Le bois dans l’aménagement intérieur, en particulier dans l’ameublement.
Matériau de vieille tradition paysanne puis artisanale dans l’aménagement global puis intérieur des habitats français, le bois apparaît facilement comme une valeur sûre, aussi fondamentale que la pierre, la terre, le lait ou le pain, si l’on considère l’accumulation du patrimoine de structures, de menuiseries, de meubles, de décoration qu’il constitue dans les musées, vieilles demeures et châteaux, dans les salles des ventes ou chez les antiquaires, et l’importance qu’il peut avoir dans nos propres intérieurs, anciens ou modernes. On imagine facilement les sillons anciens et profonds d’amitié et de convivialité qu’il a dû graver dans notre inconscient pour que nous le désirions toujours aussi implicitement.
En 1997, Jacqueline Viaux Locquin, introduisant son livre remarquable1 sur les traces historiques du bois dans les meubles Les bois d’ébénisterie dans le mobilier français osait cette évidence : » le matériau le plus important dans le meuble est le bois « . Par ce raccourci péremptoire d’une longue étude historique des bois utilisés dans le meuble, elle signifiait le règne absolu du bois dans nos intérieurs depuis toujours, suggérant par là une probable pérennité de cette hégémonie. On peut cependant se poser des questions sur cette probabilité.
Des racines artisanales profondes
À l’origine le charpentier travaillant le bois massif en pièces menues pour en faire des meubles s’est appelé » huchier « , puis » menuisier « . Son savoir-faire a évolué à partir de 1670 vers un travail global incluant l’ébénisterie, c’est-à-dire la plaque de feuillets minces de bois précieux scié (aujourd’hui le placage) sur une structure en bois menuisé (technique importée de la Renaissance italienne, » intarsia »). Une scission s’est alors produite entre les extrêmes : les durs » menuisiers » et les purs » ébénistes « , qui ont toujours d’ailleurs leurs inconditionnels respectifs, à côté d’un centre consensuel d’artisans qui font l’un ou l’autre métier, ou les deux.
© C.T.B.A.
Néanmoins, de nos jours, l’artisan menuisier-ébéniste (ou plus communément, par un amalgame tacitement accepté, l’ébéniste), qui perpétue discrètement mais farouchement la tradition du meuble en bois ou plaqué bois, reste le témoin actuel de nos habitudes ancestrales de nous meubler en bois, et tient à maintenir son équilibre dans l’environnement commercial lourd et tapageur des meubles de série pour tous.
Ceux qui ont survécu aux crises du pouvoir d’achat se portent relativement bien, grâce à une fidélité aux règles techniques, à la rareté de l’offre de » sur mesure « , et à leur clientèle fidèle de proximité qui mise beaucoup sur la confiance, le rapport humain et la qualité. Leur avenir à long terme dépend largement d’une volonté politique de revaloriser le métier et son apprentissage, afin de préserver et de pérenniser la ressource irremplaçable de savoir-faire fondateur qu’il représente – véritable poule aux œufs d’or – face à des franchises commerciales qui en détournent l’image pour embellir la leur.
Soutenu par les pouvoirs publics et accompagné techniquement par le Centre technique du bois et de l’ameublement (CTBA), le label AEF » Artisans Ébénistes de France » est venu à temps (1993) pour assurer aux meilleurs d’entre eux une notoriété locale, à l’instar de l’appellation » Artisan boulanger » qui, elle, est protégée par décret, le meuble » à la française » valant bien le pain français, qui comme on sait est le meilleur du monde quand il est fait dans les règles de l’art.
Importance du bois dans le secteur, concurrence
La part du bois dans le meuble : un ratio, un coût d’achat
Bizarrement, aucune statistique fiable ne donne directement une idée exacte de la part du bois dans l’ameublement français artisanal et industriel. D’ailleurs cela a‑t-il un sens, et pour qui ? Cela intéresse au moins les gestionnaires de la filière bois de savoir s’il est en bonne place, stable ou en évolution, mais les fabricants comme les marchands de meubles s’en inquiètent en fait fort peu : l’Institut pour la promotion et l’étude de l’ameublement (IPEA), observatoire du marché, ne l’a pas inscrit comme une préoccupation dans ses études, et ne restitue aucun chiffre à ce sujet. Contrairement à la menuiserie extérieure, le bois des meubles n’aurait donc pas de concurrent sérieux.
Décoration tout bois pour un bureau. © C.T.B.A – PLANTIER
Une équipe d’étudiants de l’École supérieure du bois (ESB), chargés d’une étude initiatrice, avait extrapolé dans un cumul approximatif le coût relatif moyen, en Europe et pour les années quatre-vingt, des achats de matières bois et dérivés pour le seul secteur de l’ameublement, probablement à partir d’une enquête bruxelloise sur questionnaire aux pays membres de l’Union européenne de l’ameublement (UEA). Le ratio affirmé (sous toutes réserves, car on sait la fiabilité de telles enquêtes) était que 70 % des coûts d’achat de matières de l’ameublement (tous secteurs confondus) étaient relatifs à du bois massif, des placages et des panneaux dérivés du bois.
Or, si l’on considère que, dans le meuble français, les achats interviennent en moyenne à hauteur d’un tiers dans le coût de revient ; si l’on admet que le ratio de 0,7 n’a pas changé, que l’on part des chiffres officiels du Service des études et des statistiques industrielles (SESSI) pour l’année 2000, qui donnent un chiffre d’affaires industriel de l’ameublement au sens large (hors objets bois, mais avec literie, cuisine, bureau, etc.) de 9,7 milliards d’euros HT, auxquels on peut ajouter 1,3 milliard d’euros HT venant de l’artisanat du meuble, enfin, si l’on établit la marge producteur moyenne à 20 % du chiffre d’affaires, on obtient environ 2 milliards d’euros HT en valeur d’achat de bois et dérivés, rien que pour le secteur de l’ameublement.
Quant à en déduire des volumes, c’est une autre paire de… branches, car bien rares sont les scieurs et importateurs qui tiennent une comptabilité séparée entre clients menuisiers et clients fabricants de meubles ; et puis, il y a les panneaux, dans lesquels le bâtiment et l’agencement prennent leur part. Bref, le calcul détaillé reste difficile, mais le résultat serait plutôt rassurant pour le bois.
D’autres matériaux pour le meuble et la décoration
Néanmoins, par l’arrivée d’autres matériaux, la prééminence de l’emploi du bois tend à être démentie par le marché global des achats de meuble et de l’aménagement intérieur, quand bien même l’appétit de certaines catégories d’acheteurs pour le bois s’affirme plus fort que jamais, aiguisé par les démonstrations élitistes des revues de décoration. Car il n’est plus seul à prétendre à cette perception de matériau de choix : l’aluminium et le verre en particulier ont fait une entrée remarquée en ameublement, et y figurent noblement, après avoir été banalisés en décoration intérieure, cloisons, agencement et fenêtres.
Encore plus que les créateurs de meubles du passé, les designers contemporains ont cette ambition d’innover qui les fait rechercher et tester d’autres matériaux, un peu comme l’architecte qui cherche à sortir de la dictature du Nombre d’Or, à tel point qu’il est courant de voir des tables basses, des meubles pour téléviseur, des tablettes de salle de bains ou même des fauteuils en verre collé sur chant (collages spéciaux sous lampe UV), toutes choses impensables il y a dix ans.
Le » A » de CTBA
Pierre Malaval (52), ancien directeur général du CTBA, avait vite compris le dilemme et montré la voie, tout en militant pour la filière bois, de l’impérieux décrochage, pour l’avenir du Centre, que devait assumer le meuble vis-à-vis de son matériau historique. Le » A » du CTBA, introduit en 1984 et qu’on lui doit, entraînait un dédoublement des champs de recherche, de normalisation, d’essais, de conseil, de formation, de certification et de documentation du Centre technique du bois (CTB) pour deux groupes de métiers, bois et ameublement, au lieu de bois tout court, et impliquait bien que, suite à une demande forte de spécialisation, il y aurait désormais des missions spécifiques du Centre pour aider deux mondes : celui du bois (construction, scieries, préservation) et celui du meuble, multimatériaux, aux enjeux certes liés par un matériau commun, mais aux déterminismes différents.
Le bois fait de la résistance
Un nouvel appétit pour le bois
On perçoit cependant des déplacements de la consommation vers certaines formes d’aménagement, de décoration ou d’ameublement avec du bois : mode du meuble » massif » plutôt qu’en panneau plaqué ou imitation bois ; meubles de jardin en bois » durable » plutôt qu’en résine, qu’on a beaucoup vue, surtout dans ses imitations du bois ; bricolage en bois et panneaux ; parquet bois plutôt que moquette ou linoléum ; montée en puissance, en qualité et en prix de la haute décoration intérieure sur mesure en bois, tant dans les bâtiments collectifs (comme la Cité judiciaire de Bordeaux) que dans l’habitat individuel. Toutes ces tendances montrent que les architectes d’intérieur, les décorateurs et les particuliers prennent plus au sérieux les avantages nombreux du bois.
Verre, Medium density fiberboard, acier. Gran piano de L. et M. Vigneli. © C.T.B.A.
Que ce soit sous l’angle fonctionnel : absence d’acariens, amortissement acoustique, ergonomie et souplesse (lattes de sommier), durabilité, facilité d’usinage, ou sous celui du contenu affectif et esthétique, le bois apporte incontestablement de bonnes et rassurantes réponses, et qui plus est en nombre et sous des aspects à l’infini : le Viêtnam utilise actuellement plus de cent espèces de bois différentes, dont nombreuses nous sont totalement inconnues… Rien qu’à la lettre A, le Cirad-Forêt2 donne une nomenclature mondiale de plus de 1 000 essences.
L’envie de retrouver dans nos décors quotidiens – habitat, bureau, lieux de réunion, de sport, lieux publics – l’authenticité de nos racines paysannes peut prendre le pas sur le diktat des standards industriels et des matériaux, que sont le béton, l’acier et le verre. Il est donc possible que, globalement, la consommation du bois à l’intérieur du bâtiment se maintienne à un bon volume, malgré la concurrence des nouveaux matériaux, malgré les tentatives des designers de sortir de la logique lourde du bois. Mais la production et la vente de meubles ou d’agencements en bois sont-elles des critères déterminants du succès de la filière ameublement-décoration intérieure ?
La marque NF ameublement : un outil phare pour promouvoir la qualité, notamment du bois
Créée en 1954, historiquement nécessaire pour distinguer la bonne qualité issue des bonnes pratiques, notamment en matière de bois, puis de panneaux, la marque NF ameublement s’est depuis vingt ans davantage attachée aux performances et à la sécurité. Gérée depuis son origine par le CTB, puis le CTBA sous mandat de l’Afnor, elle s’est diversifiée sur différentes catégories de meubles, du domestique au collectif, mais également, dans le mobilier domestique intérieur, en plusieurs strates correspondant à des marchés différents par les pouvoirs d’achat.
C’est ainsi que sont distinguées : NF Référence, qui certifie la conformité aux normes, NF Exigence qui est le signe d’une durabilité supérieure, et NF Prestige qui distingue les meubles de haut design contemporain en excellents matériaux et les meubles de style faits selon des règles de l’art éprouvées. Pour l’ensemble de ses applications domestiques et collectives, elle rassemble plus de 200 fabricants volontaires, titulaires du droit d’usage, dont 4 d’autres pays européens.
En matière de bois et de garantie de qualité, la marque NF est intéressante car elle a donné aux fabricants des règles qualitatives contrôlables face à l’empirisme dominant : les cahiers des charges d’achat de bois sont maintenant passés dans les mœurs, s’appuyant soit sur les classements américains ou scandinaves, soit sur les classements européens (d’initiative CTBA), en ce qui concerne le chêne, les résineux, le peuplier et le hêtre, à l’étude pour le merisier.
Elle permet également de garantir une stabilité à l’usage si les bois sont suffisamment secs à la mise en œuvre : pour des ventes en France métropolitaine, entre 8 et 12 % d’humidité interne, voire 8 à 10 pour les pièces larges, ce qui fait l’objet de contrôles en usine systématiques vérifiés lors des visites d’inspection. Elle accompagne la vente avec des conseils judicieux, soit d’emploi comme d’éviter l’exposition du bois au soleil ou la proximité des radiateurs, soit d’entretien comme d’éviter la surabondance de cire…
Évolutions récentes
On a assisté en France depuis cinquante ans d’une part à une démocratisation du meuble de style, surtout en bois, par la grâce de l’industrialisation de procédés artisanaux (lourde étude » industrialisation du meuble massif « , au CTBA, 1978–1981), d’autre part à l’émergence d’une fabrication de meubles industriels de très grande série, puis de meubles en kit en panneaux introduits après-guerre (avec notamment l’arrivée du panneau de particules, du stratifié décoratif, du panneau surfacé mélaminé et plus récemment du panneau de fibres de densité moyenne), dont la qualité à l’utilisation, parfois remarquable, n’a pas toujours été aussi durable que souhaitée, suite à des erreurs de conception, de communication et à une recherche de bas prix de revient.
Chaise à voile, F. Azambourg.
Acier, contreplaqué fin,
mousse néoprène © C.T.B.A.
Par effet de balancier largement exploité par les producteurs s’est accentuée la demande de » vrai bois massif » dans le meuble traditionnel, ainsi que de bois nouveaux typés » luxe clair » comme l’érable, et » exotique-colonial » comme le teck dans le mobilier contemporain, répondant à l’évolution des mentalités vers le » naturel « , » l’écologique « , ou le » paraître « .
Pendant ces dernières décennies, de matériau de base, bon marché, commun, d’usage implicite et naturel pour tout dans la maison, le bois est devenu, pour les créateurs et décorateurs, un matériau d’autant plus chargé d’affectif et de symboles que son prix le rend rare et cher, dans des qualités de plus en plus élitistes. Il tend donc à être choisi, non plus systématiquement parce qu’il a été le matériau traditionnel et incontournable du meuble, mais parce que le meuble s’enrichira globalement de sa présence à côté d’autre chose qu’il valorise.
D’année en année, on a observé dans les salons professionnels un partage multimatériaux de l’offre innovante (meubles typés » contemporains » ou » design ») qui tend à augmenter, à côté d’une offre qualifiée de » traditionnelle » utilisant le bois massif et plaqué sur panneaux, qui, elle, tend incontestablement à diminuer.
Pour répondre à cette évolution et à l’appétit des designers pour de nouvelles matières, qu’il faut accompagner plutôt que freiner, le CTBA a conçu et monté en 2000 le Service » Innovathèque pour l’ameublement » à la demande de l’UNIFA (Union nationale des industries françaises de l’ameublement). La partie matériauthèque de ce service est déjà riche de 600 références, au sein desquelles le bois devient non un parent pauvre, mais un grand classique que les créateurs redécouvrent par sa richesse d’expression, ses variantes de densité et de performances techniques, tel cet artisan spécialisé dans la mise en valeur du potentiel acoustique et musical de certains bois.
La perception du bois sous l’angle marketing
Un attachement national au bois
Encore un signe, dira-t-on, de l’exception française : pour le Français, penser, dire ou écrire : » le bois est la matière de base du meuble et de l’aménagement de l’habitat » tient du pléonasme culturel, pour ne pas dire de la langue… de bois ; pour l’Italien au contraire, le bois n’est plus, depuis longtemps, qu’un des matériaux possibles du meuble, et n’a pas à prétendre à cet emploi réservé.
En matière d’ameublement, à la » filière bois » française s’oppose la » filière meuble » italienne : si le meuble français procède historiquement du bois par filiation fermée (ressource abondante égale tradition ancienne, ancrée et confortable, de la production et de la consommation de meuble en bois), le meuble italien (ressource faible en bois implique risque de pénurie, recherche, ouverture au monde, innovation, design) procède de tout matériau utilisable, ce qui motive modernité et créativité dans les produits.
Au Pôle ameublement du CTBA, bien qu’aimant particulièrement ce matériau, nous ne pouvons cependant lui accorder l’exclusivité, car il nous faut d’abord raisonner » meuble » : le secteur de l’ameublement n’est plus, et depuis longtemps une chasse gardée, la plus noble, pour l’emploi du bois, mais doit être considéré, majoritairement, comme un secteur » multimatériaux « , sans exclusive, sous peine de ne plus évoluer et de péricliter.
Des pertes de marché relatives
Car la réalité est bien là : le bois national a perdu progressivement à la fin du XXe siècle des » parts de marché » dans le secteur du meuble. On est passé en moins d’un siècle de l’artisanat, isolé ou regroupé dans de petites entreprises, n’utilisant quasiment que du bois sous toutes ses formes (massif, placage, contreplaqué, latté), à du commerce international avec une sous-traitance puis une délocalisation dans les pays en développement, et ceci à une échelle qui devient si importante qu’on peut à son sujet parler de mondialisation, en passant par une phase intermédiaire d’industrialisation tous azimuts de l’économie de production, dont on a du mal à sortir.
Celle-ci s’est traduite par de massives importations de bois américains ou nordiques. Deux raisons sont invoquées : la qualité-régularité (les lots sont importants, les bois homogènes d’une livraison à l’autre, réguliers en couleur et qualité, bien séchés), et le dollar est passé par des creux… intéressants.
Le prix du bois débité a en effet fortement augmenté en peu d’années. Par ailleurs, la construction d’une infrastructure lourde de production de panneaux a permis d’alimenter de très grands fabricants de meubles dont les clients sont surtout les grands groupes de distribution (Conforama, But, Ikea), qui ont fortement investi en chaînes semi-automatiques dans le » façon bois » qu’est le revêtement de papier sur panneau, ou dans l’usinage du panneau de particules surfacé mélaminé (PPSM), dont certains décors sont des photos sur papier de bois véritable.
Aujourd’hui, après les disparitions et regroupements, seuls survivent les groupes et entreprises bien gérés qui savent » flairer » à l’avance les goûts changeants du public et sont assez réactifs pour les séduire au bon moment ; et ceux qui ont résolument pris, à cause de la forte valeur ajoutée française (dont le bois local est un des éléments), le chemin de l’exportation vers des pouvoirs d’achat plus élevés que le nôtre, comme Grange, La Rennaise du Meuble, et même plus modestement Jancyr, dont les meubles en bois bourguignons » Made in Bourgogne » plaisent tant aux Américains.
Le marché décide
Et puis le meuble, le décor intérieur, ne sont pas, à l’opposé de l’Allemagne ou de la Grande-Bretagne, parmi les premières urgences d’achat des Français. Produits de confort et de plaisir sur le long terme, ils passent dans les achats – et, avec eux, le bois dont ils sont faits – largement après l’automobile, les voyages, la télévision par câble ou satellite, toutes gâteries faciles à choisir.
Le marketing, la conception doivent donc faire un gros effort pour séduire, alors que la production doit fournir vite et le moins cher possible, ce qui impose créativité, réactivité, ateliers » flexibles « , et, au-delà, quand on ne peut plus suivre, mobilité, sous-traitance, importation, délocalisation. Devant l’insuffisance des réponses, la percée mondiale et l’expérience en France du groupe Ikea illustrent bien cet appétit variable et économe du public, séduit par plus de simplicité dans la modernité, y compris pour des bois inusités chez nous comme le bouleau, dans une ambiance latente d’incertitude pour l’avenir où un sou est un sou, même pour son décor intérieur.
Questions d’actualité sur le bois dans l’habitat intérieur
Écologie et environnement
Les listes en préparation pour la protection de certaines espèces d’arbres exotiques par la Convention de Washington sur le commerce international des espèces de faune et de flore menacées d’extinction (CITES) commencent à interpeller les acheteurs sensibles à la protection de l’environnement.
Ensemble en panneau de particules surfacé mélaminé, décor bois.
NOVOLAM. © C.T.B.A.
Le palissandre de Rio, l’acajou de Cuba sont désormais interdits de commerce, tout comme d’autres acajous saisis par les douanes faute de connaissances… Si la marque PEFC peut ne pas provoquer de surprise appliquée aux bois français, dans notre pays habitué depuis longtemps à une bonne gestion de la forêt, en revanche l’écocertification sur les bois étrangers risque dans un avenir proche, à son apparition sur l’étiquette des meubles vendus par ceux qui en feront plus un argument de vente qu’une affaire d’éthique, de susciter une demande élitiste qui peut donner un temps aux bois provenant de forêts dites » gérées durablement » une aura de matériau de luxe.
Au-delà, son développement et sa banalisation, faute de moyens de contrôle puissants et garantis, pourraient tourner les fournisseurs vers l’à-peu-près, puis la fraude, et donc l’acheteur vers une suspicion légitime qui inversera la demande au point de ralentir l’ensemble des ventes.
Déjà, des associations écologistes commencent à regarder de près les arrivages de grumes » écocertifiées « , à provoquer les douanes, à vérifier les conditions d’exploitation locales, notamment celles du teck, soupçonnées de trafic illégal pour une part. Dans ce battage médiatique, le paradoxe marketing de la recherche de l’authentique, qui déboucherait sur une fourniture d’image de l’authentique, peut donc repartir de plus belle, d’autant qu’on trouve difficilement des sources d’information crédibles.
Poussières de bois
Des pathologies cutanées, nasales et pulmonaires, dues aux poussières du bois, ont été identifiées, avec une fréquence cependant très faible, chez certains opérateurs exposés au même poste sur une longue durée. La règle est donc de protéger l’opérateur (masques, filtres) et de limiter l’émission à la source (capotages spéciaux, aspiration efficace…). La connaissance du risque par les responsables d’unités et leurs instances professionnelles, informés et aidés par les CRAM, les médecins et inspecteurs du travail, le CTBA et la mise en œuvre de mesures simples concourent globalement aujourd’hui à maîtriser ce risque à son juste niveau.
Par ailleurs, le caractère explosif du mélange air-poussière est bien connu. Il tend à être totalement éliminé dans les entreprises qui utilisent des moyens adaptés, interdisent la cigarette, et nettoient régulièrement leurs ateliers par aspiration.
La mode du teck
Le teck inonde actuellement le marché du meuble d’extérieur, et même d’intérieur, profitant d’une mode qu’il avait déjà connue en 1960–1970. On pourrait, en France et en Europe du Nord, chercher à exploiter le robinier (ou faux acacia), acclimaté chez nous, apte à faire d’excellents meubles d’extérieur par tous les temps, puis favoriser la croissance régulière et la replantation de cette espèce.
Un grand distributeur a déjà d’ailleurs approvisionné pour le printemps 2002 ses magasins d’Île-de-France au moins à égalité avec des meubles en teck. L’arbre plutôt tordu, branchu et de peu de rapport (classé en bois divers dans les statistiques) a un bois réputé nerveux qui peut cependant permettre des pièces courtes et de faible section, ce qui convient parfaitement aux meubles de jardin. Certaines expériences sont prometteuses, comme des bancs de jardin fabriqués par Perchebois à Chartres.
Une autre alternative pour les meubles de jardin est le bois traité thermiquement. Si les process récemment brevetés sont bien maîtrisés et paramétrés pour permettre la certification, et si les concepteurs utilisent le bois chauffé dans des sections et assemblages vérifiés mécaniquement, beaucoup de meubles d’extérieur pourront être faits en hêtre, peuplier ou résineux bon marché, sans fongicide, pour un coût final voisin de celui des fabrications françaises de meubles en teck.
L’importation
On a constaté depuis vingt ans que la fabrication en série des meubles d’intérieur en bois massif utilisait, lorsque le coût était moindre grâce au change du dollar, un approvisionnement majoritairement américain de gros volumes de qualité constante ou presque, du fait de la qualité du séchage et de l’économie d’échelle que permet la monoculture en chêne, merisier, érable, sur des sols choisis et réservés.
Le raccourcissement des séries (de l’ordre d’une cinquantaine de meubles à la fois), la possibilité de trouver des lots homogènes en France ou en Europe orientent maintenant les fabricants vers une ressource plus locale, considérée en outre comme plus riche d’aspect.
La trop belle régularité des bois américains (droit fil, peu de nœuds), réel avantage pour le transformateur industriel, et le grain plus grossier (croissance rapide) plaisent en effet moins aux Français habitués au caractère singulier de l’arbre isolé de nos forêts, qui constitue notre » haut de gamme » par ses dosses plus figurées et ramageuses, mais dans des volumes homogènes moindres.
Initiatives privées
À côté des essences les plus demandées par le meuble ou l’aménagement intérieur et qui sont bien valorisées par les ventes de bois en France – chêne, hêtre, merisier, érable -, la priorité croissante donnée à la conservation de la biodiversité dans l’aménagement forestier devrait favoriser d’autres espèces. Mais l’éternel dilemme entre la gestion de la forêt (à long terme) et le souci commercial de l’utilisateur (à court terme) est un frein à cette évolution.
Cependant, ici ou là, des initiatives isolées à l’échelle régionale montrent cependant que certains propriétaires privés, lorsqu’ils se rassemblent sur un objectif à moyen terme, peuvent se préoccuper de valoriser collectivement leurs » bois divers » par le meuble. Un bon montage des différents maillons (expert bois, inventaire, choix des arbres, exploitant, scieur, sécheur, artisan ébéniste), dans lequel les cessions sont définies et les plus-values négociées et limitées assure la faisabilité technico-économique de la fabrication de meubles vendables en petites quantités, comme c’est le cas depuis plusieurs années : opération pilote du Groupement d’études et de développement pour l’économie forestière Loiret-Sologne, opération des artisans lozériens du meuble avec le pin de Margeride, opération des menuisiers » Perchebois » avec chênes et robiniers du Perche, opération » Douglas » dans le Morvan.
C’est ainsi que l’on met sous les yeux d’un public étonné des meubles superbes en robinier, charme, tremble, chêne des marais, voire Douglas de plantation récente, et autres essences marchandes d’autrefois tombées en désuétude. Il est certain que cette idée est adaptée à l’artisanat, mais pas à l’industrie. En revanche, répétée dans toutes les régions forestières, de tradition artisanale forte, elle est porteuse d’avenir. En effet, l’ébéniste sait produire des meubles à l’unité quasiment au même prix que le négociant sait vendre un meuble industriel avec marge… et remise : si l’artisanat repart comme on peut le souhaiter, l’idée devrait faire tache d’huile.
Recherches
Il faut saluer les efforts de l’INRA pour relancer une nouvelle espèce d’orme, bois ô combien noble du meuble, qui soit résistante aux attaques biologiques qui en ont amené la quasi- disparition dans les fabrications de meubles neufs. Cette essence, très demandée autrefois, s’est raréfiée, sans jamais trouver d’autres variétés de remplacement que les ormes américains, canadiens ou polonais, pas toujours aussi beaux. À coup sûr, dès maturité, les arbres de cette nouvelle espèce connaîtront un beau succès, à condition toutefois de ne pas en faire une denrée de luxe par le prix.
Quant aux recherches en cours pour l’industrie du meuble et la décoration, des études récentes montrent les souhaits de l’ONF et des forestiers privés d’optimiser l’adéquation entre sylviculture, première et seconde transformations, et marchés : l’une, où le CTBA est partenaire, vise à déterminer statistiquement quelle variété de chêne présentera après exploitation le meilleur rendement qualitatif au séchage (moins de déformations, de fentes et de collapse) ; l’autre, en partenariat CNRS-École nationale du génie rural, des eaux et des forêts (ENGREF), a permis de cerner le goût majoritaire actuel des Français, pour leur décor et leurs meubles, de l’aspect » dosse » plutôt que » quartier » du bois de chêne, avec un grain et à une échelle induits par des accroissements annuels de 3 à 4 mm : ceci permet de sélectionner, de choisir des sols et de replanter des variétés donnant ce type de bois à terme (dans quatre-vingts à cent ans) pour que nos descendants les achètent dans leurs meubles, à supposer qu’ils aient encore nos goûts actuels, à supposer qu’ils achètent toujours des meubles en chêne… à supposer qu’au train où va le progrès ils achèteront toujours des meubles… non virtuels ?
Conclusion
On retombe donc sur la problématique du début de cet article : ce qui a toujours été – le bois majoritaire dans le meuble et la décoration – le sera-t-il toujours demain ?
Pour ma part je le crois, car la nature tient le coup sous les outrages, et l’homme a su, du moins pour l’instant, protéger suffisamment son environnement, replanter à mesure, et ne pas scier la branche sur laquelle il se sent si bien assis.
____________________________________________________
1. Les bois d’ébénisterie dans le mobilier français de Jacqueline Viaux Locquin, Éditions Léonce Laget, Paris, 1997.
2. Département de la forêt et du bois du Centre de coopération international en recherche agronomique pour le développement, département qui a succédé en 1984 au Centre technique forestier tropical (CTFT).
Commentaire
Ajouter un commentaire
Bien dommage que le bois soit
Bien dommage que le bois soit hors de porté aujourd” hui .
Les meubles contemporains sont rarement composé de bois, ou s’il le sont , ils sont loin
d’être à la porté de tous .