Le contrôle des assurances au service du bien commun
Les assurances ont une responsabilité économique majeure et portent de tels enjeux pour les personnes que la puissance publique ne peut s’en remettre aux seules forces du marché. Dans un contexte d’harmonisation internationale croissante, l’Autorité de contrôle française veille à la solvabilité des acteurs, au respect d’une juste concurrence et à la protection des assurés.
Un contrat d’assurance comporte deux particularités : la première tient au « cycle inversé » de production qui, par différence avec la vie ordinaire des entreprises, fait payer le client avant que le service ne soit rendu ; la seconde tient au principe de mutualisation des risques de manière à rendre statistiquement soutenable l’engagement de l’assureur envers les assurés qui ont un sinistre. Ces deux singularités justifient qu’un regard toujours très attentif de l’État ait été porté sur les compagnies d’assurances. Cette vigilance à l’égard des assureurs s’est accompagnée de la reconnaissance de l’apport du secteur à l’économie et à la solidarité : sans assurance, pas d’indemnisation des risques, donc pas de solidarité et pas de développement de l’économie.
Une question d’intérêt général
L’histoire des assurances maritimes est une illustration de cette réalité. Et, aujourd’hui encore, on peut établir une corrélation entre la maturité d’une économie et la couverture des risques par l’assurance. Partout dans le monde, les États contrôlent le secteur de l’assurance parce que l’intérêt général est directement en cause ; et les règles de base de la supervision sont conformes à des principes communs, puisque la base du calcul des primes et des provisions découle de lois de probabilité par nature universelles. Pour autant, les conditions de mise en œuvre de ces principes ont beaucoup progressé.
Les crises successives ont imposé ces évolutions. La défaillance d’une dizaine d’assureurs au Japon dans la décennie 90 a rappelé cruellement qu’il fallait une vraie supervision, indépendante, sans qu’interfèrent des considérations de politique économique ou même le financement de la dette publique. En Europe, c’est la directive Solvabilité II qui s’applique depuis 2016, de manière harmonisée dans tous les États membres. Elle impose aux compagnies de résister à des chocs sévères avec une probabilité de 99,5 %, ce qui suppose des fonds propres en conséquence. Accessoirement je relève à cette occasion une convergence des compétences juridiques et actuarielles dans l’élaboration de la norme.
Les multiples pages correspondantes au Journal officiel de l’Union européenne se trouvent ornées, grâce à cette convergence, d’élégantes formules mathématiques !
Une harmonisation croissante
Il y a deux raisons à ce développement de la réglementation. La première dérive de l’évaluation des risques de stabilité financière. L’assurance est une composante de la Finance. Les montants financiers dont elle est responsable ont un caractère systémique. Pour s’en convaincre, un seul chiffre : en France, le total du bilan des assureurs oscille autour de 3 000 Md€ selon l’état des marchés. En conséquence, pour que l’assurance réponde aux besoins de stabilité financière, la puissance publique pose des règles et en vérifie l’application par le contrôle des entreprises d’assurances. Et ces règles, autrefois nationales, tendent à s’harmoniser au niveau européen d’abord, mais aussi plus largement, compte tenu de la mondialisation qui touche aussi l’assurance.
Une autorité de contrôle
Au demeurant, une vision en silo de l’industrie financière serait erronée. Les connexions entre les composantes du monde de la Finance sont une réalité à côté de laquelle la supervision ne peut pas passer. Le système bancaire, en particulier en France, est en surplomb d’une part significative du paysage assurantiel. Et les investissements des assureurs en font des investisseurs institutionnels sur les marchés. Les assureurs investissent aussi dans les entreprises, dans l’immobilier ou même dans d’autres entreprises financières.
“Garder le sens des réalités de métier.”
La supervision doit intégrer cette architecture complexe, dont les nœuds de communication sont remarquablement réactifs à l’échelle planétaire. Il n’est dès lors pas indifférent qu’en France l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) ait réuni sous un même toit le contrôle des assurances et celui des banques, et ce depuis 2010. Il n’est pas inutile non plus que l’ACPR soit adossée à la Banque de France et dispose ainsi d’une expérience de l’économie et de l’expertise des marchés d’une banque centrale. La place de l’ACPR au sein de l’État est aussi celle d’un expert indépendant qui concourt auprès du Trésor français à l’élaboration des normes dont la sophistication, sans doute inéluctable, n’en doit pas moins constamment garder le sens des réalités de métier.
Gérer le risque de crise
L’Autorité de contrôle ne peut donc jamais s’enfermer dans sa tour d’ivoire. Elle doit se confronter en permanence aux imperfections de la pratique, sans jamais perdre de vue une forme d’idéal qui tient à son ancrage dans le service public.
Il lui arrive parfois d’être confrontée à des situations de crise. Cela fut le cas en 2008 avec la crise financière, qui a finalement été l’occasion de mettre à l’épreuve les règles de solvabilité et la résilience calculée des institutions financières. C’est aussi le cas plus modestement lorsqu’un assureur affronte une situation périlleuse ou s’en approche, et c’est bien au superviseur qu’il revient de maîtriser le chemin au bord du précipice avec les moyens juridiques dont il dispose et plus encore l’intelligence fine de la situation, et parfois le concours organisé d’acteurs de place.
La continuité du service rendu par les assureurs est indispensable au fonctionnement de l’économie réelle. Ce qui s’est révélé indispensable au temps de l’essor du transport maritime à Londres, au XVIIe siècle, se constate aujourd’hui de manière analogue face aux nouveaux risques tels que le risque cyber.
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Assurer une concurrence loyale
La deuxième raison qui pousse à l’harmonisation des règles prudentielles imposées aux compagnies d’assurances est la recherche d’une concurrence loyale entre les entreprises. Si les régulateurs laissent les entreprises de leur ressort se développer en s’affranchissant des règles prudentielles, certaines peuvent choisir d’ignorer les lois statistiques et faire du « dumping ». La conquête de parts de marché dans certaines branches peut être rapide. On l’a vu par exemple en assurance construction en France par des acteurs agissant depuis un territoire intégré à l’Union européenne où ils bénéficiaient de la logique du marché unique. Et les conséquences d’un tel laisser-aller peuvent se révéler désastreuses car on en arrive à constater, hélas trop tard, que les prestations dues lors d’un sinistre ne peuvent pas être payées, ce qui porte préjudice aux clients, bien sûr, mais aussi globalement à l’économie.
Protéger les clients
À côté des grands enjeux de protection de la stabilité financière, la loi a également confié en France à l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) le soin de protéger la clientèle contre toutes les dérives.
Dans un contrat d’assurance, l’équilibre des parties n’est pas la règle générale. Il importe donc que l’autorité publique vienne au renfort des clients, en particulier de ceux qui sont les moins bien armés. Cette mission est essentielle. La plupart des assureurs ont heureusement conscience de l’exigence morale qui s’attache à leur mission. Et ils savent que la relation avec leurs clients doit s’inscrire dans le temps long. Ils savent que la confiance est le fondement de leur légitimité. L’assureur est fiduciaire par nature.
Pourtant, dans la chaîne de distribution et sous la pression de la concurrence, les enjeux financiers peuvent altérer les priorités. Le souci de la conformité n’est parfois pas placé au bon niveau. Et il peut se faire que les investissements nécessaires, par exemple dans les systèmes d’information ou plus simplement dans la formation des personnes au contact de la clientèle, soient insuffisants ou décalés à plus tard.
Une dimension morale
Le principe de la distribution d’un produit d’assurance, qui oblige à se placer du côté du client, à évaluer ses besoins et à y répondre du mieux possible, n’est pas naturel alors que toute entreprise cherche d’abord son propre intérêt selon une logique de marché.
Le contrôle des pratiques commerciales est donc un complément indispensable de la surveillance prudentielle. Cette dimension morale du service public est tout aussi noble que celle portant sur les grands équilibres macroéconomiques. Si l’on doit s’en convaincre, il suffit par exemple d’écouter certains enregistrements de vente au téléphone d’assurance complémentaire santé à des personnes vulnérables qui en sont déjà dotées. Ce n’est pas très conceptuel. Mais le contrôle n’en a pas moins là aussi ses lettres de noblesse.
L’image que je me faisais de l’assurance avant d’entrer au corps de contrôle (désormais intégré au corps des Mines) était assez sommaire. J’avais cependant perçu qu’on y trouvait un mélange original de mathématiques, d’économie et de droit. J’ajoute à l’expérience un constat que je n’avais pas anticipé : la vitesse du mouvement qui anime le secteur, et par suite la supervision. Je garde pourtant un fil rouge (pour ne pas dire « jaune et rouge » !) : le service du bien commun.