Le démantèlement, un marché à très long terme
Aujourd’hui, le démantèlement nucléaire est un marché discontinu encore limité à un faible volume d’activité, avec pour l’essentiel le démantèlement de laboratoires ou de réacteurs de recherche ou d’usines de transformation de combustible. Si le marché potentiel semble très important, les politiques de démantèlement sont différentes suivant les pays.
REPÈRES
Après l’accident de Fukushima et la décision de l’Allemagne d’entamer sa sortie du nucléaire, en stoppant 8 de ses 17 centrales, et de ne pas prolonger ses réacteurs, 50 à 60 réacteurs sur les 155 en fonctionnement dans l’Union européenne devraient commencer à être démantelés à l’horizon 2025. S’ils ne seront pas tous démantelés immédiatement, le nombre de projets lancés devrait croître et laisse entrevoir en première analyse des perspectives d’activité très prometteuses pour les entreprises disposant des compétences requises.
En France, neuf réacteurs sont déjà en cours de déconstruction, jusqu’en 2040. Le démantèlement des réacteurs de Brennilis et de Chooz est engagé, celui du réacteur de Bugey 1 est en appel d’offres.
En France, neuf réacteurs sont déjà en cours de déconstruction
En Espagne, le réacteur graphite-gaz de Vandellós 1 est en démantèlement différé pour cause d’absence de filière de gestion des déchets graphite.
La Grande-Bretagne a, pour sa part, davantage opté pour une stratégie de démantèlement différé en raison de la filière graphite de ces réacteurs dont les déchets contiennent des radioéléments à vie longue.
À titre d’exemple, le réacteur Magnox de la centrale de Bradwell, au sud-est de l’Angleterre, devrait être démantelé d’ici à la fin de ce siècle. Sur la côte de la mer d’Irlande, l’immense site de Sellafield, qui abrite des réacteurs et usines de traitement du combustible, poursuit un programme de traitement de déchets puis initiera un programme de démantèlement planifié sur plus de cent ans.
Dynamisme du marché américain
Chantier de démantèlement au CEA.
Quant aux États-Unis, pays qui compte 104 réacteurs en exploitation et 28 à l’arrêt, les stratégies sont multiples. Le nucléaire civil fait l’objet de prolongation de durée de vie reportant les dates de démantèlement ; toutefois, après l’arrêt d’un réacteur, les programmes de démantèlement doivent être mis en œuvre sur une période limitée à soixante ans.œ
Conséquence de cet apparent dynamisme, la plupart des acteurs du secteur nucléaire mais aussi des groupes de BTP, des entreprises d’ingénierie ou de mécanique se positionnent sur le marché du démantèlement, qui, de ce fait, devient un marché très concurrentiel mais avec une activité très faible.
Quatre grands défis
Le démantèlement nécessite une compétence large dans plusieurs domaines afin de résoudre les défis technologiques, environnementaux, opérationnels et financiers.
« Mise au tombeau »
Pour le nucléaire militaire, le gouvernement américain s’autorise dans certains cas à mettre en œuvre le démantèlement in situ ou entombment (mise au tombeau) et en particulier, pour les installations dont les procédés sont situés sous le niveau du sol.
Parmi les défis technologiques, notons la cartographie des installations à démanteler (bâtiments, équipements, fluides, déchets solides, etc.), la chimie des résidus, la radioprotection des opérateurs potentiellement au contact des matériels pouvant contenir des substances radioactives, l’utilisation de la robotique ou d’équipements spéciaux, la maintenance durant les démantèlements de l’état des installations et l’intervention dans des zones à risques.
Les défis environnementaux se composent essentiellement de la caractérisation et du tri des déchets (radioactifs ou non) ainsi que de la réduction des volumes de déchets.
Démantèlement EDF sur le site de Creys-Malville.
Casse-tête opérationnel
Le démantèlement de 10 réacteurs équivaut à l’exploitation d’un seul
Quant aux défis opérationnels, ils sont énormes : difficultés liées au suivi de l’historique d’exploitation, et du maintien des compétences ; gestion d’un chantier hors normes nécessitant de réaliser des premières avec des maquettages complexes ne représentant que partiellement la réalité ; mise en œuvre dans des espaces réduits d’opérations exigeant la présence d’équipes multicompétentes ; et surtout, incertitudes sur les états radiologiques, et donc sur les processus et délais de réalisation.
Les défis financiers découlent à la fois des caractéristiques énoncées plus haut, du caractère très concurrentiel du marché, et de l’étalement des budgets sur de nombreuses années.
Un marché difficile et à long terme
Démantèlement d’un site d’Areva.
Si le démantèlement présente de nombreux défis, il existe une certitude : il ne permettra jamais de remplacer, en termes d’employabilité, l’exploitation d’une installation nucléaire, aussi bien en nombre d’emplois qu’en niveau de qualification. Des études récentes ont montré que le démantèlement de 10 réacteurs était équivalent à l’exploitation d’un seul.
Les défis opérationnels sont énormes
Une autre difficulté concerne les coûts de chiffrage. En effet, les projets nécessitent, en phase d’appel d’offres, un investissement important en étude, représentant de 1 % à 4 % du chiffre d’affaires par projet et mobilisant des ressources et des compétences dans des domaines techniques très variés : génie civil, mécanique, sûreté, radioprotection, robotique, chimie.
Le marché du démantèlement présente un intérêt technique majeur mais ne constituera une filière durable et continue qu’à l’horizon 2025.
Les incertitudes, les investissements, la maîtrise des délais sont autant de défis qui, pour l’instant, pénalisent la rentabilité de cette filière d’avenir.
Chantier de démantèlement mené par Nuvia sur le site de Cadarache (CEA).