Le Comité des carrières : un outil au service du développement de l’efficacité collective de l’équipe de direction et de l’entreprise
Depuis dis ans, le monde de l’entreprise a fait beaucoup d’efforts pour professionnaliser la gestion de carrières des collaborateurs. Entretiens annuels, revues des compétences, 360°, évaluations croisées ; elle a mis en place de nombreux outils et procédures pour objectiver les évaluations des personnes et rendre ainsi plus lisibles et plus justes les promotions internes et réussir les mobilités professionnelles.
Au cœur de ce dispositif (destiné en général à l’ensemble des cadres si ce n’est à l’ensemble des collaborateurs), les cadres à haut potentiel, qui constituent une ressource rare pour l’entreprise, bénéficient bien sûr d’une attention particulière. Leur gestion de carrière (évolution et mobilité) est directement prise en charge par les membres de l’équipe de direction, qui, régulièrement, se réunissent au sein du « comité des carrières ». La réussite de ces « comités des carrières » est donc cruciale, et la qualité des solutions trouvées par l’équipe de direction déterminante pour l’entreprise.
Mais cet exercice est difficile et la façon dont ces réunions se déroulent est souvent ressentie comme frustrante : trop courtes ou trop longues, mal animées, les échanges peuvent y être difficiles. L’évaluation des personnes semble alors à certains membres de l’équipe de direction avoir été faite « à l’emporte-pièce », les rendant finalement peu satisfaits du fonctionnement collectif de l’équipe bien qu’ils ne soient pas toujours capables de pointer précisément les dysfonctionnements de ces comités.
Or, notre expérience nous montre qu’une amélioration substantielle tient souvent à peu de choses. Cet article vous propose de revenir sur le fonctionnement de l’équipe de direction, puis sur l’incidence de ce fonctionnement sur les collaborateurs de l’entreprise, avant d’envisager quelques pistes de progrès.
Un fonctionnement qui peut altérer la qualité des décisions prises et fragiliser « l’écologie relationnelle » et la confiance au sein de l’équipe de direction
Pour Sustainable, l’insatisfaction dont les dirigeants nous parlent relève, avant tout, d’un problème d’animation qui se joue à deux niveaux
- la méthode suivie pour identifier le collaborateur le plus adapté au poste,
- la qualité des échanges et leur régulation entre les membres de l’équipe.
Prenons une situation type d’un comité des carrières : un poste stratégique est vacant à l’international, il faut rapidement expatrier un des cadres de l’entreprise. Après que le dirigeant opérationnel ou le responsable des cadres dirigeants a exposé la situation, l’un des membres dit « et si on mettait Duchemin ! ». Les échanges s’engagent alors dans un débat sans fin sur la personne la plus à même d’occuper le poste. Chacun soupçonne son voisin de vouloir protéger ses propres ressources ou au contraire de se « débarrasser » de certains collaborateurs. Dès lors, les noms fusent, aussitôt écartés et l’équipe s’épuise à tomber d’accord sur un nom.
De plus, excepté pour ceux qui ont eu des occasions de collaborer avec le candidat et qui savent bien quelles sont ses capacités, les autres membres de l’équipe de direction n’ont que peu d’éléments pour se faire un avis. Ils disposent rarement, en effet, d’un état capitalisé des points forts et faibles démontrés par la personne au fil de ses différents postes.
Ainsi, les commentaires réalisés sur les candidats relèvent souvent plus du jugement sur les personnes (il est comme ceci ou comme cela) que de l’évaluation objectivée de ses compétences et potentiels (il est capable de telle chose en telle situation). Dès lors, les jugements ne peuvent s’effectuer qu’à » l’emporte-pièce « , sans ancrage dans des situations professionnelles concrètes.
Que s’est-il passé ? Dans la « bataille », les membres de l’équipe n’ont pas pris le temps de faire, ensemble, une analyse du contexte et des enjeux du poste à pourvoir (état actuel et environnement de la structure, difficultés du poste qui en découlent…) et des qualités requises pour le tenir. Privés de cette synchronisation préalable, chacun des membres a regardé la situation avec sa propre représentation des qualités requises pour le poste et donc des personnes susceptibles de l’occuper au mieux. Difficile alors de s’entendre !
Par ailleurs, entendre ses pairs considérer « abusivement » des collaborateurs, sans que ces échanges soient régulés et les avis objectivés, a pu générer des interprétations sur les positions de chacun et fragiliser ainsi « l’écologie relationnelle » de l’équipe ; sa capacité à être et travailler ensemble, en confiance.
L’équipe a perdu beaucoup de temps pour arriver à une solution qui, souvent, n’est pas satisfaisante pour l’entreprise, d’une part, parce qu’elle n’est pas le fruit d’un partage du contexte et des enjeux entre les membres de l’équipe, et d’autre part, parce qu’elle peut s’avérer peu pertinente aux yeux de certains et générer chez eux de la déception, voire de l’amertume. De plus, la façon dont se sont déroulés les échanges peut au fil du temps fragiliser la confiance et le respect mutuel au sein de l’équipe de direction.
Un fonctionnement qui a un impact direct sur la confiance du cercle des cadres vis-à-vis de l’équipe de direction
La confidentialité des échanges : une règle précieuse à appliquer en réunion…
En général implicite, cette règle précieuse protège bien sûr les collaborateurs de l’entreprise, mais aussi l’équipe de direction. Elle a en effet au moins deux vertus. D’une part, elle libère la parole au moment de la réunion : désaccords, jugements de valeur ou simples débordements de langage peuvent être exprimés sans que les membres de l’équipe de direction aient à craindre qu’ils soient répétés ou utilisés contre eux. D’autre part, elle organise et « cadre » la parole à l’issue de la réunion : chacun sait qu’il peut faire part à ses collaborateurs des décisions prises sans pour autant divulguer les échanges qui ont permis d’y parvenir.
Quand la confidentialité prive du sens… sans empêcher parfois la rupture du « pacte de silence »
Mais cette règle, nécessaire au moment des échanges au sein du comité des carrières, peut avoir dans certains cas ses limites, voire générer des effets pervers qui peuvent fragiliser les cadres et leur adhésion au projet d’entreprise.
En appliquant à la lettre la règle de confidentialité, la communication interne à l’issue des comités des carrières se limite souvent aux décisions prises stricto sensu (« A est nommé ici », « B prend la place de C qui nous quitte pour aller dans une autre filiale du groupe »). À force de précaution et de mise sous silence du contenu des débats et des éventuelles divergences qui s’y sont fait jour, l’équipe de direction finit par avoir tendance à ne pas suffisamment expliciter, lors de la communication de la décision, le processus de décision suivi, les critères de la décision et même les enjeux de l’entreprise pris en compte dans la décision. Elle prive ainsi les collaborateurs du sens des décisions prises et d’une partie de leur légitimité.
Par ailleurs, nous observons souvent que cette règle, qui peut apparaître pourtant si protectrice, n’est pas toujours scrupuleusement respectée au sortir des réunions. Pour quelles raisons ? Comment expliquer que, souvent, « tout finit toujours par se savoir » ?
Pour nous, la règle de confidentialité ne peut être respectée par les membres de l’équipe que si toutes les autres règles qui structurent les échanges au sein du comité des carrières le sont. Or, comme nous l’avons vu plus haut, d’autres règles élémentaires dans la régulation des échanges (respect de la parole de l’autre, considération des collaborateurs, objectivation des avis…) ne sont pas observées, en toutes circonstances, par le groupe.
Certains se sentent ainsi la « permission » de ne pas respecter totalement cette règle puisque d’autres ont été transgressées. Même si chacun sait, en son for intérieur, que cela peut être destructeur pour l’équipe et pour les collaborateurs, ce qui est « communiqué » alors n’est souvent pas le « sens des décisions » mais bien l’intimité des coups de gueule, des contradictions, des oppositions qui animent l’équipe de direction.
Un fonctionnement d’équipe de direction qui peut fragiliser la confiance et donc l’adhésion des collaborateurs
Un processus dont les règles sont floues, des décisions qui ne sont pas éclairées des enjeux de l’entreprise, une équipe de direction qui donne à ses collaborateurs directs des signes d’inconstance, de désaccord et de méfiance génèrent insécurité et perte de confiance mutuelle entre l’équipe de direction et ses collaborateurs.
Pour Sustainable, plus le système de gestion apparaît comme clair (on sait sur quoi et comment on est jugé), équitable et juste (la transparence des décisions le démontre), plus la confiance mutuelle se développe, la sécurité professionnelle et personnelle des collaborateurs est assurée et au final l’engagement et l’adhésion à l’entreprise se démontrent. Le système de gestion des cadres, plus qu’un simple outil de gestion des compétences, est ainsi porteur de la confiance et de l’adhésion des cadres au projet de l’entreprise. Il est une des clés de leur mobilisation et de leur réussite.
Construire un système de gestion des cadres qui porte les valeurs de l’entreprise
Nous avons mis en évidence le fait que la façon dont une équipe de tête gère les carrières de ses cadres dirigeants agit sur deux dimensions :
- la confiance au sein de l’équipe de tête et en conséquence la qualité des décisions prises,
- la confiance du cercle des cadres, et notamment des hauts potentiels, vis-à-vis de l’équipe de tête et en conséquence son niveau d’adhésion au projet d’entreprise.
Au final, comment suivre, reconnaître et placer, là où ils seront les meilleurs, ces cadres dont les performances et l’engagement déterminent les réussites à venir de l’entreprise ? Nous proposons six pistes de progrès à engager.
Apprendre à partager les ressources rares, en développant la confiance entre les membres de l’équipe
Comme nous l’avons vu, un système de gestion des carrières doit apparaître comme juste et équitable pour renforcer le « lien social » et l’efficacité collective au sein de l’entreprise. Mais, ces bénéfices sont attendus de tous les systèmes de gestion des carrières, et pas seulement de ceux concernant les cadres à hauts potentiels. Ce qui est spécifique à un système de gestion destiné aux hauts potentiels, c’est que la ressource gérée est, par nature, une ressource rare, que l’on n’est a priori ni prêt à donner, ni enclin à partager. Or, le principe même des comités des carrières est d’organiser les flux des compétences dans l’entreprise, de penser et mettre en œuvre les mobilités, en cohérence avec ses enjeux.
Un positionnement clair du comité des carrières est donc nécessaire : son objectif doit être non seulement d’assurer la visibilité, la valorisation et l’exploitation des hauts potentiels (comme c’est le cas des autres compétences de l’entreprise), mais également, voire principalement, d’en assurer le partage entre les différentes entités de l’entreprise.
Pour cela, il nous semble donc nécessaire de faire apparaître clairement que les règles de partage s’appliquent de façon homogène et de développer les liens de confiance au sein de l’équipe en faisant par exemple en sorte que, si l’un de ses membres est capable de mettre à disposition un bon élément, il sera à son tour appuyé et soutenu par le reste de l’équipe lorsqu’il cherchera un collaborateur.
Clarifier les valeurs qui fondent l’entreprise
Réunion à fort enjeu, le comité des carrières est un moment unique de confrontation des valeurs personnelles et professionnelles des membres de l’équipe de direction, un lieu où s’élaborent et s’expriment les valeurs qui fondent l’entreprise en matière d’évaluation, de reconnaissance, de promotion… Mais souvent, ces valeurs ne sont pas explicites au sein du groupe et l’équipe de direction n’a pas pris le temps de les poser comme règles pour la prise de décision. Comme nous l’avons vu, cela peut entraîner des incompréhensions de fond, des désaccords de principe.
Ainsi, avant de se lancer dans des débats sans fin pour « mettre la bonne personne au bon endroit », nous recommandons au comité des carrières de répondre à trois questions simples :
1) dans votre entreprise, qu’est-ce que vraiment une « promotion » ? Au-delà de l’augmentation de salaire, est-ce être responsable de quelque chose de plus gros ? de plus grand ? de plus difficile ? de plus urgent ? Quelles sont vos pratiques de mobilité ?
2) comment y juge-t-on les personnes ? à l’affectif, en se fiant à l’instinct ? en analysant des résultats chiffrés ? en se référant aux collaborateurs de la personne ? en utilisant des outils communs à tous… ? Quelles sont vos pratiques d’évaluation ?
3) êtes-vous satisfaits de cet état de fait ? êtes-vous sûrs que ces pratiques sont en cohérence avec les objectifs que vous avez fixés au système de gestion des hauts potentiels ?
Cette clarification permet la mise en qualité des échanges (moins de perte de temps, plus de sérénité), et donne des éléments concrets aux membres de l’équipe de direction pour expliquer, aux collaborateurs, les décisions prises.
Faire le deuil de « l’homme à tout faire »
On ne peut pas être bon partout. Cela semble évident, et pourtant de nombreux « flops de carrière » sont dus au fantasme encore vivace que quelqu’un qui a été brillant dans une situation donnée le sera forcément dans une autre.
En corollaire, il y a donc bien la nécessité, pour le comité des carrières, de s’interroger, pour chacun des cas qui se présente à lui, sur les forces et les faiblesses de la personne, sur le type de situations où elle excelle, sur les domaines où elle révèle, au mieux, ses capacités… bref de faire une analyse contextualisée de ses savoir-faire, compétences, aptitudes et potentiels.
Utiliser des outils pour structurer les avis
Pour réaliser cette évaluation objectivée, le comité des carrières a besoin d’outils et de procédures qui lui permettent de faire l’analyse croisée d’une part des compétences et potentiels de la personne, et d’autre part des défis et des spécificités du poste.
Introduisant de la méthode dans les modes de gestion de l’entreprise et dans le fonctionnement des comités des carrières, ces outils et procédures ont la vertu de structurer les avis des directeurs, de donner du sens à leurs intuitions et donc de « factualiser » et légitimer leurs décisions.
Se doter d’un système sur mesure
Mais il n’y a pas de système de gestion des hauts potentiels à mettre en place « clés en main ». C’est à chaque entreprise de concevoir les outils et de mettre en place les procédures qui correspondent le mieux à sa culture, son contexte et son métier. C’est parce que le comité des carrières saura, ainsi, se doter d’un système clair et cohérent avec son environnement que ce système sera non seulement efficace, mais aussi perçu par ses bénéficiaires comme pertinent, juste et équitable.
Ne pas s’arrêter à la décision.
Communiquer sur les décisions pour partager, avec les collaborateurs, les enjeux de l’entreprise
Quand les décisions sont issues d’un processus clair et fiable, qui assure la cohérence avec les enjeux de l’entreprise, pour nous, c’est un véritable « gâchis managérial » de ne pas en faire un objet de communication. Une mobilité, une promotion est une décision stratégique. Communiquer autour de ces décisions est une occasion simple et forte de réaffirmer les valeurs de l’entreprise et de mobiliser les cadres autour de ses grands défis. L’équipe de direction ne doit pas s’en priver.