Le Chevalier à la rose
Cette production a près de quinze ans (créée à Salzbourg puis à l’Opéra Bastille, quel souvenir nous en gardons!), et elle est toujours aussi magnifique. Filmée l’année dernière à Baden-Baden dans la plus belle distribution possible aujourd’hui, elle est maintenant disponible avec un des plus beaux DVD du catalogue.
Le Chevalier à la rose, en binôme avec Ariane à Naxos, marque un nouveau virage dans le style de Strauss après les deux opéras postromantiques, expressionnistes et violents que sont Salomé et Elektra. Ici (1911), il n’y a plus de violence mais au contraire un esprit mozartien et un raffinement « Âge des Lumières », où des personnages viennois du XVIIIe siècle chantent autour des rythmes de valses du XIXe siècle sur une musique du XXe siècle. La Maréchale (on pense à la Comtesse des Noces de Figaro) se sacrifie et laisse son jeune amant le chevalier Octavian (chanté par une mezzo, référence au Chérubin des Noces) partir avec la belle Sophie à qui il apportait la rose, symbole de la demande en mariage, pour le compte du grossier baron Ochs.
Le grand poète et dramaturge Hugo von Hofmannsthal collabora avec Strauss pour ses plus grands opéras. Sur cette intrigue construite par Hofmannstahl dans le style de Marivaux, Strauss met en musique trois voix de femmes dans des airs et des ensembles magnifiques (le réveil après la nuit d’amour à l’acte I, le coup de foudre à l’acte II, le trio final de l’acte III). Il fait aussi traverser l’opéra par une basse bouffe comme Mozart ou Rossini les utilisait, représentant le grossier puis grotesque Baron. C’est probablement l’opéra par lequel on doit débuter sa découverte de l’univers lyrique de Strauss.
Pour cela, le DVD Decca est probablement celui à conseiller en priorité. La distribution fait rêver : la belle Renée Fleming a pris le relais depuis quinze ans de Schwarzkopf (années 50) et Kiri Te Kanawa (années 70–80) comme la voix de référence pour ces grands rôles mozartiens ou straussiens. Elle est une Maréchale absolument exceptionnelle (les ensembles dans les premier et troisième actes, et le célèbre air où, nostalgique, elle regrette son âge). La formidable Sophie Koch est parfaite et très crédible en Octavian. Diana Damrau, dont la notoriété est désormais bien assurée, est une très belle Sophie. Franz Hawlata est idéal à la fois musicalement et dans le contraste qu’il fait ressentir entre la grossièreté de son personnage et le raffinement de la Maréchale. D’ailleurs tous les chanteurs sont aussi des acteurs très crédibles (y compris physiquement) et rendent de façon naturelle les comportements des personnages.
La production s’offre même le luxe de distribuer le grand ténor Jonas Kaufmann dans le rôle d’un chanteur italien qui chante un air anachronique et parodique au premier acte. Rappelons que Strauss n’aimait pas la voix de ténor, et qu’il utilise cette tessiture pour ses personnages fades ou faibles (Bacchus, Faninal, l’Empereur, Égisthe, Hérode), ou pour s’en moquer, comme ici. Ses vrais héros masculins sont barytons basses (Oreste, Jochanaan) ou mezzo (Octavian, Le Compositeur).
Le chef Christian Thielemann est un des plus grands chefs du moment, pas assez valorisé en France. Il a été magistral dans Beethoven l’année dernière à Paris, l’un des plus riches qu’il nous a été donné d’entendre. Il est ici l’architecte de l’ensemble, et le maître d’œuvre de la réussite musicale qu’ont été ces représentations (c’est une œuvre d’une grande complexité à diriger).
On l’a dit la production est extrêmement belle à voir. Les costumes sont idéaux, la mise en scène très adaptée. Mais ce sont les décors qui rendent ces DVD irremplaçables, avec des boiseries, des grands escaliers majestueux et des jeux de miroirs dont on se souviendra longtemps.