Le conseil en ressources humaines : de la stratégie collective au développement personnel

Dossier : Entreprise et managementMagazine N°608 Octobre 2005
Par Bernard BRUNHES (58)

Elle est aujourd’­hui bien éloi­gnée, cette période où les sala­riés pou­vaient espé­rer pas­ser toute leur vie pro­fes­sion­nelle dans la même entre­prise, en grim­pant les éche­lons des grilles de clas­si­fi­ca­tion. Sauf dans les ser­vices publics, le par­cours pro­fes­sion­nel est main­te­nant erra­tique, fait de hausses et de baisses de salaires et de res­pon­sa­bi­li­tés, voire de périodes de chô­mage, et tou­jours de mobi­li­tés géo­gra­phiques ou professionnelles.

On connaît les rai­sons de ce mou­ve­ment per­pé­tuel qui agite les entre­prises et les amène à bous­cu­ler fré­quem­ment leur orga­ni­sa­tion, leurs implan­ta­tions, l’emploi de leurs sala­riés. Ce ne sont plus de grandes uni­tés de pro­duc­tion indus­trielle qui consti­tuent la base de l’é­co­no­mie, mais des ser­vices ou des centres de pro­duc­tion indus­trielle plus modestes au moins en termes d’emploi.

Les inno­va­tions tech­no­lo­giques ne cessent de remettre en cause les pro­duits et les pro­ces­sus de pro­duc­tion. L’exa­cer­ba­tion de la concur­rence et les faci­li­tés de com­mu­ni­ca­tion conduisent à une évo­lu­tion fébrile des mar­chés et des entre­prises. L’in­ter­na­tio­na­li­sa­tion des grands groupes et de leurs mar­chés, qui entraînent der­rière eux sous-trai­tants ou pres­ta­taires, induit des dépla­ce­ments des outils de pro­duc­tion d’un pays à l’autre ou d’un conti­nent à l’autre. Tout cela dans un rythme éche­ve­lé, en tout cas peu com­pa­tible avec le tem­po des hommes et avec leur atta­che­ment au ter­roir et aux racines qui reste essentiel.

Ce chan­ge­ment pro­fond et récent de la vie éco­no­mique appelle une action toute nou­velle sur les condi­tions d’emploi, sur le mar­ché du tra­vail, sur l’é­vo­lu­tion pro­fes­sion­nelle. Le » mar­ché du tra­vail » est de moins en moins interne à l’en­tre­prise. C’est un mar­ché du tra­vail externe qui se déve­loppe très rapi­de­ment et que la col­lec­ti­vi­té doit gérer. Les hommes et les femmes qui sont en quelque sorte condam­nés à chan­ger, plu­sieurs fois dans leur vie, de lieu de tra­vail, d’employeur, de métier doivent pou­voir trou­ver dans les orga­nismes char­gés de la ges­tion du mar­ché du tra­vail toute l’aide dont ils ont besoin.

Cela touche des ins­ti­tu­tions variées et nom­breuses : le sys­tème sco­laire et uni­ver­si­taire qui doit pen­ser une for­ma­tion ini­tiale don­nant aux étu­diants les outils intel­lec­tuels qui leur seront néces­saires pour s’a­dap­ter ulté­rieu­re­ment à de nou­velles tech­niques ; les orga­nismes de for­ma­tion conti­nue, afin que » l’é­du­ca­tion tout au long de la vie » devienne autre chose qu’un slo­gan poli­tique ; le ser­vice public de l’emploi, avec ses fonc­tions de rap­pro­che­ment des offres et demandes d’emploi, de conseil pro­fes­sion­nel, de sui­vi et d’o­rien­ta­tion des deman­deurs d’emploi, et aus­si de conseil aux entre­prises ; les orga­nismes char­gés de déli­vrer les indem­ni­tés de chô­mage ; les ins­ti­tu­tions qui, dans le champ de l’ac­tion sociale, se pré­oc­cupent de l’emploi des plus défa­vo­ri­sés, han­di­ca­pés ou per­sonnes en dif­fi­cul­té ; les ser­vices du minis­tère du Tra­vail, qui veillent à la fois au res­pect de la légis­la­tion sociale et aux condi­tions éco­no­miques et sociales des restruc­tu­ra­tions ; les col­lec­ti­vi­tés ter­ri­to­riales, et notam­ment les régions, res­pon­sables de l’é­vo­lu­tion éco­no­mique de leurs ter­ri­toires et donc des condi­tions de déve­lop­pe­ment des entre­prises. Et à côté de ces ser­vices publics, les entre­prises ou asso­cia­tions pri­vées qui par­ti­cipent à cet effort col­lec­tif, telles les socié­tés de tra­vail tem­po­raire et les socié­tés de conseil en ges­tion des res­sources humaines.

L’in­ca­pa­ci­té de notre pays à réduire le chô­mage et à four­nir des emplois aux jeunes sor­tant de l’é­cole ou de l’u­ni­ver­si­té comme aux anciens trop tôt exclus du monde du tra­vail vient en grande par­tie du conser­va­tisme des acteurs qui semblent ne pas mesu­rer l’am­pleur et la nature de cette évo­lu­tion et res­tent sur des sché­mas dépas­sés. Les ser­vices publics sont dans ce domaine lar­ge­ment sous-dimen­sion­nés, comme le prouvent les com­pa­rai­sons avec les pays voi­sins, et ils sont écla­tés entre des orga­nismes divers. Si c’est bien l’en­tre­prise qui crée les emplois, l’É­tat a un devoir réga­lien en matière de poli­tique de for­ma­tion et d’emploi. Comme il est res­pon­sable de la sécu­ri­té dans une socié­té aujourd’­hui écla­tée et volon­tiers vio­lente, il est res­pon­sable de l’emploi dans une éco­no­mie libé­rale et géné­ra­trice de précarité.

À l’é­vi­dence, même mieux pour­vue et mieux orga­ni­sée, l’Ad­mi­nis­tra­tion ne peut tout faire. Elle doit pou­voir comp­ter sur le sec­teur pri­vé qui dis­pose d’une exper­tise recon­nue, déve­lop­pée et effi­cace dans les domaines de la ges­tion des hommes. On peut espé­rer que, essayant d’é­chap­per dans ce domaine-là comme dans d’autres à la méfiance réci­proque entre le sec­teur public et l’en­tre­prise pri­vée, c’est ensemble que les acteurs concer­nés aide­ront la socié­té fran­çaise à sor­tir de son cau­che­mar actuel de sous-emploi.

L’exemple des restruc­tu­ra­tions est par­ti­cu­liè­re­ment édi­fiant. Lors­qu’une entre­prise annonce son inten­tion de fer­mer un site ou d’en réduire les effec­tifs, on constate trop sou­vent que, d’emblée, les dif­fé­rents acteurs se mettent en situa­tion de conflit et en posi­tion tac­tique, au mieux dans une posi­tion d’at­tente rési­gnée et cri­tique. À l’é­vi­dence, les quatre prin­ci­paux acteurs devraient au contraire se mettre immé­dia­te­ment autour d’un tapis vert pour exa­mi­ner ensemble les consé­quences de cette annonce : débattre du bien-fon­dé de la déci­sion, l’a­men­der, en tirer toutes les consé­quences. L’employeur doit mettre les don­nées sur la table – aus­si tôt que pos­sible et de la façon la plus trans­pa­rente pos­sible ; les syn­di­cats et les repré­sen­tants élus du per­son­nel sont là pour repré­sen­ter de façon effi­cace les inté­rêts du per­son­nel et non pour se conten­ter de construire un rap­port de force ; le ser­vice public de l’emploi doit dès l’an­nonce mettre en place les dis­po­si­tifs qui per­met­tront d’as­su­rer la recon­ver­sion des per­son­nels tou­chés ; les élus locaux doivent entrer dans les dis­cus­sions pour jouer leur rôle, cen­tral, dans les redé­ploie­ments de l’é­co­no­mie du territoire.

Cette vision appa­raî­tra à beau­coup idyl­lique dans un pays comme la France, où les employeurs n’aiment pas que l’on se mêle de leurs déci­sions, où les syn­di­cats sont déses­pé­ré­ment dés­unis dans les grandes entre­prises et déses­pé­ré­ment absents des petites, où le ser­vice public de l’emploi est ato­mi­sé, où les col­lec­ti­vi­tés ter­ri­to­riales ont des com­pé­tences et des ter­ri­toires fort peu adap­tés à ce type d’intervention.

C’est là que les entre­prises de ser­vices et notam­ment les conseils en res­sources humaines ont à coup sûr un rôle à jouer, auprès des dif­fé­rents acteurs. Pour réus­sir leur évo­lu­tion et leur adap­ta­tion aux évo­lu­tions éco­no­miques, les entre­prises ont besoin d’une ges­tion pré­vi­sion­nelle de l’emploi. Non pas des tableaux de chiffres com­plexes et détaillés fon­dés sur des pré­vi­sions fort aléa­toires ; mais des réflexions appro­fon­dies sur les emplois les plus stra­té­giques, les plus sen­sibles et les plus nou­veaux en termes de qua­li­fi­ca­tion. Elles ont besoin, pour les plus grandes, d’une véri­table ges­tion des âges. Elles doivent pou­voir en per­ma­nence éva­luer les pos­si­bi­li­tés de mobi­li­té géo­gra­phique et pro­fes­sion­nelle. Elles doivent veiller à l’employabilité de leurs sala­riés. Or, il y a des outils pour cela, des outils qui existent et qui sont constam­ment réno­vés et moder­ni­sés par les socié­tés de conseil.

C’est sou­vent à l’ap­proche de restruc­tu­ra­tions que l’employeur découvre les néces­si­tés du dia­logue social et que les orga­ni­sa­tions syn­di­cales reprennent un rôle et un pou­voir qu’en temps de paix elles avaient quelque peu per­dus… L’en­tre­prise qui a su pré­ser­ver un dia­logue social de qua­li­té sera évi­dem­ment mieux à même de régler ses pro­blèmes, pour l’employeur comme pour les sala­riés, lorsque les jours dif­fi­ciles appa­raî­tront. Dans un pays où le droit du tra­vail est pour le moins com­pli­qué, la tenue d’un cou­rant per­ma­nent de concer­ta­tion et de négo­cia­tion exige du savoir-faire.

Quand on en vient à devoir assu­rer la recon­ver­sion des tra­vailleurs concer­nés par une restruc­tu­ra­tion, de nom­breux dis­po­si­tifs publics existent dont on doit recon­naître que la mul­ti­pli­ci­té, la com­plexi­té bureau­cra­tique et les chan­ge­ments fré­quents sont pour le moins sources d’inefficacité.

Or, on le sait, la pos­si­bi­li­té de retrou­ver un emploi tient d’a­bord à la qua­li­té des conseils indi­vi­duels et du sui­vi dont béné­fi­cie l’in­té­res­sé. Bilans de com­pé­tences, orien­ta­tion pro­fes­sion­nelle, aide à la recherche effec­tive de l’emploi, appui à la mobi­li­té géo­gra­phique, ges­tion des par­cours pro­fes­sion­nels, for­ma­tions bien adap­tées aux spé­ci­fi­ci­tés de l’in­té­res­sé et en même temps aux besoins du mar­ché du tra­vail, etc. Ain­si, le rôle que jouent les socié­tés de ser­vices qui font sous diverses formes de l’ac­com­pa­gne­ment indi­vi­duel est en fait insé­pa­rable de celui qu’elles tiennent dans le conseil stra­té­gique aux entreprises.

On pour­rait faire le même rai­son­ne­ment pour ce qui concerne l’ap­pui aux col­lec­ti­vi­tés ter­ri­to­riales. Cha­cun peut consta­ter – ou devi­ner – que les ter­ri­toires qui savent se sor­tir des crises entraî­nées par des fer­me­tures de sites ou des réduc­tions d’ef­fec­tifs sont ceux qui n’ont pas atten­du le drame pour réflé­chir col­lec­ti­ve­ment à leur ave­nir éco­no­mique. Les élus locaux, même si, comme on l’a remar­qué plus haut, le décou­page du ter­ri­toire et des com­pé­tences ne favo­rise guère cette action, ont un rôle cen­tral d’or­ches­tra­tion du déve­lop­pe­ment ter­ri­to­rial : un domaine où les socié­tés de recon­ver­sion et les spé­cia­listes de la ges­tion des hommes ont acquis de solides compétences.

Comme on le voit, les quatre acteurs d’une restruc­tu­ra­tion ont besoin de cet appui tech­nique qui les concerne tous les quatre. Conseil en stra­té­gie ou conseil indi­vi­duel, pré­ven­tion des risques et pré­pa­ra­tion de l’a­ve­nir, ana­lyse et construc­tion des com­pé­tences, appui au mana­ge­ment et à l’or­ga­ni­sa­tion : tout se tient.

Et l’en­tre­prise ou l’é­lu local qui n’au­ra pas atten­du les jours dif­fi­ciles pour pré­pa­rer son ave­nir sau­ra le moment venu gérer les chan­ge­ments au béné­fice des hommes et des femmes concer­nés. On parle beau­coup de » sécu­ri­té sociale pro­fes­sion­nelle » ou de » flexi­sé­cu­ri­té « . Ces mots res­tent vides aujourd’­hui. Mais les moyens et les outils existent de déve­lop­pe­ment de stra­té­gies col­lec­tives et d’ac­com­pa­gne­ments indi­vi­duels qui vont dans ce sens.

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