Le contrôle en route de la circulation aérienne
Le transport aérien fait aujourd’hui l’objet de nombreuses critiques concernant en particulier la ponctualité des vols. Cet article vise à donner au lecteur un aperçu des contraintes et objectifs majeurs du contrôle en route de la navigation aérienne, et ses implications sur la régularité.
Salle de contrôle de REIMS © ROBERT MEULLE/CRNA-EST
Depuis quelques années, le transport aérien est soumis à deux critiques récurrentes. La première est relative à la gêne sonore engendrée par les avions aux environs des plates-formes aéroportuaires, la seconde concerne la ponctualité des vols. Le système de contrôle aérien constituant une partie des causes de ces retards (20 % environ), nous nous intéresserons ici à en dégager les éléments constitutifs pour mieux comprendre les phénomènes en jeu.
Les progrès connus en matière de construction aéronautique et d’avionique ont permis aux avions de voler plus vite et par presque toutes conditions météorologiques. Il est donc plus que jamais nécessaire de gérer les flux de trafic aérien de l’extérieur au moyen de méthodes et d’outils d’anticipation fiables. Dans ce cadre, le contrôleur aérien doit avoir une vue globale du trafic présent et à venir. Ces services ont pu se développer grâce aux techniques informatiques, radio et radar qui procurent à la fois un moyen de communication et une visualisation autonome du trafic.
La mission première (en fait un impératif) de sécurité aérienne est assurée dans des structures bien définies qui sont essentiellement au nombre de trois : les tours de contrôle qui gèrent le trafic sur l’aéroport et dans ses abords immédiats (quelques dizaines de kilomètres), les contrôles d’approches dont la mission est de préparer les flux de trafic en vue de leur intégration dans les circuits d’atterrissage, et enfin les Centres en route de la navigation aérienne (CRNA) s’occupant des appareils évoluant en régime de vol contrôlé dans le reste de l’espace. Ce sont ces derniers qui gèrent essentiellement les vols en croisière.
En France, on compte cinq CRNA situés à Paris, Aix-en-Provence, Reims, Bordeaux et Brest. Ils se partagent l’espace aérien français qui est divisé en unités spatiales élémentaires appelées secteurs de contrôle et de dimensions de l’ordre de la centaine de kilomètres horizontalement et de quelques milliers de mètres verticalement. Chaque centre a en charge un certain nombre de ces secteurs, et est responsable du bon écoulement du trafic dans cette zone. Dans le cas de Reims, la position géographique de l’espace contrôlé par le CRNA-Est en fait un point de passage obligé pour les flux de trafic qui relient l’Europe du Nord à l’Europe du Sud.
Fonctionnement d’un centre de contrôle
Un CRNA est articulé autour de deux pôles : la salle de contrôle et la salle technique, toutes deux en très étroite relation fonctionnelle.
La salle de contrôle où exercent les ingénieurs du contrôle de la navigation aérienne (souvent communément appelés aiguilleurs du ciel dans la presse) est composée d’un certain nombre de positions de travail. Chacune est armée par deux contrôleurs qualifiés, l’un dit organique prépare les actions à mener et gère les liaisons avec les autres services de contrôle, l’autre dit radariste gère le trafic en temps réel. La position est pour cela équipée de deux écrans radar, d’une platine radio pour les communications avec les avions, d’une platine téléphonique pour les communications avec les autres positions qu’elles soient dans le même centre ou dans tout autre centre si la liaison se justifie, et d’une interface de communication avec les calculateurs de traitement des plans de vol.
À chaque secteur est associée une position de contrôle, une position pouvant, le cas échéant, gérer simultanément plusieurs secteurs. Chaque position armée dispose d’une fréquence VHF de travail dans la bande 118 – 137 Mhz. La salle est enfin gérée par un chef de salle qui en détermine à chaque instant la configuration dans le but d’assurer au mieux les missions de sécurité et de régularité. Il est en cela aidé par un régulateur qui a connaissance du trafic à venir pour anticiper les variations de charge.
Physiquement située sous la salle de contrôle, la salle technique est le système nerveux du contrôle aérien. Elle comporte tous les éléments nécessaires au fonctionnement des divers systèmes installés en salle de contrôle et décrits plus haut. On y trouvera en particulier les calculateurs nécessaires à l’élaboration de l’image radar issue des données de plusieurs radars et agrémentée d’éléments d’information tels que l’indicatif du vol, son altitude et sa vitesse.
C’est aussi en salle technique que sont gérées les infrastructures téléphoniques et de communication radio, ainsi que les différents calculateurs des systèmes de coordination du trafic aérien. Une maintenance technique opérationnelle est assurée 24 heures sur 24 tant pour ce qui est du centre lui-même que pour certains systèmes isolés (centre d’émission-réception VHF, radars). Tous les éléments isolés sont d’ailleurs dotés de moyens de surveillance et de maintenance à distance. Les missions de maintien de la disponibilité des équipements sont assurées par les ingénieurs électroniciens des Systèmes de la Sécurité aérienne (IESSA).
Il est à noter que les systèmes mis en œuvre sont des systèmes lourds car leur intégrité et leur fiabilité sont des critères primordiaux. Ils sont généralement doublés voire triplés pour faire face à la défaillance de n’importe quel élément sans aucunement affecter la sécurité du trafic.
Outre l’organisation technique, un troisième point est à noter dans le fonctionnement du CRNA et principalement celui de Reims : la formation des personnels et en particulier des contrôleurs. L’augmentation du trafic engendre un fort besoin en effectifs de contrôleurs. Or, cette formation par objectifs jusqu’à la qualification est longue. L’École nationale de l’aviation civile (ENAC) dispense la partie théorique et pratique générale qui est prolongée par une formation adaptée à l’organisme d’affectation. Cette deuxième phase se fait à la fois au moyen de cours théoriques et d’applications sur simulateur et sur trafic réel. La durée moyenne totale de formation avoisine cinq années.
Malgré tous ces investissements tant humains que technologiques, l’écoulement du trafic rencontre des difficultés.
La saturation de l’espace aérien
Qui ne s’est jamais étonné d’entendre dire et répéter qu’en certains endroits, et dans l’est de la France en particulier, l’espace aérien est saturé, bien que le soleil soit plus souvent masqué par les nuages que par les avions. L’art du contrôle aérien consiste à faire circuler un fort trafic, évoluant dans les trois dimensions, dans un espace donné et en respectant les normes de sécurité.
Sans entrer ici dans de trop longues descriptions, on précisera que les normes de sécurité établissent des espacements minimaux horizontaux et verticaux entre les différents avions. Ces espacements visent d’une part à assurer de manière évidente la sécurité des vols, et d’autre part à prendre en compte les marges d’imprécision des différents moyens de navigation.
À ces nécessités d’espacement physique des avions s’ajoute la capacité maximale de gestion des contrôleurs. Cette capacité (aujourd’hui facteur dimensionnant) est définie dans le but de confier au contrôleur une charge de travail lui permettant d’accomplir efficacement toutes ses tâches, ceci en maintenant la sécurité. La capacité, définie par secteur, dépend de plusieurs paramètres.
Nous en citerons deux à titre d’exemple non exhaustif : la complexité du réseau de routes du secteur (plus les routes sont mêlées, plus la gestion du secteur est difficile en raison d’un nombre important de croisements d’avions), et le caractère évolutif des vols dans le secteur (un vol en croisière à vitesse et altitude constantes est plus simple à appréhender qu’un vol en évolution verticale). Il découle de ces considérations un nombre de vols admissibles simultanément. En intégrant la durée moyenne d’occupation du secteur par l’avion, on détermine un nombre de vols par heure. Dès lors que la demande de vols dans un secteur dépassera sa capacité, il y aura application de mesures de régulation.
Nombreux sont actuellement les secteurs qui se retrouvent à certaines heures de la journée en saturation. Cela signifie que la demande est supérieure à la capacité c’est-à-dire l’offre. Un réflexe d’analyse économique élémentaire conduirait à dire qu’il suffit d’augmenter le montant de la redevance pour ramener la demande au niveau de l’offre. Cette idée n’est pas d’actualité pour le contrôle aérien. Le principe retenu est celui de la régulation autoritaire des vols. Cette régulation est effectuée au niveau européen par une cellule d’Eurocontrol nommée la CFMU (Central Flow Management Unit). Le principe en est très simple : les plans de vols déposés constituent la base de calcul. Ils déterminent la demande de trafic.
Dès lors que la demande excède la capacité, les vols se verront assigner une heure de départ compatible avec le respect des capacité de tous les secteurs traversés. La base du système repose sur un objectif de minimisation du retard moyen, et les modalités de ces régulations sont décrites sommairement dans le schéma joint. Ce système a l’avantage majeur de limiter le retard subi par tout avion plutôt que de limiter le nombre d’avions retardés. Il est en quelque sorte plus juste. L’autorisation de départ ainsi attribuée est bien connue sous le nom de créneau (slot en anglais). Les périodes où ce système d’allocation de créneaux de transit sont nécessaires sont dites périodes de régulation et le secteur concerné est dit régulé.
Il découle de ce mécanisme que certains vols se verront assignés des créneaux postérieurs à leur heure de départ initialement demandée. Le retard en question est appelé retard ATC (Air Traffic Control). Il entre dans le calcul du retard dit TCC (toutes causes confondues) qui, lui, prend en compte tous les paramètres conduisant au retard de l’avion : passagers en retard, incident technique, mauvaises conditions météorologiques… C’est le retard TCC qui est ressenti de fait par le passager.
Pour donner des ordres de grandeur, dans le cas du CRNA-Est (Reims), les retards ATC engendrés par les secteurs sous sa responsabilité ont été en décembre 1997 de 72 529 minutes pour un trafic de 46 538 vols. Ceci fait une moyenne d’environ une minute et demie par vol réalisé.
Les enjeux du futur
Maintenir et améliorer le niveau de sécurité du système de navigation aérienne est l’objectif constant de tous les acteurs du transport aérien. En outre, un autre objectif est de maintenir le retard ATC moyen en dessous des trois minutes par vol durant les mois de trafic dense. Ce n’est malheureusement pas toujours le cas aujourd’hui, en particulier à Reims. Pour cela, la capacité globale de l’espace aérien doit être améliorée.
Le CRNA-Est en chiffres
Mis en service en février 1983 pour décharger le CRNA-Nord (Paris). 11 secteurs de contrôle.
Trafic : plus de 633 000 vols en 1997 (pointe à 58 300 vols en juillet 1996 et 2 125 vols le 27.09.1996).
Personnel : au 03.03.1998
462 agents dont en particulier :
- 296 ingénieurs du contrôle de la navigation aérienne,
- 63 ingénieurs électroniciens,
- 38 techniciens.
L’effectif de contrôleurs est un paramètre dimensionnant. En effet, le nombre de contrôleurs disponibles va déterminer le nombre de positions qu’il est possible d’armer. En fonction de ce nombre, certains secteurs devront éventuellement être regroupés sur une même position, réduisant naturellement la capacité du centre. Ceci justifie pleinement une politique de formation de grande envergure. Le centre de Reims a, sur un effectif global en contrôleurs de 293, 113 contrôleurs en formation.
L’augmentation du nombre de secteurs apporte des améliorations sur la régularité, mais cette méthode touche rapidement à ses limites. En effet, revenant à des considérations économiques, on peut dire que le contrôle aérien est typiquement une activité à rendements décroissants. L’augmentation de capacité selon cette méthode est financièrement très onéreuse. Par contre, des solutions prometteuses existent dans un redécoupage de l’espace réactualisé selon les principaux flux de trafics.
Une deuxième limite à la multiplication des secteurs est la disponibilité de fréquences radio. La bande aviation n’offre plus que de rares canaux libres. Un resserrement des canaux (de 25 kHz à 8,33 kHz) sera mis en place en 1999. Par ailleurs, multiplier les secteurs revient à raccourcir le temps entre deux changements de fréquence pour l’équipage de l’avion, ce qui a ses limites au point de vue opérationnel.
La modification des réseaux de routes peut apporter des gains substantiels en diminuant le nombre de croisements de routes. La complexité du secteur devient moindre permettant une capacité supérieure. La difficulté lorsque l’on veut redessiner les réseaux de routes est qu’une modification dans un secteur entraîne inévitablement des conséquences sur les secteurs adjacents voire même bien plus loin, et ce qui est bon d’un côté ne l’est pas nécessairement de l’autre.
Les progrès de l’avionique permettent maintenant aux avions les plus modernes de faire de la navigation dite de surface, contrairement à une navigation le long de routes prédéfinies au moyen d’installations de radionavigation.
Ce principe appelé RNAV (pour area navigation) permettra à terme la définition de routes mieux adaptées au trafic et donc une utilisation plus globale de l’espace.Explication schématique du processus de régulation
Cette situation serait améliorée par la mise en place d’une norme de séparation verticale réduite (dite RVSM pour Reduced Vertical Separation Minima) à 300 m au-dessus de 9 000 m d’altitude (au lieu de 600 actuellement). Les croisements pourront alors se faire en affectant des niveaux de croisière distincts aux deux routes sécantes.
Après ces limites dues aux effectifs et aux questions technologiques viennent des limites structurelles. Outre le transport aérien civil, les militaires sont de gros utilisateurs d’espace. Ils disposent en particulier de volumes en espace supérieur pour l’entraînement au combat, au ravitaillement et d’axes de travail pour les Awacs. Ces espaces sont volumineux car ils doivent répondre aux besoins des missions militaires et réduisent d’autant l’espace disponible pour le trafic civil.
Dans la zone de responsabilité du CRNA-Est, qui est au centre de la Core-Area en Europe, l’activité de l’armée de l’Air représente plus du tiers de son activité nationale. Lors de l’activation de ces zones, la capacité des secteurs concernés peut être affectée d’une diminution pouvant aller jusqu’à sept avions par heure (pour des capacités de l’ordre de 30 à 50 avions par heure), entraînant des conséquences lourdes sur les retards. Un remodelage des zones ou une utilisation plus flexible de l’espace comme préconisée par Eurocontrol offrirait une capacité supérieure et permettrait de répondre aux demandes de trafic sans générer de retards.
Le dernier axe de recherche d’un gain de capacité concerne la définition du poste de travail du contrôleur. Il s’agit de travaux en ergonomie qui ont conduit à la définition d’une nouvelle interface homme-machine dont la constitution doit soutenir le travail du contrôleur et donc améliorer sa disponibilité pour accueillir le trafic. Le projet en cours appelé ODS-France devrait être installé dans les centres de contrôle dans les quelques années à venir (en 1999 à Reims). Ces réalisations sont complexes et onéreuses. De plus, la mise en place de nouvelles positions ou de nouveaux systèmes doit se faire sans entraver le fonctionnement opérationnel du centre conduisant à des calendriers très serrés.
Tels sont les contraintes et les enjeux du contrôle de la circulation aérienne, qui doit répondre à une demande sans cesse croissante en maintenant un niveau de sécurité des plus élevés, et nécessitant des installations techniques lourdes donnant une certaine rigidité à l’édifice. Cette rigidité est directement liée aux impératifs de sécurité et ne peut être (sauf évolutions technologiques fortes) remise en cause actuellement.
L’objectif de ce bref exposé, qui espérons-le a été atteint, est que le passager qui sommeille en chacun de vous soit en mesure d’évaluer la complexité des contraintes du contrôle aérien, et donc de comprendre les raisons pour lesquelles on lui annonce trop souvent à son goût que son vol partira avec quelques minutes de retard en raison de la saturation de l’espace aérien.