs sont aujourd’hui une réa­li­té finan­cière, les trans­ferts de valeur qu’ils ont voca­tion à rendre pos­sible vont deve­nir fami­liers à notre éco­no­mie. Sans doute est-il dans notre inté­rêt d’apprendre bien­tôt à les connaître.


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