Le Brésil n’a pas encore fait sa Révolution
Le Brésil est une République fédérale. Le président vient d’être élu avec une majorité significative. Et pourtant ! Sans sanction par les urnes, les nombreuses irrégularités relevées pendant le premier mandat confirment que la conclusion écrite par le professeur Dalmo Dalari il y a dix ans reste valable : « L’État serait démocratique pour être l’expression de la volonté du Président de la République qui s’attribue le statut d’interprète autorisé de la volonté du peuple et serait de droit parce que seraient respectées les formes légales, bien qu’adaptées aux besoins du Président de la République. Dans le meilleur des cas, cela pourrait se nommer un état de légalité formelle. »
Aucun parti ne présente un projet politique national cohérent. Le parti qui a le plus grand poids en termes d’élus, le PMDB, n’a pas présenté de candidat à la présidence. Il est depuis le début de la législature divisé en deux courants : ceux qui sont contre la participation au gouvernement et ceux qui y participent.
Le Parti des Travailleurs, le PT, dont est issu le président est sorti pour la première fois de l’opposition.
À l’exercice du pouvoir, il se délite, il perd d’un côté son aile gauche qui a présenté son propre candidat, de l’autre, les proches du président éliminés comme pare-feu pour protéger le Président dans les divers scandales qui ont vu le jour au cours du premier mandat. Lors du principal scandale de la législature, le « mensalao », la presse se faisait écho que la finance, au travers des partis de droite en particulier le PFL, souhaitait faire pression sur le gouvernement mais certainement pas le déstabiliser encore moins entamer une procédure de destitution contre le président. Jamais en effet les banques brésiliennes n’avaient été aussi prospères et leurs bénéfices atteint de tels sommets. On peut, au risque d’être taxé de simpliste, dire que la structure des coûts financiers est un cas unique au monde qui construit sur un taux directeur élevé une machine de tonte automatique du consommateur de base, en général démuni. Au Brésil plus qu’ailleurs, il est préférable de ne pas avoir besoin d’emprunter ! Or, grande surprise, rien n’est fait par le gouvernement qui, rappelons-le, est lui-même client des banques.
Usure, vous avez dit usure ?
Les taux directeurs de la Banque centrale, après avoir atteint dans les deux dernières années des sommets faramineux de 28,5 % évoluent aujourd’hui autour de 13,50 % annuel.
Mais les outils financiers qui en découlent au service de la population sont à proprement parler absurdes, tout à fait incompréhensibles pour un observateur externe. Les taux au consommateur final des divers fournisseurs de crédit varient aujourd’hui entre 3,29 % et 11,60 %… par mois, soit entre 47,47 % et 273,22 % par an, sans commentaires. Pourquoi ? L’un des justificatifs est le taux de défaut élevé… Il l’est ! Cet état de « taux » est curieusement accepté par la population. Comment pourrait-il en être autrement, le client en général démuni, au mieux modeste, sans patrimoine est souvent sans revenu déclaré. Une fois exposé, il est dans un cercle vicieux dont la sortie ne serait que l’appel aux « agioteurs » plus ou moins louches dont les taux et les méthodes surpassent les institutions ayant pignon sur rue. Cette acceptation est sans doute historiquement liée à l’hyperinflation mais celle-ci a déjà disparu depuis plus de douze ans. Nous constatons aujourd’hui un taux d’inflation annuel moyen de 2,9 % ! Les banques sont tellement conscientes du problème d’insolvabilité qu’elles organisent régulièrement des campagnes de régularisation. Ici personne n’est choqué de lire dans le journal Globo du 19 octobre 2006 le commentaire d’un directeur de la banque de Brésil : Nous refinancerons sur vingt-quatre ou trente-six mois avec un taux d’intérêt mensuel entre 4,40 % et 4,69 % très attractif comparé à celui du chèque spécial (taux des découverts bancaires) autour de 7,80 % par mois. Ceci devrait augmenter de 30 % le taux des refinancements en cours.
Dans le Jornal do Brazil du 16 octobre sous le titre : « Le professeur dit Adieu et l’Éducation se meurt », on apprend que le salaire mensuel d’un professeur débutant est de 154 euros (431 réals) dans les écoles de l’État de Rio, de 270 euros (755 réals) dans celles de la municipalité. Ces salaires se comparent avec le salaire minimum national de 125 euros (350 réals) qui sert de référence à de nombreux contrats. À Rio, une employée de maison, nourrie, logée peut gagner entre un et demi et six salaires minimums. La presse a parlé d’un dentiste qui était poursuivi parce qu’il ne respectait pas le contrat de garde qui le condamnait à payer une pension alimentaire de quarante salaires minimum. On estime qu’aux carrefours, les mendiants peuvent gagner jusqu’à beaucoup plus de 360 euros (1 000 réals) par mois.
Alors la question se pose : pourquoi le Président de la République, ancien député du Parti des Travailleurs, leader syndical historique, résistant à la dictature militaire fait une politique de gauche minimaliste dans le domaine social et à caractère monétariste dans le domaine économique quitte à sacrifier la croissance et l’emploi ? La situation dans laquelle il a trouvé le pays ? Une dette publique monumentale en partie en monnaie étrangère.
Depuis 2002 la Banque centrale a mené une politique de taux et de change qui a permis de ramener la valeur du réal de près de 4 réals en 2002 à 2,10 pour un US dollar aujourd’hui. Elle a pu profiter de cette situation pour rembourser en priorité la dette en monnaie étrangère. En contrepartie, du fait des taux élevés nécessaires à cette politique, la dette publique en monnaie locale n’a cessé d’augmenter pour atteindre aujourd’hui un montant de l’ordre de 3 trillions de réals tandis que le taux de croissance moyen reste inférieur à 3 %. Les exportations paraissent saines et en croissance parce que le pays exporte principalement des produits agricoles, des matières premières et a pu profiter de prix internationaux élevés. Quant aux industries, elles ont évidemment souffert du taux de change mais le marché intérieur est important et les industries comme la métallurgie, utilisant peu de main-d’œuvre et l’automobile avec des usines mécanos utilisant une main-d’œuvre comparativement bon marché, continuent à occuper les premières lignes du commerce extérieur.
Dans une série d’articles sous le titre : « Un premier mandat guidé par le pragmatisme économique » Le Monde daté du 26 septembre explique que ceci est possible du fait de « La très bonne tenue de la conjoncture internationale, l’envolée des prix des matières premières, la baisse générale des taux d’intérêt, et les positions gagnées sur les marchés extérieurs grâce à la dévaluation du réal en 1999. »
En contrepartie, il explique aussi que, avec un « taux de croissance trop faible pour éradiquer la pauvreté », le miracle actuel d’une politique en faveur des pauvres joint à la stabilité économique est basé « sur une redistribution des richesses financées par une augmentation de la dépense publique à 37 % du PIB » sans que soient effectués « les investissements nécessaires en matière d’éducation et d’infrastructures pour stimuler la croissance et intégrer des populations qui restent en marge de l’économie formelle. » On y note aussi le commentaire suivant : « paradoxalement ce gouvernement dit populaire a accordé dix fois plus de crédit aux grandes exploitations qu’aux petits agriculteurs. »
Quel est l’homme ? Quels sont les hommes derrière cette réalité contradictoire ?
Comment peut-on comprendre cette situation a priori incompréhensible ?
Le Brésil très francophile au XIXe siècle et au début du XXe siècle a copié ses institutions sur des institutions françaises allant jusqu’à utiliser le code Napoléon. Dans l’échange apparent entre le législatif, l’exécutif, le judiciaire, tout paraît « normal » d’un État de droit démocratique.
Mais à la lecture des journaux tout paraît « se dérégler ! » Pour tenter d’éclairer la confusion, il faut commencer par admettre que la vie politique est construite comme un puzzle, image d’un État féodal où chaque vassal est d’abord maître chez lui avant de participer accessoirement à la vie publique nationale. Ceci conduit à toute une série d’interactions qui dérèglent le fonctionnement usuel du jeu démocratique, même si la situation s’améliore comme on peut le lire le 5 novembre sous le titre « les Programmes sociaux secouent les Pouvoirs régionaux » : des programmes ont été financés par des fonds fédéraux payés aux communes directement au lieu d’être arbitrés par les caciques locaux ayant leurs entrées auprès du Gouvernement fédéral à Brasilia et cet état de fait entre autres serait responsable de l’échec de deux « coroneis » réputés éternels « faiseurs de pluie » des États du Nordeste.
Aux élections, on remarque des alliances contradictoires selon les personnes, les partis, les régions.
Des liaisons souterraines existent entre les pouvoirs économiques qui financent les campagnes législatives ou l’exécutif qui y voit une source invisible de financement, bref des trafics d’influence qui apparaissent au grand jour à l’occasion des scandales qui occupent la vie publique. Le judiciaire n’est malheureusement pas en reste dans cette confusion des genres. Dans une interview, Chico Whiteker qui a quitté le Parti des travailleurs explique qu’il l’a fait parce que « le PT s’est rallié à une forme perverse de politique, commune aux autres partis consistant à oublier l’éthique au nom du pragmatisme. » En résumé, ce qui est bon pour moi est bon pour le pays, une fois encore !
Tentons d’expliquer comment, sur un canevas de structures démocratiques, une grande quantité de personnes, en atteignant un niveau, un lieu, un poste assoient leur existence et y bâtissent un fortin pour conforter pouvoir et ego. Avec l’aide de ce qu’on appelle le « jeito » brésilien, mot qui pourrait au mieux se traduire par « système D », chacun fait au mieux sur la marche où il se trouve pour lui-même et ses proches tout en visant la marche suivante pour élargir son horizon, allant parfois jusqu’à « oublier » l’objet même de sa présence là où il se trouve.
Une polémique à propos du Conseil national de justice créé il y a quelques mois pour encadrer et moraliser la justice vient à point nommé pour nous éclairer. La création du CNJ venait après la difficile adoption par les pouvoirs publics d’un plafond de rémunération dans la fonction publique fixé par le STF, Tribunal suprême fédéral, à 8 465 euros (23 275 réals) qui est devenu entre autre le salaire des juges composant ce tribunal. L’adoption de cette mesure avait réduit la rémunération de nombreux cadres publics. Encore aujourd’hui un journal indique que plus de deux cents juges de cour d’appel (Desembargador) ont une rémunération qui dépasse le plafond légal.
La polémique vient de ce que la présidente du STF a annoncé que le CNJ avait décidé de payer à ses membres une gratification, un jeton de présence, de 1 015 euros (2 784 réals) par séance, limité à deux par mois avec effet rétroactif à la création du CNJ en juin 2005 ce qui de facto porterait à 10 500 euros (28 843 réals) par mois la rémunération de la présidente du STF, autorité morale responsable du plafond de salaire national ! À ce sujet, il vaut mieux circuler dans les allées du pouvoir car un autre article nous signale que l’échelle des salaires des juges est dix fois supérieure à celle des médecins, fonctionnaires dans les hôpitaux publics. On peut expliquer par ce fait que les postes d’élus sont pécuniairement attractifs en eux-mêmes ouvrant la porte à l’hérédité des « familles politiques » et à la subordination des obscurs aux féodaux régionaux.
La nouvelle Chambre des députés sera renouvelée pour presque moitié sans que cela se traduise par un changement équivalent dans la répartition des partis car, cette fois, un grand nombre de députés impliqués dans les divers scandales n’ont pas été réélus mais la sanction n’est que partielle puisque certains néanmoins l’ont été.
Par ailleurs, un élu qui a acquis un statut local n’hésitera pas à changer, une fois, deux, trois, quatre, cinq, six fois ou plus de parti pour rester sur la scène politique ! L’abus du poste n’est pas limité aux élus et on retrouve les acteurs locaux jouant sur leur répertoire fut-il limité ce qui apparaît lors « d’accidents » locaux qui touchent d’autres cadres publics. Dans le seul État de Rio de Janeiro des réseaux de corruptions ont été mis à jour ces dernières années, soit des inspecteurs des impôts, soit de l’INSS, l’Institut national de la Sécurité sociale, sans parler des cas incessants de policiers arrêtés pour servir des réseaux de trafic. À ce sujet spécifique, un article rappelle que, comme les professeurs, « oubliés » de la distribution salariale officielle, ils sont amenés à faire de la perruque ou à prendre un deuxième emploi et sont souvent obligés pour raisons économiques de se loger dans les favelas sous contrôle des trafiquants.
Rapprochons cette succession d’événements d’un fait historique : aucune révolution populaire n’a secoué le Brésil. Nous sommes obligés de constater dans le pays une culture des privilèges, ceux que chacun a du fait de sa naissance, sa famille, sa position sociale, de ses conquêtes ou de ses abus, « pas vu pas pris », comme partout il est vrai ! Cette culture cohabite avec celle de l’esclavage, le Brésil a été le dernier pays du monde à l’avoir aboli en 1888. La complémentarité est parfaite !
Otto Maria Carpeaux, dans la clandestinité en 1966, pensait encore d’actualité de rappeler dans un essai à propos de l’épisode de la révolte des « canudos » en 1897 : « Pour les paysans du Nordeste, la République n’avait rien changé au Brésil qui, sous l’autorité d’un Président de la République, était le même Brésil de l’Empire où les grands « latifundistes » continuaient d’opprimer les journaliers. » Toujours d’actualité aujourd’hui en 2006, la lutte pour la conquête de la terre par les paysans pour pouvoir la cultiver, est aujourd’hui menée par le « MST », Mouvement des sans terre, qui poursuit la même revendication par des occupations illégales de terres cultivables !
Le Brésil est un pays de type démocratique où existent les trois pouvoirs, le législatif et son parlement, l’exécutif et le judiciaire, avec ses tribunaux à trois niveaux. Mais on y trouve un fonctionnement étrange voire anachronique qui ne s’explique, disons-le une fois de plus, que par l’immensité du pays où des mentalités historiquement différentes jouent en fonction des origines de l’immigration. Généraliser est à la fois téméraire et simplificateur mais on ne peut pas ne pas remarquer des comportements et des fonctionnements qui s’expliqueraient par des mentalités comparables s’appliquant dans des domaines complètement indépendants.
Répétons que les pouvoirs locaux peuvent être comparés à ceux d’une époque féodale où des seigneurs locaux règnent sur des fiefs indépendants. Une fois rassemblés dans la fédération, ils doivent faire fonctionner une démocratie nationale qui met en contact des cadres régionaux quasi-inamovibles, détenteurs de pouvoir quasi-héréditaire dans leur état d’origine et qui représentent à Brasilia des intérêts régionaux structurellement différents. L’exemple le plus visible de cet état de fait concerne les élections, par des alliances contradictoires en fonction des nécessités locales sur les personnes et les partis. Il est important de rappeler que le vote est ici obligatoire ! Des populations peu préparées, il est estimé que 75 % de la population du Brésil est constituée d’analphabètes fonctionnels, sont une cible facile pour le clientélisme et la manipulation.
L’absence de position claire oblige les électeurs à faire des choix personnalisés qui les attachent à « leur » candidat. Quand celui-ci est battu au premier tour le jeu des désistements fait l’objet de sombres tractations car l’électeur sera, plus par incompréhension des options proposées que par conviction, obligé d’être fidèle aux recommandations de « son » candidat.
Le Brésil est divisé en deux
Le Sud plus développé et moderne, le Nord restant plus archaïque. Chaque région possède ses « familles. » Un nouvel État aurait été séparé de l’État de Goïas il y a quelques années au bénéfice de deux familles qui y régneraient à tour de rôle. La coexistence d’une classe riche et possédante avec une classe moyenne liée au gouvernement local car essentiellement constituée de fonctionnaires et le reste d’une classe misérable en général mal éduquée et manipulée politiquement au profit du pouvoir local explique que cette situation perdure. Il est vrai que cela s’applique surtout au Nord. Nous constatons au Sud l’existence d’une classe ouvrière mais celle-ci ne paraît pas avoir modifié significativement la situation nationale, peut-être parce que la représentation des États du Sud à Brasilia n’est pas en relation avec leur poids économique.
Donnons des exemples de « curiosités » locales :
L’ex-président Collor démis en 1992 de la Présidence de la République pour corruption vient d’être réélu en octobre 2006 comme sénateur de l’État de l’Alagoas, sa terre d’origine. Dans l’État de Rio de Janeiro au deuxième tour des dernières élections en octobre 2006, la gouverneur sortante, membre du PMDB, soutenait le candidat d’opposition tandis que le candidat du même parti PMDB et élu gouverneur pour la prochaine législature soutenait le Président sortant. Un « homme fort » de l’État de São Paulo vient d’être réélu au sortir de prison et fait encore l’objet de plusieurs procédures judiciaires liées à ses œuvres dans des postes électifs précédents.
Quant aux privilèges, il y en a de curieux comme les prisons réservées pour les diplômés universitaires ! Et pour les anachronismes, cette pension fédérale pour les jeunes filles célibataires, ces vieilles filles de Jacques Brel incapables de trouver un mari, au décès autrefois des fonctionnaires, encore aujourd’hui des militaires. Comment cette structure sociale perdure-t-elle alors que la misère justifierait une organisation politique revendicative ? Les partis politiques existent, des syndicats aussi mais ils semblent être mis au service de leur leader plutôt que de leurs membres.
Le Président actuel en serait un excellent exemple qui est « monté » jusqu’à la Présidence de la République en s’appuyant d’abord sur sa position syndicale puis sur le Parti des Travailleurs. Il est aux yeux du monde un cas d’école de succès d’une politique sociale réussie dans un pays émergent réputé difficile. Alors que, en dépit des programmes « assistancialistes », la politique suivie depuis quatre ans se reconnaît difficilement comme la politique d’un parti de gauche. Pourtant quand le Président va à la rencontre des syndicats, c’est la fête ! Aucun doute que ses origines populaires le font bénéficier d’un phénomène d’identification.
L’assistanat aux indigents permet de ravaler la façade sociale sans prendre les risques d’une réforme de fond. En donnant aux démunis un peu d’argent pris aux classes moyennes, il obtient à bon prix l’aval de la classe dominante et évite d’affronter celle-ci qui a toujours su maintenir ses privilèges, maintenant au Brésil l’une des plus grandes inégalités au monde. J’ai connu des propriétaires terriens qui avaient des propriétés d’un seul tenant grand comme la Suisse. Ainsi peut s’expliquer le miracle de la Présidence actuelle : la stabilité économique et politique du pays avec une bonne image d’un Président de gauche qui effectivement réduit la pauvreté… un peu, réalisant la quadrature du cercle : l’alliance objective de la finance nationale et internationale avec les populations pauvres du Nordeste. Cette novation imprévue peut à elle seule expliquer la progression du Président lors de la récente réélection. L’absence d’alternative crédible a fait le reste !
Pour tenter une conclusion
On peut se demander pourquoi les efforts de mobilisation restent très peu productifs et se maintient le statu quo ? Le Brésil est dominé par une culture latine et catholique. L’éducation est liée à la mère. Les enfants des classes privilégiées sont éduqués pour recevoir, accessoirement ne rien donner. Les enfants des familles pauvres le sont pour ne rien recevoir. Cette combinaison donne une cohésion sociale presque parfaite. Tout au long de la vie, le premier trouvera tout naturel d’avoir et étonnant de ne pas avoir, tout le contraire pour le second. De plus le premier s’accommodera très bien que l’autre n’ait pas et, en général, le second trouvera normal que l’autre possède. Les situations extrêmes « visibles » seront humanisées dans le cadre de programmes issus de la tradition religieuse d’assistancialisme. L’ascenseur social fonctionne aussi et d’occasionnels contestataires passeront de la seconde à la première classe soit par les programmes d’éducation qui existent et le permettent pour les plus entreprenants, soit en conquérant un statut particulier, star ou chef de quelque chose, accessoirement trafiquant, voleur ou bandit. La population lorsqu’elle est démunie de tout espoir personnel s’accrochera à des identifications fortes qui expliquent entre autres, le succès du carnaval, des spectacles et des stars du sport ou de la musique dans les classes populaires, ce qui permet de dire que le Brésilien est d’un naturel heureux… heureusement pour lui. D’une manière générale, les réactions de chacun restent très individualistes. Vous serez surpris de constater qu’un groupe de plusieurs personnes, qu’ils soient adolescents ou adultes, bloque tout un trottoir, bavarde et vous regarde sans être préoccupé par votre hésitation. Il ne reste plus au passant, vieillard, femme ou enfant, qu’à descendre du trottoir pour continuer son chemin.
En simplifiant à l’extrême, on pourrait dire : « L’autre pourquoi ? C’est qui ? » Cette phrase banale est lourde de conséquences. En effet, la population réputée heureuse et accueillante n’est en fait concernée que par un cercle de gens limité qu’on pourrait appeler son clan. L’intérêt porté au monde se traduit à travers l’identification à un groupe plutôt qu’à un principe d’intégration dans une société organisée qui serait naturellement ordonnée par des règles applicables à tous et pour lesquelles, au nom de principes, on pourrait aller se battre et jusqu’à sacrifier sa vie, sa situation ou ses biens comme un petit nombre l’a fait lors de la dictature militaire. Il vit sur une musique construite sur une mentalité féodale où, à chaque instant, à chaque endroit, chacun est maître chez lui.
L’observateur peut alors se poser la question de savoir si l’intérêt privé n’étouffe pas l’intérêt public et si au bénéfice d’un petit nombre, on ne finit pas par étouffer le progrès. Serait-ce l’esclavage, la seule réponse verbale possible était : « oui ! ». Serait-ce la pauvreté qui historiquement aurait amené chacun à tirer le meilleur parti de ce qu’il trouve mis à sa disposition là où il est, l’empêchant de ce fait de construire cette conscience abstraite et collective qui représenterait les droits et les devoirs de chacun. Des efforts colossaux sont pourtant entrepris pour construire une société plus juste et équitable mais l’éducation de base reste la même, celle de l’enfant « macho » donnant un « jeito » pour s’en sortir dans la vie. Cela paraît être un travail de plusieurs générations pour former chaque individu à cette intégration dans une société respectueuse et intéressée au bien collectif où chacun intègre dans sa conception du bonheur un système de valeurs communes acceptable pour lui trouver sa place dans une société juste et équitable et avoir la capacité de la construire et de la défendre pour tous et au nom de tous.
Sauf erreur, c’est la leçon de la Révolution française.
En résumé, le Brésil n’aurait pas encore fait sa révolution !