Le commerce mondial au risque de l’environnement
A priori antinomiques, commerce et environnement ne sont pas des réalités inconciliables. La protection et la préservation de l’environnement sont des objectifs reconnus par l’OMC. Les textes autorisent les membres de se prévaloir d’objectifs environnementaux pour déroger à certaines règles, mais les risques d’abus sont réels. L’OMC est donc amenée à développer une jurisprudence pour éviter que la protection de l’environnement ne soit un prétexte au protectionnisme.
Les opinions exprimées dans ce texte sont personnelles à l’auteur et ne lient ni les membres ni le Secrétariat de l’OMC.
REPÈRES
L’OMC est avant tout un forum dans lequel les gouvernements négocient des règles visant à prévenir les restrictions au commerce et à empêcher certaines actions protectionnistes. Les négociations se déroulent sous forme de cycles. Dans le cycle actuel de Doha, l’agenda contient plus d’une vingtaine de sujets différents.
Au sein des comités de l’OMC (comité sur l’agriculture, comité sur les subventions, etc.), les gouvernements discutent et prennent des décisions concernant la mise en oeuvre des règles acceptées en commun. Les membres doivent notifier les lois et autres instruments réglementaires affectant les échanges commerciaux.
Lorsque des différends surviennent entre membres, les gouvernements ont la possibilité de les soumettre à l’Organe de règlement des différends, sorte de « tribunal » interne en deux instances.
Enfin le Secrétariat de l’OMC offre aux membres un appui sous forme d’expertise et de formation.
Entrée en vigueur en 1995, l’OMC (continuatrice des actions de l’ancien GATT) dispose de compétences principalement commerciales et contient essentiellement des règles et disciplines à destination des gouvernements à l’exclusion des particuliers et entreprises. Lorsque des entreprises font face à des problèmes commerciaux causés par d’autres gouvernements, ces entreprises doivent se plaindre auprès de leur propre gouvernement qui, s’il le juge pertinent, pourra soulever la question bilatéralement avec le gouvernement concerné, porter le débat dans les forums de l’OMC, ou, si nécessaire, poursuivre le gouvernement qui aurait adopté une loi, un règlement, ou une pratique contraire aux règles de l’OMC.
L’Organisation a quatre grandes fonctions et offre des forums pour la négociation, l’administration des accords négociés et la surveillance de leur mise en oeuvre, le règlement des différends entre les membres et la formation technique.
Favoriser le commerce en combattant le protectionnisme
Une équipe réduite mais efficace
Le Secrétariat de l’OMC est très petit et très efficace : entre 500 et 700 personnes ; son budget est de moins du tiers de celui de l’OCDE. Le Secrétariat a formellement très peu de pouvoirs, mais informellement son expertise dans des sujets pointus lui permet d’avoir une certaine influence par l’intermédiaire des propositions des membres et des présidents des groupes de négociations et de travail.
L’objectif principal des règles de l’OMC est de favoriser le commerce en facilitant l’ouverture des marchés et en interdisant certaines actions protectionnistes, tout en permettant aux gouvernements de donner la priorité à des objectifs non commerciaux, tels que la protection de l’environnement.
Ces règles contiennent des principes fondamentaux appelés » obligations d’accès au marché » qui sont : l’obligation de respecter les maximums tarifaires négociés pour chaque produit ; l’obligation d’éviter toute discrimination entre marchandises similaires importées (clause de la nation la plus favorisée) et entre marchandises importées et nationales similaires (obligation du traitement national) ; et l’interdiction de maintenir à la frontière des quotas et autres restrictions quantitatives non justifiées.
L’obligation du traitement national est certainement une règle fondamentale du système juridique OMC au titre de laquelle les gouvernements s’engagent à ne pas traiter les marchandises importées de façon moins favorable que les marchandises nationales » similaires « . Bien que son application demeure délicate, les gouvernements restent autorisés à distinguer des marchandises similaires en se fondant sur l’une des justifications énoncées dans les dispositions d’exceptions de l’article XX et donc à les traiter différemment sur le plan commercial.
Faire prévaloir des objectifs environnementaux
L’article XX du GATT pose les exceptions permettant aux membres de l’OMC de déroger, par exemple, à la règle du traitement national afin de poursuivre des objectifs fondés notamment sur la protection de la santé, l’environnement ou bien encore la moralité publique.
En interprétant de façon « évolutive » cet article, et en soulignant notamment la référence expresse à l’objectif du « développement durable » énoncé dans le préambule de l’OMC, le tribunal de l’OMC a posé les principes de réconciliation entre commerce et santé, mais également commerce et environnement. Les principes jurisprudentiels dégagés ont permis d’associer obligations commerciales et la protection de l’environnement.
Il est en effet un principe spécifique à l’OMC que les exceptions, dont celles touchant à l’environnement, ne doivent pas être interprétées strictement. Elles sont aussi importantes que les obligations générales et en cas de litige, le tribunal devra s’assurer qu’un » équilibre » est maintenu entre les intérêts commerciaux et environnementaux. Chaque pays demeure libre de déterminer le » niveau de protection » désiré, sous réserve de demeurer » cohérent » et de s’abstenir de restrictions déguisées et de protectionnisme.
Les États peuvent également maintenir des standards nationaux plus élevés que les standards internationaux sous réserve de justification. Un principe essentiel veut que les mesures nationales conformes et compatibles avec les standards internationaux existants (négociés dans des forums spécialisés) soient présumées compatibles avec les règles de l’OMC, même si elles sont restrictives pour le commerce. Il s’agit là encore d’une application du principe de cohérence
Ne pas traiter les marchandises importées de façon moins favorable que les marchandises nationales « similaires »
En effet, à l’OMC, se négocient essentiellement et quasi-exclusivement des réductions de droits de douane et de subventions ; les standards internationaux et autres normes internationales sont négociés dans d’autres forums d’experts comme le Codex ou l’ISO. L’OMC donne cependant aux standards internationaux une valeur juridique importante : quand un membre applique et respecte les normes et standards internationaux existants, son action est présumée compatible avec les règles de l’OMC même si elle restreint le commerce international.
Quant au test de compatibilité, une mesure nationale, a priori contraire aux règles de base du GATT-OMC, peut être justifiée aux termes de l’article XX si elle » est apte à contribuer matériellement à la réalisation de la politique visée – comme la protection de l’environnement « . L’importance de la valeur – santé publique, environnement, etc. – protégée par la mesure nationale est cruciale dans la détermination de la compatibilité de même mesure avec les règles de l’OMC. Par exemple dans le conflit France-Canada sur l’amiante, le tribunal a statué que la protection de la santé était la plus grande valeur humaine.
Un cas d’école
Dans l’affaire Brésil-CE – Pneus rechapés, l’Organe d’appel a constaté que l’interdiction par le Brésil d’importer des pneus rechapés était » à même d’apporter une contribution importante à la réalisation de son objectif » à savoir la réduction des volumes de pneus de rebut qui peuvent avoir des effets très néfastes sur l’environnement et la santé. Alors même que la mesure contestée n’était pas idéale, le tribunal a néanmoins constaté que les solutions de rechange proposées par la CE, qui avaient un caractère essentiellement correctif (mesures de gestion et d’élimination des déchets), n’étaient pas de véritables substituts à l’interdiction d’importer, qui seule pouvait empêcher l’accumulation de tels pneus. Le tribunal a reconnu que certains problèmes complexes liés à l’environnement peuvent être traités uniquement au moyen d’une politique globale comprenant de multiples mesures interdépendantes. Il a souligné que les résultats obtenus grâce à certaines actions – par exemple des mesures adoptées en vue de lutter contre le réchauffement de la planète et le changement du climat – peuvent uniquement être évalués avec le recul nécessaire. Il est difficile de concevoir un test qui donne plus d’importance au droit des membres de protéger l’environnement.
Enfin, il est également important de souligner qu’aux termes de l’article XX les membres qui veulent protéger l’environnement doivent tenir compte du niveau de développement de chaque membre exportateur. L’article XX exige que les pays présentant les mêmes » conditions » soient traités de façon similaire ; ces conditions se réfèrent également au niveau de développement des membres. Dans l’affaire USA – Crevettes, les mesures américaines interdisant les importations de crevettes en provenance de pays qui n’avaient pas de politiques visant la protection des tortues ont été justifiées au regard de l’article XX. Cette justification a été admise à condition que les pays en développement exportateurs de crevettes puissent pêcher selon leurs propres méthodes (différentes de la méthode américaine) et que des flexibilités additionnelles soient mises en place pour autoriser les pêcheurs qui s’étaient unilatéralement imposé le respect de ces exigences, même en l’absence de mesures nationales, de pouvoir exporter leurs crevettes à destination des États-Unis.
Entre protectionnisme et protection
Une position claire du tribunal
Rappelons la décision du tribunal de l’OMC dans la première affaire qui concernait l’environnement. Le Brésil et leVenezuela avaient poursuivi les États-Unis pour avoir adopté un règlement sur la pollution qui traitait plus sévèrement l’essence importée que l’essence produite nationalement. Les États-Unis ont perdu à cause de cette discrimination non justifiée mais le tribunal ajouta à la fin de son rapport que sa décision ne signifiait pas que la capacité de tout membre de l’OMC de prendre des mesures pour protéger l’environnement était en cause.
En conclusion, l’OMC s’occupe essentiellement du commerce, mais reconnaît que les gouvernements doivent également poursuivre d’autres objectifs, dont celui du » développement durable « . En cas de litige, le rôle principal de l’OMC est de vérifier que la mesure nationale contestée par un autre membre soit justifiable en ce qu’elle protège effectivement l’environnement.
Les exceptions ne doivent pas être interprétées strictement
L’OMC cherche à détecter et à interdire le protectionnisme, tout en permettant certaines » protections « , comme le droit de protéger l’environnement. La frontière entre protectionnisme et protection peut cependant être ténue. Il appartient aux pays d’en discuter et de négocier dans les forums pertinents de l’OMC. En cas de désaccord, il reviendra au tribunal de l’OMC de trancher et de décider si les justifications invoquées par le pays qui restreint le commerce sont valides et appliquées de bonne foi. D’une manière générale, la pratique des États confirme qu’il leur est aisé de favoriser les échanges tout en protégeant l’environnement.