Le centre spatial étudiant : une aventure polytechnicienne
C’est l’histoire d’un binet atypique dont le travail a duré 10 ans, assuré chaque année par une nouvelle promotion qui ne devait pas à chaque fois tout remettre en question. Finalement le 17 mai dernier, un satellite développé par ce binet était mis sur orbite par la station spatiale internationale. Pour la suite, les projets ne manquent pas.
La forme actuelle du centre spatial étudiant de l’X a commencé à germer en 2007 sous l’impulsion de Yannick d’Escatha (66), alors président du conseil d’administration de l’École et du Centre national d’études spatiales (CNES).
Au cours des premières années, plusieurs possibilités furent envisagées pour le nommer : Centre spatial Jean-François Clervoy, Institut Le Verrier, Centre spatial éducatif…
Finalement deux noms cohabitent aujourd’hui et témoignent des évolutions de l’organisme : Centre spatial étudiant (CSE) et AstronautiX.
AU COMMENCEMENT ÉTAIT L’ASTRONOMIE
Historiquement, les premières activités concernaient les observations astronomiques et le binet se nommait X‑Astro. Puis les X2002 ont commencé à réaliser des projets spatiaux et ont alors fondé AstronautiX suite à la sélection de leur expérience ParabulliX par l’Agence spatiale européenne (ESA).
“ Le spatial est devenu un outil éducatif au service de la formation des élèves ”
La machine lancée, d’autres projets suivirent, à chaque fois retenus par le CNES ou l’ESA pour participer à des vols Zéro‑G. Il faut cependant attendre 2009 pour que les premières réflexions sur la création d’un véritable centre spatial étudiant soutenu par les laboratoires, le département de recherche et la direction du cycle polytechnicien apparaissent, portées par Thibault Gouache (2004) et le Laboratoire de physique des plasmas (LPP) de l’X, dont Laurence Rezeau est alors la directrice.
Le CSE est finalement créé en 2010 par Mathieu Blanchard (2008), d’abord comme entité à part entière avant d’être rattaché à AstronautiX à partir de la promotion X2013.
L’IMPULSION VINT DE L’INSTITUT VON KARMAN
Toutefois, l’événement fondateur du centre spatial étudiant a été la participation au projet européen QB50, organisé par l’Institut von Karman (VKI) de Bruxelles. Ce projet consistait à faire construire une constellation de satellites par les étudiants de 50 universités de par le monde, alors que le VKI fabriquerait les instruments de mesure à embarquer.
LE CENTRE SPATIAL ÉTUDIANT :
UN SUCCÈS POUR L’ÉCOLE
Aujourd’hui présidé par Adrien Bressy (2015), le centre spatial étudiant compte plus de quatre-vingts élèves (15 % d’une promotion) et mène une douzaine de projets spatiaux. Face à ce succès, la direction de l’enseignement et de la recherche vient de nommer cet été une ingénieure pour diriger les futurs projets.
L’appel à participation avait été remarqué par Luc Darmé (2009), qui l’avait ensuite proposé comme Projet scientifique collectif (PSC) pour la promotion X2010.
Une première équipe s’est alors formée autour de Vivien Croes (2010), Grégoire Bonnat (2010) et Arnaud Jaoul (2010) pour poser les bases financières, organisationnelles et techniques du projet.
L’idée était alors de structurer, autour de ce projet de satellite et du CSE, l’École, ses élèves et ses laboratoires, mais aussi les institutions et les industriels du secteur.
Le spatial devenait ainsi un outil éducatif au service de la formation des élèves, le centre spatial étudiant en étant la plateforme et l’outil de communication. Si les laboratoires, LPP et LMD (Laboratoire de météorologie dynamique), le CNES et Thales Alenia Space ont rapidement répondu présent, la direction de l’École s’est montrée plus réticente à un projet considéré par certains comme trop « spécialisant », trop « ingénieur » pour le cycle polytechnicien.
Heureusement, la motivation des étudiants, avec l’appui du CNES, a su venir à bout des diverses rigidités administratives.
IL A FALLU APPRENDRE LA FINANCE
Sur le plan budgétaire, le projet QB50 a été financé par l’Union européenne, au travers de l’Institut von Karman, qui a également contribué à une grosse partie de nos frais de lancement.
“ Il a fallu aussi prendre en charge des activités non techniques de recherche de partenaires, de communication… ”
Concernant notre satellite X‑CubeSat, le financement pour les coûts matériels et humains est venu dans un premier temps de Thales Alenia Space (10 000 euros la première année), puis plus massivement du CNES (125 000 euros) via son projet Janus (Jeunes en apprentissage pour la réalisation de nanosatellites au sein des universités et des écoles de l’enseignement supérieur).
L’École polytechnique a mis à disposition des locaux au LPP et a financé deux CDD à temps partiel. Il a donc fallu aussi nous organiser pour prendre en charge des activités non techniques de recherche de partenaires, de communication…
MONTÉE EN PUISSANCE VERS X‑CUBESAT
Au fil du temps, l’équipe s’est étoffée : il y a eu ainsi un groupe plus particulièrement chargé de l’objet physique lui-même, un autre prenant en charge le système de contrôle d’attitude, quand un dernier s’occupait de la station-sol.
Florian Marmuse indique : « Quand j’ai pris le projet en charge pour le compte de ma promotion (X2012), nous étions 21 élèves. Nous avons terminé de définir le design du satellite et c’est aussi à ce moment que nous avons réalisé la station-sol, située à l’École, dans les locaux du centre spatial étudiant. »
Ensuite, les X2013 et X2014 ont eu à construire concrètement le système, approvisionner les composants, les cartes électroniques, rédiger la documentation et assurer la livraison du satellite en septembre 2016.
La promotion X2015 a enfin développé les logiciels de traitement des données au sol et a assuré la campagne de communication à l’approche du lancement.
Et puis l’ensemble des promotions a eu l’immense satisfaction de voir notre satellite X‑CubeSat enfin mis en orbite le 17 mai dernier depuis la Station spatiale internationale, devenant ainsi le premier satellite étudiant français à être opérationnel. Il avait rejoint l’ISS le 22 avril 2017, à bord du vaisseau de ravitaillement Cygnus lancé par une fusée Atlas 5.
Le satellite devrait voir sa charge utile activée cet été, les premiers résultats étant attendus au mois d’août. Il sera alors contrôlé à partir de notre station- sol sur le Plateau de Saclay et suivi par de nombreuses équipes scientifiques et radioamateurs, en particulier à l’université de Montpellier, qui dispose aussi d’un centre spatial universitaire renommé.
C’est donc une aventure de presque quinze ans, dont six consacrés au développement du satellite, qui aura mobilisé 57 élèves mais aussi plusieurs enseignants, chercheurs et membres de la direction de l’École, dont Patrick Le Quéré (74), ancien directeur adjoint de l’enseignement et de la recherche à Polytechnique, et aussi directeur de recherche au CNRS.
En particulier, le satellite n’aurait pu exister sans le soutien de Gérard Auvray, ancien ingénieur d’Alcatel et président de l’association de radioamateurs Amsat France, notre chef de projet.
Deux satellites réalisés par des élèves de l’X (à droite) ou par leurs encadrants (à gauche).
X‑CUBESAT
Au sein d’une constellation de 36 nanosatellites construits par des universités de 23 pays, X‑CubeSat a pour mission d’analyser le taux d’oxygène atomique de la thermosphère, l’une des couches atmosphériques les moins étudiées. Il est placé à la même altitude que la Station spatiale internationale, 415 kilomètres au-dessus de la Terre.
Les données recueillies permettront d’améliorer les modèles de l’atmosphère terrestre ainsi que les prédictions de rentrées atmosphériques des satellites. Il fait partie du projet QB50 piloté par le VKI et financé par l’Union européenne.
LA CONTINUITÉ : PREMIÈRE DIFFICULTÉ
Pour concrétiser cette aventure, nous avons néanmoins dû faire face à de nombreux obstacles. De mon point de vue, la principale difficulté de ce projet était d’assurer la transition d’une promotion à la suivante. En effet, l’organisation du cycle ingénieur polytechnicien obligeait chaque équipe à recruter ses successeurs alors que ceux-ci sortaient à peine de leur stage FHM (Formation humaine et militaire) de première année, bien avant leur spécialisation d’études.
Il fallait donc bien anticiper sur ce choix. Quand j’ai été recruté par la promotion X2011, nous étions d’abord un noyau de cinq ou six élèves de la X2012, nous avons ensuite porté la bonne parole auprès de nos camarades et nous sommes arrivés au bout du compte ! Pour recruter la promotion X2013, nous avions davantage communiqué et avons dû organiser des entretiens pour sélectionner les élèves qui participeraient au projet. Et ainsi de suite d’année en année…
Il fallait ensuite assurer la bonne transmission des dossiers et informations relatifs au projet d’une promotion à la suivante : nous utilisions pour ce faire une Dropbox, avec toute une architecture documentaire qui avait mis quelque temps à s’imposer.
Mais nous n’étions pas à l’abri des mauvaises surprises : ainsi lorsqu’un élève quittant le projet a eu la malencontreuse idée de vider ce qu’il croyait être « sa » Dropbox, il a par la même occasion effacé toutes les données du projet ! Heureusement, nous avons retrouvé une sauvegarde datant d’un mois ou deux et nous avons pu limiter la casse…
CONFRONTER LES X AU RÉALISME TECHNOLOGIQUE
Nous avons dû faire face à une autre difficulté : les élèves qui rejoignaient le projet devaient rapidement et directement se plonger dans sa technicité, ce qui est en général très éloigné des approches théoriques auxquelles ils ont été habitués. Le contact avec la réalité technologique est rude, et la formation des X ne les y a guère préparés.
Ce n’est pas seulement une question de formation, mais aussi d’approche intellectuelle : le polytechnicien fraîchement intégré, fort de ses capacités de raisonnement, a une tendance naturelle à tout questionner, tout remettre en cause, et ce sont d’infinis « pourquoi ceci ? », « pourquoi faire comme cela ? », « ne pourrait- on pas faire autrement… ? »
Cette attitude critique fait toute la richesse du profil polytechnicien, mais elle s’accommode mal de la continuité d’un projet se déroulant sur plusieurs années et promotions successives. Il faut bien admettre que des choix ont été faits, que des solutions industrielles sont là et qu’il n’est pas efficace de tout remettre en question à chaque étape. Difficile exercice d’humilité !
Le binet AstronautiX.
LES PROJETS NE MANQUENT PAS
Nous sommes très fiers d’être l’une des 36 équipes universitaires, sur les 50 initialement retenues par l’Institut von Karman, qui ont réussi à aller au bout et à mettre leur satellite sur orbite.
“ Le contact avec la réalité technologique est rude, et la formation des X ne les y a guère préparés ”
Pour promouvoir ce succès, à la fois auprès de la communauté scientifique et des élèves sur le campus, Adrien Bressy (2015) et Agathe Boutaud (2015) ont organisé dans le Grand Hall de l’École une présentation des projets spatiaux étudiants de l’X, dont X‑CubeSat, au professeur Charles Elachi, directeur du NASA Jet Propulsion Laboratory (JPL) de 2001 à 2016 et ancien vice-président de Caltech.
Celui qui a dirigé les missions les plus prestigieuses de la conquête spatiale, parmi lesquelles le rover Curiosity, les a encouragés à continuer d’entreprendre pour faire rêver et former les polytechniciens grâce au centre spatial étudiant.
Pour la suite, les projets ne manquent pas : d’abord, bien sûr, un nouveau nanosatellite. Plus gros que X‑CubeSat, il sera doté d’un système de propulsion et équipé d’une charge utile développée par le LPP.
Mais aussi, un autre CubeSat sera commencé par les X2016 pour l’étude des décharges électromagnétiques (ESD) avec l’Onera ; un groupe travaillera sur un simulateur d’atterrisseur avec le CNES, dans le cadre de son projet Perseus ; une équipe se penchera sur le recyclage des débris spatiaux avec la start-up « Share My Space » fondée par Romain Lucken (2012) ; un projet de ballon-sonde du Latmos analysera les décharges électriques dans l’atmosphère…
Bref, la relève est déjà assurée !