Le concours général
Le concours général ? Bien des camarades y ont été présentés et certains (doués sans aucun doute puisqu’ils sont polytechniciens, mais aussi chanceux) y ont décroché un prix, un accessit, une mention. Cependant, lesquels en connaissent l’histoire ? Et à quoi sert au juste ce concours qui n’a d’autre débouché apparent que la satisfaction éphémère, personnelle et familiale d’y avoir « réussi » ?
Le concours général trouve son origine dans un legs fait par un chanoine de Notre-Dame de Paris, l’abbé Legendre, destiné à fonder des prix d’éloquence, de poésie et de musique. Après diverses aventures juridiques – ce legs déplaisait aux héritiers naturels du bon abbé – l’Université de Paris en hérita, et la première distribution de prix eut lieu en 1747. À partir de là, sa vie fut quelque peu mouvementée.
Supprimé en 1793, il fut rétabli en 1803 pour les seuls lycées de Paris, auxquels s’est ajouté en 1818 celui de Versailles. Suivent en 1838 et 1848 deux tentatives d’en faire un concours national, mais ce n’est qu’en 1864 qu’il fut organisé comme tel par une double sélection : la première au niveau des départements, qui choisissaient ainsi leurs champions, suivie par un concours entre départements. Paris et Versailles gardaient leur propre concours.
Et voilà qu’en 1904 on supprime le tout. Trop lourd, ayant pris trop d’importance, trop élitiste peut-être ? Quoi qu’il en soit, dès avant la guerre des voix s’élèvent, qui réclament son rétablissement. Le ministre a la réponse : il nomme une Commission chargée d’examiner cette importante question. La guerre rend la question moins importante, mais les tenants du concours général n’abandonnent pas. Celui-ci est rétabli en 1921 sous la double forme Paris-province, puis unifié en 1923 en même temps que sont admises à concourir les jeunes filles. Il est impressionnant, quand on lit les palmarès de l’époque, d’y trouver constamment la mention » pupille de la Nation « , c’est-à-dire orphelin d’un père Mort pour la France.
Les choses vont leur train jusqu’en 1968. Cette année, que certains considèrent comme faste et d’autres néfaste, fut à deux doigts de faire à nouveau trépasser le concours général. Heureusement le ministre de la période universitairement troublée qui suivit, lui-même ancien lauréat, le sauva in extremis. Le concours général y perdit l’aura d’une remise de prix en fanfare, parfois en présence du président de la République, mais survécut et petit à petit reprit des forces. En 1997, Madame le Ministre chargée du traditionnel discours dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne où les prix sont remis aux lauréats déclara que l’élitisme républicain n’est pas incompatible avec l’égalité démocratique. Une évidence pour tout polytechnicien bien né, mais dont il n’est pas indifférent qu’elle ait été dite en public, moins de trente ans après 1968, par un ministre de la République.
Ainsi le concours général a surmonté bien des vicissitudes. On peut donc pragmatiquement penser qu’il a une certaine utilité, qu’il correspond peut-être même à un besoin. Mais lesquels ?
Lisez la presse. Il n’y est question que des ratés de l’instruction publique. x % de ses produits ne savent pas lire, y % sont incapables de comprendre un texte simple, et encore ne parle-t-on pas des z % incapables de faire une addition sans une calculette. Or il y a aussi une grande masse d’élèves de qualité tout à fait convenable, et cette masse est tirée par les meilleurs. Un concours qui, en fin de secondaire, met les 13 000 meilleurs (10 900 en concours général des lycées et 2 100 en concours général des métiers) en compétition et en sélectionne entre 300 et 400, représentatifs de tous les enseignements de second cycle dispensés à nos adolescents, enseignements professionnels compris, est un symbole de l’intérêt que notre société porte non seulement aux » défavorisés « , mais aussi aux jeunes dont elle aura besoin pour faire d’elle-même, demain, une réussite. Pour la Patrie dit-on dans le langage délicieusement suranné de notre École !
Mettez-vous aussi à la place des professeurs. Lorsque au cocktail qui suit la remise des prix vous entrez dans un groupe qui entoure un lauréat, vous y trouvez généralement ses parents, des frères et sœurs et… le professeur, voire le proviseur, qui ne sont manifestement pas les moins fiers ! Cette brillante réussite d’un de leurs élèves est une vraie récompense au milieu de la galère qu’est pour eux leur mission d’essayer de compenser des insuffisances d’éducation familiale ou de faire travailler des cancres. Car, et cela il faut le souligner, la réussite au concours général n’est pas, ou n’est plus, l’apanage de quelques lycées prestigieux. Y sont représentés, dans toutes les matières et particulièrement dans les métiers, beaucoup d’établissements qui n’ont pour eux que (!) de dispenser un enseignement solide et sérieux dont a su profiter pleinement le lauréat ou la lauréate, marquant ainsi la compétence de son corps professoral.
Venons-en maintenant aux lauréats. Avant d’être lauréats, ce sont des candidats présentés par leur lycée d’enseignement général ou professionnel. Je cite ce qu’en dit, dans le bulletin de l’Association des Lauréats du concours général, le professeur d’un bon établissement :
» Au retour de l’épreuve mes élèves m’ont toujours dit la richesse de cette expérience neuve et unique : se retrouvant avec nombre de candidats venus d’autres lycées, d’autres villes, avant, et après les épreuves surtout, ils engagent des discussions, le candidat parle avec des inconnus en qui il trouve des esprits beaucoup plus forts, plus cultivés. Des horizons ignorés de l’étroit monde scolaire sont révélés ; parfois des relations durables commencent… De cet aspect, tous les candidats peuvent profiter, et non pas les seuls lauréats. »
Être présenté au concours général n’est donc déjà pas rien. Mais être élu, c’est le summum ! Je cite maintenant ce qu’en dit, également dans le bulletin de l’Association, un de ses anciens présidents, concluant ses souvenirs d’un moment de grande joie et fierté :
« Pour beaucoup, et pour moi en tout cas, c’était aussi un signe. Ce moment de joie disait qu’on n’était pas ridicule en voulant aller plus loin. Très vite la modestie est revenue… »
Certes, pour ce lauréat comme pour les autres, une vie très riche commençait à peine, elle était encore à construire. Mais bien des lauréats disent que le concours général a orienté leur vie dans une direction qu’elle n’aurait sans doute pas prise sans lui. La gloire du concours général, récompense de vertus scolaires, a souvent eu des conséquences très concrètes pour ceux qui en ont bénéficié.
Et puis n’oublions pas un autre avantage de la réussite au concours général (décisif aux yeux de l’auteur de ces lignes !) : le droit d’adhérer à l’ALCG (Association des lauréats du concours général).
Fondée en 1922, déclarée d’utilité publique en 1935, cette association a pour but de défendre l’excellence dans tous les domaines enseignés aux adolescents, donc de défendre un des supports de cette excellence, le concours général ; ainsi l’action de son président a été très efficace pour le sauvetage du concours après 1968. Mais plus ordinairement elle a aussi pour ambition d’être un centre de relations conviviales entre les lauréats, transcendant la diversité de leurs âges, de leurs métiers, de leur réussite apparente dans la vie. La sympathie naturelle entre gens qui se savent compétents et travailleurs fait qu’elle y réussit assez bien par l’organisation de réunions variées, dîner prestigieux dans les salons de la présidence du Sénat et cocktails simples au lycée Louis le Grand, rencontres autour d’un thème traité par un de ses membres ; sans compter l’édition d’un annuaire permettant de retrouver confrères et consœurs (c’est ainsi que nous nous désignons mutuellement) jusqu’à l’autre bout du monde.
Si vous voulez en savoir plus sur l’ALCG consultez son site. Si vous avez la chance d’être lauréat et n’êtes pas encore membre de l’Association, adhérez‑y sans tarder. Ce n’est pas cher, ça ne peut rapporter gros, mais pour nous, polytechniciens, c’est une occasion à ne pas manquer de nous ouvrir à des mondes que nous fréquentons naturellement peu et qui sont, croyez-moi, d’une passionnante diversité et qualité.
Site Web : http://concoursgeneral.free.fr
Secrétariat (pour adhésion !)
B. P. 75
94602 Choisy-le-Roi Cedex.
Tél. : 01.58.42.33.39.
Courriel : concoursgeneral@wanadoo.fr