Le défi du traitement des infrastructures
REPÈRES
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Le contenu de cet article reflète l’expérience d’Egis, groupe français d’ingénierie, de montage et d’exploitation d’infrastructures en France et à l’international, qui s’est investi ces dernières années dans deux importants programmes de recherche sur l’adaptation au changement climatique des infrastructures de transport : GERICI (Gestion des risques liés au changement climatique pour les infrastructures) dans le cadre d’un appel à projet national du Réseau génie civil et urbain, et RIMAROCC (Risk Management for Roads in a Changing Climate) au titre du programme européen ERA-NET Road.
Il est tout d’abord utile de rappeler en deux points la vulnérabilité des infrastructures face aux aléas climatiques.
Des infrastructures vulnérables
D’une part, si les infrastructures (transport, énergie, eau, etc.) sont relativement peu sensibles à une évolution graduelle des valeurs moyennes des paramètres climatiques – car elles sont conçues pour fonctionner dans de larges gammes de températures, de précipitations, etc. –, en revanche, elles le sont particulièrement aux événements climatiques extrêmes, dont les hypothèses de valeurs limites sont généralement considérées comme des éléments-clés dans les calculs de structure et de dimensionnement. Il faut donc bien connaître ces événements, ainsi que leur évolution dans le temps et dans l’espace.
Les infrastructures pèsent très lourd en termes économiques et humains
D’autre part, les infrastructures pèsent très lourd en termes économiques et humains. Le chiffre d’affaires de la Fédération nationale des travaux publics est d’environ 40 milliards d’euros, la valeur totale du capital d’infrastructures d’environ 200 milliards pour le seul secteur routier. Les retombées économiques du secteur sont à l’avenant : la production annuelle en valeur de l’ensemble du secteur du transport est de 150 milliards d’euros. Aussi la coupure de réseaux d’infrastructures induite par certains événements climatiques engendre-t- elle des coûts importants pour la collectivité. S’ajoute évidemment le coût humain et social de ces événements (sinistres, décès).
Une situation critique
La combinaison de certains facteurs rend ces sujets progressivement plus critiques.
Les défis du changement climatique vont exiger des collaborations beaucoup plus étroites
L’environnement des infrastructures s’est souvent urbanisé, et l’imperméabilisation croissante des bassins amont rend les crues plus fréquentes et plus violentes. Ainsi, une infrastructure construite dans les années 1970 pour une crue de type centennal peut se retrouver aujourd’hui concernée par de tels débits à une fréquence inférieure à dix ans. Les trafics empruntant ces infrastructures sont de plus en plus élevés et congestionnés.
Les infrastructures ont souvent été construites entre 1945 et 1980, sur la base d’anciennes réglementations techniques, et vieillissent, ce qui accroît leur vulnérabilité. De plus, l’acceptabilité des risques par les usagers s’est réduite en quelques décennies, avec l’augmentation moyenne du niveau de vie et la dégradation concomitante des conditions de circulation. Il faut donc aborder avec humilité et pragmatisme ces problématiques complexes, sans attendre pour agir que de nouvelles catastrophes nous confirment ce que l’on pressent déjà aujourd’hui.
L’information est cruciale
Par rapport aux événements critiques, les questions-clés des gestionnaires d’infrastructures aux météorologues et climatologues sont les suivantes. Quels vont être les changements climatiques les plus importants, à quelles échéances, avec quelle probabilité ? Quelle est la résolution spatiale des prévisions actuelles et futures (et quand ces dernières seront-elles disponibles) ? Comment gérer efficacement la question des incertitudes ? Est-il possible d’exprimer les événements climatiques extrêmes en probabilité d’occurrence pour chaque variable météorologique à fort impact sur la vulnérabilité des infrastructures ? Enfin, comment combiner les données observées sur les événements climatiques extrêmes et les projections liées au changement climatique ?
Un travail commun
Il n’est pas aisé d’y répondre, mais dans le dialogue entre gestionnaires d’infrastructures et spécialistes du climat, plusieurs axes de progrès sont identifiables. Les défis du changement climatique vont exiger des collaborations beaucoup plus étroites, un travail d’équipe centré sur la résolution des problèmes des maîtres d’ouvrage, des exploitants et des usagers. Un vrai processus itératif de convergence et d’optimisation est nécessaire. Les indicateurs météorologiques devront être adaptés aux besoins des gestionnaires d’infrastructures, notamment en termes de précision et de disponibilité.
La connaissance commune des valeurs critiques par type d’infrastructure permettra d’optimiser la chaîne d’intervention, depuis la transmission d’informations météo pertinentes, le traitement approprié de cette information avec d’éventuels outils-modèles développés en commun, jusqu’à des actions concrètes d’adaptation (à court et moyen terme).
Savoir anticiper
Un horizon à dix ans est plus facile à appréhender qu’une échéance à cent ans
Soulignons que les pas de temps dans le secteur des infrastructures sont très élevés : la durée de vie des ouvrages est très longue (de cent à plusieurs centaines d’années pour les ponts et les barrages). Pour la conception de nouvelles infrastructures, les projections climatiques à long terme sont donc nécessaires, même si elles sont forcément entachées d’incertitudes.
Des prévisions suffisamment fiables à court terme (dix, vingt, ou trente ans) sont également requises pour décider de programmes d’investissement, de réhabilitation et d’adaptation de l’existant. Les raisons en sont multiples : poids des coûts d’adaptation des infrastructures existantes dans des contextes budgétaires, contractuels et de trafic très contraints ; optimisation du phasage financier de ces investissements ; intérêt d’intégrer les mesures d’adaptation progressivement dans les cycles de réhabilitation-entretien des ouvrages existants ; complexité et criticité croissantes du processus de gouvernance, qui exige une rigueur et une transparence absolues dans le processus décisionnel.
Enfin, il faut noter le caractère pédagogique de la démarche, un horizon à dix ans étant beaucoup plus facile à appréhender pour le gestionnaire d’une infrastructure qu’une échéance à cent ans. Ainsi, certaines informations pertinentes sur le changement climatique actuel ou à court terme peuvent décider des maîtres d’ouvrage à anticiper le renforcement de certains ouvrages qu’ils savent déjà très fragiles.
Passer aux actes
Contrairement aux idées reçues, d’une part il n’y a pas de temps à perdre ; d’autre part il est possible aujourd’hui d’agir utilement. Trois familles de mesures s’imposent. Certaines règles de conception, notamment celles utilisées pour le dimensionnement des ouvrages hydrauliques, doivent être modifiées. Fondées sur l’utilisation de séries statistiques sous un climat supposé immuable, elles se révèlent obsolètes – voire dangereuses – avec un climat évoluant rapidement. Ces approches normatives sont amenées à être progressivement remplacées par des méthodes faisant appel à l’analyse des risques, déjà utilisées en association avec des analyses coût-bénéfice sur des sites à enjeu majeur de protection contre les risques naturels. Notons que le surcoût de l’adaptation est généralement faible lorsque l’action est décidée dès la conception.
Adapter les processus
Les processus de conception et d’exploitation doivent être adaptés. Ils doivent s’ouvrir à des coopérations plus larges : avec les services météorologiques, entre concepteurs et exploitants (juste équilibre entre le « durcissement » de l’infrastructure et l’adaptation des conditions de maintenance et d’exploitation), entre les modes de transport (afin de garantir la continuité du service aux usagers), avec les acteurs du territoire (pour intégrer les enjeux socio-économiques). La notion de « niveau de service dégradé mais acceptable » doit se développer concrètement, pour mieux optimiser l’exploitation des infrastructures pendant les crises, qui peuvent devenir plus fréquentes et moins prévisibles. Les systèmes contractuels (par exemple les concessions ou partenariats public-privé) doivent intégrer les enjeux du changement climatique. Les mécanismes incitatifs peuvent à ce titre avoir un effet de levier très positif.
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Adaptation et infrastructures
Bravo pour cet article. Les infrastructures existantes ont également vielli et demandent dans tous les cas à être réhabilitées… Il faut en profiter pour prendre en compte les mesures d’adaptation