Le cimetière des étoiles disparues
Eduardo, quel a été ton parcours ?
E.V. : Je suis de double nationalité brésilienne et italienne. J’avais commencé des études en ingénierie aéronautique au Brésil, quand j’ai eu l’opportunité de présenter l’X comme élève étranger. Je me suis présenté au concours, et j’ai été reçu. J’ai intégré la promo 2015. À l’École, j’ai commencé par un stage très intensif pour maîtriser le français. J’ai vite été séduit par la physique et j’ai décidé de m’orienter vers la recherche. En 3A, j’ai suivi le parcours passionnant « Des particules aux étoiles » avec Frédéric Daigne, puis en 4A j’ai eu la chance de pouvoir faire un stage de quatre mois au télescope Canada-France-Hawaï. C’est un observatoire cogéré par le CNRS, qui est implanté près du sommet du Mauna Kea à Hawaï, à plus de 4 000 m d’altitude. À mon retour en 2019, j’ai rejoint l’observatoire de Paris pour un stage avec Gary Mamon, qui se poursuit maintenant en deuxième année de doctorat. Gary, mon directeur de thèse, est un ancien du MIT et de Princeton, qui a rejoint l’Institut d’astrophysique de Paris en 1993.
Parle-nous de cette découverte du « cimetière d’étoiles ».
E.V. : Tout cela part de la constatation qu’il est difficile d’observer une classe de trous noirs particulière, celle des trous noirs « de masse intermédiaire ». Autant les trous noirs supermassifs, qui sont situés au centre des galaxies et dont la masse vaut plusieurs millions de fois celle de notre Soleil, sont relativement faciles à mettre en évidence, tout comme les trous noirs stellaires, autant les trous noirs intermédiaires, dont la masse est intermédiaire – comme leur nom l’indique – entre ces deux catégories extrêmes, sont peu observables. Nous avons donc cherché à en observer en étudiant un amas globulaire particulier, l’amas NGC 6397, qui se trouve l’un des plus proches de la Terre, à 7 800 années-lumière seulement (on peut le voir à l’œil nu dans de bonnes conditions d’observation). Pourquoi s’intéresser à cet amas particulier ? Les amas globulaires sont des amas d’étoiles contenant typiquement une centaine de milliers d’étoiles distribuées dans une sphère dont la taille varie d’une vingtaine à quelques centaines d’années-lumière. Leur densité est ainsi très élevée. La théorie montre que, dans ce type d’amas extrêmement denses, les interactions au centre de l’amas entre les étoiles doivent conduire à la formation de trous noirs qui ont tendance à fusionner pour former ces fameux trous noirs intermédiaires.
Les a‑t-on finalement observés ?
E.V. : C’est là qu’est intervenue la surprise. Nous avions deux sources de données sur cet amas : celles du télescope Gaia de l’Agence spatiale européenne, mais qui ne donnait pas assez de données sur les étoiles au centre de l’amas ; et celles de Hubble, qui au contraire donne beaucoup de données sur le centre. Sur ces données, j’ai d’abord appliqué le code développé par Gary, qui permet de tester différents modèles de vitesses et d’orbites pour les étoiles. Nous avons testé différentes configurations potentielles, et nous avons conclu que la meilleure modélisation correspondait à une distribution des masses sans le trou noir ponctuel qu’on pouvait s’attendre à trouver au centre, mais avec une masse invisible davantage répartie. Cette masse n’était pas ponctuelle comme elle aurait dû l’être en présence d’un trou noir plus massif : elle s’étendait sur une échelle de quelques pourcents de la taille totale de l’amas.
Mais alors la question devient : qu’est-ce que c’est que cette masse invisible ?
E.V. : La plus grande partie de cette masse pourrait être composée de petits trous noirs, formés à la fin de vie des étoiles très massives. Leur présence au cœur de l’amas pose cependant différents problèmes. On sait que les corps les plus massifs ont tendance à tomber plus rapidement vers le centre de l’amas : leur orbite diminue progressivement (il faut compter plusieurs millions d’années). Dans le processus, des trous noirs peuvent finir par fusionner. Ils émettent alors un très violent flash d’ondes gravitationnelles (l’équivalent en énergie de toute la lumière observable dans l’univers en quelques millièmes de seconde !), ce qui par réaction éjecte hors de l’amas le trou noir résultant de la fusion. Il reste donc du travail pour comprendre comment les étoiles mortes et les trous noirs interagissent au cœur de l’amas pour donner naissance à cette masse invisible relativement étendue.
Cette masse de trous noirs, vous l’avez décelée par le calcul. Mais peut-on l’observer directement ?
G.M. : C’est une bonne question ! Comment peut-on confirmer par l’observation ce que nous avons mis en évidence par nos modélisations ? Il faudrait tester la stabilité du système au moyen de simulations de l’évolution dynamique du système à N corps. D’ailleurs, il y a bien des choses qu’on ne comprend pas encore à propos de ces amas : on voudrait comprendre comment le système a pu évoluer vers ce qu’il est aujourd’hui.