Le Centre Teilhard de Chardin, pour un dialogue ouvert avec le monde scientifique
Né en 1973, le père Dominique Degoul est un X93. Après quelques années à travailler dans le privé, il s’engage dans la Compagnie de Jésus et est ordonné prêtre en 2014. Il est le directeur du Centre Teilhard de Chardin, situé dans la partie ouest du plateau de Saclay, qui vise à être un lieu de convergence et d’approfondissement de la réflexion entre sciences, technologie et spiritualité, et devrait ouvrir pour la rentrée de septembre 2022. La moitié du bâtiment sera consacrée au dialogue sur des questions éthiques, le reste sera partagé entre des logements et une chapelle.
Pourriez-vous dire ce que sera le Centre Teilhard de Chardin pour l’ancien X qui va lire cet article ?
L’idée du Centre Teilhard de Chardin est née sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Lorsque Mgr Dubost, alors évêque d’Evry, a su que le plateau allait quadrupler son volume et le nombre de ses habitants, il est allé trouver les jésuites, avec lesquels il avait déjà travaillé comme évêque aux armées, pour bâtir un projet porteur dès le départ d’une double intuition. Un premier aspect, pastoral, consistera à accueillir la vie chrétienne à la fois des étudiants et des autres habitants du plateau. Un second aspect consistera à bâtir un lieu de dialogue entre l’Église et le monde scientifique. Voilà ce qu’ambitionne d’être le Centre Teilhard de Chardin.
Le bâtiment n’est pas encore sorti de terre mais le centre a déjà de l’activité. Des conférences ont déjà eu lieu en visio. Êtes-vous optimiste de ce début et de l’énergie insufflée dans ce projet ?
Au début nous avions des moyens assez faibles en termes de communication et de préparation de ces conférences. Mais nous avons suscité des choses de très belle qualité. Maintenant il y a trois équipes qui organisent ces conférences. Ce sont des bénévoles qui donnent de leur temps alors qu’ils sont chargés et nous les remercions. Ces séminaires avaient été montés pour tester le concept, et je pense que ça marche plutôt bien. Je suis régulièrement contacté par des gens intéressés qui me proposent des contributions. D’ailleurs un livre va bientôt sortir, il sera le résultat de trois ans de travail de l’atelier « écologie intégrale ».
Il y a donc trois groupes actuellement qui travaillent sur l’écologie intégrale, le monde de l’entreprise et l’intelligence artificielle. Y aura-t-il d’autres sujets à votre avis qui seront proposés par des chercheurs ou des étudiants ?
Nous sommes en train de terminer la composition du conseil scientifique qui va piloter l’ensemble des activités scientifiques du groupe. Mais une question qui revient souvent, c’est celle du statut de la raison, de la vérité et de la parole scientifique dans nos sociétés. Certains parlent sans trembler de vérités alternatives qui sont juste des bobards. Pour ces gens, nous sommes entrés dans l’air du sophisme assumé. Cet aspect est renforcé par les algorithmes des réseaux sociaux qui confortent les gens dans leur opinion. C’est donc un sujet plus philosophique, qui amène à s’interroger sur le statut de la raison, le statut de la vérité, le statut de la parole scientifique.
Qu’est-ce que c’est que dialoguer ? Alors qu’autrefois la parole d’un scientifique dans les médias était reçue comme absolument vraie, nous voyons aujourd’hui des experts d’opinions différentes se battre sur des sujets scientifiques, de telle manière que le simple citoyen a bien du mal à savoir qui a raison. On l’a bien vu avec le défilé de professeurs de médecine médiatisés lors de la crise sanitaire. Derrière cela il y a des questions très profondes sur le statut de la recherche, de la science et sur le rôle de la parole publique. Le Centre Teilhard de Chardin, à mon avis, devra s’attaquer à cette question.
Quelle sera la position du centre par rapport aux aumôneries des écoles du plateau ?
Le Centre Teilhard de Chardin sera le lieu d’accueil des aumôneries de CentraleSupélec et de l’École normale supérieure. Cela leur permettra de se réunir dans des conditions moins précaires qu’aujourd’hui. Peut-être d’autres communautés chrétiennes étudiantes nous rejoindront-elles, à travers, je l’espère, une manière de vivre qui rendra cette partie du plateau plus conviviale pour tous.
Il y aura aussi une messe le dimanche soir, qui pourra concerner plus largement l’ensemble des écoles et des habitants du plateau. Mais il ne s’agit pas de substituer le Centre Teilhard de Chardin aux communautés chrétiennes existantes : chacune doit exister, en particulier en gardant le lien avec la vie de son école. Avec les directions des écoles, nous avons un lien plus cordial que je ne l’avais imaginé. Nous avons été très bien accueillis.
En tant qu’aumônier de CentraleSupélec et d’HEC avez-vous senti un besoin de la part des élèves concernant les questions éthiques ?
Aujourd’hui un certain nombre d’étudiants sont très préoccupés par les problématiques environnementales, et le centre portera là-dessus des réflexions qui, je l’espère, répondront à leurs attentes. En ce qui concerne l’éthique du numérique il est possible que certains s’y intéressent même si je n’entends pas d’inquiétude particulière chez les élèves aujourd’hui. J’espère que le Centre Teilhard de Chardin sera un lieu convivial où les élèves qui souhaitent avoir des discussions importantes puissent trouver une oreille attentive, sans craindre de tomber dans un piège prosélyte. J’espère aussi qu’il y aura des initiatives d’étudiants passionnés qui feront venir des conférenciers : cela montrera qu’ils en ont fait leur affaire !
Des logements seront proposés dans le centre pour une douzaine d’étudiants. Pourquoi se donner aussi cette mission de loger ?
Ce n’est pas quelque chose de nouveau, il y a dans l’Église en France une tradition de constituer des fraternités d’étudiants au service d’un projet pastoral. Contre un loyer modéré qui contribuera au fonctionnement du Centre Teilhard de Chardin, les étudiants logeant dans le centre, en M1-M2 ou doctorat, assureront une présence permanente dans le lieu, et s’engageront dans quelques missions, soit dans la pastorale étudiante, soit dans l’activité scientifique du centre. Il se trouve aussi que, après les deux premières années d’école, beaucoup d’étudiants en fin de cycle doivent, pour le moment, se loger dans la vallée : certains seront heureux de trouver un logement à proximité de leur école.
Les vues d’architecte que l’on trouve sur le site ne laisse en rien présager que c’est un lieu de culte. Est-ce un choix ?
Pas complètement. Il y a des contraintes architecturales très fortes pour inscrire le Centre Teilhard de Chardin dans le style architectural de l’ensemble de la zone d’aménagement. Mais la chapelle, située à l’intérieur du bâtiment, sera tout à fait identifiable depuis la rue par transparence.
Peut-être que les gens non chrétiens, ou en tout cas non catholiques, seront plus à l’aise à venir discuter au Centre Teilhard de Chardin par ce fait ?
Dans ce lieu qui comportera explicitement un lieu de culte, nous avons aussi un objectif de dialogue avec d’autres que l’Église, tout en assumant qui nous sommes. Plus on sait où on habite, plus il est facile d’accueillir. C’est comme dans la vraie vie : on ne peut vraiment accueillir chez soi qu’à condition d’avoir un chez-soi. Depuis l’origine, le catholicisme a une dimension forte de recherche de dialogue en raison avec tous. De ce fait, nous sommes désireux d’être en dialogue avec tous ceux qui l’acceptent. Dit autrement, toute personne, qui s’intéresse aux sujets d’éthique, de science, et de rapport entre science et société et qui est d’accord pour qu’il y ait un théologien catholique dans la discussion, est la bienvenue.
Vous distinguez fortement le côté colloque scientifique du côté religieux. Dans quelle mesure les débats seront pris avec un angle chrétien ?
Les réflexions scientifiques et éthiques proposées au Centre Teilhard de Chardin seront d’abord destinées à des professionnels ayant une connaissance précise des sujets débattus, qu’il s’agisse d’enseignants, de chercheurs, ou de personnes travaillant dans le monde de l’entreprise. Le caractère chrétien de la maison ne sera pas caché. Le mode de questionnement éthique et existentiel propre à la foi chrétienne sera présent dans les débats, mais sans être envahissant ou surplombant.
Il ne s’agira pas de faire du Centre Teilhard de Chardin un lieu où l’on assénerait la bonne doctrine, comme si nous avions assez de connaissance et d’autorité pour enseigner aux autres ce qu’ils doivent faire. Si je peux prendre un exemple, sur une question comme l’intelligence artificielle, l’Église n’a aucune expertise : comme tout un chacun, le chrétien ignore en grande partie de quoi il s’agit, et est parfois fasciné, parfois terrorisé, ce qui donne l’ampleur du chantier intellectuel à mener pour en évaluer les bienfaits et les risques sur un plan éthique.
Comment pensez-vous que le centre pourra diffuser au-delà du plateau les réflexions qui l’ont animé ?
Nos conférences seront, et sont déjà, diffusées en ligne. Mais je souhaite que le Centre Teilhard de Chardin soit un lieu où soient possibles des conversations difficiles. J’espère que nous aurons la capacité de mettre autour d’une même table par exemple des collaborateurs de TotalEnergies et des défenseurs de l’écologie. Mais une vraie conversation comme celle-là prendra du temps et donc encore plus sa publication.
Comment résumeriez-vous le projet du Centre Teilhard de Chardin à celui qui ne lira que la fin de l’interview ?
C’est, je crois, un très beau projet. Il y a une intuition très forte sur la nécessité d’une présence pastorale sur le plateau et sur la nécessité pour l’Église de se mettre en dialogue avec le monde scientifique, à un moment où celui-ci est mis en question. Avec bien sûr l’espérance que cela sera utile et à l’Église et à l’ensemble de la société. Si la figure concrète du projet n’est pas encore fixée, elle suscite déjà beaucoup d’énergie et c’est pour moi une joie.
Site Internet : https://www.centreteilharddechardin.fr/
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