Le deuxième acte / Un P’tit truc en plus / Memory / La dissidente / Juliette au printemps

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°796 Juin 2024
Par Christian JEANBRAU (63)

Bor­der Line (J.S. Vas­quez, A. Rojas – 1 h 17) ? Écar­té à regret. When evil lurks ( D. Rigna – 1 h 39) ? Presque, mais non. Mar­cel­lo mio (Ch. Hono­ré – 2 h 01) ? Arnaque. Furio­sa (George Mil­ler – 2 h 28) ? Hyper­tro­phie du creux. La petite vadrouille (Bru­no Poda­ly­dès – 1 h 36) ? Pas petite, minuscule. 

Fina­le­ment :

Le deuxième acteLe deuxième acte 

Réa­li­sa­teur : Quen­tin Dupieux – 1 h 20

Un régal de ciné­ma ! C’est un cadeau lumi­neux qui nous est offert. Des acteurs en sur­chauffe jouent sur deux ou trois registres les strates d’un film qui se déve­loppe dans un film qui se tourne. Les dia­logues sont tran­chants comme des rasoirs et dis­til­lent une ana­lyse bour­rée d’intelligence et de recul sur l’art au ser­vice duquel les comé­diens délivrent leur enthou­sias­mante per­for­mance. Dupieux, que je n’ai jamais trou­vé vrai­ment ins­pi­ré, a été tou­ché cette fois par la grâce. L. Sey­doux, V. Lin­don, L. Gar­rel, R. Que­nard, M. Guillot exé­cutent à la per­fec­tion leur numé­ro de haute vol­tige. Bra­vo ! Sans réserve. J’ai été épaté.

Un p'tit truc en plusUn P’tit truc en plus 

Réa­li­sa­teur : Artus – 1 h 39

Trop de suc­cès public pour se per­mettre de pas­ser à côté. Eh bien, ce n’est pas mal du tout ! Pas par­fait, pas tou­jours sur la crête, mais tou­chant, sou­vent drôle dans le détail, cou­su de nota­tions justes, per­ti­nentes, même dans les débuts à tra­vers des mises en place qui tré­buchent. Et puis, sur­tout, tous les écueils que l’on crai­gnait sont évi­tés. La démarche sait exploi­ter son poten­tiel comique tout en étant constam­ment res­pec­tueuse du han­di­cap. Cette petite troupe hété­ro­clite à l’écart de la nor­ma­li­té fait rire parce qu’on la découvre in fine par­fai­te­ment normale.

Mêmes pré­oc­cu­pa­tions, mêmes sen­ti­ments, mêmes tra­vers, mais dans une spon­ta­néi­té, une dis­po­ni­bi­li­té, une gen­tillesse sans filtre qui ins­tallent l’empathie et la laissent se déployer. Bien sûr tout ça, à y réflé­chir, est un peu trop repeint en rose, aucun groupe humain ne navigue dans une bonne humeur aus­si constante, aucune gen­tillesse n’est tout à fait aus­si gen­tille, aucun bra­queur n’a aus­si bon fond que les deux qui se cachent au sein de cette colo mar­gi­nale, bien sûr, mais tant pis, on veut y croire, on cède de bon cœur à l’émotion. Artus a réus­si son coup.

MemoryMemory

Réa­li­sa­teur : Michel Fran­co – 1 h 40

Éton­nant film, lent, déli­cat, tendre, qui veut croire que la dou­ceur peut gué­rir les bles­sures, qui sur­prend, qui retient, qui attache, qui émeut. Opti­misme ? Ce monde si mes­quin, si mau­vais, pour­rait-il donc ne pas l’être entiè­re­ment ? Avec deux acteurs qui vont vers la grâce et l’affirmation que l’amour mérite quoi qu’il en soit d’être ten­té. Il est vic­time de séni­li­té pré­coce, de pertes de mémoire, d’autonomie amoin­drie. Elle gère dif­fi­ci­le­ment de lourds trau­ma­tismes d’enfance, d’adolescence. Elle croit recon­naître en lui un de ses bour­reaux d’autrefois. Des choses se découvrent, des impres­sions se révèlent fausses, d’inattendus non-dits finissent par se dire. Des han­di­caps tissent des liens, des fra­gi­li­tés se com­plètent en forces. Dans la conscience même de sa courte fini­tude, l’espoir d’un bon­heur peut-il se faire jour ?

La dissidenteLa dissidente

Réa­li­sa­teur : Pier-Phi­lippe Che­vi­gny – 1 h 29

Bon film rugueu­se­ment qué­bé­cois et heu­reu­se­ment sous-titré (ah ! le par­ler joual…). Struc­tu­ré, solide, clair, effi­cace, humain et atta­chant. Le sché­ma nar­ra­tif est sans véri­table sur­prise – on est dans le social, ten­dance Ken Loach. L’exigence capi­ta­lis­tique va à l’embauche d’é­tran­gers et, nous montre-t-on ici, par voie de consé­quence à leur exploi­ta­tion. Ils sont sai­son­niers, mexi­cains, elle est tra­duc­trice, encom­brée des restes d’une rela­tion toxique qui lui a ouvert les yeux. Elle constate, elle s’é­meut, elle s’in­ves­tit, le pot de terre contre le pot de fer, elle y lais­se­ra quelques plumes, ils paie­ront avec fata­lisme. Le réa­lisme du film touche juste et convainc d’au­tant plus qu’il évite l’ex­cès fic­tion­nel, le hap­py-end fac­tice. Pré­cis, cré­dible, humain, amer, le mes­sage porte. Le monde est dur. Et, dans tous les contextes, on se heurte inévi­ta­ble­ment au cynique et rica­nant « Arbeit macht frei », ne fût-il des­si­né qu’au fron­ton de l’u­sine… Beau per­son­nage féminin.

Juliette au PrintempsJuliette au printemps 

Réa­li­sa­trice : Blan­dine Lenoir – 1 h 36

Jolie sur­prise en forme de buis­son psy­cho­lo­gique au tis­sage atta­chant, sur quatre géné­ra­tions. Pas de per­son­nage négli­gé, pas de sim­pli­fi­ca­tion ni d’i­déa­li­sa­tion, c’est cré­dible et tou­chant. Des bouts de famille qui partent en tous sens et en font quand même une. Dar­rous­sin et Noé­mie Lvovs­ky excellent tan­dis que, explo­sive dans sa chair et son tem­pé­ra­ment, Sophie Guille­min fait des mer­veilles. Un tableau de groupe très fine­ment réussi.

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