Le conseil opérationnel, une révolution culturelle au quotidien
Conseil stratégique et opérationnel
Une typologie des métiers du conseil distingue le conseil opérationnel et le conseil stratégique, une telle segmentation offrant l’avantage de reconnaître les fonctions tant opérationnelles que stratégiques de l’entreprise et la distinction de leurs besoins propres. Outre ce distinguo, les autres critères importants de différenciation dans le fonctionnement des cabinets de conseil recouvrent le niveau de décision, l’horizon et le modèle commercial client.
Si le conseil stratégique aide l’entreprise à définir sa stratégie, c’est-à-dire à assurer sa pérennité et son développement à un horizon de trois à cinq ans dans un marché et un environnement souvent fluctuants, le conseil opérationnel prend cette stratégie pour point de départ en reconnaissant que les entreprises manquent le plus souvent d’une capacité de réalisation rapide et durable. Il la décline ensuite en une stratégie opérationnelle à un horizon de un à trois ans en déterminant la contribution et le déploiement dans le temps des ressources de l’entreprise, les conditions de son succès et en lui fixant des objectifs opérationnels.
L’exercice aboutit normalement à la prise de connaissance par chaque individu de sa contribution et des objectifs qui lui sont assignés. Or, et c’est bien pour cela que les conseils opérationnels existent, il est bien rare que les objectifs de chacun soient réellement connus sans même parler de l’engagement de chacun à un objectif commun. Tout se passe comme si, après l’excès d’énergie apporté par l’exercice de stratégie opérationnelle, le système retombait dans un niveau d’énergie plus bas et qu’après avoir planifié, l’action pouvait attendre…
Le positionnement des cabinets de conseil
La frontière entre conseil opérationnel et stratégique n’est ni stricte ni formelle. Tout acteur du conseil opérationnel, confronté projet après projet à la dure loi du terrain dans les ateliers, les lignes de production, les services ou les bureaux d’étude aura tôt fait d’apprendre les conditions du succès d’un projet au quotidien. Il n’aura alors de cesse de mettre à profit cette expérience et cette légitimité acquise pour orienter la stratégie opérationnelle de l’entreprise dans le souci d’une meilleure efficacité.
Le mode commercial du conseil opérationnel diffère aussi de celui du conseil stratégique. Si ce dernier se concentre sur une approche personnalisée en exacerbant le poids des réseaux et des partenaires, le conseil opérationnel pratique volontiers, selon sa taille et son objectif de croissance, une approche dite » de chasse « , c’est-à-dire une approche directe des dirigeants de l’entreprise.
Malgré leurs différences, ces deux types de conseil migrent progressivement sur un même terrain de chasse, poussés en cela par un client qui cherche une garantie sur le résultat. Tout conseil opérationnel de bonne réputation gage désormais une partie de sa rétribution – lorsque cela est possible – sur l’obtention de résultats, opérationnels ou financiers, au terme d’un engagement commun et réciproque.
La figure 1 illustre le positionnement des cabinets de conseil et leur migration perçue en stratégie opérationnelle et implémentation. L’évolution liée à la redistribution des métiers de l’audit et du conseil chez les Big Five (ou plutôt des Last Four) n’est pas figurée.
Une approche-type dans le conseil opérationnel
La plupart des cabinets de conseil opérationnel, au moins ceux issus de la mouvance Proudfoot, opèrent sur un modèle en trois phases, le client décidant à la fin de chacune des deux premières phases de s’engager ou non dans la phase suivante. À partir d’un besoin client identifié (amélioration de l’efficacité de l’organisation, réduction du coût de revient d’un produit, etc.),
- la phase de scoping caractérise ce besoin par le biais d’interviews avec un ensemble représentatif de personnels de l’entreprise. Il s’agit de comprendre l’entreprise, son environnement, sa culture, le besoin exprimé et d’identifier les principaux axes potentiels d’amélioration ;
- la phase d’analyse identifie plus finement les axes d’amélioration, notamment en quantifiant les gains potentiels et le retour sur investissement, et elle définit le projet permettant de réaliser ces gains. Surtout, elle bâtit un premier niveau d’adhésion au projet des personnels de l’entreprise. Bien souvent, le cabinet de conseil et le client s’engagent conjointement sur un niveau de performance à réaliser (montant de gains, niveau de performance, etc.) ;
- la phase de projet réalise le projet défini lors de la phase d’analyse et délivre les résultats financiers prévus.
Si les facteurs de succès d’un projet de changement sont bien connus1, il importe de réaliser que le changement se pilote à l’instar de tout projet technique. Tel est le principal apport d’un conseil en gestion du changement (ou opérationnel), le pilotage utilisant des outils ou méthodologies tant techniques que » soft « , c’est-à-dire dirigés vers l’individu. À cet égard, il faut dénoncer le tropisme des sociétés d’ingénieurs qui ne croient qu’à la vertu des améliorations techniques alors que bien souvent leur problème principal se situe au niveau des hommes, de leurs comportements et de leurs interactions, des systèmes de décision ou des processus.
De fait, le modèle de Celerant Consulting dit exactement cela : tout résultat durable, qu’il soit financier, opérationnel, culturel…, ne s’acquiert que grâce à des changements de comportement individuels à tous les niveaux de la société.
Le changement est en quelque sorte l’intégrale des changements de comportement individuels. Les quatre facteurs permettant d’obtenir ces derniers sont les systèmes de décision et la technologie, les processus et les hommes. La figure 2 illustre ce modèle.
Quelle offre pour quelle société ?
Outre les problèmes généraux (réduction de coût, création de valeur, etc.), les problèmes particuliers auxquels les sociétés sont susceptibles d’être confrontées sont souvent similaires pour un même secteur d’activité2. On distingue ainsi des secteurs comme : Manufacturing, Process, Infrastructure, Energy. Par exemple, la gestion des actifs (Asset Management) au sein des sociétés du secteur Process revêt une importance particulière. Elle a donc été formalisée comme une » offre générique « , une réponse à un besoin générique.
Plus qu’une offre s’appliquant de façon indistincte, l’offre générique, qu’elle s’appelle Asset Management, Supply Chain, Product & Process Leadership, Operational Strategy, Organizational Effectiveness…, sert plutôt de point de départ pour l’offre personnalisée qui est élaborée pour chaque nouveau projet dans une société.
L’alternance entre la formalisation de l’offre générique et la personnalisation de celle-ci permet d’enrichir les offres par une fertilisation croisée de pratiques expérimentées avec succès dans un secteur et appliquées à un autre3.
Ainsi tel projet à la SNPE4 s’inspire de projets chez Alstom et Bayer et enrichit l’offre Organizational Effectiveness. L’expérience acquise dans les quinze dernières années dans la maintenance de plates-formes offshore a fortement contribué à l’émergence d’une expertise Asset Management qui profite aujourd’hui non seulement à des sociétés de la chimie comme Aventis, mais aussi à des sociétés du secteur Manufacturing comme Snecma ou Arianespace.
Le pilotage du changement
Le premier défi du pilotage du changement consiste à faire évoluer les comportements au quotidien, par une présence sur le terrain à tous les niveaux concernés par le projet durant toute la vie du projet.
Le second défi est d’assurer la pérennité des comportements après la durée du projet en agissant en profondeur sur le fonctionnement de la société pour que les nouveaux comportements passent dans les mœurs.
Des deux difficultés majeures, la première est d’orchestrer le changement dans les différentes strates hiérarchiques en tenant compte du fait que la société opère, malgré et à cause de ses dysfonctionnements, sur un mode qui est loin d’être nominal5. Les changements dans les ateliers, les bureaux d’étude sont souvent faciles à obtenir, bien qu’ils nécessitent une application quotidienne, parce qu’essentiellement la communication ou la liaison hiérarchique a été rompue. Mais à mesure que l’on remonte dans la structure, la résistance au changement s’accroît. Il faut alors utiliser un certain nombre de techniques originales pour la vaincre, dans lesquelles l’interaction personnelle joue un rôle important.
La seconde difficulté est d’assurer la pérennité des comportements. Pour cela, l’équipe de projet est volontairement mixte, composée de personnels de la société (consultants internes) et du cabinet de conseil. Elle est jour après jour sur le terrain, là où les comportements doivent évoluer.
Au début du projet, les consultants servent d’exemples, en montrant comment les choses doivent se faire. Et progressivement, à mesure que le projet se déroule en délivrant les résultats attendus, ils se transforment en » coachs » en laissant les consultants internes à la société assurer pleinement leurs nouveaux comportements.
Conclusion
La distinction courante entre conseil opérationnel et stratégique consacre deux métiers clairement différents dont l’évolution respective de leur positionnement les conduit à se retrouver de plus en plus souvent en compétition.
Poussé par une demande des clients à la recherche de résultats concrets, le conseil opérationnel a bientôt acquis ses lettres de noblesse. Plus qu’une discipline jadis dédaignée pour son manque de hauteur de vue, il constitue désormais un maillon essentiel de la déclinaison de toute stratégie opérationnelle. Comment en effet réussir la gageure de faire évoluer la culture d’entreprise et d’améliorer les résultats financiers, tout en tenant compte des impératifs sociaux et syndicaux de l’entreprise ?
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1. Cf. » Leading change » de John P. Kotter, Harvard Business School Press.
2. Cf. » Le défi de la réduction des coûts » de Philippe Chervi, Aeronautique Business, 2 mai 2002, n° 79.
3. Cf. » Premières incursions de la supply chain dans le secteur aérospatial » de Philippe Chervi, Aeronautique Business, 21 février 2002, n° 74.
4. Cf. » La SNPE ou l’historique d’une mutation du public au privé » de Philippe Chervi, Aeronautique Business, 27 juin 2002, n° 83.
5. Cf. » Gaming the system » de James B. Rieley, Head of Leadership Development, Celerant Consulting.