Robot de pipetage associé à un incubateur à carrousel

Le criblage à haut débit (High Throughput Screening) pour la recherche de médicaments nouveaux

Dossier : BiotechnologiesMagazine N°590 Décembre 2003
Par Michel DELAAGE (59)
Par Antoine BÉRET (64)

Pourquoi le criblage à haut débit ?

La recherche de molé­cules actives par l’in­dus­trie phar­ma­ceu­tique ne connaît pas de répit : 

  • un besoin sitôt satis­fait en démasque d’autres, ain­si pro­lon­ger la vie d’un malade le confronte à des patho­lo­gies dérivées ; 
  • hasard ou néces­si­té, de nou­veaux agents infec­tieux arrivent régu­liè­re­ment sur le devant de la scène ; 
  • enfin le pas­sage des médi­ca­ments bre­ve­tés dans le domaine public est une inci­ta­tion puis­sante au renou­vel­le­ment du por­te­feuille de produits. 


Le cri­blage à haut débit consiste à pas­ser dans un test bio­lo­gique un nombre aus­si éle­vé que pos­sible de molé­cules dif­fé­rentes, en un temps rai­son­nable. Aujourd’­hui « haut débit » signi­fie une molé­cule par seconde. 

Les premiers criblages à haut débit

L’in­dus­trie phar­ma­ceu­tique est entrée dans le haut débit au milieu des années quatre-vingt, avec le test de souches de micro-orga­nismes pré­le­vés au hasard pour tes­ter des anti­bio­tiques (25 000 par an à l’é­poque, chez le seul Rhône-Pou­lenc), et le test de molé­cules actives pour leur capa­ci­té à modi­fier l’ac­ti­vi­té enzy­ma­tique de pro­téines connues. Les tests enzy­ma­tiques et les tests de liai­son à des récep­teurs ont com­men­cé à être robo­ti­sés à cette époque. 


Robot de pipe­tage asso­cié à un incu­ba­teur à car­rou­sel pour le cri­blage sur neu­rones en culture.

Les années quatre-vingt-dix voient émer­ger les « chi­mio­thèques », col­lec­tions d’é­chan­tillons cali­brés de molé­cules de syn­thèse, prêtes à l’emploi pour le cri­blage robo­ti­sé au for­mat « 96 puits » (8 lignes x 12 colonnes). Les meilleures chi­mio­thèques atteignent le mil­lion de molécules. 

Les résul­tats, sans être nuls, n’ont pas été à la hau­teur des espoirs. Il y a plu­sieurs rai­sons à cela : 

  • d’a­bord les chi­mio­thèques, en par­ti­cu­lier celles issues de la chi­mie com­bi­na­toire, (si grande soit-elle, une chi­mio­thèque ne repré­sente qu’une infime par­tie des pos­sibles), peuvent n’a­voir aucune inter­sec­tion avec l’en­semble res­treint des molé­cules se liant au récep­teur (cible) choi­si pour le criblage ; 
  • la deuxième rai­son est que pour les cibles déjà iden­ti­fiées on dis­pose d’ex­cel­lents ligands1, et qu’il s’est avé­ré bien plus dif­fi­cile que pré­vu de qua­li­fier de nou­velles cibles. Il y a loin d’une cible poten­tielle, telle qu’i­den­ti­fiée par la « géno­mique » à une cible qua­li­fiée, dont les ligands, ago­nistes ou anta­go­nistes, pré­sen­te­ront une acti­vi­té phar­ma­co­lo­gique intéressante. 

Les chimiothèques orientées

Pour amé­lio­rer le ren­de­ment du cri­blage on a d’a­bord por­té l’ef­fort sur les chi­mio­thèques « orien­tées », où la chance de trou­ver des molé­cules actives et exploi­tables est aug­men­tée. Par exemple, en intro­dui­sant des motifs struc­tu­raux iden­ti­fiés comme élé­ments de liai­son aux pro­téines d’in­té­rêt, en prê­tant atten­tion à la solu­bi­li­té au nombre de sites don­neurs ou accep­teurs de liai­sons hydro­gènes, etc. Un regain d’in­té­rêt a concer­né les extraits végé­taux natu­rels, riches en molé­cules dotées de capa­ci­té d’in­te­rac­tion avec les pro­téines ou les acides nucléiques. 

Le criblage cellulaire de première génération

Le prin­ci­pal pro­grès des cinq der­nières années est l’u­ti­li­sa­tion de cel­lules pour les opé­ra­tions de scree­ning. Certes on uti­lise depuis long­temps des micro-orga­nismes pour la recherche d’an­ti­bio­tiques. Ce qui est nou­veau c’est la pos­si­bi­li­té de faire expri­mer n’im­porte quelle cible, humaine en par­ti­cu­lier, dans une lignée cel­lu­laire. Il est donc pos­sible de rem­pla­cer les tests de liai­son simples sur pro­téines puri­fiées, par des tests plus fonc­tion­nels por­tant sur des pro­téines en situa­tion. C’est spé­cia­le­ment impor­tant pour les pro­téines mem­bra­naires et trans­mem­bra­naires comme les canaux ioniques. Si la cible est intra­cel­lu­laire un test sur lignée écar­te­ra auto­ma­ti­que­ment les molé­cules inca­pables de péné­trer les cellules. 

Avec l’in­tro­duc­tion de mar­queurs fluo­res­cents (mar­queurs chi­miques ou mar­queurs recom­bi­nés endo­gènes), pour pra­ti­que­ment tous les cas de figure, les tests cel­lu­laires ont enva­hi le domaine du cri­blage en trois ans (1999−2003). Minia­tu­ri­sés et auto­ma­ti­sés ils pro­cèdent à la même cadence que les tests de liai­son, plu­sieurs mil­liers de molécules/jour, avec une ins­tru­men­ta­tion de lec­ture inchan­gée. Le taux de coups au but (hits) s’en est trou­vé consi­dé­ra­ble­ment amélioré. 

Le criblage cellulaire de deuxième génération

On ne s’ar­rête pas en si bon che­min. Les lignées cel­lu­laires ont leurs limites : la prin­ci­pale est qu’elles n’ont pas la dif­fé­ren­cia­tion des cel­lules que l’on vise. On ne peut pas les uti­li­ser pour des tests de sur­vie car elles sont alté­rées sur les voies de mort cel­lu­laire pro­gram­mée (apop­tose)2.

Ain­si, Tro­phos, socié­té spé­cia­li­sée dans les mala­dies neu­ro-dégé­né­ra­tives, a choi­si de repro­duire sur des neu­rones en culture le pro­ces­sus de patho­phy­sio­lo­gie. Si l’on veut sau­ver le neu­rone moteur dans l’a­myo­tro­phie spi­nale infan­tile, c’est un neu­rone moteur pri­maire, conve­na­ble­ment stres­sé, qui sert de sup­port du criblage. 

Dans ce cas, la cible n’est plus néces­sai­re­ment une pro­téine iden­ti­fiée : ce peut être un pro­ces­sus cel­lu­laire-apop­tose, expres­sion d’un groupe de gènes, acti­va­tion d’une cas­cade de phos­pho­ry­la­tion3, trans­lo­ca­tion4 d’une pro­téine ou d’un élé­ment sub­cel­lu­laire, etc., pour­vu que l’ef­fet soit mesu­rable au tra­vers d’un mar­queur optique. 

Concept nou­veau, mul­ti­cible, au sens molé­cu­laire, qui accroît encore les chances d’un coup au but. Il est par­ti­cu­liè­re­ment avan­ta­geux d’o­pé­rer sur des cel­lules natu­relles en trans­fec­tion tran­si­toire5, plu­tôt que sur des lignées, et nous l’a­vons fait pour des modèles cel­lu­laires de mala­die de Hun­ting­ton et de mala­die d’Alzheimer. 

Il a fal­lu inno­ver sur l’ins­tru­men­ta­tion et la méthodologie. 

Pour s’a­dap­ter à des popu­la­tions de cel­lules rares (moto­neu­rones) ou mino­ri­taires, avec des signaux faibles, dans un envi­ron­ne­ment de cel­lules acces­soires, il faut opé­rer en mode « cyto­mé­trie », c’est-à-dire exa­mi­ner les cel­lules une à une, éli­mi­ner celles qui n’ont pas les carac­té­ris­tiques vou­lues et pro­cé­der aux ana­lyses sta­tis­tiques sur les autres. On ne connais­sait jus­qu’i­ci que le cyto­mètre en flux, adap­té aux cel­lules cir­cu­lantes (leu­co­cytes), nous avons mis au point un cyto­mètre par ana­lyse d’i­mage (Flash Cyto­me­ter) qui opère sur tout type de cel­lule adhé­rente (la majo­ri­té). À rai­son d’une ana­lyse de popu­la­tion par seconde (quelques mil­liers de cel­lules) la cadence est com­pa­tible avec le cri­blage à haut débit. 

La métho­do­lo­gie a été adap­tée à une situa­tion de fort taux de « hits » propre aux modèles cel­lu­laires inté­grés : par exemple lorsque l’on teste sur la sur­vie de neu­rones, on s’ex­pose à noter comme posi­tives des molé­cules qui bloquent l’ac­ti­vi­té élec­trique, ou même la syn­thèse pro­téique, ce qui a tou­jours un effet posi­tif sur la sur­vie à court terme. Ces molé­cules sont écar­tées par des tests com­plé­men­taires simples. 

Perspectives

La course au débit et aux grands nombres fait place aujourd’­hui à une recherche de per­ti­nence du test : à cet égard le cri­blage par cyto­mé­trie repré­sente une avan­cée consi­dé­rable, il per­met de baser le cri­blage sur la cel­lule même qui fait l’ob­jet du pro­jet thé­ra­peu­tique. Il per­met aus­si le cri­blage sur des popu­la­tions cel­lu­laires en inter­ac­tion où l’on recher­che­ra un effet (flux cal­cique par exemple) sur un type cel­lu­laire, trans­mis par un autre type sur lequel agit la molé­cule chi­mique. Les exemples ne manquent pas : neu­rones-cel­lules mus­cu­laires, cel­lules gliales-neu­rones, etc. 

Le modèle cel­lu­laire ain­si conçu repré­sente une minia­tu­ri­sa­tion de l’a­ni­mal, bien plus qu’un simple sup­port de cible. Dans les modèles cel­lu­laires mis en œuvre dans notre labo­ra­toire les molé­cules trou­vées actives dans le test cyto­mé­trique se sont éga­le­ment trou­vées actives sur les ani­maux. C’est un fac­teur essen­tiel pour accroître les chances de suc­cès d’un essai sur l’homme. 

_______________________________________________________
1. Petite molé­cule qui pré­sente une haute affi­ni­té pour un récep­teur don­né et qui pour­rait être à l’o­ri­gine du déve­lop­pe­ment d’un médicament.
2. Fixa­tion d’a­cide phos­pho­rique sur un sub­strat, cata­ly­sée dans la cel­lule par des kinases.
3. Pro­ces­sus actif d’au­to­des­truc­tion par frag­men­ta­tion de cer­taines cel­lules abou­tis­sant à leur pha­go­cy­tose. Cette mort cel­lu­laire, contrai­re­ment à la nécrose, n’est pas consé­cu­tive à une agres­sion mais géné­ti­que­ment programmée.
4. Dépla­ce­ment actif d’un com­par­ti­ment de la cel­lule à un autre.
5. La trans­fec­tion tran­si­toire est assez dif­fi­cile à expli­quer : c’est l’in­tro­duc­tion dans la cel­lule d’une construc­tion d’ADN des­ti­née à s’ex­pri­mer immé­dia­te­ment mais non trans­mise à la descendance. 

Poster un commentaire