Le classement de Shanghai rend fou
Le fameux classement de Shanghai des universités mondiales est biaisé. Il incite les réformateurs d’Europe continentale et d’Asie à vouloir imiter des universités américaines à l’environnement difficilement reproductible, ou bien un système d’enseignement supérieur dont les résultats réels n’offrent pas d’avantages significatifs. Il est temps de revenir à la raison.
Les opinions publiques et certains dirigeants politiques considèrent comme paroles d’évangile divers classements censés rendre compte de la qualité comparée des différents établissements d’enseignement supérieur de la planète, les plus influents étant ceux publiés annuellement par l’université Jiao Tong de Shanghai et la revue britannique Times Higher Education (aucun lien avec le Times ou le Financial Times).
Une évaluation de la recherche académique
La méthode britannique
Cambridge inclut dans la liste de ses alumni ayant obtenu un prix Nobel Gérard Debreu, normalien français naturalisé américain ayant effectué ses travaux de recherche d’abord en France puis ensuite aux États-Unis… et donné quelques leçons à Cambridge. De même, l’université de Bristol fait figurer Le Clézio dans la liste de ses alumni ayant obtenu le prix Nobel de littérature.
La liste des paramètres pris en compte par Shanghai pour établir son classement est très brève : publications de chaque université et citations de ses chercheurs, nombre de prix Nobel et de médailles Fields obtenus par ses anciens élèves et son personnel. Il s’agit donc beaucoup plus d’une évaluation de la recherche conduite par les universités que de la qualité de leur enseignement. Même dans ce domaine précis, cette approche introduit de graves distorsions. Il existe par exemple, en Allemagne et en France, d’importants organismes de recherche extra-universitaires. Shanghai ne prend pas en compte ces organismes extra-universitaires qui apportent une contribution importante à la recherche nationale. Quant au volume de publications d’un établissement, est-ce un indicateur bien fiable de la qualité des travaux menés ? La présence parmi le corps professoral de titulaires de prix Nobel ou de médailles Fields n’apporte pas automatiquement aux étudiants la garantie d’une formation exceptionnelle. Peu d’entre eux seront en contact suivi avec ces personnalités, qui pourront être plus soucieuses de l’avancement de leurs recherches que de leurs responsabilités d’enseignement, pour lequel elles n’ont d’ailleurs peut-être aucune disposition particulière. Finalement, au niveau d’un pays l’indicateur le moins contestable de la qualité de la formation de haut niveau dispensée aux étudiants qui se destinent à la recherche est le nombre de ceux qui y ont été formés avant d’obtenir, là ou ailleurs, des prix Nobel ou des médailles Fields pas trop anciens. (Voir tableau ci-contre.)
Chercheurs non académiques, cadres et dirigeants
Comment mesurer la qualité de la formation dispensée à l’immense majorité des étudiants, c’est-à-dire tous ceux qui ne se destinent pas à la recherche académique ? Quid de la formation de professionnels, de cadres et de dirigeants pour l’ensemble des activités humaines, aspect que le classement de Shanghai ignore complètement ?
Certains chercheurs sont amenés à beaucoup publier pour justifier leur activité
On peut estimer que de bons indicateurs de la qualité des formations supérieures sont des chiffres tels que le PNB par habitant, après exclusion des rentes minières ou financières, la proportion de sociétés du pays figurant parmi les plus grandes sociétés mondiales, l’évolution de ces chiffres. Si on se base sur le deuxième critère en utilisant la liste Global 500 éditée chaque année par la revue américaine Fortune, comme le fait par exemple l’École des mines de Paris, on obtient les résultats ci-dessous.
Gare aux mesures expéditives
Se fixer comme objectif de progresser rapidement dans le classement de Shanghai conduit à recommander des mesures expéditives : regrouper les universités, leur rattacher l’ensemble de la recherche nationale, leur faire recruter des stakhanovistes de la publication en anglais et plus généralement leur faire adopter un mode de gestion copié sur les premiers des classements, Américains et Britanniques.
Mesurer la qualité de la formation dispensée à l’immense majorité des étudiants
La qualité réelle de notre enseignement supérieur y gagnera-t-elle ? La réalité est beaucoup plus subtile. Pourquoi le Royaume-Uni, malgré les apparences, ne fait-il pas mieux que l’Allemagne ou la France ? Pourquoi les sept millions de Suisses, qui ne sont pourtant pas anglophones, arrivent-ils à de tels résultats ? Pourquoi y a‑t-il un tel décalage en France entre différentes disciplines ? Tenir compte des réponses à de telles questions, voilà qui permettrait d’améliorer réellement notre enseignement supérieur.