Le credo antinucléaire
Dans une première partie, l’auteur examine les risques de l’industrie nucléaire : d’abord la contamination par la radioactivité à la suite d’un accident ou de la présence des déchets à longue durée de vie : ce sont, explique- t‑il, des risques identifiés, qui ne sont pas « incommensurables » par rapport à ceux que l’homme affronte ailleurs.
Les effets des faibles doses au-dessous d’un certain seuil sont entachés d’incertitude, les êtres vivants y ont survécu. La menace est certes invisible, mais elle est contrôlable.
Le livre décrit ensuite la façon dont la sûreté est assurée au cours des opérations de la chaîne de production d’électricité. Sans se perdre dans les détails des méthodes, il se réfère aux évaluations probabilistes des risques d’accidents et au volontarisme déterministe initial qui subsiste.
Quelques pages enfin sont consacrées à l’utilisation militaire des matières nucléaires et aux mesures prises par les autorités internationales, en collaboration avec l’industrie, pour combattre le terrible risque de prolifération.
Une seconde partie traite de la contestation des avantages avancés en faveur de l’énergie nucléaire : faible contenu carbone, indépendance nationale, compétitivité, sur tous les plans, la normalité et les mérites du nucléaire, pour relatifs qu’ils soient, sont nets.
L’économie du nucléaire impose de comparer des systèmes techniques complexes de production et de fourniture associés à des habitudes de consommation.
L’auteur limite son ambition à montrer qu’il y a une comptabilisation correcte des dépenses, que des provisions raisonnables sont constituées pour les futurs démantèlements et le stockage des déchets, que l’assurance est prise en compte. Bref, le coût jusqu’à présent avantageux de l’électricité nucléaire produite dans les centrales d’EDF.
La France peut-elle se passer de cette ressource dans les trente ans à venir ? L’auteur ne dit pas qu’un abandon progressif est impossible mais il détaille le coût de la cohorte des mesures qu‘il faudrait prendre : économies de consommation poussées à l’extrême, coûteuses (et génératrices de risques) ; développement accéléré des énergies nouvelles et renouvelables dont le coût et les inconvénients croissent avec leur part dans le « mix » des ressources.
Tout compris, un retrait du nucléaire imposerait un système inégalitaire et forcé de transport et de régulation, une sophistication technocratique redoutable.
L’Allemagne en décidant d’arrêter à terme ses centrales nucléaires a pris une décision coûteuse qu’elle peut espérer supporter grâce à des contreparties pour son industrie, mais qui va entraîner une recrudescence (temporaire ?) du recours au charbon, une dépendance durable envers le gaz russe et des vulnérabilités de transport.
Le livre s’achève par un retour sur les aspects éthiques : il est hors de question de nier les risques, ou simplement les inconvénients de cette ressource, mais il faut les apprécier de bonne foi.
Pierre Bacher se distingue par ses connaissances, son expérience, sa culture morale et ses scrupules. Depuis qu’il a pris sa retraite il s’est impliqué dans la réflexion sur l’énergie et en militant dans l’Association « Sauvons le climat ».
Il réagit aux accusations de mauvaise foi et aux inexactitudes des adversaires du nucléaire avec une ardeur mise au service d’une éthique du débat public. Il ne prétend pas être dépourvu de tout credo personnel, et c’est bien ainsi : le sien s’exprime sur les menaces de catastrophes climatiques, sur l’innocuité des faibles doses, sur les progrès de la sûreté, sur le découplage des utilisations militaires et la neutralisation du terrorisme nucléaire, sur la fermeté des démocraties…
Le résultat est un renversement des positions morales : au regard de son sens de la responsabilité et de ses doutes, les antinucléaires prennent figure de doctrinaires et de paladins antidémocratiques. Il y a beau temps que les lobbys ne sont plus d’un seul côté.
Souhaitons donc que sa démarche aura la vertu de réduire les excès suffisamment pour permettre un débat intelligent et d’ouvrir aux politiques l’espace qui leur revient.