Le commerce électronique sur Internet : la naissance d’un nouvel univers marchand ?

Dossier : Le MultimédiaMagazine N°550 Décembre 1999
Par Jean-Claude PÉLISSOLO (58)

Après trois ans de tâton­ne­ments, le com­merce élec­tro­nique appa­raît de moins en moins comme une simple réplique du maga­sin phy­sique dans l’univers vir­tuel, pas plus qu’un pro­lon­ge­ment du concept tra­di­tion­nel de vente par correspondance.
Ce nou­veau média engendre de nou­veaux modes de pro­mo­tion, de tran­sac­tion, de fixa­tion des prix, de fidélisation.
Il a ses modèles éco­no­miques propres, ses marques spé­ci­fiques, ses cham­pions. Il est, grâce aux outils qu’il per­met d’activer, le domaine de pré­di­lec­tion du mar­ke­ting one to one. Il réduit l’écart de visi­bi­li­té entre les grands groupes et les PME. Il est la rampe de lan­ce­ment d’une nou­velle géné­ra­tion d’entrepreneurs, dont l’imagination créa­trice peut, d’ici à cinq ans, révo­lu­tion­ner le com­merce et les pro­ces­sus d’échanges interindustries.

En guise d’introduction

S’il est un domaine où Inter­net crée des rup­tures et révo­lu­tionne les usages, c’est bien celui du commerce.

Qu’il s’a­gisse de com­merce de détail, où le client est un par­ti­cu­lier, ou de com­merce entre entre­prises, dans la chaîne de valeur ajou­tée allant du maté­riau brut au pro­duit fini ; qu’il s’a­gisse de biens maté­riels ou de ser­vices, de tran­sac­tions finan­cières ou de loi­sirs : tous les sec­teurs mar­chands sont ou seront concer­nés et modi­fiés en pro­fon­deur, dans leur struc­ture, dans leur com­por­te­ment, dans leur économie.

Cette troi­sième révo­lu­tion du com­merce, après celle des grands maga­sins à la fin du xixe siècle ou celle des grandes sur­faces dans les années 60, pour­rait bien être la plus por­teuse de rup­tures éco­no­miques et cultu­relles, y com­pris dans notre façon de vivre, de consom­mer et de travailler.

Le com­merce élec­tro­nique sur Inter­net a débu­té en 1995, avec l’in­ven­tion du Web et l’ap­pa­ri­tion des pre­miers sites marchands.

Dans un pre­mier temps, on n’y a vu qu’un nou­vel ava­tar de la vente par cor­res­pon­dance, un Mini­tel amé­lio­ré par la pré­sence de l’i­mage et la mon­dia­li­sa­tion du média. On par­lait de cata­logue élec­tro­nique, trans­po­si­tion numé­rique du cata­logue papier. On par­lait de bou­tiques vir­tuelles ou de gale­ries mar­chandes élec­tro­niques, et les méta­phores uti­li­sées à l’é­cran sin­geaient les hyper­mar­chés : cad­dies, allées, rayons, caisses enregistreuses.

Mais déjà, des ques­tions sur­gis­saient, posées par les plus lucides et les plus visionnaires :

  • faut-il vrai­ment repro­duire dans le monde vir­tuel le modèle phy­sique du magasin ?
  • qu’at­tend et espère le client, que le maga­sin ne lui apporte pas ?
  • où va être la nou­velle valeur ajoutée ?
  • faut-il au com­merce élec­tro­nique de nou­veaux entrepreneurs ?

La plu­part des réponses sont venues de l’Ouest, en rafales, de plus en plus nombreuses.

Aux États-Unis, le ter­rain avait été pré­pa­ré par le « ticket » Clin­ton-Gore, qui, dès 1992, avait intel­li­gem­ment orien­té les prio­ri­tés fédé­rales vers les tech­no­lo­gies de l’information.

Uti­li­sant les oppor­tu­ni­tés offertes par la chute ver­ti­gi­neuse du prix du numé­rique et l’ex­plo­sion cor­ré­la­tive des parcs pro­fes­sion­nel et domes­tique de PC, les USA ne tar­daient pas à faire d’In­ter­net l’ins­tru­ment prin­ci­pal de com­mu­ni­ca­tion entre chaque entre­prise et son environnement.

Un foi­son­ne­ment de nou­veaux logi­ciels, un bouillon­ne­ment per­ma­nent d’i­dées inno­va­trices, une créa­tion conti­nue de start-ups pour exploi­ter ces idées, et le résul­tat : une crois­sance moyenne de 4,3 % en dol­lars constants sur les cinq der­nières années, tirée pour l’es­sen­tiel par les tech­no­lo­gies de l’information.

Le décor indus­triel et com­mer­cial a com­men­cé à en être trans­for­mé de fond en comble. Main­te­nant que la pous­sière sou­le­vée par la tor­nade est un peu retom­bée outre-Atlan­tique, il est pos­sible de dis­cer­ner les contours du nou­veau paysage.

Nous allons donc bra­quer suc­ces­si­ve­ment le pro­jec­teur sur deux popu­la­tions :

  • les inter­nautes,
  • les entre­prises,

et deux notions :

  • les pro­ces­sus commerciaux,
  • les modèles économiques.

Les internautes

Ils sont, selon les son­dages les plus récents, de l’ordre de 170 mil­lions, dont :

  • 100 mil­lions aux USA,
  • 36 mil­lions en Europe,
  • 5 mil­lions en France.

Ces nombres doublent tous les ans. Les 10 mil­lions d’in­ter­nautes seront atteints en France avant la fin de l’an 2000.

L’in­ter­naute a accès à « la Toile » (fran­ci­sa­tion du Web) soit par son propre PC domes­tique, et un abon­ne­ment (1,5 mil­lion en France), soit par son entre­prise ou son école.

Certes, l’in­ter­naute ne va pas sur Inter­net que pour y faire ses emplettes. Et le pour­cen­tage d’a­che­teurs y est même encore net­te­ment mino­ri­taire : 30 % aux États-Unis, 12 % en France ; mais ces pour­cen­tages sont en forte crois­sance d’une année sur l’autre.

Au total, les par­ti­cu­liers ont ache­té sur le Net pour 11 mil­liards de dol­lars en 19981. Pour 1999, on attend un chiffre de 31 mil­liards de dol­lars1. C’est encore une pro­por­tion insi­gni­fiante du com­merce de détail mon­dial, mais cette pro­por­tion double tous les ans depuis cinq ans. Rap­pe­lons-nous la para­bole des grains de blé sur l’é­chi­quier ! Même si l’on s’ar­rête à dix ans, cela repré­sente un fac­teur 1 000…

Qu’est-ce qui pousse l’in­ter­naute à ache­ter en ligne ? Une bonne adé­qua­tion du média à cer­taines de ses attentes. Les ins­ti­tuts de son­dage nous disent que le maître mot en matière d’at­tentes du consom­ma­teur moderne, c’est le mot liber­té :

  • liber­té d’a­che­ter quand il veut, où il veut, à qui il veut,
  • sous la forme qui lui convient,
  • avec le maxi­mum de choix,
  • et la plus grande trans­pa­rence pos­sible de l’offre.

En outre, il sou­haite que le pro­ces­sus d’a­chat soit simple et confor­table. Mais il ne renonce pas pour autant à payer le meilleur prix pos­sible, ni à être trai­té avec consi­dé­ra­tion et res­pect, comme une per­sonne, et non comme un cha­land anonyme.

Les meilleurs sites ont par­fai­te­ment com­pris et inté­gré ces attentes. C’est la clé de leur succès.

Les entreprises

Le pro­jec­teur découvre là un pano­ra­ma très contras­té, d’une grande diversité.

Si 62 % des entre­prises amé­ri­caines de plus de 100 sala­riés sont pré­sentes sur Inter­net2 (et 20 % des entre­prises fran­çaises de même taille) cette pré­sence peut être :

  • une simple vitrine ins­ti­tu­tion­nelle (« site-plaquette »),
  • ou, à l’autre extré­mi­té du spectre, une véri­table place de mar­ché, où les visi­teurs trouvent tout ce dont ils ont besoin pour s’in­for­mer, choi­sir, com­man­der, payer, suivre à la trace le trai­te­ment de leur com­mande, dia­lo­guer avec les autres visi­teurs, etc.
    Les visi­teurs peuvent être des par­ti­cu­liers (com­merce « B to C ») ou des entre­prises (« B to B »).
    L’en­tre­prise peut être entiè­re­ment dédiée à Inter­net (« Net-entre­prise ») et dans ce cas elle peut même être qua­si­ment vir­tuelle, ce qui n’ex­clut pas une forte valeur ajou­tée et une valo­ri­sa­tion bour­sière consi­dé­rable. Mais elle peut être aus­si une entre­prise tra­di­tion­nelle dési­reuse d’être pré­sente sur ce nou­veau média :
  • soit pour des rai­sons défen­sives (contrer une Net-entre­prise qui menace sa part de mar­ché : exemple de Barnes & Nobles atta­quée par Ama­zon, ou de Toys » R » Us mena­cé par e‑Toys),
    . soit pour des rai­sons offensives :
    – cap­ture d’un nou­veau seg­ment de marché,
    – attaque d’une nou­velle zone géographique,
    – recherche d’une meilleure fidé­li­sa­tion de clien­tèle, etc.
  • soit… à toutes fins utiles, et pour aller voir de quoi il retourne !
    Cette der­nière moti­va­tion n’est d’ailleurs pas aus­si ridi­cule qu’on pour­rait le penser.

En effet, je suis pour ma part per­sua­dé que même une entre­prise qui choi­si­ra de res­ter dans le sché­ma tra­di­tion­nel de vente sera affec­tée, indi­rec­te­ment, par le com­merce électronique.

Car la plu­part des clients « zap­pe­ront » en per­ma­nence entre les maga­sins phy­siques et les sites vir­tuels. Et la visite de ces der­niers aug­men­te­ra leur niveau d’exi­gence, par exemple en matière d’ho­raires d’ou­ver­ture des maga­sins, de trans­pa­rence de l’offre, de lar­geur de l’assortiment.

Les com­mer­çants auront donc tous inté­rêt à anti­ci­per ces chan­ge­ments com­por­te­men­taux de leur clien­tèle, et la meilleure manière d’y par­ve­nir est d’a­voir une pré­sence, même modeste, sur Internet.

Ter­mi­nons ce bref coup de pro­jec­teur sur les entre­prises par un constat quan­ti­ta­tif : si la part du com­merce élec­tro­nique dans le com­merce mon­dial est encore infime, il existe déjà, sur le Net, des entre­prises mil­liar­daires (en dol­lars) en chiffre d’affaires.

Trois exemples par­mi des dizaines :

  • Dell Com­pu­ter Cor­po­ra­tion vend chaque jour sur Inter­net pour 30 mil­lions de dol­lars de PC,
  • CISCO, lea­der mon­dial des sys­tèmes de rou­tage pour Inter­net, uti­lise le réseau qu’il contri­bue à construire pour vendre pour 32 mil­lions de dol­lars de maté­riel par jour, soit plus de 70 % de son chiffre d’af­faires total,
  • Ama­zon est sur un rythme de 3,5 mil­lions de dol­lars de ventes quotidiennes.

Les processus commerciaux

Bien qu’ins­pi­rés par les mêmes rai­son­ne­ments « mar­ke­ting » que le com­merce tra­di­tion­nel, les pro­ces­sus du com­merce élec­tro­nique sont de plus en plus spé­ci­fiques et originaux.

Vendre sur InternetIl s’a­git avant tout d’ex­ploi­ter à des fins d’ef­fi­ca­ci­té com­mer­ciale les pos­si­bi­li­tés tech­niques offertes par le Net, et la dis­pa­ri­tion des contraintes du maga­sin physique.

Quelques exemples.

Il est facile d’é­lar­gir l’as­sor­ti­ment, pro­fi­tant de l’ab­sence de la contrainte de sur­face qui péna­lise les maga­sins tra­di­tion­nels. Wal-Mart, le plus grand com­mer­çant du monde, déclare que le pre­mier objec­tif de son site est d’of­frir trois fois plus de pro­duits à la vente (500 000) que le plus grand de ses hyper­mar­chés sur le ter­ri­toire US (150 000). Ama­zon pro­pose sur son site l’ac­cès à un cata­logue de 4,7 mil­lions d’ar­ticles (livres, CD, etc.).

La contrainte de fixi­té des prix (régle­men­ta­tion mise à part) est aisé­ment contour­nable sur Inter­net : la pro­cé­dure de chan­ge­ment des éti­quettes y est très légère, tout logi­ciel de tari­fi­ca­tion s’en charge en quelques micro­se­condes. D’où le suc­cès de ce que les Amé­ri­cains appellent le « dyna­mic pri­cing », et qui se décline en :

  • sites d’en­chères : une des plus belles per­cées com­mer­ciales de ces douze der­niers mois, avec plus de 1 800 sites en ligne et un chiffre d’af­faires glo­bal de 1 mil­liard de dol­lars en 1998,
  • sites de mar­chan­dage, comme hagglezone.com !
  • outils de per­son­na­li­sa­tion, qui per­mettent de faire une pro­mo­tion sur l’é­cran et en temps réel, uni­que­ment visible par un visi­teur dont le par­cours a été sui­vi par un « agent intelligent ».

La notion de mar­ke­ting inverse s’im­pose éga­le­ment : l’in­ter­mé­diaire devient le man­da­taire du client, et non plus celui du four­nis­seur. D’où la flo­rai­son de sites aidant le client à défi­nir et spé­ci­fier son besoin, puis lui pro­po­sant sur un même écran la pano­plie des offres concur­rentes répon­dant à ce besoin, et le cas échéant l’o­rien­tant vers le four­nis­seur choi­si. Cer­tains même vont jus­qu’à effec­tuer un mini-appel d’offres pour le compte du client.

L’é­lar­gis­se­ment de la zone de cha­lan­dise au monde entier est aus­si un fac­teur de per­son­na­li­sa­tion des sites. Créant des voca­tions d’ex­por­ta­teur au sein d’en­tre­prises (notam­ment de PME) se limi­tant jus­qu’i­ci au ter­ri­toire natio­nal, il les conduit à décli­ner sur leur site de 2 à 8 langues dif­fé­rentes, et à en per­son­na­li­ser le conte­nu pour s’a­dap­ter aux régle­men­ta­tions et usages des pays ciblés.

Dans le domaine du B to B, et à côté de la fonc­tion « vente », le sec­teur des appro­vi­sion­ne­ments tend à deve­nir un domaine de pré­di­lec­tion pour l’emploi du Net. Gene­ral Elec­tric, au tra­vers de son site tpn.geis.com, émet et gère pour plus de 1 mil­liard de dol­lars par an d’ap­pels d’offres élec­tro­niques, et déclare éco­no­mi­ser par ce canal plus de 30 % de ses coûts admi­nis­tra­tifs d’approvisionnement.

Les modèles économiques

Il est cou­rant de lire et d’en­tendre que le com­merce élec­tro­nique ne pro­fite qu’aux four­nis­seurs de tech­no­lo­gie et aux consul­tants, et que tous les » Net-com­mer­çants » sont dans le rouge.

C’est inexact. Certes, beau­coup de ces entre­prises et notam­ment par­mi les plus connues (et aus­si les mieux valo­ri­sées en Bourse) sont lour­de­ment défi­ci­taires. Cela d’ailleurs tient sou­vent à l’am­pleur des dépenses pro­mo­tion­nelles qu’elles exposent, par­fois même à la demande pres­sante de leurs action­naires inves­tis­seurs, et ceci pour créer rapi­de­ment et avant leurs concur­rents une marque puis­sante, et se consti­tuer un gigan­tesque fichier clients. Certes, beau­coup de ces entre­prises n’ar­ri­ve­ront pas à leurs fins et auront dis­pa­ru dans les trois à cinq ans à venir.

Mais nombre d’ac­teurs du Net sont déjà pro­fi­tables, par­fois même très pro­fi­tables, et ceux-là se répar­tissent dans toutes les caté­go­ries : por­tails, sites d’in­ter­mé­dia­tion, ven­deurs directs de pro­duits ou de services.

Une étude d’Ac­tiv­Me­dia montre que 42 % des sites B to B en ligne depuis plus de deux ans sont déjà bénéficiaires.

Quelles sont les para­mètres qui jouent sur la rentabilité ?

En B to B, les entre­prises qui achètent sur le Net cherchent avant tout à réduire leurs coûts d’ap­pro­vi­sion­ne­ment, et à élar­gir la concur­rence par­mi leurs fournisseurs.

Paral­lè­le­ment, celles qui vendent sur le Net cherchent à élar­gir leur ter­ri­toire de vente et à réduire leurs coûts d’approche.

Enfin, les unes et les autres cherchent à sim­pli­fier les cir­cuits d’é­changes et à rac­cour­cir les délais, pour fonc­tion­ner en flux ten­du et dimi­nuer les stocks.

Par exemple, Dell a réus­si à rame­ner ses stocks de pro­duits finis de trois semaines à six jours, avan­tage éco­no­mique consi­dé­rable car appli­qué à un chiffre d’af­faires de 24 mil­liards de dollars !

En B to C, les reve­nus géné­rés vont dépendre direc­te­ment de l’au­dience du site (nombre de visi­teurs par mois) et du taux d’ac­ti­vi­té de ses visi­teurs (fré­quence d’a­chats effectifs).

Sché­ma­ti­que­ment, il y a trois sortes de revenus.

D’a­bord, les ventes directes (de pro­duits ou de ser­vices). Les rele­vés faits ces der­niers mois sur des sites mar­chands de taille suf­fi­sante montrent que les écarts de prix avec ceux des maga­sins phy­siques ne sont pas signi­fi­ca­tifs. Quant aux marges, elles sont amé­lio­rées par des coûts d’u­sage plus faibles (pas d’in­ves­tis­se­ments maté­riels), mais elles sont éro­dées par la néces­si­té de livrer à un tarif de livrai­son qui couvre rare­ment les coûts.

Mais le vrai avan­tage est ailleurs. Il réside dans la facul­té, pour peu qu’on s’en donne la peine, de mieux connaître ses clients, leurs attentes, leur com­por­te­ment, leur capa­ci­té d’a­chat ; donc de mieux cibler les offres per­son­na­li­sées, et d’en reti­rer un taux de retour sen­si­ble­ment supé­rieur. Cela sup­pose une com­bi­nai­son effi­cace d’une stra­té­gie de mar­ke­ting « one to one » et d’ou­tils de per­son­na­li­sa­tion uti­li­sables sur le Web.

Une deuxième source de reve­nus est la publi­ci­té sur site, sous forme de « ban­nières » ou ban­deaux, « cli­quables » ou non. Des por­tails ou des sites de très forte audience, comme Yahoo ou Geo­ci­ties, tirent l’es­sen­tiel de leurs reve­nus de cette publi­ci­té. Mais glo­ba­le­ment, bien que le mon­tant de chiffre d’af­faires publi­ci­taire soit encore modeste par rap­port à celui géné­ré par d’autres médias (2 mil­liards de dol­lars dans le monde en 1998, soit vingt fois moins que celui géné­ré par la publi­ci­té télé­vi­suelle), on per­çoit déjà des signes de satu­ra­tion, et les inter­nautes res­sentent l’ex­cès de ban­nières sur un site comme une pol­lu­tion, vite dissuasive.

La troi­sième source de reve­nus, beau­coup moins connue et pra­ti­quée en Europe qu’aux États-Unis, est l’affi­lia­tion. Celle-ci consiste à pro­fi­ter de la pré­sence d’un inter­naute sur un site (mar­chand ou non) pour lui pro­po­ser des pro­duits en phase avec ses pré­oc­cu­pa­tions du moment, mais ven­dus sur un autre site. Exemple : le visi­teur d’un site d’in­for­ma­tion sur l’en­nei­ge­ment des sta­tions de sport d’hi­ver sera bien dis­po­sé vis-à-vis d’une offre attrayante de vête­ments de ski. Ces sites sont donc rému­né­rés par des com­mis­sions sur chaque achat qu’ils ont géné­ré. Des sites comme Ama­zon ou, en France, Ala­page, réa­lisent 35 % de leur chiffre d’af­faires par ce processus.

L’af­fi­lia­tion fonc­tionne un peu à rebours des fameux por­tails, qui cris­tal­lisent ces temps-ci, en Europe, à la fois l’at­ten­tion des médias et l’in­té­rêt des inves­tis­seurs, alors même que les États-Unis com­mencent à appré­cier les limites de leur efficacité.

Le por­tail vise à cana­li­ser les inter­nautes, dès leur arri­vée sur le Net, vers un site géné­ra­liste, qui les oriente ensuite, par un sys­tème de pan­neaux indi­ca­teurs, vers des sites spé­cia­li­sés, en fonc­tion de leurs thèmes d’in­té­rêt ou de leur pré­oc­cu­pa­tion du moment. Ces sites rému­nèrent les por­tails les plus fré­quen­tés, pour figu­rer en bonne place, voire de façon exclu­sive dans leur caté­go­rie, sur ces pan­neaux d’orientation.

L’af­fi­lia­tion revient au contraire, pour un site mar­chand, à mul­ti­plier le nombre de sites rabat­teurs, qui consti­tuent une sorte de galaxie autour de lui (Ama­zon a 350 000 sites affi­liés !) et, moyen­nant com­mis­sion, à leur sous-trai­ter une par­tie du pro­ces­sus com­mer­cial : le plus sou­vent, le choix par le client d’un pro­duit, au sein d’un sous-ensemble de l’as­sor­ti­ment (dans l’exemple pré­cé­dent du sport d’hi­ver, on pour­ra consul­ter et ache­ter sur le site tous les livres sur le ski dis­po­nibles au cata­logue d’Amazon).

Les tendances

Le com­merce élec­tro­nique sur Inter­net est loin de la matu­ri­té. Des fai­blesses, réelles ou sup­po­sées, entravent encore sa crois­sance. Citons, en vrac :

  • l’in­suf­fi­sance du parc, qui limite, en France par exemple, à 10 % des foyers l’ac­ces­si­bi­li­té du média,
  • la crainte d’in­sé­cu­ri­té, lar­ge­ment ampli­fiée par la presse, mais qui est encore la cause la plus fré­quem­ment citée par les inter­nautes qui refusent d’a­che­ter en ligne,
  • la com­plexi­té d’ac­cès via le PC, qui exclut des pans entiers de la popu­la­tion, et, au moins par­tiel­le­ment…, des tranches d’âge,
  • l’in­suf­fi­sante pré­pa­ra­tion des entre­prises à la vente à dis­tance, notam­ment en matière de logis­tique de pré­pa­ra­tion des com­mandes, de tra­ça­bi­li­té et de livrai­son à domicile,
  • cer­taines impré­ci­sions dans l’ar­se­nal juri­dique, ou tout au moins dans son appli­ca­tion concrète au com­merce en ligne, sur­tout lorsque l’a­che­teur et le ven­deur ne sont pas de même nationalité,
  • la len­teur d’af­fi­chage sur écran, du fait de gou­lets d’é­tran­gle­ment du débit dis­po­nible sur le tra­jet entre le ser­veur du site consul­té et le PC du client qui le consulte. Cette pénu­rie de lar­geur de bande anni­hile en par­tie l’un des avan­tages pour­tant les plus pré­cieux d’In­ter­net pour un com­mer­çant : pou­voir mon­trer des images, fixes ou ani­mées, de ce qu’il pro­pose à la vente.

Lis­ter ces fai­blesses actuelles, c’est aus­si indi­quer les pistes d’a­mé­lio­ra­tion, et tra­cer les tendances :

  • contre l’in­suf­fi­sance du parc et la com­plexi­té d’u­sage des PC : l’ap­pa­ri­tion pro­chaine de nou­veaux moyens d’ac­cès à Inter­net, spé­cia­li­sés, simples, « presse-bou­ton », et peut-être pro­po­sés gra­tui­te­ment avec un abon­ne­ment. C’est aus­si l’ou­ver­ture pro­chaine à Inter­net de dizaines, bien­tôt de cen­taines de mil­lions de télé­phones cel­lu­laires, par­fai­te­ment adap­tés à des usages de consul­ta­tion ou de tran­sac­tions simples et rapides,
  • contre l’in­sé­cu­ri­té réelle ou sup­po­sée : l’a­dop­tion de stan­dards de cryp­to­gra­phie, assu­rant une pro­tec­tion adap­tée à chaque niveau de risque uni­taire. Mais aus­si la géné­ra­li­sa­tion pro­gres­sive de pro­cé­dures d’as­su­rance garan­tis­sant le client ou le mar­chand du risque de fraude,
  • contre l’in­suf­fi­sance de lar­geur de bande : l’ap­pa­ri­tion de tech­no­lo­gies nou­velles (ADSL, trans­mis­sion à fort taux de com­pres­sion) conju­guées à un effort d’in­ves­tis­se­ment sans pré­cé­dent des grands opérateurs.

Dans le domaine B to B, dont j’es­time per­son­nel­le­ment qu’il conti­nue­ra à repré­sen­ter dans l’a­ve­nir la majeure par­tie du com­merce élec­tro­nique, rares seront les entre­prises qui pour­ront échap­per à la conta­gion. Ne serait-ce que parce qu’elles auront dans leur envi­ron­ne­ment (clients, four­nis­seurs, par­te­naires, admi­nis­tra­tions) des inter­lo­cu­teurs qui, ayant fran­chi le pas, les inci­te­ront for­te­ment à le fran­chir à leur tour, afin d’op­ti­mi­ser les gains d’usage.

À cet égard, les pro­fes­sions qui uti­lisent aujourd’­hui de façon cou­rante l’E­DI (échange de don­nées infor­ma­ti­sé) se pré­parent à bas­cu­ler les pro­ces­sus cor­res­pon­dants sur Inter­net, en pro­fi­tant pour les étendre à des PME jus­qu’i­ci non concer­nées : c’est le Web-EDI, por­té par un nou­veau lan­gage des­crip­tif d’ob­jets : XML.

En bref, les rela­tions inter­en­tre­prises vont être de plus en plus pro­fon­dé­ment mar­quées par un fonc­tion­ne­ment en réseau, basé sur la mise en place de mul­tiples « extra­nets » (réseaux pri­vés par­ta­gés par des entre­prises par­te­naires et uti­li­sant les pro­to­coles d’In­ter­net). Ces extra­nets seront les sup­ports d’é­changes de toutes sortes : tech­niques, com­mer­ciaux, financiers.

Enfin, il ne faut pas oublier que, sur Inter­net, la néces­si­té d’ins­tau­rer un rap­port de confiance entre le ven­deur et le client est d’au­tant plus forte que celui-ci ne voit pas (ou pas encore) celui-là. D’où l’o­bli­ga­tion, pour les nou­veaux venus, de créer des marques de forte noto­rié­té, afin d’é­ta­blir et de conso­li­der cette confiance.

Cette course à la noto­rié­té de la marque et des sites qui la portent devrait, à mon sens, orien­ter les options stra­té­giques des prin­ci­paux acteurs, au moins pour les trois à cinq ans à venir.

Pour conclure, quelques recommandations

Je vais, au risque de gâcher le métier de consul­tant que j’exerce, dévoi­ler ici quelques-uns des pièges que je signale à mes clients pour leur évi­ter d’y tomber.

Ou plu­tôt, je vais indi­quer les façons les plus sûres de rater son entrée sur le com­merce électronique :

  • créer un site sans avoir vrai­ment réflé­chi à ce que vous vou­lez en faire (c’est plus fré­quent qu’on ne pense, mais c’est mortel),
  • ne pas spé­ci­fier le type de client que vous sou­hai­tez séduire et fidé­li­ser sur le Net,
  • si vous avez choi­si de créer un site tran­sac­tion­nel, le consi­dé­rer comme une pièce rap­por­tée, sans connexion robuste et fiable avec votre sys­tème d’in­for­ma­tion existant,
  • démar­rer sans avoir rodé le « back-office », et véri­fié la robus­tesse et l’ef­fi­ca­ci­té de la logis­tique d’ap­pro­vi­sion­ne­ment et de livraison,
  • ne pas pré­voir la pro­mo­tion du site et son réfé­ren­ce­ment sur les prin­ci­paux moteurs de recherche, ni le bud­get correspondant,
  • ne pas vous pré­oc­cu­per de l’er­go­no­mie du site ; pen­ser que le client sera ravi de revivre ses émo­tions de jeu­nesse en sui­vant un jeu de piste pour trou­ver ce qu’il cherche sur le site,
  • ne pas pré­voir un outil de sécu­ri­sa­tion des tran­sac­tions : pen­ser que l’in­ter­naute a natu­rel­le­ment le goût du risque,
  • pré­voir une mes­sa­ge­rie pour per­mettre au client de vous poser des ques­tions…, et ne pas pré­voir un dis­po­si­tif de réponse sous vingt-quatre heures,
  • ne pas vous pré­oc­cu­per de l’au­dience du site, et ne pas avoir pré­vu d’ou­tils ou de ser­vices de fidé­li­sa­tion de la clientèle.

Si vous n’êtes tom­bés dans aucun de ces pièges, bra­vo. Il vous res­te­ra à convaincre vos visi­teurs fidèles que vous avez de bons pro­duits à leur vendre, mais pour cela je vous fais confiance !

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1. Source Data­quest octobre 1999.
2. Réfé­rence Yan­kee Group.

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