François Ganneau sur le chemin de Saint-Jacques

Le chemin de Saint-Jacques : une réflexion sur le leadership et un pèlerinage intérieur

Dossier : ExpressionsMagazine N°799 Novembre 2024
Par François GANNEAU (X99)

Ce récit plonge dans ma récente marche soli­taire, un voyage d’introspection, de lea­der­ship et de décou­verte de mon « pour­quoi » (cf. Find your why, Simon Sinek, Pen­guin Group, 2016). Sur le célèbre che­min de Saint-Jacques, cette quête personnelle
m’a éga­le­ment mené à tra­vers la beau­té de la cam­pagne française.

Au cours de l’été 2023, j’ai enta­mé un voyage per­son­nel, intros­pec­tif et pro­fon­dé­ment per­ti­nent pour l’étape où j’en étais. Rétro­spectivement, cela m’a éga­le­ment aidé à com­prendre le type d’équipier et de lea­der que je suis et à affi­ner ma vision du monde. Mais, sur­tout, cela m’a per­mis de voir ce qui est deve­nu évident a pos­te­rio­ri et ce qui me motive. Cer­tains l’appellent la voca­tion supé­rieure, d’autres la « quête de son pourquoi ».

La genèse

La nature a tou­jours eu un effet apai­sant sur mon esprit, que ce soit par l’observation des étoiles, par la contem­pla­tion des pay­sages ou par la ran­don­née. Pour moi, la ran­don­née est une pro­fonde médi­ta­tion. Pra­tique régu­lière où que je sois, j’envisageais depuis long­temps de par­tir en ran­don­née (ou devrais-je dire en quête ?) sur plu­sieurs jours, ins­pi­ré par de vifs sou­ve­nirs de l’ascension du Kili­mand­ja­ro ou de treks au Ladakh. Je rêve sou­vent de ran­don­ner en Amé­rique du Sud seul ou en Corse avec mes enfants lorsqu’ils seront un peu plus âgés.

Mais, à l’époque, j’avais besoin de temps pour moi. Appe­lons cela une crise de la qua­ran­taine ou de la sagesse acquise, j’ai res­sen­ti le besoin de faire une pause et de faire un exa­men de conscience – de réflé­chir au pas­sé, d’apprécier à leur juste valeur les élé­ments posi­tifs et les défis, et de trou­ver une nou­velle éner­gie pour les années à venir. De plus, je ne me sou­viens pas d’une autre période depuis 2008 où j’aie réus­si à prendre trois semaines de vacances complètes.

En paral­lèle, j’étais éga­le­ment curieux de voir com­ment une ran­don­née intense de plus de deux semaines affec­te­rait mon corps et mon esprit, étant don­née la croyance com­mune qu’il faut 2–3 semaines pour bri­ser une habi­tude et en for­mer de nou­velles (atten­tion ! c’est un mythe).

La préparation

Vers la mi-juin, j’ai déci­dé de pro­fi­ter au maxi­mum de mon mois de juillet et j’ai hési­té entre une ran­don­née de onze jours autour du Mont-Blanc et un trek plus long sur le che­min de Saint-Jacques. Le récit d’un bon ami sur son expé­rience du Che­min a fait pen­cher la balance. J’ai réser­vé mon billet de train, orga­ni­sé les pre­mières nuits, et je suis par­ti. Après deux jours bien rem­plis à Paris, j’ai péda­lé à tra­vers la ville un dimanche matin pour rejoindre la gare. Quelques heures plus tard, après avoir appré­cié les pay­sages verts et magni­fiques (il faut aimer le train), j’ai atteint l’un des points de départ célèbres, Le Puy-en-Velay. Remarque : j’ai réa­li­sé dans le train que j’avais oublié mes écou­teurs. Freud aurait pro­ba­ble­ment dit que c’était ce dont j’avais besoin pour « cou­per le cor­don » et plon­ger plei­ne­ment dans l’aventure. C’est exac­te­ment ce que j’ai ressenti !

Vue du paysage sur le chemin de Saint-Jacques

Le voyage

Bien que j’y sois allé seul, j’ai ren­con­tré de nom­breuses per­sonnes, en par­ti­cu­lier dans les dif­fé­rents héber­ge­ments col­lec­tifs. Des per­son­nages de tous hori­zons et de toutes régions du monde, en quête spi­ri­tuelle per­son­nelle. J’ai tou­jours été éton­né de voir à quel point il est facile d’avoir des conver­sa­tions per­son­nelles très pro­fondes avec des incon­nus, par­fois bien plus faci­le­ment qu’avec des amis proches ou de la famille. Tant l’aspect phy­sique du voyage (pay­sages, effort mus­cu­laire) que l’aspect men­tal se sont fon­dus en une expé­rience cohé­rente rare­ment res­sen­tie. Cette expé­rience a fait en moi écho au mou­ve­ment Slow Food.

De la même manière que pré­pa­rer et savou­rer un repas per­met de vivre une expé­rience plus riche, pro­fonde et plai­sante que la res­tau­ra­tion rapide, tra­ver­ser de magni­fiques pay­sages à pied dévoile des détails invi­sibles depuis une voi­ture ou un train. Vous vous immer­gez dans les cou­leurs, les sons, les odeurs ; tous vos sens sont exacerbés.

Prendre le temps

C’est à mon avis l’une des rai­sons pour les­quelles votre esprit peut éga­le­ment trai­ter vos pen­sées inté­rieures et don­ner un sens à votre vision du monde, à vos expé­riences pas­sées, et vous per­mettre de voir plus clai­re­ment ce que vous res­sen­tez. Cela a faci­li­té l’introspection, m’a per­mis de mieux ana­ly­ser et gérer mes émo­tions, de don­ner un sens à mon pas­sé et de mieux me com­prendre et de mieux com­prendre mes motivations.

“Le chemin de Saint-Jacques : un moment pour se « réinitialiser ».”

Dans notre monde moderne, nous pre­nons rare­ment le temps de réflé­chir posé­ment. Bien sûr, dix à quinze minutes par jour de médi­ta­tion pro­fonde sont béné­fiques, mais je sou­tiens que cela ne suf­fit pas et que vous avez besoin de pauses plus longues. Beau­coup consi­dèrent le che­min de Saint-Jacques comme un moment pour se « réini­tia­li­ser ». C’est cer­tai­ne­ment un voyage per­son­nel ines­ti­mable ain­si qu’une occa­sion en or de se décon­nec­ter véri­ta­ble­ment, de vivre un quo­ti­dien plus lent, et para­doxa­le­ment plus riche, avec moins d’interruptions modernes.

Saint-Privat-d’Allier, Haute-Loire, sur le chemin de Saint-Jacques
Saint-Privat‑d’Allier, Haute-Loire, une étape sur le che­min de Saint-Jacques.

Les leçons apprises

Le voyage ne se résume pas à des vues magni­fiques ou à des per­sonnes ins­pi­rantes et géné­reuses ; ce fut un véri­table tré­sor de sou­ve­nirs : se pro­me­ner seul dans des forêts sombres et silen­cieuses, à dif­fé­rentes heures de la jour­née ; pas­ser la nuit dans une tour du XIVe siècle ou dans un couvent ; faire du canoë sur le Lot entre deux des plus beaux vil­lages de France ; par­ta­ger des moments per­son­nels sin­cères et des rires avec des incon­nus (vrai­ment rire au point d’avoir du mal à reprendre son souffle et d’en avoir mal aux abdo­mi­naux) ; s’engager dans une dis­cus­sion pro­fonde sur nos plus grandes peurs ; réflé­chir à la dyna­mique d’équipe, à l’exemple à suivre et à l’intelligence collective.

Cette pro­fonde intros­pec­tion m’a per­mis, peut-être pour la pre­mière fois, de réflé­chir de manière plus stra­té­gique à ma car­rière et à ma vie : que veux-je faire, où me vois-je dans 5–10 ans, qu’est-ce que je n’aime pas ou plus ? Au début, ce fut un exer­cice dif­fi­cile et j’ai réa­li­sé que notre culture ne nous apprend pas à pas­ser du temps de qua­li­té avec nous-mêmes. En fin de compte, ce voyage m’a appor­té un sen­ti­ment de paix. Il m’a offert l’occasion de me recen­trer, loin des dis­trac­tions quo­ti­diennes et des sol­li­ci­ta­tions incessantes.

Le leadership sous un nouvel angle

Les conseils récur­rents sur El Cami­no ont pro­fon­dé­ment réson­né avec ma vision du lea­der­ship : cha­cun a son propre che­min ; soyez ouvert aux autres ; atten­dez-vous à l’imprévu. Simples mais pro­fon­dé­ment vrais, ces élé­ments incarnent à mon avis ce que devraient être un bon lea­der­ship et une bonne ges­tion. Une vision, la défi­ni­tion des objec­tifs, KPI, appe­lez cela comme vous vou­lez ; cha­cun d’entre nous a com­men­cé le voyage avec un objec­tif. Cer­tains peuvent sem­bler banals, comme prendre du temps libre et se recon­nec­ter, ou plus pro­fonds, comme se remettre de la perte d’un être cher.

Quoi qu’il en soit, cette marche a per­mis aux gens de trans­for­mer un objec­tif phy­sique en quelque chose de plus per­son­nel et pro­fond. Inté­gri­té et res­pect : les lea­ders doivent incar­ner leurs valeurs et res­pec­ter leurs col­lègues. Sur le Che­min, les mar­cheurs ren­con­trés, mal­gré leurs dif­fé­rents hori­zons, se res­pec­taient mutuel­le­ment dans leur besoin de silence ou de par­tage. Ils s’aidaient mutuel­le­ment, par­ta­geant des che­mins, de la nour­ri­ture et même des chambres. Ils res­pec­taient éga­le­ment la nature, ché­ris­sant l’ombre des arbres, les points d’eau, ain­si que la sym­pho­nie des sons de la nature.

François Ganneau sur le chemin de Saint-Jacques

Diversité et écoute

La diver­si­té : nous avons main­te­nant des preuves que les équipes mixtes et diver­si­fiées per­forment mieux au tra­vail, que ce soit dans la salle de conseil, dans l’usine ou au bureau. Lors de ma marche, des hommes et des femmes de tous âges, de tous hori­zons et de toutes reli­gions ont appor­té leur éner­gie et leurs com­pé­tences uniques pour sou­te­nir le par­cours de chacun. 

À son rythme, cha­cun a trou­vé son propre che­min pour atteindre sa des­ti­na­tion. En fin de compte, tous aspi­raient à la paix inté­rieure et à la décou­verte de soi. La capa­ci­té d’écoute : j’ai ren­con­tré une femme remar­quable, une retrai­tée qui nous a rejoints tard dans la soi­rée à l’auberge où je séjour­nais, un peu éloi­gnée du che­min prin­ci­pal. Pen­dant le dîner, j’ai eu un bref aper­çu de sa moti­va­tion pour le voyage et j’ai pro­po­sé de me réveiller tôt pour mar­cher avec elle jusqu’à ce que nous rejoi­gnions le che­min, car elle sem­blait anxieuse. 

Le len­de­main matin, nous avons com­men­cé à par­ler plus, son his­toire m’a extrê­me­ment tou­ché, j’ai sen­ti qu’elle avait tel­le­ment d’énergie et de moti­va­tion. Sans entrer dans les détails intimes, elle est le pro­duit d’anciennes normes sociales (mariée sans réel choix, éle­vant seule sept enfants et s’occupant désor­mais de son mari malade). À ce stade de sa vie, elle a sen­ti qu’elle devait faire quelque chose pour elle-même, pour se retrou­ver. Cela avait été la ran­don­née ; elle avait rejoint un club quelques mois aupa­ra­vant et avait ensuite déci­dé de mar­cher jusqu’à San­tia­go. Cette marche était pour elle l’occasion de se réap­pro­prier sa vie et faire ses propres choix. Une leçon de sagesse et de recon­quête de soi ; que je n’ai pu com­prendre que grâce à l’écoute active.

Carpe diem !

Mon­trer l’exemple : de la même manière que pour les nou­veaux ran­don­neurs, lorsque de nou­velles recrues rejoignent une entre­prise, si elles voient que toute l’organisation res­pecte les valeurs pro­fes­sées, elles les inté­gre­ront et s’y confor­me­ront (l’inverse est éga­le­ment vrai). Aucune quan­ti­té d’écrits, de pan­neaux d’affichage ou de lettres en gras sur les murs ne rem­pla­ce­ra jamais les ver­tus de mon­trer l’exemple. Et le fun – pro­fi­tons du voyage !

Nous pas­sons plus de temps au tra­vail, avec nos col­lègues, nos clients, nos four­nis­seurs, nos par­te­naires, etc., qu’avec nos familles et nos amis. Il faut donc à mon sens que ces moments soient agréables. Pour se pré­pa­rer à l’imprévu et être prêt en tant qu’équipe qui fonc­tionne bien, j’ai consta­té qu’une atmo­sphère posi­tive, où les gens se sentent vrai­ment à l’aise et appré­cient le voyage, est clai­re­ment la meilleure option. Il n’y a pas de mariage for­cé, seule­ment des par­te­naires qui se choi­sissent et décident de faire en sorte que cela fonctionne.

Par­fois, une bonne blague lors d’une réunion ten­due aide­ra l’équipe à trou­ver une solu­tion et à cha­cun gar­der le moral. L’humour et l’autodérision sont éga­le­ment un bon moyen d’admettre ses propres erreurs. En pre­nant du recul, nous nous ren­drons compte que, dans la grande aven­ture de l’univers, les humains sont l’équivalent cos­mique d’une sto­ry Snap­chat, fugace : ici aujourd’hui, oublié demain. Pro­fi­tons au maxi­mum de notre (court) voyage sur Terre !

Forêt sur le chemin de Saint-Jacques Chemin recouvert de pierres sur le chemin de Saint-Jacques Chemin ombragé

Une vocation supérieure

Il est inté­res­sant de noter qu’environ un mar­cheur sur dix emprunte El Cami­no pour des rai­sons de foi ; en revanche la plu­part recherchent une intros­pec­tion spi­ri­tuelle, ce qui était tout à fait mon cas. Plus pro­fon­dé­ment, cela a révé­lé ce qui était évident : j’ai besoin d’avoir de l’impact en étant ancré dans le déve­lop­pe­ment durable, c’est ma « voca­tion supé­rieure », ce qui me fait sor­tir du lit avec enthou­siasme, ce qui me motive. Mes expé­riences pro­fes­sion­nelles, notam­ment en Inde et au Moyen-Orient, ont mis en évi­dence pour moi le besoin urgent de pra­tiques durables, dans un contexte de crois­sance éco­no­mique rapide et de dégra­da­tion de l’environnement. Je ter­mine cet article en adres­sant mes plus sin­cères remer­cie­ments à toutes les per­sonnes que j’ai ren­con­trées tout au long de mon par­cours (le long). Buen cami­no, bon chemin !

Arrivée à Saugues, Haute-Loire.
Arri­vée à Saugues, une étape du che­min de Saint-Jacques en Haute-Loire.

Commentaire

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michel.rostagnat.1975répondre
15 novembre 2024 à 21 h 20 min

Cher jeune camarade,
J’ai lu avec délec­ta­tion ton récit. Il se trouve que j’ai jadis épou­sé une fille de pay­san Avey­ron­nais qui m’a don­né ce tro­pisme rouer­gat qui t’a ins­pi­ré durant ta route et que depuis bien­tôt dix ans, je passe une semaine par an pos­té dans les petites cha­pelles du côté de Monis­trol d’Al­lier à accueillir le pèle­rin. Je me suis donc bien recon­nu dans les belles pho­tos que tu as pos­tées de Saint-Pri­vat d’Al­lier, de Saugues ou d’Au­brac, comme dans ta médi­ta­tion sur le lâcher prise inévi­table et salu­taire du Che­min où l’on se dépouille de tout sauf de sa bous­sole inté­rieure pour être ouvert à l’im­pré­vu (je dirais : à la Pro­vi­dence). Je serai heu­reux d’en repar­ler avec toi si les hasards de la vie nous en donnent le pré­texte. Bon Che­min, ultreia !

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