Le » Défi Jeunes « , un ensemble flou
Michel Maffesoli, sociologue, professeur à la Sorbonne, introduit le débat en observant que » la culture des sentiments trouve l’aide du développement technologique, conduisant au paradoxe d’une synergie de l’archaïque et du technologique « . Il observe chez les jeunes l’apparition d’un » ré-enchantement » qui se conjugue avec d’autres valeurs. » Il faut s’adapter à ces valeurs et non adapter les jeunes à nos valeurs. »
Quelle adhésion des jeunes à quels enjeux économiques ?
– Quitterie Delmas, déléguée générale du Mouvement démocrate, estime que » les jeunes sont très conscients des enjeux mondiaux, mais ils ne sont pas représentés au Parlement. Il faut partager les pouvoirs avec eux et, pour y parvenir, mettre fin au cumul des mandats. » Elle demande un gros effort des entreprises pour » miser sur le capital humain (créativité, force de conviction), plutôt que sur le curriculum vitae « .
– Thomas Fatome, directeur de cabinet du Secrétaire d’État en charge de l’emploi, se déclare » angoissé par le taux de chômage des jeunes, de l’ordre de 20 % « . Il évoque les inquiétudes des jeunes sur le premier emploi, l’environnement, les retraites.
– Erik Leleu, directeur des ressources humaines de Vinci, considère que » les jeunes veulent zapper tout en restant cocoonés « . Sur le terrain, » on n’observe pas de différence d’investissement dans le travail entre jeunes et plus âgés. Ils ont leurs qualités propres, parmi lesquelles l’insolence et l’impertinence. Sachons libérer leur créativité. »
– Philippe Lagayette, président-directeur général de JP Morgan, veut relativiser. » Reportons-nous quarante ans en arrière, la contestation était aussi forte. » Le problème principal d’aujourd’hui, à ses yeux, est » le chômage dont les jeunes sont les premières victimes « . Il observe que » les systèmes réglementaires sont toujours combattus de façon irrationnelle lorsqu’ils sont spécifiques à la jeunesse « .
Mieux former pour conduire efficacement à la vie active
Cette deuxième table ronde s’engage sur un constat : » Les jeunes Français sont les plus défaitistes au monde, avec les Japonais » (selon une enquête… suédoise). Leur formation est-elle en cause ?
– Jean-Robert Pitte, professeur à la Sorbonne, soutient vigoureusement cette thèse. » On continue à mentir aux jeunes. On ne leur dit pas que l’université n’est que la voiture-balai des grandes écoles. On accepte tout le monde sans sélection pour aboutir à une véritable hécatombe au niveau des diplômes. On crée le savoir, on le transmet et l’on ne se soucie pas de l’avenir des intéressés. »
– Gérard Marcou, également professeur à la Sorbonne, mais dans une autre université, n’est pas de cet avis. » L’université est ouverte à tous. Elle donne sa chance à chacun. Il n’y a pas de droit au diplôme, il faut accepter les échecs. Quant à l’entreprise, elle doit évidemment prendre sa part dans la formation. L’école n’est pas un bureau de placement. »
– Bernard Ramanantsoa, directeur général d’HEC, souligne que son école a noué des partenariats avec diverses universités, de même qu’avec d’autres grandes écoles. Plutôt que de voiture-balai, il préfère parler de mode de sélection : » Les grandes écoles, c’est la guillotine ; les universités, c’est plutôt le supplice chinois. Ne comparons pas un coureur de 400 m et un coureur de 1 500 m. La question est de savoir comment récupérer ceux qui n’ont pas été sélectionnés. »
– Bernard Boucault, directeur de l’ENA, rappelle que » des diplômés de l’université peuvent accéder aux grandes écoles. L’ENA est une école d’État attractive, qui offre des parcours très divers, mais évidemment très sélective. Pour lui, les écoles et les universités françaises ont une très bonne image internationale. »
– Yves Gnanou, directeur général adjoint de l’École polytechnique, confirme l’ouverture aux universités, » en regrettant le manque de candidats. Les universitaires seraient-ils timorés ? »
Métiers publics et entreprises, que veulent les jeunes ?
– Julie Coudry, présidente de la Confédération étudiante, hésite entre public et privé et se demande » en quoi l’entreprise contribue-t-elle à l’intérêt général ? »
– Daniel Dewavrin, président de l’Association des anciens élèves de l’École polytechnique, rappelle que » la richesse ne vient que des entreprises privées et que la France ne crée pas assez d’emplois marchands « .
– Stéphane Richard, directeur du cabinet du ministre de l’Économie, des Finances et de l’Emploi, observe » une amélioration des indicateurs de chômage et d’emploi dans le secteur privé « , tandis que Philippe Caïla, directeur de cabinet du ministre du Budget, chargé de la Fonction publique, indique que » l’État s’apprête à recruter 100 000 jeunes « .
– Georges Lefebvre, directeur général du groupe La Poste, qui offre aujourd’hui des contrats publics ou privés, souligne l’intérêt » d’offrir des postes intéressants à des jeunes qui n’envisagent pas de faire carrière « . En pratique, il constate » un très faible taux de mobilité « .
Les méfaits du dénominateur
Pour le profane, dire que » le taux de chômage des jeunes est de 20 % » se traduit par l’affirmation effrayante qu” » un jeune sur cinq est au chômage « . C’est une absurdité.
Le taux de chômage est défini comme le rapport du nombre de chômeurs au nombre d’actifs. La population des jeunes (de 15 à 24 ans) comprend environ deux tiers d’inactifs, tout simplement parce qu’ils continuent leurs études. Le taux de chômage, mesuré sur les seuls actifs, correspond donc à un pourcentage trois fois moindre sur la population totale des jeunes, soit environ 7 %. Ce chiffre est comparable à celui observé pour les plus âgés. La diminution du taux de chômage avec l’âge répond essentiellement à l’augmentation régulière du nombre des actifs (le dénominateur de la fraction). Il en est de même pour les comparaisons avec d’autres pays : les jeunes Français poursuivent leurs études plus longtemps que d’autres et le dénominateur de la fraction est plus faible. Le taux de chômage est plus élevé alors que le pourcentage de chômeurs ne l’est pas.
Comparable au chômage tout court, comparable à celui des autres pays européens, le chômage des jeunes est douloureux car ils recherchent leur premier emploi. Il est regrettable de les démoraliser davantage par l’emploi d’une unité de mesure inappropriée.
Nouvelles générations, nouvelles valeurs : comment favoriser l’harmonie entre générations
– Mercedes Erra, présidente de l’Association des diplômés HEC, présente quelques résultats d’une étude récente : » Les jeunes aiment l’autorité, regrettent parfois des parents trop permissifs, sont un peu inquiets quant à leur avenir. Un quart estime cet avenir prometteur, mais moins d’un quart se dit certain de trouver un travail. Il est vrai que le travail n’est plus le mot-clé. La famille est le plus important. »
– Jean-Paul Agon, directeur général de L’Oréal, rencontre » des jeunes nouveaux, curieux, exigeants, impatients « , opinion confortée par Jean Desazars de Montgailhard, directeur général adjoint du Groupe Lafarge, qui note que » notre mot d’ordre » accélérer » est accepté par toutes les générations « .
– Daniel Richard, président de WWF France, brosse un tableau sombre de l’évolution de notre environnement et estime que les jeunes » doivent entrer en guerre pour abandonner le modèle économique existant. Le travail, la monnaie, la terre, ne sont plus les éléments principaux. »
– Augustin de Romanet, directeur général de la Caisse des dépôts, constate que » nous sommes dans une période historique de paix que nous n’avons pas connue depuis Louis XV et qu’il est toujours difficile de se structurer dans ces circonstances. Il faut redonner un sens à la justice, à l’éducation. »
» Où est le défi ? conclut-il. Il est écologique. Il est aussi d’assumer nos valeurs occidentales. »