Le Deutsche Mark et la Bundesbank Le concept monétaire allemand
Francfort © OFFICE NATIONAL ALLEMAND DU TOURISME
1. La monnaie et l’institut d’émission
Lorsque le Deutsche Mark fut introduit en Allemagne il y a près de cinquante ans, personne ne pensait qu’il jouerait un jour un rôle aussi important. Dans ce pays ébranlé par la guerre, il marquait un nouveau départ sur lequel les Allemands fondaient toutes leurs espérances.
Aujourd’hui, il est l’une des monnaies les plus stables du monde. Grâce à sa stabilité, le Deutsche Mark s’est vu attribuer le rôle de point d’ancrage dans le Système monétaire européen ; à l’échelle internationale il est devenu la deuxième monnaie de placement et de réserve, après le dollar américain. L’estime dont jouit la Deutsche Bundesbank, sa réputation de garant de la stabilité s’expliquent par ces résultats remarquables qui, par ailleurs, ne pouvaient pas être considérés comme évidents ; chacun sait que les deux monnaies qui ont précédé le Deutsche Mark ont subi un échec retentissant.
L’hyperinflation que l’Allemagne a connue après les deux guerres mondiales, en 1923 et en 1948, a anéanti par deux fois, en l’espace d’une génération, le patrimoine financier des épargnants. Ce sont notamment ces expériences douloureuses qui ont dicté le choix d’un concept et d’une politique monétaire dont l’idée centre doit être et est la stabilité monétaire.
2. La monnaie
Après 1945, la production industrielle était quasiment inexistante en Allemagne. Cette situation n’était pas due principalement à la destruction de l’appareil productif durant la guerre, ni au manque de main-d’œuvre ou de matières premières. Les conditions matérielles du redémarrage de la production industrielle en Allemagne de l’Ouest ont été assez vite réétablies, grâce à l’attitude constructive des puissances alliées notamment. Mais cette situation relativement bonne de l’économie réelle avait pour contrepartie des conditions monétaires et un ordonnancement économique extrêmement défavorables.
En recourant à la planche à billets pour financer les dépenses d’armement et de guerre, on avait accumulé un énorme excédent de liquidités dont les effets inflationnistes n’ont pu être enrayés qu’à l’aide du contrôle des prix qui avait été décidé avant la guerre et fut maintenu dans un premier temps par le gouvernement militaire, et d’une régulation très poussée. Ces mesures se sont traduites par une très forte distorsion des prix éliminant, chez les entreprises, toute incitation à produire.
Cette situation était insupportable. Il devint très vite évident qu’il fallait changer profondément l’environnement économique si l’on voulait que la production industrielle reparte en Allemagne de l’Ouest. Une réforme monétaire et économique s’imposait par conséquent. Pour préparer la réforme monétaire, les Alliés instituèrent en mars 1948 la Bank Deutscher Länder, qui est devenue plus tard la Deutsche Bundesbank. Avec les Landeszentralbanken – qui existaient déjà à l’époque, mais étaient encore juridiquement autonomes -, elle constitua tout d’abord un système de banque centrale à deux échelons.
Si la réforme monétaire était l’œuvre des Alliés, la réforme économique fut conçue par les Allemands. Ludwig Erhard, qui devait devenir plus tard ministre de l’Économie, sut faire accepter ses projets visant à introduire le système d’économie de marché. Avec le soutien des Alliés, il supprima les contrôles de prix et les réglementations. Les prix retrouvèrent alors leur fonction régulatrice et l’esprit d’entreprise put de nouveau s’appliquer. Cette situation permit enfin aux forces économiques existantes de se libérer. Ludwig Erhard œuvra en faveur d’une ouverture rapide de l’économie allemande vers l’extérieur, ce qui amena dès 1958 à la pleine convertibilité du Deutsche Mark et facilita la reprise.
Quelques mois plus tard, le 20 juin 1948, la réforme monétaire fut réalisée sur la base de la loi monétaire promulguée par les Alliés. Le Reichsmark, qui avait perdu toute sa valeur entre-temps, fut remplacé par le Deutsche Mark. Le succès de la réforme monétaire fut largement déterminé par la dévaluation radicale allant de pair avec la conversion monétaire et qui permit d’éliminer enfin l’excédent de liquidités. Rétrospectivement, on ne peut que se féliciter de ce que la réforme monétaire se soit faite presque exclusivement sous la direction et la responsabilité des Alliés, car il n’aurait pas été possible autrement d’effectuer une dévaluation monétaire aussi radicale.
Les spécialistes d’économie s’accordent pour dire que le fameux « miracle économique allemand » est imputable à la conjonction de trois facteurs. En premier lieu à la profonde réforme monétaire et à la politique de stabilité menée avec constance par la suite, puis à l’application rapide des règles de l’économie de marché, y compris l’ouverture à l’extérieur, et enfin à l’aide généreuse des Américains par le biais du plan Marshall.
Même si ce n’est pas uniquement grâce à la réforme monétaire que la reprise économique a eu lieu, le Deutsche Mark est quand même devenu rapidement le symbole du recommencement. C’est sans doute l’une des raisons qui explique l’attachement des Allemands à leur monnaie, attachement dont on sourit parfois à l’étranger. Le Deutsche Mark continue d’être synonyme de puissance économique et de prospérité, comme on a encore pu le voir en 1990 lors la réunification allemande.
3. La Bundesbank
Les Alliés avaient non seulement introduit une nouvelle monnaie, mais aussi jeté les bases d’un nouvel ordre monétaire. La « Loi sur la Deutsche Bundesbank » adoptée en 1957 s’inspire indéniablement de l’expérience du passé et de la législation mise en place par les puissances occupantes et toujours en vigueur à cette date. La Loi sur la Bank Deutscher Länder par exemple stipulait déjà que cet institut était indépendant des instances politiques allemandes. Pour ce qui est des décisions de politique monétaire, il ne fut tout d’abord responsable que devant la Commission bancaire des Alliés (Allied Banking Commission) qui, dès le départ, soutint sa politique d’argent rare ; cette obligation de rendre compte aux Alliés fut supprimée dès 1951.
Lorsqu’en 1957 la Bundesbank succéda à la Bank Deutscher Länder, le principe de l’indépendance fut aussitôt repris ; selon l’article 12 de la Loi sur la Deutsche Bundesbank, l’institut d’émission allemand n’a pas d’instruction à recevoir du gouvernement fédéral. Cette indépendance ancrée dans la loi a pourvu la Bundesbank de l’autonomie nécessaire pour assumer sa tâche qui, elle, est prescrite par la loi : en vertu de l’article 3 de la Loi sur la Bundesbank, cette dernière a pour tâche d’assurer la sauvegarde de la monnaie.
Ces deux principes, à savoir l’indépendance et la sauvegarde de la monnaie, sont devenus les particularités marquantes de la politique monétaire allemande.
Les décisions de politique monétaire, comme le choix de la stratégie à suivre ou l’emploi des instruments monétaires, sont prises par le conseil de la banque centrale qui est l’organe de décision suprême de la Bundesbank ; il se compose du président et du vice-président de la Bundesbank ainsi que des autres membres du directoire et des présidents des Landeszentralbanken.
Les membres du directoire sont proposés par le gouvernement fédéral – sur avis du conseil de la banque centrale – et nommés par le Président de la République fédérale pour huit ans normalement ; ils ne peuvent être révoqués que pour des raisons qui soient personnelles. Les présidents des Landeszentralbanken sont proposés, quant à eux, par le Bundesrat (conseil fédéral). L’indépendance de l’institut d’émission allemand et de ses responsables est bien mise en lumière par le caractère fédéral des organes de la Bundesbank et la longue durée des mandats de leurs membres.
Il est intéressant de voir qu’un nombre croissant de pays ont doté leur banque centrale d’un statut d’autonomie, ces dernières années. Ils ont donc pris en considération ce que de nombreuses analyses théoriques et empiriques ont montré, à savoir que l’indépendance de la banque centrale est une condition importante de la stabilité monétaire.
Pour la Bundesbank, la sauvegarde de la monnaie n’a jamais été seulement une tâche imposée par la loi, mais constitue aussi un objectif économiquement utile. Les conséquences de la politique économique menée pendant les années soixante-dix ont permis enfin de comprendre que la politique de « l’argent facile » ne saurait garantir à moyen et long terme ni la croissance ni l’emploi. L’idée selon laquelle on peut tolérer à la longue un taux d’inflation un peu plus élevé en échange d’un chômage moins important était – et reste – utopique.
L’indépendance de la Bundesbank et l’obligation dans laquelle elle est d’assurer la sauvegarde de la monnaie sont deux critères institutionnels importants qui expliquent pourquoi elle a enregistré de très bons résultats dans la lutte contre l’inflation. Mais un autre facteur a joué là un rôle tout aussi important, à savoir que, s’appuyant sur la douloureuse expérience qui a été faite durant la première moitié du siècle avec les deux hyperinflations que l’on sait, les Allemands sont convaincus que l’inflation ne peut pas résoudre les problèmes, mais qu’elle en est la cause. La Bundesbank savait qu’en axant sa politique monétaire sur le maintien de la stabilité, elle aurait l’appui d’une très large partie de la population. Elle s’est toujours sentie liée par l’obligation de faire durer ce consensus.
Cet engagement de l’institut d’émission envers l’opinion publique se reflète dans le choix de sa stratégie monétaire. Depuis plus de vingt ans, la voie suivie par la Bundesbank avec succès est celle du pilotage en fonction de la croissance monétaire. Par le biais de la régulation des taux monétaires à court terme et de la liquidité des banques, elle cherche à influencer l’évolution de la masse monétaire et, en fin de compte, le taux d’inflation.
L’objectif de croissance monétaire est calculé selon une méthode bien compréhensible, à la portée du public. Les valeurs concernant la croissance du potentiel de production réel, l’évolution estimée des prix à moyen terme et le ralentissement tendanciel de la vitesse de circulation de la monnaie sont additionnées et exprimées, en tenant compte de la situation monétaire respective, sous forme d’objectif de croissance pour l’année suivante. Ainsi, la masse monétaire devrait croître de 5 % environ en 1997 et 1998.
Pour 1997, la Bundesbank a fixé de surcroît une fourchette-cible de 3,5 à 6,5 %. L’objectif de croissance monétaire est annoncé en début d’année pour l’année considérée, ce qui permet au public de vérifier régulièrement si la politique monétaire parvient à ses fins. Les écarts éventuels par rapport à l’objectif fixé ainsi que les décisions en matière de taux d’intérêt sont commentés par la Bundesbank dans ses communiqués de presse, son rapport mensuel ou d’autres publications. Cette justification de la politique monétaire auprès de l’opinion publique et le contrôle qu’elle implique sont l’un des facteurs – et non des moindres – sur lequel se fonde la crédibilité de la Bundesbank.
4. La Bundesbank et l’intégration européenne
Au vu des expériences faites par l’Allemagne et que l’on vient d’évoquer, il n’est guère surprenant que les Allemands aient du mal à accepter l’idée d’abandonner le Deutsche Mark. Toutefois, le Bundestag et le Bundesrat se sont prononcés en faveur de l’Union européenne dont ils ont accepté le traité à une très large majorité.
La Bundesbank a fait savoir dès le début qu’elle suivrait la voie tracée par le traité de Maastricht et qui doit mener à l’Union monétaire européenne. Elle a participé étroitement aux travaux des commissions spéciales créées dans ce but, en particulier au sein de l’Institut monétaire européen, afin que la Banque centrale européenne puisse être opérationnelle dès le premier jour et pratiquer une politique monétaire axée sur la stabilité.
Dans le traité de Maastricht et les statuts de la Banque centrale européenne sont inscrits plusieurs éléments de nature à doter la banque centrale d’une structure favorisant le maintien de la stabilité, qui ont déjà fait la preuve de leur efficacité et dont l’utilité est mondialement reconnue. Premièrement : l’objectif prioritaire du Système européen de banques centrales (SEBC) est le maintien de la stabilité des prix (article 105 du traité sur l’Union européenne) ; deuxièmement : le SEBC est indépendant des gouvernements nationaux ainsi que des organes de la Communauté (article 107 du traité) ; troisièmement : il est interdit au SEBC d’accorder des crédits aux administrations publiques (article 104 du traité).
Ainsi, on a jeté, sur le plan institutionnel, les bases de la stabilité de la nouvelle monnaie commune. Par ailleurs, les travaux préparatoires réalisés en prévision du choix de la stratégie monétaire adaptée et des instruments correspondants sont maintenant bien avancés.
Il est clair qu’il s’agit là de conditions très importantes pour la stabilité de l’euro, mais à long terme, l’Union monétaire ne peut être une réussite que si la politique monétaire est soutenue par une politique financière et économique vouée elle aussi à la stabilité. Des décisions nuisibles à la stabilité, en particulier dans le domaine de la politique financière, peuvent entraîner des évolutions inflationnistes et finir par obliger les responsables de la politique monétaire à appliquer des mesures exerçant des effets opposés. Une politique monétaire anti-inflationniste pourrait alors créer des tensions trop fortes.
C’est pourquoi il est absolument indispensable de contrecarrer le plus tôt possible et durablement toute tendance en politique financière qui soit préjudiciable à la stabilité. Les critères de convergence fixés dans le traité de Maastricht et le pacte de stabilité et de croissance servent cet objectif.
La capacité d’un pays à satisfaire durablement aux critères de convergence peut servir d’indicateur permettant de voir quelles sont ses « maturité et culture » en matière de stabilité. En persistant à réclamer un respect strict des critères de convergence, on ne fait pas preuve d’entêtement et cela ne veut pas dire non plus que l’on cherche à faire obstacle à l’Union monétaire. En fait, si l’Union monétaire était constituée par des pays qui ne sont pas parvenus à atteindre la convergence nécessaire, la stabilité de l’euro et l’Union monétaire elle-même se trouveraient menacées.
L’important n’est pas seulement de remplir les critères de convergence au moment de l’entrée dans l’Union monétaire, mais – et surtout – de satisfaire durablement aux exigences posées en matière de convergence. Puisque les critères de stabilité des prix, convergence des taux de rendement du capital et stabilité des taux de change disparaîtront automatiquement dès que l’Union monétaire aura été constituée, le terme de convergence durable s’applique essentiellement aux critères budgétaires.
Afin de mieux garantir le maintien d’une politique budgétaire disciplinée après le début de l’Union monétaire, les chefs d’État et de gouvernement se sont mis d’accord sur un pacte de stabilité lors des Conseils européens de Dublin et d’Amsterdam. Les dispositions qu’il contient soulignent bien l’importance qui est accordée à la discipline financière pratiquée de façon durable.
La « culture » de la stabilité se manifeste par une orientation correspondante de la politique monétaire, financière et économique. Mieux même, elle s’exprime à travers l’acceptation entière, par les citoyens, de l’indépendance de la banque centrale. Du fait qu’en Allemagne fédérale l’autonomie de la banque centrale fait partie des principes qui ont été posés le plus tôt possible et qu’elle constitue une des principales conditions de la stabilité de la monnaie, les réactions sont particulièrement vives dans ce pays devant une éventuelle menace de l’indépendance de la banque centrale.
Tout comme les citoyens, les marchés financiers internationaux ne conféreront un rang particulier à la future monnaie européenne que s’ils sont sûrs de sa stabilité. Seul un euro stable pourra concurrencer le dollar US comme monnaie de réserve et de placement.
Bibliographie
- Deutsche Bundesbank, 50 Jahre D‑Mark, à paraître, Munich 1998.
- Deutsche Bundesbank, La politique monétaire de la Bundesbank. Publication spéciale, octobre 1995.
- Issing, Otmar, Einführung in die Geldpolitik (Introduction à la politique monétaire), 6e édition, Munich 1996.