Positionnement et évolution des cabinets de conseil

Le conseil opérationnel, une révolution culturelle au quotidien

Dossier : Entreprise et managementMagazine N°579 Novembre 2002
Par Philippe CHERVI (83)

Conseil stratégique et opérationnel

Une typo­lo­gie des métiers du conseil dis­tingue le conseil opé­ra­tion­nel et le conseil stra­té­gique, une telle seg­men­ta­tion offrant l’a­van­tage de recon­naître les fonc­tions tant opé­ra­tion­nelles que stra­té­giques de l’en­tre­prise et la dis­tinc­tion de leurs besoins propres. Outre ce dis­tin­guo, les autres cri­tères impor­tants de dif­fé­ren­cia­tion dans le fonc­tion­ne­ment des cabi­nets de conseil recouvrent le niveau de déci­sion, l’ho­ri­zon et le modèle com­mer­cial client.

Si le conseil stra­té­gique aide l’en­tre­prise à défi­nir sa stra­té­gie, c’est-à-dire à assu­rer sa péren­ni­té et son déve­lop­pe­ment à un hori­zon de trois à cinq ans dans un mar­ché et un envi­ron­ne­ment sou­vent fluc­tuants, le conseil opé­ra­tion­nel prend cette stra­té­gie pour point de départ en recon­nais­sant que les entre­prises manquent le plus sou­vent d’une capa­ci­té de réa­li­sa­tion rapide et durable. Il la décline ensuite en une stra­té­gie opé­ra­tion­nelle à un hori­zon de un à trois ans en déter­mi­nant la contri­bu­tion et le déploie­ment dans le temps des res­sources de l’en­tre­prise, les condi­tions de son suc­cès et en lui fixant des objec­tifs opérationnels.

L’exer­cice abou­tit nor­ma­le­ment à la prise de connais­sance par chaque indi­vi­du de sa contri­bu­tion et des objec­tifs qui lui sont assi­gnés. Or, et c’est bien pour cela que les conseils opé­ra­tion­nels existent, il est bien rare que les objec­tifs de cha­cun soient réel­le­ment connus sans même par­ler de l’en­ga­ge­ment de cha­cun à un objec­tif com­mun. Tout se passe comme si, après l’ex­cès d’éner­gie appor­té par l’exer­cice de stra­té­gie opé­ra­tion­nelle, le sys­tème retom­bait dans un niveau d’éner­gie plus bas et qu’a­près avoir pla­ni­fié, l’ac­tion pou­vait attendre…

Le positionnement des cabinets de conseil

La fron­tière entre conseil opé­ra­tion­nel et stra­té­gique n’est ni stricte ni for­melle. Tout acteur du conseil opé­ra­tion­nel, confron­té pro­jet après pro­jet à la dure loi du ter­rain dans les ate­liers, les lignes de pro­duc­tion, les ser­vices ou les bureaux d’é­tude aura tôt fait d’ap­prendre les condi­tions du suc­cès d’un pro­jet au quo­ti­dien. Il n’au­ra alors de cesse de mettre à pro­fit cette expé­rience et cette légi­ti­mi­té acquise pour orien­ter la stra­té­gie opé­ra­tion­nelle de l’en­tre­prise dans le sou­ci d’une meilleure efficacité.

Le mode com­mer­cial du conseil opé­ra­tion­nel dif­fère aus­si de celui du conseil stra­té­gique. Si ce der­nier se concentre sur une approche per­son­na­li­sée en exa­cer­bant le poids des réseaux et des par­te­naires, le conseil opé­ra­tion­nel pra­tique volon­tiers, selon sa taille et son objec­tif de crois­sance, une approche dite » de chasse « , c’est-à-dire une approche directe des diri­geants de l’entreprise.

Mal­gré leurs dif­fé­rences, ces deux types de conseil migrent pro­gres­si­ve­ment sur un même ter­rain de chasse, pous­sés en cela par un client qui cherche une garan­tie sur le résul­tat. Tout conseil opé­ra­tion­nel de bonne répu­ta­tion gage désor­mais une par­tie de sa rétri­bu­tion – lorsque cela est pos­sible – sur l’ob­ten­tion de résul­tats, opé­ra­tion­nels ou finan­ciers, au terme d’un enga­ge­ment com­mun et réciproque.

La figure 1 illustre le posi­tion­ne­ment des cabi­nets de conseil et leur migra­tion per­çue en stra­té­gie opé­ra­tion­nelle et implé­men­ta­tion. L’é­vo­lu­tion liée à la redis­tri­bu­tion des métiers de l’au­dit et du conseil chez les Big Five (ou plu­tôt des Last Four) n’est pas figurée.

Une approche-type dans le conseil opérationnel

La plu­part des cabi­nets de conseil opé­ra­tion­nel, au moins ceux issus de la mou­vance Proud­foot, opèrent sur un modèle en trois phases, le client déci­dant à la fin de cha­cune des deux pre­mières phases de s’en­ga­ger ou non dans la phase sui­vante. À par­tir d’un besoin client iden­ti­fié (amé­lio­ra­tion de l’ef­fi­ca­ci­té de l’or­ga­ni­sa­tion, réduc­tion du coût de revient d’un pro­duit, etc.),

  • la phase de sco­ping carac­té­rise ce besoin par le biais d’in­ter­views avec un ensemble repré­sen­ta­tif de per­son­nels de l’en­tre­prise. Il s’a­git de com­prendre l’en­tre­prise, son envi­ron­ne­ment, sa culture, le besoin expri­mé et d’i­den­ti­fier les prin­ci­paux axes poten­tiels d’amélioration ;
  • la phase d’a­na­lyse iden­ti­fie plus fine­ment les axes d’a­mé­lio­ra­tion, notam­ment en quan­ti­fiant les gains poten­tiels et le retour sur inves­tis­se­ment, et elle défi­nit le pro­jet per­met­tant de réa­li­ser ces gains. Sur­tout, elle bâtit un pre­mier niveau d’adhé­sion au pro­jet des per­son­nels de l’en­tre­prise. Bien sou­vent, le cabi­net de conseil et le client s’en­gagent conjoin­te­ment sur un niveau de per­for­mance à réa­li­ser (mon­tant de gains, niveau de per­for­mance, etc.) ;
  • la phase de pro­jet réa­lise le pro­jet défi­ni lors de la phase d’a­na­lyse et délivre les résul­tats finan­ciers prévus.

Si les fac­teurs de suc­cès d’un pro­jet de chan­ge­ment sont bien connus1, il importe de réa­li­ser que le chan­ge­ment se pilote à l’ins­tar de tout pro­jet tech­nique. Tel est le prin­ci­pal apport d’un conseil en ges­tion du chan­ge­ment (ou opé­ra­tion­nel), le pilo­tage uti­li­sant des outils ou métho­do­lo­gies tant tech­niques que » soft « , c’est-à-dire diri­gés vers l’in­di­vi­du. À cet égard, il faut dénon­cer le tro­pisme des socié­tés d’in­gé­nieurs qui ne croient qu’à la ver­tu des amé­lio­ra­tions tech­niques alors que bien sou­vent leur pro­blème prin­ci­pal se situe au niveau des hommes, de leurs com­por­te­ments et de leurs inter­ac­tions, des sys­tèmes de déci­sion ou des processus.

De fait, le modèle de Cele­rant Consul­ting dit exac­te­ment cela : tout résul­tat durable, qu’il soit finan­cier, opé­ra­tion­nel, cultu­rel…, ne s’ac­quiert que grâce à des chan­ge­ments de com­por­te­ment indi­vi­duels à tous les niveaux de la société.

Le chan­ge­ment est en quelque sorte l’in­té­grale des chan­ge­ments de com­por­te­ment indi­vi­duels. Les quatre fac­teurs per­met­tant d’ob­te­nir ces der­niers sont les sys­tèmes de déci­sion et la tech­no­lo­gie, les pro­ces­sus et les hommes. La figure 2 illustre ce modèle.

Quelle offre pour quelle société ?

Outre les pro­blèmes géné­raux (réduc­tion de coût, créa­tion de valeur, etc.), les pro­blèmes par­ti­cu­liers aux­quels les socié­tés sont sus­cep­tibles d’être confron­tées sont sou­vent simi­laires pour un même sec­teur d’ac­ti­vi­té2. On dis­tingue ain­si des sec­teurs comme : Manu­fac­tu­ring, Pro­cess, Infra­struc­ture, Ener­gy. Par exemple, la ges­tion des actifs (Asset Mana­ge­ment) au sein des socié­tés du sec­teur Pro­cess revêt une impor­tance par­ti­cu­lière. Elle a donc été for­ma­li­sée comme une » offre géné­rique « , une réponse à un besoin générique.

Le modèle de Celerant Consulting

Plus qu’une offre s’ap­pli­quant de façon indis­tincte, l’offre géné­rique, qu’elle s’ap­pelle Asset Mana­ge­ment, Sup­ply Chain, Pro­duct & Pro­cess Lea­der­ship, Ope­ra­tio­nal Stra­te­gy, Orga­ni­za­tio­nal Effec­ti­ve­ness…, sert plu­tôt de point de départ pour l’offre per­son­na­li­sée qui est éla­bo­rée pour chaque nou­veau pro­jet dans une société.

L’al­ter­nance entre la for­ma­li­sa­tion de l’offre géné­rique et la per­son­na­li­sa­tion de celle-ci per­met d’en­ri­chir les offres par une fer­ti­li­sa­tion croi­sée de pra­tiques expé­ri­men­tées avec suc­cès dans un sec­teur et appli­quées à un autre3.

Ain­si tel pro­jet à la SNPE4 s’ins­pire de pro­jets chez Alstom et Bayer et enri­chit l’offre Orga­ni­za­tio­nal Effec­ti­ve­ness. L’ex­pé­rience acquise dans les quinze der­nières années dans la main­te­nance de plates-formes off­shore a for­te­ment contri­bué à l’é­mer­gence d’une exper­tise Asset Mana­ge­ment qui pro­fite aujourd’­hui non seule­ment à des socié­tés de la chi­mie comme Aven­tis, mais aus­si à des socié­tés du sec­teur Manu­fac­tu­ring comme Snec­ma ou Arianespace.

Le pilotage du changement

Le pre­mier défi du pilo­tage du chan­ge­ment consiste à faire évo­luer les com­por­te­ments au quo­ti­dien, par une pré­sence sur le ter­rain à tous les niveaux concer­nés par le pro­jet durant toute la vie du projet.

Le second défi est d’as­su­rer la péren­ni­té des com­por­te­ments après la durée du pro­jet en agis­sant en pro­fon­deur sur le fonc­tion­ne­ment de la socié­té pour que les nou­veaux com­por­te­ments passent dans les mœurs.

Des deux dif­fi­cul­tés majeures, la pre­mière est d’or­ches­trer le chan­ge­ment dans les dif­fé­rentes strates hié­rar­chiques en tenant compte du fait que la socié­té opère, mal­gré et à cause de ses dys­fonc­tion­ne­ments, sur un mode qui est loin d’être nomi­nal5. Les chan­ge­ments dans les ate­liers, les bureaux d’é­tude sont sou­vent faciles à obte­nir, bien qu’ils néces­sitent une appli­ca­tion quo­ti­dienne, parce qu’es­sen­tiel­le­ment la com­mu­ni­ca­tion ou la liai­son hié­rar­chique a été rom­pue. Mais à mesure que l’on remonte dans la struc­ture, la résis­tance au chan­ge­ment s’ac­croît. Il faut alors uti­li­ser un cer­tain nombre de tech­niques ori­gi­nales pour la vaincre, dans les­quelles l’in­te­rac­tion per­son­nelle joue un rôle important.

La seconde dif­fi­cul­té est d’as­su­rer la péren­ni­té des com­por­te­ments. Pour cela, l’é­quipe de pro­jet est volon­tai­re­ment mixte, com­po­sée de per­son­nels de la socié­té (consul­tants internes) et du cabi­net de conseil. Elle est jour après jour sur le ter­rain, là où les com­por­te­ments doivent évoluer.

Au début du pro­jet, les consul­tants servent d’exemples, en mon­trant com­ment les choses doivent se faire. Et pro­gres­si­ve­ment, à mesure que le pro­jet se déroule en déli­vrant les résul­tats atten­dus, ils se trans­forment en » coachs  » en lais­sant les consul­tants internes à la socié­té assu­rer plei­ne­ment leurs nou­veaux comportements.

Conclusion

La dis­tinc­tion cou­rante entre conseil opé­ra­tion­nel et stra­té­gique consacre deux métiers clai­re­ment dif­fé­rents dont l’é­vo­lu­tion res­pec­tive de leur posi­tion­ne­ment les conduit à se retrou­ver de plus en plus sou­vent en compétition.

Pous­sé par une demande des clients à la recherche de résul­tats concrets, le conseil opé­ra­tion­nel a bien­tôt acquis ses lettres de noblesse. Plus qu’une dis­ci­pline jadis dédai­gnée pour son manque de hau­teur de vue, il consti­tue désor­mais un maillon essen­tiel de la décli­nai­son de toute stra­té­gie opé­ra­tion­nelle. Com­ment en effet réus­sir la gageure de faire évo­luer la culture d’en­tre­prise et d’a­mé­lio­rer les résul­tats finan­ciers, tout en tenant compte des impé­ra­tifs sociaux et syn­di­caux de l’entreprise ?

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1.
Cf. » Lea­ding change » de John P. Kot­ter, Har­vard Busi­ness School Press.
2. Cf. » Le défi de la réduc­tion des coûts » de Phi­lippe Cher­vi, Aero­nau­tique Busi­ness, 2 mai 2002, n° 79.
3. Cf. » Pre­mières incur­sions de la sup­ply chain dans le sec­teur aéro­spa­tial » de Phi­lippe Cher­vi, Aero­nau­tique Busi­ness, 21 février 2002, n° 74.
4. Cf. » La SNPE ou l’his­to­rique d’une muta­tion du public au pri­vé » de Phi­lippe Cher­vi, Aero­nau­tique Busi­ness, 27 juin 2002, n° 83.
5. Cf. » Gaming the sys­tem » de James B. Rie­ley, Head of Lea­der­ship Deve­lop­ment, Cele­rant Consulting.

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