Le concours général

Dossier : ExpressionsMagazine N°614 Avril 2006
Par Jacques CLADÉ (52)

Le concours géné­ral ? Bien des cama­rades y ont été pré­sen­tés et cer­tains (doués sans aucun doute puis­qu’ils sont poly­tech­ni­ciens, mais aus­si chan­ceux) y ont décro­ché un prix, un acces­sit, une men­tion. Cepen­dant, les­quels en connaissent l’his­toire ? Et à quoi sert au juste ce concours qui n’a d’autre débou­ché appa­rent que la satis­fac­tion éphé­mère, per­son­nelle et fami­liale d’y avoir « réussi » ?

Le concours géné­ral trouve son ori­gine dans un legs fait par un cha­noine de Notre-Dame de Paris, l’ab­bé Legendre, des­ti­né à fon­der des prix d’é­lo­quence, de poé­sie et de musique. Après diverses aven­tures juri­diques – ce legs déplai­sait aux héri­tiers natu­rels du bon abbé – l’U­ni­ver­si­té de Paris en héri­ta, et la pre­mière dis­tri­bu­tion de prix eut lieu en 1747. À par­tir de là, sa vie fut quelque peu mouvementée.

Sup­pri­mé en 1793, il fut réta­bli en 1803 pour les seuls lycées de Paris, aux­quels s’est ajou­té en 1818 celui de Ver­sailles. Suivent en 1838 et 1848 deux ten­ta­tives d’en faire un concours natio­nal, mais ce n’est qu’en 1864 qu’il fut orga­ni­sé comme tel par une double sélec­tion : la pre­mière au niveau des dépar­te­ments, qui choi­sis­saient ain­si leurs cham­pions, sui­vie par un concours entre dépar­te­ments. Paris et Ver­sailles gar­daient leur propre concours.

Et voi­là qu’en 1904 on sup­prime le tout. Trop lourd, ayant pris trop d’im­por­tance, trop éli­tiste peut-être ? Quoi qu’il en soit, dès avant la guerre des voix s’é­lèvent, qui réclament son réta­blis­se­ment. Le ministre a la réponse : il nomme une Com­mis­sion char­gée d’exa­mi­ner cette impor­tante ques­tion. La guerre rend la ques­tion moins impor­tante, mais les tenants du concours géné­ral n’a­ban­donnent pas. Celui-ci est réta­bli en 1921 sous la double forme Paris-pro­vince, puis uni­fié en 1923 en même temps que sont admises à concou­rir les jeunes filles. Il est impres­sion­nant, quand on lit les pal­ma­rès de l’é­poque, d’y trou­ver constam­ment la men­tion » pupille de la Nation « , c’est-à-dire orphe­lin d’un père Mort pour la France.

Les choses vont leur train jus­qu’en 1968. Cette année, que cer­tains consi­dèrent comme faste et d’autres néfaste, fut à deux doigts de faire à nou­veau tré­pas­ser le concours géné­ral. Heu­reu­se­ment le ministre de la période uni­ver­si­tai­re­ment trou­blée qui sui­vit, lui-même ancien lau­réat, le sau­va in extre­mis. Le concours géné­ral y per­dit l’au­ra d’une remise de prix en fan­fare, par­fois en pré­sence du pré­sident de la Répu­blique, mais sur­vé­cut et petit à petit reprit des forces. En 1997, Madame le Ministre char­gée du tra­di­tion­nel dis­cours dans le grand amphi­théâtre de la Sor­bonne où les prix sont remis aux lau­réats décla­ra que l’é­li­tisme répu­bli­cain n’est pas incom­pa­tible avec l’é­ga­li­té démo­cra­tique. Une évi­dence pour tout poly­tech­ni­cien bien né, mais dont il n’est pas indif­fé­rent qu’elle ait été dite en public, moins de trente ans après 1968, par un ministre de la République.

Ain­si le concours géné­ral a sur­mon­té bien des vicis­si­tudes. On peut donc prag­ma­ti­que­ment pen­ser qu’il a une cer­taine uti­li­té, qu’il cor­res­pond peut-être même à un besoin. Mais lesquels ?

Lisez la presse. Il n’y est ques­tion que des ratés de l’ins­truc­tion publique. x % de ses pro­duits ne savent pas lire, y % sont inca­pables de com­prendre un texte simple, et encore ne parle-t-on pas des z % inca­pables de faire une addi­tion sans une cal­cu­lette. Or il y a aus­si une grande masse d’é­lèves de qua­li­té tout à fait conve­nable, et cette masse est tirée par les meilleurs. Un concours qui, en fin de secon­daire, met les 13 000 meilleurs (10 900 en concours géné­ral des lycées et 2 100 en concours géné­ral des métiers) en com­pé­ti­tion et en sélec­tionne entre 300 et 400, repré­sen­ta­tifs de tous les ensei­gne­ments de second cycle dis­pen­sés à nos ado­les­cents, ensei­gne­ments pro­fes­sion­nels com­pris, est un sym­bole de l’in­té­rêt que notre socié­té porte non seule­ment aux » défa­vo­ri­sés « , mais aus­si aux jeunes dont elle aura besoin pour faire d’elle-même, demain, une réus­site. Pour la Patrie dit-on dans le lan­gage déli­cieu­se­ment sur­an­né de notre École !

Met­tez-vous aus­si à la place des pro­fes­seurs. Lorsque au cock­tail qui suit la remise des prix vous entrez dans un groupe qui entoure un lau­réat, vous y trou­vez géné­ra­le­ment ses parents, des frères et sœurs et… le pro­fes­seur, voire le pro­vi­seur, qui ne sont mani­fes­te­ment pas les moins fiers ! Cette brillante réus­site d’un de leurs élèves est une vraie récom­pense au milieu de la galère qu’est pour eux leur mis­sion d’es­sayer de com­pen­ser des insuf­fi­sances d’é­du­ca­tion fami­liale ou de faire tra­vailler des cancres. Car, et cela il faut le sou­li­gner, la réus­site au concours géné­ral n’est pas, ou n’est plus, l’a­pa­nage de quelques lycées pres­ti­gieux. Y sont repré­sen­tés, dans toutes les matières et par­ti­cu­liè­re­ment dans les métiers, beau­coup d’é­ta­blis­se­ments qui n’ont pour eux que (!) de dis­pen­ser un ensei­gne­ment solide et sérieux dont a su pro­fi­ter plei­ne­ment le lau­réat ou la lau­réate, mar­quant ain­si la com­pé­tence de son corps professoral.

Venons-en main­te­nant aux lau­réats. Avant d’être lau­réats, ce sont des can­di­dats pré­sen­tés par leur lycée d’en­sei­gne­ment géné­ral ou pro­fes­sion­nel. Je cite ce qu’en dit, dans le bul­le­tin de l’As­so­cia­tion des Lau­réats du concours géné­ral, le pro­fes­seur d’un bon établissement :

» Au retour de l’é­preuve mes élèves m’ont tou­jours dit la richesse de cette expé­rience neuve et unique : se retrou­vant avec nombre de can­di­dats venus d’autres lycées, d’autres villes, avant, et après les épreuves sur­tout, ils engagent des dis­cus­sions, le can­di­dat parle avec des incon­nus en qui il trouve des esprits beau­coup plus forts, plus culti­vés. Des hori­zons igno­rés de l’é­troit monde sco­laire sont révé­lés ; par­fois des rela­tions durables com­mencent… De cet aspect, tous les can­di­dats peuvent pro­fi­ter, et non pas les seuls lauréats. »

Être pré­sen­té au concours géné­ral n’est donc déjà pas rien. Mais être élu, c’est le sum­mum ! Je cite main­te­nant ce qu’en dit, éga­le­ment dans le bul­le­tin de l’As­so­cia­tion, un de ses anciens pré­si­dents, concluant ses sou­ve­nirs d’un moment de grande joie et fierté :

« Pour beau­coup, et pour moi en tout cas, c’é­tait aus­si un signe. Ce moment de joie disait qu’on n’é­tait pas ridi­cule en vou­lant aller plus loin. Très vite la modes­tie est revenue… »

Certes, pour ce lau­réat comme pour les autres, une vie très riche com­men­çait à peine, elle était encore à construire. Mais bien des lau­réats disent que le concours géné­ral a orien­té leur vie dans une direc­tion qu’elle n’au­rait sans doute pas prise sans lui. La gloire du concours géné­ral, récom­pense de ver­tus sco­laires, a sou­vent eu des consé­quences très concrètes pour ceux qui en ont bénéficié.

Et puis n’ou­blions pas un autre avan­tage de la réus­site au concours géné­ral (déci­sif aux yeux de l’au­teur de ces lignes !) : le droit d’adhé­rer à l’ALCG (Asso­cia­tion des lau­réats du concours général).

Fon­dée en 1922, décla­rée d’u­ti­li­té publique en 1935, cette asso­cia­tion a pour but de défendre l’ex­cel­lence dans tous les domaines ensei­gnés aux ado­les­cents, donc de défendre un des sup­ports de cette excel­lence, le concours géné­ral ; ain­si l’ac­tion de son pré­sident a été très effi­cace pour le sau­ve­tage du concours après 1968. Mais plus ordi­nai­re­ment elle a aus­si pour ambi­tion d’être un centre de rela­tions convi­viales entre les lau­réats, trans­cen­dant la diver­si­té de leurs âges, de leurs métiers, de leur réus­site appa­rente dans la vie. La sym­pa­thie natu­relle entre gens qui se savent com­pé­tents et tra­vailleurs fait qu’elle y réus­sit assez bien par l’or­ga­ni­sa­tion de réunions variées, dîner pres­ti­gieux dans les salons de la pré­si­dence du Sénat et cock­tails simples au lycée Louis le Grand, ren­contres autour d’un thème trai­té par un de ses membres ; sans comp­ter l’é­di­tion d’un annuaire per­met­tant de retrou­ver confrères et consœurs (c’est ain­si que nous nous dési­gnons mutuel­le­ment) jus­qu’à l’autre bout du monde.

Si vous vou­lez en savoir plus sur l’ALCG consul­tez son site. Si vous avez la chance d’être lau­réat et n’êtes pas encore membre de l’As­so­cia­tion, adhérez‑y sans tar­der. Ce n’est pas cher, ça ne peut rap­por­ter gros, mais pour nous, poly­tech­ni­ciens, c’est une occa­sion à ne pas man­quer de nous ouvrir à des mondes que nous fré­quen­tons natu­rel­le­ment peu et qui sont, croyez-moi, d’une pas­sion­nante diver­si­té et qualité.

Site Web : http://concoursgeneral.free.fr
Secré­ta­riat (pour adhésion !)
B. P. 75
94602 Choi­sy-le-Roi Cedex.
Tél. : 01.58.42.33.39.
Cour­riel : concoursgeneral@wanadoo.fr

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