Le Café Signes un café pas comme les autres
Un pari risqué
Cela ressemble à un café comme un autre, même si une décoration soignée et originale attire peut-être plus l’attention du passant. C’est un café dans le 14e arrondissement de Paris, au 33, de l’avenue Jean Moulin, entre Alésia et la porte de Châtillon.
Mais, ce n’est pas un café comme les autres !
C’est un café où les serveurs sont sourds. Et de plus atteints d’autres handicaps, sensoriels ou psychologiques.
Il fallait oser : les gens du quartier viendraient-ils ? Ne seraient-ils pas retenus par une communication difficile ou par le handicap ? Les serveurs et cuisiniers sourds pourraient-ils se faire au monde des entendants ? Ne présumait-on pas trop de leurs capacités et ne sous-estimait-on pas les obstacles à surmonter ?
Maintenant, c’est un pari gagné pour l’Association » Entraide universitaire » et pour le » CAT Jean Moulin « , l’établissement médico-social dont dépend le » Café Signes » : la fréquentation dépasse largement les prévisions. Ce café peut devenir un formidable outil d’insertion professionnelle pour plusieurs catégories de handicapés, et gageons qu’il créera une passerelle entre le monde sourd et le monde entendant.
Inauguré en grande pompe par plusieurs ministres et maires le 4 juin 2003, il a suscité l’intérêt, puis l’enthousiasme, de nombreux responsables du handicap dans le monde entier, d’Australie, de Corée, de Grande-Bretagne, de Finlande et bien d’autres, qui, avec les médias – presse, radio et télévision -, se succèdent pour venir voir » comment ça marche » et pour demander qu’on les aide à faire leur » Café Signes « .
Comment cela marche…
Six travailleurs sourds sont employés en permanence au Café Signes : trois en cuisine, trois en salle ; ils ont été sélectionnés parmi les quarante-cinq ouvriers du CAT en fonction de leur capacité à s’adapter et surtout de leur motivation. Ils ont bien sûr été formés pour assumer ces tâches nouvelles pour eux ; un éducateur est toujours présent sur les lieux et participe également aux tâches du café.
Le responsable du Café, auparavant cuisinier du Foyer Jean Moulin, communique sans difficulté en LSF*.
Enfin, l’aspect technique a été confié à Sodexho » Santé » avec laquelle l’Association a des contrats de partenariats couvrant plusieurs autres établissements.
En cuisine
Sous la houlette de Fabrice, un cuisinier aussi expert en pâtisserie qu’en cuisine régionale, devenu un expert en LSF, trois aides sourds sont chargés de dresser les plats et les assiettes ainsi que de réaliser certains assaisonnements et aussi des tâches secondaires comme l’épluchage et la plonge. Tout se passe en silence, bien sûr, le langage des signes est de rigueur. Un large hublot permet au cuisinier de communiquer avec la salle : le double vitrage n’est pas une barrière quand on parle le LSF ! Et pour prévenir un serveur en salle que le plat de son client est prêt, il suffit au chef d’actionner le bouton qui correspond à chacun des serveurs : une fois, deux fois ou trois fois : le serveur concerné saura, grâce au vibreur qu’il porte et qui est ainsi actionné que c’est l’entrée ou le dessert qui l’attendent en cuisine. Tout paraît beaucoup plus calme ici !
En salle
C’est ici que l’on trouve le véritable enjeu de la communication entre deux mondes bien distincts : les sourds et les entendants.
Bienvenue en LSF
Sur la table, les clients trouvent un petit guide d’accueil qui leur donne quelques explications sur le Café Signes, le langage des signes et même un petit lexique ; les serveurs sourds déploient un maximum d’efforts pour comprendre et se faire comprendre, utilisant les menus imprimés, montrant l’ardoise qui affiche le menu à plusieurs endroits de la salle ; et souvent, le vocabulaire » signes » du client même s’il n’est pas orthodoxe peut néanmoins être efficace.
En cas de besoin, des lampes clignotantes situées au-dessus des tables peuvent être allumées grâce à des interrupteurs à portée de main des clients ; mais c’est la plupart du temps inutile, car les serveurs, n’ayant pas à leur disposition le sens de l’ouïe, développent celui de la vue et leur regard balaie en permanence les tables, à l’affût d’un verre ou d’une corbeille à pain vides. Et enfin, en dernier recours, il y a toujours un éducateur qui peut faire l’interprète ou débrouiller une situation plus complexe. Finalement, on ne s’ennuie pas, la relation entre serveurs et clients est des plus amicales, voire complice. Et comme la nourriture est bonne… même très bonne… on y revient !
Au foyer et au CAT
Autre aspect tout à fait positif de ce qui est encore une expérience, même si elle est largement confirmée : la cuisine est également en mesure de fournir les repas pour les soixante ouvriers sourds qui travaillent dans le CAT juste en face du restaurant (ateliers de bijouterie, de couture et de routage) en liaison chaude le matin et en liaison froide le soir ; c’est évidemment une activité qui assure un revenu peu rémunérateur mais régulier et surtout qui renforce les liens entre » ceux du restaurant » et les autres !
Le cybercafé
Dernière innovation, et non des moindres, le » cybercafé « . Grâce à IBM, deux ordinateurs connectables à Internet sont disponibles au fond de la salle : ce moyen de communication peut être intégralement approprié par les sourds : des logiciels spécifiques leur sont destinés ; mais surtout, ils n’ont pas de problème pour communiquer au loin avec leurs proches ! De plus, des écrans plasma, judicieusement placés dans la salle, permettent de voir la télévision, de faire de la formation au langage des signes et comme récemment lors d’une réunion de sensibilisation à la prise en charge des problèmes du handicap au niveau européen que deux ministres avaient choisi d’organiser au » Café Signes « , de traduire directement en langage écrit les dialogues de la salle !
Une création qui tient ses promesses
Le CAFÉ Signes est l’aboutissement d’une réflexion entamée depuis plusieurs années par le Centre d’aide par le travail et la communication (CATC) Jean MOULIN. Pour ces personnes handicapées, l’accès à l’autonomie passe nécessairement par une confrontation avec le monde extérieur, et du fait de leur surdité, avec le monde dit » entendant « . Le Café » Signes » représente pour elles un moyen original de valorisation personnelle et d’insertion professionnelle.
La création du Café Signes répond aussi à une préoccupation citoyenne : il vise à favoriser les liens entre deux mondes qui le plus souvent s’ignorent, et à diffuser par ce biais la » Langue des Signes « .
À l’image d’une équipe professionnelle spécialisée qui réunit sourds et entendants, ce Café se veut une invitation à dépasser les préjugés qui concernent la surdité et les handicaps, quels qu’ils soient.
Commentaire
Ajouter un commentaire
Article « Le café signes, un café pas comme les autres »
LSF = Langue des Signes Française, et non « langage français des signes ». La LSF est une véritable langue, et non un langage. Comme toute autre langue, allemand, anglais, japonais, un mot ne correspond pas nécessairement à un signe, la langue des signes française n’ayant pas été créée à partir du français.
Cette langue possède une syntaxe et une grammaire qui lui sont propres. Elle se rapporte à une culture distincte de celle des entendants. Pour exprimer « bienvenue » en langue des signes française, il existe un signe précis, on n’utilise la dactylologie que pour les noms propres encore inconnus, ou pour lever une ambiguïté éventuelle lors de l’emploi de termes extrêmement techniques.
Merci de véhiculer les bonnes informations, et non des idées reçues qui donnent de la langue des signes française une idée complètement erronée.