Le capital-risque en France : naissance turbulente d’une nouvelle industrie
De l’artisanat à l’industrie
À la fin des années quatre-vingt, le nombre d’acteurs dans le financement de la création d’entreprises de technologie se comptait en France sur les doigts d’une main. Et les quelques rares fonds déjà présents, comme Sofinnova, Finovelec ou encore Innovacom, faisaient figure d’aventuriers.
En 2001, la situation a bien changé et l’on ne compte plus les » e‑accelerateurs » et autres » bio-incubateurs » ; personne n’ignore plus non plus ce que signifient les termes » business angel « . Jusqu’aux » corporate venture funds » qui font leur apparition dans l’organigramme de sociétés comme Valéo, Schneider, Vivendi, Aventis ou Air Liquide.
L’industrie française de l’investissement en capital s’est donc bel et bien approprié ces concepts anglo-saxons qui structurent le capital-risque américain depuis vingt ou trente ans. Les aventuriers sont ainsi devenus des » venture capitalists « , et ce phénomène s’est répandu dans toute l’Europe.
Ces pionniers ont été rejoints par d’autres groupes, constituant aujourd’hui une véritable industrie structurée et compétitive. Ainsi à la fin de l’année 2000, trente-six fonds français étaient actifs dans le financement des créations d’entreprises de technologie. Parmi ceux-ci, seize n’existaient pas trois ans auparavant. Enfin quinze étaient le fait d’équipes de gestion totalement indépendantes, en particulier de tout lien avec une grande banque, une société d’assurance ou un groupe industriel.
Si l’on ajoute les fonds globaux et américains, c’est donc à plus de cinquante qu’il faut estimer le nombre d’investisseurs en capital-risque actifs sur le marché français. Et certains disposent maintenant de fonds importants qu’ils consacrent exclusivement au segment du financement de la création. Sofinnova Partners, Innovacom et Galileo ont ainsi récemment levé des fonds dont les montants varient de 230 à 330 M€.
Cette évolution n’est cependant ni isolée ni le fruit du hasard.
C’est tout d’abord l’ensemble de la chaîne de financement, qui s’est récemment transformé et professionnalisé, en commençant par l’apparition, au milieu des années quatre-vingt-dix, des marchés boursiers dédiés au financement des entreprises de croissance. Londres a montré la voie en 1994 et en modifiant ses règles, le fameux Yellow Book, pour permettre la première introduction en Bourse d’une société de biotechnologie, British Biotech, en décembre 1994.
Dans la foulée, le Nouveau Marché fut créé en février 1996 et le Neuer Markt allemand suivit la même année. Cette étape était primordiale quand on connaît l’importance de la Bourse dans le parcours de toutes les sociétés de technologie d’envergure aux États-Unis. Microsoft, Cisco et Sun, mais également Amgen, Genetech ou Biogen, n’auraient jamais pu connaître la croissance qui fut la leur sans la possibilité de lever des sommes importantes sur le NASDAQ.
Tous les pays européens disposent aujourd’hui d’un compartiment de marché ou d’un marché spécifique, dédié aux valeurs de croissance.
Accompagnant cette dynamique boursière est apparue toute une série d’acteurs financiers depuis les fonds spécialisés en investissement sur des sociétés cotées ou en » pré-introduction « , jusqu’à l’entrée en lice remarquée des banques d’affaires. Ce furent tout d’abord les banques d’investissement américaines, généralistes telles que Morgan Stanley, CS First Boston, UBS Warburg, ou spécialisées telles que Robertson Stephens ou Hambrecht and Quist.
Les banques françaises suivirent et se dotèrent d’outils de placement spécialisés, soit en constituant en interne des équipes, à l’image de la BNP, ou du Crédit Lyonnais, soit en acquérant des structures à l’étranger comme le très intéressant exemple de la création de SG Cowen par la Société Générale.
Tout cet appareil n’aurait pu fonctionner sans l’émergence d’une nouvelle race d’entrepreneurs qui sont la pierre angulaire de tout le système, » les serial entrepreneurs « . Ils ont déjà réussi une première expérience, parfois aux États-Unis, et se lancent dans une nouvelle aventure de création d’entreprises. C’est le cas de Philippe Pouletty qui crée Drug Abuse Sciences à Nantes après avoir fondé Sangstat à San Francisco et l’avoir introduit sur le NASDAQ, ou encore d’Alain Tingaud qui dirige Infovista après avoir créé Arche Communication et l’avoir vendue à Siemens. Ils suivent en cela l’exemple de quelques- uns qui ont tenté l’aventure lorsque l’environnement n’était pas aussi propice, comme Pascal Brandys ou Marc Lassus. Il fallait en effet avoir un sacré culot pour démarrer Genset en 1989, ou Gemplus en 1987.
Les grands chercheurs ne sont pas épargnés par cette fièvre entrepreneuriale, et si par exemple des hommes comme Philippe Kourilsky ou Pierre Chambon avaient jusqu’à récemment une image de chercheurs associés essentiellement à des grands groupes pharmaceutiques (même s’ils ont participé à l’aventure de Transgène il y a vingt ans), c’est sous leur direction et leur impulsion que d’une part l’Institut Pasteur a créé près de dix entreprises en moins de deux ans et que plusieurs sociétés de biotechnologie voient actuellement le jour autour de l’IGBMC à Strasbourg.
Enfin, pour être exhaustif, il faut mentionner le rôle joué par les différentes initiatives gouvernementales depuis trois ou quatre ans. À commencer par le Fonds public pour le capital-risque, doté de 600 millions de francs issus de la vente des actions de France Télécom, et qui dès 1998 a permis à plusieurs fonds d’accroître leur capacité d’investissement. D’autres initiatives ont concouru à dynamiser le secteur : les FCPI, Fonds communs de placement à l’innovation, créés en 1996 et en cours d’assouplissement dans la loi de finances 2002, ou les mesures » DSK » incitant l’assurance vie à investir dans le non-coté.
Mais la mesure la plus emblématique, et peut-être celle qui a le caractère le plus structurant, fait partie de la loi sur l’innovation de 1999, et qui permet à tout chercheur d’un organisme public de participer de façon significative à une création d’entreprise, y compris celle qui serait fondée sur ses propres travaux.
Tous les fondamentaux sont donc là pour que se mette en place cette machine économique à créer des sociétés à fort potentiel. Avec quelques résultats préliminaires lorsque, par exemple, de jeunes sociétés dépassent après seulement quelques années d’existence le seuil mythique du milliard de francs de chiffre d’affaires (Gemplus, Business Object…) ou lorsqu’un cabinet d’audit international constate pour la première fois en 2000 que le nombre d’entreprises européennes de biotechnologie surpasse le nombre de sociétés du même type aux États-Unis (Ernst & Young 2001).
Le phénomène des bulles spéculatives
Mais alors que s’est-il passé ?
Que s’est-il donc passé pour qu’à cet engouement pour l’aventure risquée succède une phase de doute, de désorientation, voire de » grand chambardement » ? Et dont la presse se fait largement l’écho :
- » Finis les égarements du passé, les sociétés de capital-risque ont commencé à faire le ménage » Le Revenu, 12 octobre 2001.
- » Tétanisés, les capital-risqueurs ont pratiquement stoppé leurs investissements. Pourtant ils sont assis sur des montagnes de liquidité… » Les Échos Net, 19 novembre 2001.
- « Nous passons les portefeuilles au Karcher « , interview récente d’un capital-risqueur.
Depuis le printemps 2000, le doute s’est emparé des marchés boursiers et l’effondrement des valeurs technologiques a rejailli sur les capital-risqueurs. La bulle spéculative sur les valeurs Internet a explosé, et cette onde de choc s’est propagée dans plusieurs domaines industriels comme celui des télécommunications.
Mais à y regarder de plus près, cette bulle spéculative n’a peut-être pas eu ce caractère totalement exceptionnel que beaucoup lui ont prêté.
Un engouement presque unanime…
La fièvre spéculative n’a pas été le fait de l’imagination créatrice de quelques capital-risqueurs, mais un phénomène beaucoup plus général d’engouement pour ces entreprises encore conceptuelles.
Il n’est ainsi probablement pas un seul capital-risqueur qui n’ait pas financé de projet Internet. Les » business model » et les nouveaux concepts se sont succédé au gré d’une exploration d’un monde jusque-là inconnu : B to C, puis B to B, puis WAP…
Ils avaient finalement tous en commun une absence de rentabilité à court terme, des pertes abyssales et des valorisations stratosphériques. Les investisseurs ont voulu s’affranchir des règles du jeu traditionnelles jusqu’à parfois ériger en modèle, en stratégie d’investissement, des concepts qui, quelques années auparavant, relevaient de l’hérésie pure et simple.
La recherche systématique de » me too » fut ainsi particulièrement révélatrice : si ça marche ici, ça doit marcher là, et bon nombre de sociétés se sont créées de ce côté-ci de l’Atlantique sur des modèles très prometteurs mais encore expérimentaux sur le marché américain.
Cette déflagration a bien entendu dépassé les limites du microcosme du capital-risque.
Non seulement l’ensemble de la place financière s’y est essayé. Il n’est pas un investisseur privé ou institutionnel, pas une banque, pas un intermédiaire qui n’ait eu son projet dans le domaine. Mais au-delà même du monde de la finance, l’industrie traditionnelle qu’elle soit de télécommunication ou de distribution, les médias, ou encore les hommes d’affaires qui avaient démontré dans » l’ancienne économie » leur qualité, leur flair et leur combativité, tous se sont brûlé les doigts aux flammes de la nouvelle économie. Jusqu’aux gouvernements dont les ambitions initiales sur les ventes de licence UMTS paraissent maintenant bien déraisonnables.
Le propos n’est ici ni de juger n’y d’expliquer, mais de constater que l’engouement fut unanime et mondial.
Beaucoup ont cru que l’Internet allait profondément, rapidement et définitivement changer la société et l’économie. Il le fera, bien sûr, mais ni avec l’ampleur ni avec la rapidité escomptées. Il le fera comme l’automobile ou le chemin de fer ont profondément modifié la vie de nos parents et de nos grands-parents. Et des sociétés comme Amazon.com ou les courtiers en ligne feront bientôt partie de notre environnement quotidien.
Mais nous avons tous fait deux erreurs : la potentialité du changement et sa dynamique.
… qui ne fut pas le premier du genre…
Comparer l’avènement de l’Internet à celui du chemin de fer au XIXe siècle et sa kyrielle de sociétés créées dans son orbite devient un classique en économie de l’innovation.
Mais de mémoire de capital risqueur, c’est-à-dire au cours des vingt dernières années, cette bulle, s’il faut parler de bulle, ne fut pas la première. Loin s’en faut.
Au début des années quatre-vingt, des dizaines de sociétés furent créées lorsque, après l’initiative de Steve Jobs en 1977 qui crée le concept d’ordinateur personnel, IBM lance en décembre 1981 la fièvre du PC. Tous les » venture capitalists » investissent alors dans ces start-up qui se lancent dans cette nouvelle mode pour ne laisser la place, quelques années plus tard, qu’à une poignée d’entre elles. Exit les Vector Graphics, les Osborne et autres sociétés qui eurent un temps l’ambition de rivaliser avec les plus grands sur ce marché naissant. Vingt ans après, les géants qui ont survécu à ce darwinisme technologique sont encore amenés à fusionner avec des acteurs plus anciens, tel Compaq qui envisage de se marier avec Hewlett-Packard.
Que penser également des dizaines de sociétés de production de disques durs créées quelques années plus tard et financées par les mêmes investisseurs ?
Des centaines de millions de dollars ont été injectées dans ces sociétés par le capital-risque et la Bourse. Et pour quelques-unes qui survécurent telles que Maxtor, Quantum ou Seagate, combien disparurent y compris après avoir connu la gloire boursière, comme Tandon qui fut un succès fabuleux du capital-risque avant de disparaître complètement.
Et ce type de phénomène n’est pas circonscrit au domaine des technologies de l’information. L’autre domaine de prédilection du capital-risque, les biotechnologies, connut son lot de modes et bulles spéculatives.
Que penser ainsi de toutes ces sociétés qui s’étaient lancées, à la fin des années quatre-vingt, dans le développement pharmaceutique de nouveaux médicaments fondés sur le principe des anticorps monoclonaux ? Les mêmes excès ont prévalu. Depuis le NASDAQ qui » se piquait » au jeu du financement de sociétés qui n’en étaient qu’au stade de la recherche, parfois sans produit en développement, et ne pouvaient raisonnablement pas envisager de profitabilité sous un délai inférieur à huit ou dix ans, jusqu’aux stratégies de financement exotiques.
Ainsi la très sérieuse chaîne CNN se fit un jour l’écho d’un investisseur qui choisissait ses cibles sur leur simple nom selon qu’il comportait ou non la racine » Immune « , pour système immunitaire, révélateur de l’implication de ladite société dans le monde des anticorps ! Cela valait bien le » me too » érigé en principe stratégique !
Et la bulle explosa, parce qu’on avait pas ou mal anticipé certaines difficultés liées à la production de ces molécules : la nécessaire » humanisation « , c’est-à-dire leur modification pour les rendre le plus proche possible de leur état natif et humain, et ainsi éviter qu’elles ne soient détruites ou rejetées par le système immunitaire. Les investisseurs arrêtèrent de s’intéresser à ce domaine. Beaucoup de sociétés disparurent ou furent réduites à l’état de » penny stock « . On reprochait aux sociétés du domaine une absence de rentabilité à court terme, des pertes abyssales et des valorisations stratosphériques (arguments entendus en d’autres temps et en d’autres lieux…).
… et misons qu’il ne sera pas le dernier
Restons dans ce domaine des anticorps. Il aura fallu environ dix ans pour régler ce problème de l’humanisation et aboutir à une nouvelle génération d’anticorps.
Alors naquit une nouvelle bulle.
Des sociétés spécialisées dans la production de ces nouvelles molécules virent leur cours flamber. L’action de Medarex Inc. passait de 3 US $ en septembre 1999 à plus de 200 en février 2000. Dans le même temps, son principal concurrent, la société Abgenix, levait plus de 800 millions de US $ grâce à un placement secondaire record sur le NASDAQ ! Aucune n’avait alors de produit pharmaceutique en développement avancé, et tout le domaine suivit.
Et comme dans le même temps, l’industrie des biotechnologies s’était étendue à l’Europe, des sociétés comme Morphosys en Allemagne, CAT en Angleterre, Mabgen au Danemark, ou encore GENSET en France virent leur capitalisation s’envoler.
N’avions-nous donc rien appris ?
Risquons donc une hypothèse, que les économistes ou les sociologues pourront éventuellement confirmer : ce phénomène de modes, de vagues successives qui dans leur version parfois excessive se traduisent par des bulles financières à caractère spéculatif, constitue des événements inhérents au mécanisme de financement des entreprises innovantes.
Il est en effet tellement difficile de prévoir les ruptures technologiques, qui vont donner naissance à de nouveaux secteurs d’activité qui se mesurent ensuite en milliards de dollars de chiffre d’affaires, que tous les capital-risqueurs se ruent sur le moindre signe d’une évolution en ce sens dans un quelconque domaine et créent ainsi un effet boule de neige.
Si de plus comme avec le Web et le commerce électronique, cette rupture ne comporte pratiquement pas de barrière à l’entrée, et qu’elle s’adresse au grand public, alors cet effet boule de neige peut prendre des dimensions importantes et engendrer une bulle spéculative.
Profession capital-risque
Au-delà de ces réflexes parfois » moutonniers « , depuis vingt ou trente ans des cycles de ce type, qui sont tous le fruit de ces nouvelles technologies, ont donc rythmé l’évolution de l’industrie émergente du capital-risque. Et les acteurs durables qui ont structuré ce secteur se sont adaptés à ces cycles en vertu de quelques principes fondamentaux.
Investir sur le long terme
L’investisseur en capital-risque exerce son métier avec un horizon éloigné. Participer à la création d’une entreprise de technologie ne peut se concevoir pour des financiers que s’ils sont patients.
Les technologies prennent plusieurs années pour mûrir. De deux à quatre ans lorsqu’il s’agit de logiciels, de trois à sept ans lorsqu’il s’agit de médicaments.
L’histoire de chaque entreprise va donc probablement traverser des périodes euphoriques au cours desquelles les marchés boursiers se révéleront ouverts à de nombreuses introductions, et des périodes moins fastes, au cours desquelles ces mêmes marchés se fermeront à toute opportunité même de qualité. Dans le jargon, on parle de » fenêtres d’opportunité « , ou de » fenêtres boursières » qui s’ouvrent ou se ferment au gré des informations encourageantes ou décevantes.
Bien malin alors qui peut prédire ce que sera l’état des marchés sous un tel délai de trois à sept ans. Et c’est finalement une chance énorme que de n’être pas contraint de façon trop importante par la conjoncture.
En corollaire, toute mesure de l’activité de capital-risque, en particulier grâce à l’évaluation d’un TRI, c’est-à- dire d’un taux annuel de rentabilité interne, se doit d’être effectuée sur le long terme. Et toutes les informations qui fleurirent ces deux dernières années dans la presse, et qui se faisaient l’écho de rentabilités calculées sur un an voire parfois moins, n’avaient aucune signification.
Investir dans des secteurs diversifiés et à contre-cycle
Une seconde façon de se prémunir des turbulences de bulles successives consiste à investir dans des domaines dont la dynamique n’est pas uniquement liée à des comparables boursiers, voire idéalement qui évoluent à contre-cycle.
Certains fonds américains ont choisi depuis vingt ans de n’investir que dans le domaine de la santé. Ils ont cependant pris garde à diversifier leurs investissements en abordant aussi bien la biopharmacie, le matériel biomédical, ou le diagnostic. D’autres spécialisés dans les technologies de l’information ont pris soin d’investir aussi bien dans les logiciels, la microélectronique ou les matériels de télécommunication.
Mais l’une des façons les plus efficaces de lisser l’activité et d’éviter de rester prisonnier d’un marché qui reste sourd à toute opportunité, fût-elle de qualité, consiste à investir à la fois dans le domaine des technologies de l’information et celui des sciences de la vie. Ces domaines sont en effet réputés pour évoluer avec des cycles qui sont pratiquement en opposition de phase.
La période actuelle est de ce point de vue assez exemplaire. La presse spécialisée se fait ainsi l’écho du repli vers ces » valeurs refuges » que sont les sociétés de biotechnologie. Pourtant ces dernières ne dégagent pas plus de rentabilité que nombre de sociétés Internet cotées et dont la valeur est inférieure à leur trésorerie.
Quel changement avec la situation qui prévalait il y a encore deux ans, lorsque certains grands fonds internationaux ou américains annonçaient l’abandon pur et simple de leur activité dans les sciences de la vie ! Certains ont pris coup sur coup deux virages à 180 degrés.
Investir sur des hommes
Enfin le domaine du capital-risque est probablement celui où s’exprime le mieux la relation intense et durable entre l’entrepreneur et l’investisseur. Car l’un et l’autre savent qu’ils auront à traverser des turbulences qui pourront avoir toutes sortes d’origine : une technologie qui n’aboutit pas à des produits, l’apparition imprévue d’un brevet concurrent, un désaccord entre investisseurs ou entre membres d’un conseil d’administration, l’explosion d’une équipe de management, ou encore un marché boursier résolument fermé.
Chacun de ces événements peut à lui seul provoquer une crise importante dans l’entreprise et la perte totale des capitaux investis. Il est ainsi d’usage de rappeler que toute start-up de technologie passe généralement par un moment où l’on pense que le dépôt de bilan est pour le lendemain matin. Rares sont les exceptions, et dans ce genre d’aventure, la relation entre l’entrepreneur et le capital-risqueur doit alors être d’une qualité exceptionnelle.
C’est aussi une relation d’une grande intensité, qui nécessite parfois, en particulier dans les périodes de levées de fonds, un suivi quotidien. Aussi un investisseur en capital-risque ne peut suivre de façon constructive plus de cinq ou six investissements à la fois.
L’avènement de la culture entrepreneuriale
Tous les fondamentaux sont donc maintenant en place dans notre économie pour que soit bannie de notre culture l’aversion systématique du risque au profit de l’intégration d’une culture entrepreneuriale.
Certes, les succès de la première heure eurent un rôle prédominant. En montrant que » c’était possible « , des sociétés comme Gemplus, Genset ou plus récemment Business Objects ont fait prendre conscience à bon nombre de cadres de l’industrie et de chercheurs que l’emploi dans une grande structure, publique ou privée, ne constituait pas la seule voie conduisant à l’épanouissement professionnel et au succès.
Au-delà des excès de la » nouvelle économie « , l’aventure Internet aura par contre fait découvrir le monde du capital-risque au grand public… l’entrepreneuriat devient ainsi une nouvelle composante de notre culture industrielle, se rapprochant ainsi de la culture anglo-saxonne.
Mais pour atteindre la pérennité, le capital-risque français devra encore se rapprocher des standards internationaux. À ses clients, que sont les fonds de pensions, les fonds de fonds, les sociétés d’assurance et autres investisseurs institutionnels, il devra être capable de » vendre « , et ceci sur de longues périodes, des rendements nets annuels de 20 % à 30 %. Cette fourchette constitue la norme pour nombre d’investisseurs institutionnels, qui ont humé l’air des sommets avec la vague d’introductions en Bourse de la période 1995–2000.
Alors seulement pourra-t-on envisager de se débarrasser de cette influence de notre culture traditionnelle qui veut que pour traduire » venture capital « , il faille inverser les deux mots et introduire un barbarisme pour donner toute son ampleur au risque et obérer l’aventure.
À quand les venture capitalistes, sans guillemets ?