Le cuivre, ses alliages et les épidémies
Un expert du cuivre et de ses alliages met en évidence les qualités peu connues de ce métal pour la santé, notamment en matière de lutte contre les micro-organismes.
La période insolite de confinement associée à la pandémie (Covid-19) que nous vivons en France depuis le 17 mars a fait émerger une multitude d’experts autoproclamés et d’expertises molles. Nous illustrons ici un autre type d’expertise fondée sur le retour d’expérience des épidémies passées, qui nous rappellent que le cuivre peut jouer un rôle barrière dans la propagation des virus. On l’utilise comme fongicide, bactéricide, virucide, spermicide, algicides, herbicides et insecticides, soit sous forme de sels (sulfates ou hydroxyde de cuivre) principalement dans le monde agricole, soit à l’état métallique. Ce métal a donc des propriétés intéressantes reconnues de l’Antiquité à nos jours et utilisées en médecine et en biologie. Aujourd’hui, les alliages cuivreux sont efficaces contre les bactéries tueuses. Des applications prometteuses émergent dans le monde hospitalier.
Repères
Bien que l’homme ait découvert l’alliage cuivre-étain pendant l’Âge du bronze (3 500 ans avant J.C.), les propriétés bienfaitrices du cuivre pour la santé sont en fait connues depuis l’Antiquité et ce sont les Égyptiens qui l’ont utilisé dans le domaine médical. Les papyrus d’Edwin Smith et d’Eber, qui correspondent aux plus vieux traités de médecine de notre civilisation, en sont la preuve. Ils décrivent des techniques de désinfection de plaies au niveau de la poitrine et des systèmes de stérilisation de l’eau à l’aide de cuivre. Plus contemporain, il a pu être observé que les orfèvres du cuivre, concentrés principalement dans le quartier Saint-Antoine à Paris, ont été relativement épargnés par les vagues de choléra qui ont balayé l’Europe pendant la première moitié du XIXe siècle.
Le cuivre au service de l’humanité
Depuis 2008, le cuivre et ses alliages sont considérés par l’agence américaine l’EPA (Environmental Protection Agency) comme un biocide, produit capable de détruire, repousser ou rendre inoffensifs les organismes nuisibles, par une action chimique ou biologique. Le cuivre est donc le seul élément métallique reconnu capable de réduire la prolifération de germes, bactéries, virus, champignons, potentiellement responsables d’infections.
« Le cuivre est donc le seul élément métallique
reconnu capable de réduire la prolifération de germes, bactéries,
virus, champignons… »
En 1880, un chimiste et un botaniste bordelais, Ulysse Gayon et Alexis Millardet, eurent l’idée d’utiliser du sulfate de cuivre neutralisé à la chaux afin de protéger les vignes de la région de Bordeaux contre le mildiou : la bouillie bordelaise était née. Celle-ci servira également pour lutter contre la tavelure du pommier ou le mildiou de la pomme de terre. Ce produit fait actuellement partie des quelques substances actives homologuées AB (agriculture biologique) utilisées comme pesticides.
En 1939 un médecin allemand, Werner Hangarter, a remarqué que les travailleurs des mines de cuivre de Finlande souffraient beaucoup moins d’arthrite tant qu’ils étaient en exercice, par rapport à l’ensemble de la population, assez sujette aux rhumatismes. Ce constat fut à l’origine d’essais cliniques à base de chlorure de cuivre et de salicylate de sodium pour soigner des patients atteints de rhumatisme articulaire aigu, de la polyarthrite rhumatoïde ainsi que des sciatiques. Certains grands joueurs de golf, dont le regretté Severiano Ballesteros, ont utilisé des bracelets en cuivre pour leurs vertus antirhumatismales et anti-inflammatoires afin d’éviter, entre autres, les fameuses épicondylites (inflation du tendon du coude).
« L’utilisation des antibiotiques commence à montrer ses limites. »
Cependant, avec le développement révolutionnaire des antibiotiques pour les traitements modernes des maladies pathogènes, nous avons progressivement délaissé les vertus biocides du cuivre qui nous avaient bien rendu service depuis l’Antiquité. Mais, comme toute technique révolutionnaire, utilisée de façon intensive à l’image du miracle qu’elle représentait à nos yeux, celle-là commence à montrer ses limites, face à la résistance de plus en plus grandes de certains micro-organismes en perpétuelle mutation afin de s’adapter à l’environnement dans lequel elles évoluent. Cette situation est d’autant plus préoccupante dans les hôpitaux avec ces agents pathogènes multi-résistants à l’origine des maladies nosocomiales. Face à ce constat et depuis la reconnaissance du cuivre et ses alliages par l’EPA en tant que biocide, l’utilisation du cuivre retrouve une place de plus en plus importante dans la lutte contre la propagation des infections dans notre quotidien.
Choix et efficacité des alliages cuivreux
La procédure de validation des nuances va être réalisée par le biais de plusieurs tests, afin d’évaluer la force de nuisance de l’alliage face à plusieurs bactéries (staphylococcus aureus, enterobacter aerogenes, escherichia coli…) À ce jour, plus de 500 alliages cuivreux ont été qualifiés par l’EPA comme matériaux antibactériens. On y trouve des laitons (Cu-Zn), des bronzes (Cu-Sn), des cupro-nickels (Cu-Ni), des maillechorts (Cu-Zn-Ni). Pour le moment, le point commun pour l’ensemble des alliages validés se situe dans pourcentage de cuivre, qui doit être supérieur à 58 %. Cependant, plus la teneur en cuivre est élevée, meilleure est l’action biocide.
Approches « mécanique et chimique »
Pour les dispositifs à risques plus limités, on choisit la composition de l’alliage cuivreux en fonction des conditions d’utilisation (efforts, environnement…) et des moyens de fabrication envisagés. On s’intéressera donc : aux propriétés physiques (principalement la conductivité électrique et thermique) ; aux propriétés mécaniques (la résistance mécanique, l’allongement…) ; à la tenue à la corrosion en milieux corrosifs ; à l’aspect décoratif (les laitons et maillechorts sont très utilisés en bijouterie, orfèvrerie et lunetterie). La réactivité de surface des objets en cuivre va également jouer un rôle prépondérant, comme dans toutes interactions physico-chimiques de surface. Par conséquent, il est fortement déconseillé : de recouvrir le cuivre par des cires, laques, vernis ou tout autre revêtement ; de ne pas effectuer un polissage trop prononcé, qui réduit fortement la rugosité de l’objet et donc sa surface apparente capable de réagir avec le milieu.
Approche « biologique »
D’un point de vue épidémiologique, les mécanismes antibactériens du cuivre sont multiples et complexes ; ils reposent sur l’endommagement de la membrane, la perméation du cuivre dans la cellule et l’endommagement ou la paralysie de l’agent infectieux. Des controverses portent sur la pondération entre « l’effet tueur » ou « l’inactivation des microbes » par le cuivre.
En 2011, l’équipe du professeur Grass a proposé un modèle global groupant les principaux mécanismes identifiés à cette date, qui permet de se faire une idée lorsque l’on n’est pas de la partie : endommagement de la membrane (des ions formés par dissolution du cuivre viennent perturber l’intégrité de l’enveloppe bactérienne), la cellule se vide de son contenu cytoplasmique, perméation du cuivre (les ions cuivre Cu+ et Cu2+ pénètrent dans la cellule et induisent la formation de ROS – espèces réactives oxygénées – par oxydo-réduction), libération et dégradation de l’ADN bactérien sur la surface du produit. L’efficacité du cuivre est fonction du micro-organisme contre lequel il faut lutter, de l’alliage, mais également de certains paramètres environnementaux tels que la température et le taux d’humidité.
« Les mécanismes antibactériens du cuivre sont multiples et complexes. »
Une température ambiante semble idéale pour permettre au cuivre de combattre les agents pathogènes. Il faut savoir que l’abaissement de la température d’un objet en cuivre contaminé (ex. : lors d’une mise au réfrigérateur) va entraîner une augmentation de la durée nécessaire pour éliminer l’agent infectieux. Des études menées à 22 °C ont montré que la durée pour éliminer SARM de 107 UFC (Colony Forming Unit/cm²) était de 45 à 90 mn. Ce temps est multiplié par un facteur quatre à 4 °C.
Exemples de lutte contre des micro-organismes infectieux
Pour lutter contre la propagation des micro-organismes infectieux, beaucoup d’établissements de santé misent sur les gels hydro-alcooliques, le respect des gestes barrière et la désinfection intensive. Ces mesures permettent de lutter contre la prolifération bactérienne, sous condition du respect des règles et d’un nettoyage très fréquent afin de limiter au mieux les phénomènes de recolonisation qui interviennent après quelques heures. On imagine donc facilement que les idées associées à l’utilisation du cuivre permettant de limiter à long terme la prolifération des bactéries et des virus sont nombreuses dans le monde hospitalier, principalement dans les services de réanimation ou de soins intensifs.
Cela concerne le mobilier, les vêtements ou les outils de travail. Comme nous indique le site de la société Steriall du groupe Bronze Industrie (https://www.steriall.com/fr/) basée à Suippes, « Après plus de trois ans d’études, l’URCA (Université de Reims-Champagne-Ardennes) a publié ses résultats sur l’apport de la mise en place d’éléments d’architecture en alliage de cuivre en Ehpad/Marpa. Plus de 1000 poignées et 1000 m de main courante ont été installées pour cette étude dans 5 Ehpad/Marpa de la région Grand Est. Sur toute la durée de l’étude, plus de 1000 prélèvements de surface ont été réalisés pour comparer la contamination bactérienne des surfaces en alliage de cuivre aux surfaces de référence. Une diminution majeure des contaminations bactériennes sur les poignées et les mains courantes a été constatée, confirmant l’efficacité des éléments d’architecture en alliage de cuivre comme outil de lutte contre le risque infectieux. »
La société MetalSkin Medical basée à Neuilly sur Seine (https://metalskin.eu/) propose de son côté une peinture composite riche en cuivre, qui a également été testée dans le monde hospitalier.
Bilan et perspectives
Bien que l’on connaisse les vertus sanitaires et médicales du cuivre depuis des milliers d’années et qu’on utilise pour la plupart des systèmes de distribution d’eau des canalisation en cuivre pour lutter contre la légionellose, l’émergence de bactéries de plus en plus résistantes aux antibiotiques dans les hôpitaux et Ehpad et l’épisode de confinement planétaire associé à la Covid-19 ont permis de réfléchir davantage à l’utilisation du cuivre et ses alliages face à la propagation des microbes.
La reconnaissance du cuivre et de ses alliages comme biocide depuis 2008 par l’agence américaine EPA a permis un développement important de « produits de contact » incorporant plus de cuivre (poignées, rampes, stylos, stéthoscopes…) dans les hôpitaux, les Ehpad, les cantines collectives… C’est en 2015 que le Haut conseil de la santé publique a fourni, en France, un avis favorable relatif aux propriétés biocides du cuivre. L’utilisation du cuivre permet d’améliorer la lutte contre les microbes et limite la propagation des micro-organismes infectieux et invasifs à l’origine de nombreuses maladies nosocomiales.
Cependant ses nombreuses applications, dans les espaces hospitaliers ou autres, ne sont en aucun cas des solutions de substitution aux gestes barrières et aux protocoles sanitaires ; il reste impératif de mettre en place des actions ciblées visant à nettoyer et à désinfecter. L’utilisation du cuivre, comme dans les centres hospitaliers de Rambouillet et d’Amiens, devrait s’amplifier dans tous les lieux dits collectifs (établissements scolaires, restaurants collectifs, Ehpad…).
Références bibliographiques
- Colin, « Évaluation de l’activité antibactérienne d’éléments en alliages de cuivre dans des établissements de santé », thèse de l’université de Reims Champagne-Ardenne, 29 mars 2019.
- HHA. Dollwet, JRJ. Sorenson, « Historic uses of copper compounds in medicine », Traces elements in Medicine, 2nd edition, the Humana Press inc., 77, 1541–1547.
- Grass, C. Rensing, M. Solioz, « Metallic copper as an antimicrobial. Applied and environnemental microbiology », 77(5), 1541–1547.
- Hardy, S. Gossain, N. Drugan and all, « Rapid recontamination with MRSA of the environment on an intensive care unit after decontamination with hydrogen peroxide vapour », Journal of hospital Infection, 66, 360–368.
- https://www.modeintextile.fr/
- Noyce, H. Michels, CW. Keevil, « Potential use of copper surfaces to reduce survival of epidemic methicillin-resistant staphylococcus aureus in the healthcare environment », Journal of hospital Infection 63, 289–297.
- Talantikit, « Effets antibactériens des nanoparticules de cuivre, oxyde de cuivre et oxyde de fer », thèse université de Montréal, décembre 2014.
Consultez notre dossier consacré à la crise de la Covid-19 dans La Jaune et la Rouge n° 758, octobre 2020
Commentaire
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Bonjour et bravo pour la qualité de synthèse de cet article. Une petite précision la société ayant développé la marque Steriall n’est pas Bronze industrie mais le Groupe Lebronze alloys dont le siège est effectivement à Suippes.