Le chemin de Saint-Jacques : une réflexion sur le leadership et un pèlerinage intérieur
Ce récit plonge dans ma récente marche solitaire, un voyage d’introspection, de leadership et de découverte de mon « pourquoi » (cf. Find your why, Simon Sinek, Penguin Group, 2016). Sur le célèbre chemin de Saint-Jacques, cette quête personnelle
m’a également mené à travers la beauté de la campagne française.
Au cours de l’été 2023, j’ai entamé un voyage personnel, introspectif et profondément pertinent pour l’étape où j’en étais. Rétrospectivement, cela m’a également aidé à comprendre le type d’équipier et de leader que je suis et à affiner ma vision du monde. Mais, surtout, cela m’a permis de voir ce qui est devenu évident a posteriori et ce qui me motive. Certains l’appellent la vocation supérieure, d’autres la « quête de son pourquoi ».
La genèse
La nature a toujours eu un effet apaisant sur mon esprit, que ce soit par l’observation des étoiles, par la contemplation des paysages ou par la randonnée. Pour moi, la randonnée est une profonde méditation. Pratique régulière où que je sois, j’envisageais depuis longtemps de partir en randonnée (ou devrais-je dire en quête ?) sur plusieurs jours, inspiré par de vifs souvenirs de l’ascension du Kilimandjaro ou de treks au Ladakh. Je rêve souvent de randonner en Amérique du Sud seul ou en Corse avec mes enfants lorsqu’ils seront un peu plus âgés.
Mais, à l’époque, j’avais besoin de temps pour moi. Appelons cela une crise de la quarantaine ou de la sagesse acquise, j’ai ressenti le besoin de faire une pause et de faire un examen de conscience – de réfléchir au passé, d’apprécier à leur juste valeur les éléments positifs et les défis, et de trouver une nouvelle énergie pour les années à venir. De plus, je ne me souviens pas d’une autre période depuis 2008 où j’aie réussi à prendre trois semaines de vacances complètes.
En parallèle, j’étais également curieux de voir comment une randonnée intense de plus de deux semaines affecterait mon corps et mon esprit, étant donnée la croyance commune qu’il faut 2–3 semaines pour briser une habitude et en former de nouvelles (attention ! c’est un mythe).
La préparation
Vers la mi-juin, j’ai décidé de profiter au maximum de mon mois de juillet et j’ai hésité entre une randonnée de onze jours autour du Mont-Blanc et un trek plus long sur le chemin de Saint-Jacques. Le récit d’un bon ami sur son expérience du Chemin a fait pencher la balance. J’ai réservé mon billet de train, organisé les premières nuits, et je suis parti. Après deux jours bien remplis à Paris, j’ai pédalé à travers la ville un dimanche matin pour rejoindre la gare. Quelques heures plus tard, après avoir apprécié les paysages verts et magnifiques (il faut aimer le train), j’ai atteint l’un des points de départ célèbres, Le Puy-en-Velay. Remarque : j’ai réalisé dans le train que j’avais oublié mes écouteurs. Freud aurait probablement dit que c’était ce dont j’avais besoin pour « couper le cordon » et plonger pleinement dans l’aventure. C’est exactement ce que j’ai ressenti !
Le voyage
Bien que j’y sois allé seul, j’ai rencontré de nombreuses personnes, en particulier dans les différents hébergements collectifs. Des personnages de tous horizons et de toutes régions du monde, en quête spirituelle personnelle. J’ai toujours été étonné de voir à quel point il est facile d’avoir des conversations personnelles très profondes avec des inconnus, parfois bien plus facilement qu’avec des amis proches ou de la famille. Tant l’aspect physique du voyage (paysages, effort musculaire) que l’aspect mental se sont fondus en une expérience cohérente rarement ressentie. Cette expérience a fait en moi écho au mouvement Slow Food.
De la même manière que préparer et savourer un repas permet de vivre une expérience plus riche, profonde et plaisante que la restauration rapide, traverser de magnifiques paysages à pied dévoile des détails invisibles depuis une voiture ou un train. Vous vous immergez dans les couleurs, les sons, les odeurs ; tous vos sens sont exacerbés.
Prendre le temps
C’est à mon avis l’une des raisons pour lesquelles votre esprit peut également traiter vos pensées intérieures et donner un sens à votre vision du monde, à vos expériences passées, et vous permettre de voir plus clairement ce que vous ressentez. Cela a facilité l’introspection, m’a permis de mieux analyser et gérer mes émotions, de donner un sens à mon passé et de mieux me comprendre et de mieux comprendre mes motivations.
“Le chemin de Saint-Jacques : un moment pour se « réinitialiser ».”
Dans notre monde moderne, nous prenons rarement le temps de réfléchir posément. Bien sûr, dix à quinze minutes par jour de méditation profonde sont bénéfiques, mais je soutiens que cela ne suffit pas et que vous avez besoin de pauses plus longues. Beaucoup considèrent le chemin de Saint-Jacques comme un moment pour se « réinitialiser ». C’est certainement un voyage personnel inestimable ainsi qu’une occasion en or de se déconnecter véritablement, de vivre un quotidien plus lent, et paradoxalement plus riche, avec moins d’interruptions modernes.
Les leçons apprises
Le voyage ne se résume pas à des vues magnifiques ou à des personnes inspirantes et généreuses ; ce fut un véritable trésor de souvenirs : se promener seul dans des forêts sombres et silencieuses, à différentes heures de la journée ; passer la nuit dans une tour du XIVe siècle ou dans un couvent ; faire du canoë sur le Lot entre deux des plus beaux villages de France ; partager des moments personnels sincères et des rires avec des inconnus (vraiment rire au point d’avoir du mal à reprendre son souffle et d’en avoir mal aux abdominaux) ; s’engager dans une discussion profonde sur nos plus grandes peurs ; réfléchir à la dynamique d’équipe, à l’exemple à suivre et à l’intelligence collective.
Cette profonde introspection m’a permis, peut-être pour la première fois, de réfléchir de manière plus stratégique à ma carrière et à ma vie : que veux-je faire, où me vois-je dans 5–10 ans, qu’est-ce que je n’aime pas ou plus ? Au début, ce fut un exercice difficile et j’ai réalisé que notre culture ne nous apprend pas à passer du temps de qualité avec nous-mêmes. En fin de compte, ce voyage m’a apporté un sentiment de paix. Il m’a offert l’occasion de me recentrer, loin des distractions quotidiennes et des sollicitations incessantes.
Le leadership sous un nouvel angle
Les conseils récurrents sur El Camino ont profondément résonné avec ma vision du leadership : chacun a son propre chemin ; soyez ouvert aux autres ; attendez-vous à l’imprévu. Simples mais profondément vrais, ces éléments incarnent à mon avis ce que devraient être un bon leadership et une bonne gestion. Une vision, la définition des objectifs, KPI, appelez cela comme vous voulez ; chacun d’entre nous a commencé le voyage avec un objectif. Certains peuvent sembler banals, comme prendre du temps libre et se reconnecter, ou plus profonds, comme se remettre de la perte d’un être cher.
Quoi qu’il en soit, cette marche a permis aux gens de transformer un objectif physique en quelque chose de plus personnel et profond. Intégrité et respect : les leaders doivent incarner leurs valeurs et respecter leurs collègues. Sur le Chemin, les marcheurs rencontrés, malgré leurs différents horizons, se respectaient mutuellement dans leur besoin de silence ou de partage. Ils s’aidaient mutuellement, partageant des chemins, de la nourriture et même des chambres. Ils respectaient également la nature, chérissant l’ombre des arbres, les points d’eau, ainsi que la symphonie des sons de la nature.
Diversité et écoute
La diversité : nous avons maintenant des preuves que les équipes mixtes et diversifiées performent mieux au travail, que ce soit dans la salle de conseil, dans l’usine ou au bureau. Lors de ma marche, des hommes et des femmes de tous âges, de tous horizons et de toutes religions ont apporté leur énergie et leurs compétences uniques pour soutenir le parcours de chacun.
À son rythme, chacun a trouvé son propre chemin pour atteindre sa destination. En fin de compte, tous aspiraient à la paix intérieure et à la découverte de soi. La capacité d’écoute : j’ai rencontré une femme remarquable, une retraitée qui nous a rejoints tard dans la soirée à l’auberge où je séjournais, un peu éloignée du chemin principal. Pendant le dîner, j’ai eu un bref aperçu de sa motivation pour le voyage et j’ai proposé de me réveiller tôt pour marcher avec elle jusqu’à ce que nous rejoignions le chemin, car elle semblait anxieuse.
Le lendemain matin, nous avons commencé à parler plus, son histoire m’a extrêmement touché, j’ai senti qu’elle avait tellement d’énergie et de motivation. Sans entrer dans les détails intimes, elle est le produit d’anciennes normes sociales (mariée sans réel choix, élevant seule sept enfants et s’occupant désormais de son mari malade). À ce stade de sa vie, elle a senti qu’elle devait faire quelque chose pour elle-même, pour se retrouver. Cela avait été la randonnée ; elle avait rejoint un club quelques mois auparavant et avait ensuite décidé de marcher jusqu’à Santiago. Cette marche était pour elle l’occasion de se réapproprier sa vie et faire ses propres choix. Une leçon de sagesse et de reconquête de soi ; que je n’ai pu comprendre que grâce à l’écoute active.
Carpe diem !
Montrer l’exemple : de la même manière que pour les nouveaux randonneurs, lorsque de nouvelles recrues rejoignent une entreprise, si elles voient que toute l’organisation respecte les valeurs professées, elles les intégreront et s’y conformeront (l’inverse est également vrai). Aucune quantité d’écrits, de panneaux d’affichage ou de lettres en gras sur les murs ne remplacera jamais les vertus de montrer l’exemple. Et le fun – profitons du voyage !
Nous passons plus de temps au travail, avec nos collègues, nos clients, nos fournisseurs, nos partenaires, etc., qu’avec nos familles et nos amis. Il faut donc à mon sens que ces moments soient agréables. Pour se préparer à l’imprévu et être prêt en tant qu’équipe qui fonctionne bien, j’ai constaté qu’une atmosphère positive, où les gens se sentent vraiment à l’aise et apprécient le voyage, est clairement la meilleure option. Il n’y a pas de mariage forcé, seulement des partenaires qui se choisissent et décident de faire en sorte que cela fonctionne.
Parfois, une bonne blague lors d’une réunion tendue aidera l’équipe à trouver une solution et à chacun garder le moral. L’humour et l’autodérision sont également un bon moyen d’admettre ses propres erreurs. En prenant du recul, nous nous rendrons compte que, dans la grande aventure de l’univers, les humains sont l’équivalent cosmique d’une story Snapchat, fugace : ici aujourd’hui, oublié demain. Profitons au maximum de notre (court) voyage sur Terre !
Une vocation supérieure
Il est intéressant de noter qu’environ un marcheur sur dix emprunte El Camino pour des raisons de foi ; en revanche la plupart recherchent une introspection spirituelle, ce qui était tout à fait mon cas. Plus profondément, cela a révélé ce qui était évident : j’ai besoin d’avoir de l’impact en étant ancré dans le développement durable, c’est ma « vocation supérieure », ce qui me fait sortir du lit avec enthousiasme, ce qui me motive. Mes expériences professionnelles, notamment en Inde et au Moyen-Orient, ont mis en évidence pour moi le besoin urgent de pratiques durables, dans un contexte de croissance économique rapide et de dégradation de l’environnement. Je termine cet article en adressant mes plus sincères remerciements à toutes les personnes que j’ai rencontrées tout au long de mon parcours (le long). Buen camino, bon chemin !
Commentaire
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Cher jeune camarade,
J’ai lu avec délectation ton récit. Il se trouve que j’ai jadis épousé une fille de paysan Aveyronnais qui m’a donné ce tropisme rouergat qui t’a inspiré durant ta route et que depuis bientôt dix ans, je passe une semaine par an posté dans les petites chapelles du côté de Monistrol d’Allier à accueillir le pèlerin. Je me suis donc bien reconnu dans les belles photos que tu as postées de Saint-Privat d’Allier, de Saugues ou d’Aubrac, comme dans ta méditation sur le lâcher prise inévitable et salutaire du Chemin où l’on se dépouille de tout sauf de sa boussole intérieure pour être ouvert à l’imprévu (je dirais : à la Providence). Je serai heureux d’en reparler avec toi si les hasards de la vie nous en donnent le prétexte. Bon Chemin, ultreia !