Le développement des ports français.
Autoroutes de la mer, décentralisation, progression importante du transport fluvial, report de trafic routier vers le transport maritime ou la voie d’eau, développement d’un réseau d’infrastructures cohérent et continu à l’échelle européenne, autant de questions et de projets à l’ordre du jour en France.
Qu’il s’agisse de politique, d’investissements, de développement durable, d’intermodalité, ou de besoins des partenaires économiques – autorités portuaires, chargeurs, transporteurs, collectivités territoriales, État – projets d’infrastructures et nouveaux schémas logistiques sont nombreux.
Après tout, les ports maritimes et fluviaux ne sont-ils pas des portes sur le monde et sur la ville ?
État des lieux avec la DTMPL, Hervé Cornède (TLF), Jean Gadenne (VNF), Jean-Marc Lacave (Port autonome du Havre) et Yves Morin (Port autonome de Paris).
Un vent de renouveau souffle sur les transports maritimes et la navigation fluviale en France. En partie, bien sûr sous l’effet de la concurrence de plus en plus vive entre ports européens pour capter des parts de marché du trafic maritime mondial en forte progression. Mais sans doute aussi parce que la France, tout comme ses partenaires européens, dans le cadre d’un développement plus durable, entreprend un rééquilibrage en faveur des modes alternatifs à la route – maritime, fluvial et rail – tant pour des motifs économiques et écologiques, que pour des raisons d’épuisement des ressources énergétiques fossiles.
Le secteur portuaire maritime en pleine évolution
En France, la Direction du transport maritime, des ports et du littoral (DTMPL) a la charge de la mise en valeur des côtes et de la promotion de la flotte de commerce battant pavillon français. Également chargée de la gestion du domaine public maritime, la DTMPL doit veiller à maintenir l’équilibre entre aménagement et protection du littoral.
En 2003, les ports maritimes français ont traité 357,4 millions de tonnes (Mt) de fret dont la moitié sont des vracs liquides (essentiellement du pétrole), un quart de vracs solides (céréales, charbon, minerais), 20 % de marchandises diverses hors conteneurs et 8 % – une part croissante – de conteneurs.
En 2003, indique la DTMPL, les trafics portuaires ont retrouvé un taux de croissance de + 3,5 %, après avoir progressé de + 4 % en 2000, reculé de – 1,4 % en 2001 et avant de progresser à nouveau de + 1,1 % en 2002.
Le trafic maritime mondial de conteneurs explose : + 8 à 10 % par an environ ; sur les 90 millions d’unités transportées en 2003, la Chine représente aujourd’hui à elle seule 20 % du trafic mondial.
Enfin, hors fret, n’oublions pas l’activité passagers des ports français, puisque, tous les ans, 34 millions de passagers entrent ou sortent par un port maritime français, dont plus de 20 millions pour le seul port de Calais qui est le plus grand port de passagers d’Europe continentale.
Les ports maritimes français…
Sur ses 5 500 km de côtes métropolitaines et ses 1 500 km de littoral d’outre-mer, la France compte 7 ports autonomes, 23 ports d’intérêt national et 532 ports de commerce, de plaisance et de pêche gérés par les Conseils généraux et les communes.
Les ports d’intérêt national (ports de commerce et de pêche relevant des compétences de l’État, généralement concédés aux Chambres de commerce et d’industrie) assurent environ 20 % du tonnage de marchandises mais représentent 50 % des marchandises diverses non conteneurisées et plus de 80 % du trafic passagers. Avec 74,3 Mt, leur trafic est en progression de 1,8 % par rapport à 2002 qui était déjà une année favorable.
Ce sont les ports autonomes, établissements publics de l’État – Bordeaux, Dunkerque, La Guadeloupe, Le Havre, Marseille-Fos, Nantes-Saint-Nazaire et Rouen – qui traitent plus de 80 % du trafic maritime de marchandises, soit 278,1 Mt – chiffre global en hausse de 4,0 % en 2003 par rapport à l’année précédente. Le trafic est en progression de 3,6 % à Marseille (95,6 Mt) par exemple, il progresse de 5,4 % au Havre (71,4 Mt), tandis que, à Nantes-Saint-Nazaire (30,8 Mt), les résultats sont en recul de 2,7 % malgré une hausse des marchandises diverses et des trafics conteneurisés due notamment à la bonne tenue des feeders1, aux trafics avec l’Afrique et à la progression de la ligne de cabotage Dublin-Bristol-Montoir-Bilbao.
… face aux ports européens
La concurrence entre ports étant très vive au plan européen, les résultats des ports de Rotterdam et d’Anvers sont intéressants à observer. Rotterdam, avec un tonnage de 327,5 Mt, a connu une hausse de 1,8 % (+ 2,3% en 2002) due surtout à la hausse forte (+ 8,3%) des marchandises diverses (89,5 Mt) sous l’effet d’une hausse conjointe des trafics conteneurisés (70,7 Mt, soit + 7,4 %) en tonnage, avec notamment un accroissement des échanges avec le Royaume-Uni et l’Asie, du trafic roulier2 (+ 10,8%) et du conventionnel (+ 12,6%).
À Anvers, les échanges sont restés stables en 2002 mais ont progressé de 8,3 % en 2003 (142 Mt) avec une forte progression des trafics conteneurisés (61 Mt) + 15 % en tonnage ; Hambourg continue de progresser : + 8 % (105 Mt) après une hausse de 5,7 % déjà en 2002 ; Gênes est en hausse de 4,7 %, Barcelone de 5,7 % et Valence de 6,5 %.
Décentralisation
Fin juillet 2004, le « projet de loi relatif aux libertés et responsabilités locales » a été définitivement adopté par le Parlement. Il comporte deux articles spécifiques concernant les ports maritimes non autonomes relevant de l’État – les actuels ports d’intérêt national – qui organisent le transfert de compétences, des moyens financiers et des services de l’État (en 2005 et 2006, la date limite étant fixée au 1er janvier 2007) aux collectivités territoriales à l’issue d’une concertation locale. L’articulation entre les compétences de l’État en matière de police portuaire, de sécurité et de sûreté et celles des collectivités locales en tant que nouvelles autorités portuaires sera précisée par une ordonnance qui adaptera le code des ports maritimes.
Transport et logistique
Les ports, leurs zones industrielles et logistiques jouent un rôle stratégique pour le développement de l’économie des régions françaises et européennes et sont générateurs d’emploi : 40 000 emplois portuaires directs, 70 000 postes industriels et 200 000 emplois liés à la logistique portuaire ou induits (source : DTMPL, 2004). Étant donné qu’en matière maritime, il y a toujours un (ou plusieurs) pré- et postacheminement(s), les services offerts aux industriels et autres chargeurs sont de plus en plus complets et intègrent tous les modes – maritime, rail, route et fluvial – afin de proposer une prestation porte-à-porte complète. Ce qui a donné naissance à un nouveau métier, les commissionnaires, organisateurs de transports internationaux, affréteurs et autres logisticiens qui deviennent de véritables « intégrateurs de services » ; ensemble, tous modes de transport confondus, ils représentent en France 3 000 entreprises qui emploient 120 000 salariés ce qui fait d’elles les premiers employeurs des ports et aéroports français.
C’est un secteur en développement d’autant plus important, indique Hervé Cornède, délégué général de TLF, qui regroupe en France les entreprises de transport et de logistique, que les industriels et la grande distribution continuent à externaliser les services de transport, de stockage, etc., déjà sous-traités aux deux tiers. Ce mouvement de recentrage des industriels sur leur cœur de métier a favorisé le développement de l’activité logistique et l’émergence d’un véritable marché de la prestation de services. Les grands ports maritimes – et fluviaux – deviennent ainsi de véritables bases logistiques, des plates-formes multimodales où la réforme portuaire entreprise en 1992 a permis de faire entrer la concurrence.
Cabotage et autoroutes de la mer
On sait que les « autoroutes de la mer » sont à la mode mais répondent à un vrai besoin de désengorgement des grands axes routiers. Ce que l’on sait moins, c’est que le cabotage – le transport maritime à courte distance ou short-sea shipping – occupe déjà une place importante dans les échanges intracommunautaires : 41 % en 2001 selon le Livre blanc de la Commission européenne sur les transports3. Selon ce dernier : c’est le seul mode de transport de marchandises dont le taux de croissance (+ 27% entre 1990 et 1998) s’est rapproché de celui du transport routier (+ 35%). Le cabotage concerne de plus en plus un flux de marchandises diverses (pièces industrielles, véhicules neufs, etc.) conteneurisées et le transport de remorques, accompagnées ou non. C’est ce dernier type de transport sur courte distance, consistant à embarquer des camions sur des navires maritimes – de préférence non accompagnés selon le délégué général de TLF – que l’on caractérise aujourd’hui par » autoroutes de la mer « . À terme, estime-t-on au Comité interministériel de la mer, les lignes régulières qui le pratiqueront permettront de retirer de la route des centaines de milliers de camions qui seront transportés par des navires spécialisés (des ferries à poids lourds) qui transporteront entre 100 à 150 camions ou remorques.
La première ligne de merroutage - financée par l’État comme n’importe quelle infrastructure (ici, la flotte de bateaux nécessaires) recommandait déjà Henri de Richemont dans son rapport d’avril 2003 – devrait voir le jour en 2006 sur l’arc Atlantique entre les ports Nantes-Saint-Nazaire, vraisemblablement associés à La Rochelle, et l’Espagne, sans doute Bilbao. Elle vise à retirer de la route 350 000 remorques de camions par an et permettra d’accroître l’activité portuaire de 15 à 25 % et de générer la création d’un millier d’emplois. Autre ligne envisagée : Fos-Savone qui a déjà été soumis à la Commission de Bruxelles pour une mise de départ européenne abondée par l’État français et à des accords entre la Société des autoroutes maritimes du Sud, le Port autonome de Marseille et les dockers.
Renouveau du transport fluvial
Il y a quinze ans à peine, on ne donnait pas cher de l’avenir de la voie d’eau en France. Aujourd’hui, le transport fluvial prouve sa pertinence en progressant bien plus rapidement (+ 20% de 1997 à 2001 en nombre de tonnes-kilomètres, source : VNF) que les deux autres modes terrestres de transport de marchandises, le rail et la route.
En 2003, si la voie d’eau a globalement préservé ses parts de marché, le secteur des conteneurs affiche un dynamisme réjouissant : + 28 % en volume (source VNF) et la complémentarité entre les modes s’organise. Notamment avec le transport maritime, comme sur la Seine, où le trafic tous types de fret a littéralement explosé (+ 80%) bénéficiant du regain d’activité du port du Havre. Suivent alors le fret transporté dans le bassin du Rhône (+ 52%) et celui du Nord-Pas-de-Calais avec + 22,7 %. Le Rhin, responsable de la moitié de l’activité fluviale nationale, affiche une croissance de 10 % malgré les conséquences de la sécheresse estivale.
Politique de transport fluvial
En France, la mise en œuvre de la politique fluviale est confiée par la Direction des transports terrestres (DTT) à Voies navigables de France (VNF, établissement public industriel et commercial) qui a commencé à fonctionner à plein régime en 1994 à Béthune. L’objectif gouvernemental inscrit dans les schémas multimodaux de services collectifs de transport de voyageurs et de transport de marchandises, approuvés par le décret du 18 avril 2002, consiste à valoriser le réseau existant et à doubler le trafic fluvial français en dix ans pour atteindre 13 milliards de tonnes-kilomètres par an. Au-delà, la réalisation progressive de la liaison Seine-Nord à grand gabarit (voir ci-après) devrait permettre de réaliser un trafic additionnel de 2,3 milliards de tonnes-kilomètres par an.
Pour Jean Gadenne, directeur du développement de Voies navigables de France, l’ambition de la voie d’eau est de montrer, un peu plus chaque jour, que pour le transport des produits nécessaires au quotidien : massifs, qui encombrent, lourds, etc., la voie d’eau, en les amenant au cœur des villes, apporte une solution durable où le facteur vitesse ne joue plus.
Sans oublier que, en termes d’efficacité énergétique3, 1 kg de pétrole permet de déplacer sur 1 km 50 tonnes de marchandises par camion, 9 tonnes par un wagon de chemin de fer et 127 tonnes par barge sur la voie d’eau.
Réseau français et le projet Seine-Nord-Europe
Le réseau navigable français confié à VNF a une longueur de 6 700 km de fleuves, rivières et canaux qui traversent 2 763 communes, 57 départements et 17 régions ; l’établissement public gère aussi – et c’est fondamental pour avoir des connexions avec les territoires – un domaine de 80 000 ha le long de toutes ces voies. Si la part du transport fluvial dans le trafic de fret transporté par voie terrestre se situe pour l’heure à seulement 3 % en France contre 12,5 % en Belgique, 13,7 % en Allemagne et 42 % aux Pays-Bas, c’est en partie parce que le réseau fluvial français ne couvre que 9 % du territoire (14 % pour la région parisienne). Alors que, aux Pays-Bas, la couverture en voies navigables est particulièrement dense.
Avec l’objectif de mettre en réseau les grands pôles économiques nord-ouest et centre européens, et pour décongestionner le corridor routier nord-sud, tout en respectant les impératifs du développement durable, la liaison fluviale Seine-Escaut du projet Seine-Nord-Europe a été inscrite comme projet prioritaire européen. Côté français, devant être soumis à DUP en 2007 et mis en service en 2012, le tronçon central de ce projet, lancé fin 2003, reliera le canal Dunkerque-Escaut à l’Oise (voir illustration ci-contre) pour permettre à terme la circulation continue de la flotte européenne à grand gabarit.
Marchandises transportées
En tête des marchandises transportées par la voie d’eau, les produits dits traditionnels en vrac : céréales, sables, graviers. C’est ainsi que, en 2000, les minéraux bruts et les matériaux de construction constituaient effectivement 34 % (en tonnes-kilomètres) du fret de la voie d’eau, les produits agricoles 22 % et les produits pétroliers 10 %. Au total, si le charbon, les minéraux, les matériaux de construction et les céréales représentent encore 80 % du tonnage transporté, la voie d’eau s’ouvre à de nouveaux trafics : le textile, la chimie, l’agroalimentaire, les produits semi-finis, la grande distribution… Des contrats de progrès sont d’ailleurs signés dans ces secteurs par VNF avec l’Office national interprofessionnel des céréales (Onic) par exemple afin de doubler le trafic de céréales par voie d’eau à l’horizon 2010.
Le cas particulier de l’évacuation des déchets mérite d’être noté. En vrac, en balles ou en conteneurs, les déchets ménagers ou industriels voyagent de plus en plus par voie fluviale, comme à Lille et Paris où des schémas logistiques complexes se mettent en place au plus près des lieux de collecte.
Des camions déposent les déchets évacués sur barge pour être triés, traités ou valorisés tout au long de l’artère fluviale.
Massifier les transports fluviaux
Puisque, à de très rares exceptions près, le transport par voie d’eau ne peut être door to door, les opérateurs ont dû développer des solutions intégrées, au-delà de la seule voie d’eau et transporter les marchandises de bout en bout. Quand on sait, comme le fait remarquer le rapport Clément-Grancourt4, qu’une partie significative des trafics de conteneurs par exemple, partant de ou arrivant dans des départements français, sont aujourd’hui détournés au profit des ports d’Anvers, Zeebrugge et Rotterdam, on comprend l’intérêt non seulement d’optimiser les services de pré- et de postacheminement mais aussi de massifier le transport fluvial lui-même pour faire baisser les prix. On comprend surtout la nécessité pour les opérateurs d’organiser la complémentarité entre modes de transport et d’offrir des services complets, de bout en bout.
Car ce sont bien ces chaînes de transport globales qui sont en concurrence aujourd’hui aux yeux des chargeurs ; ce qui montre l’intérêt, pour les ports maritimes français, de disposer non seulement d’un réseau fluvial pour irriguer leur hinterland portuaire, mais aussi d’un système ferroviaire efficace sous peine de continuer à voir s’échapper d’importantes parts de marché à leur détriment.
Sous peine aussi de voir s’asphyxier complètement une autoroute comme l’A13 desservant le port du Havre.
Une comodalité nécessaire
Pour Jean Gadenne, VNF : Chargeurs, transporteurs et opérateurs portuaires ont besoin du mode fluvial comme du rail et il faut étudier comment ces modes peuvent s’organiser au mieux, en comodalité, pour répondre à une demande sociétale et aller plus loin que la simple intermodalité qui n’est autre que l’échange entre les modes dans des lieux ou pôles aménagés pour cela.
Bien organisé, massif et complet, le transport de conteneurs sur le Rhin par exemple, à partir des terminaux fluviaux alsaciens à destination de Rotterdam, est 5 à 6 fois moins cher que le même trajet par la route.
Même à Duisburg, Allemagne, pourtant distant de 200 km seulement de Rotterdam, la route est deux fois plus chère que le transport fluvial. À Duisburg, la chaîne de transport, complexe certes mais complète, comprend aussi des trains-blocks de rabattement, ceux de Bâle accueillant les navettes ferroviaires de Zurich et de Berne qui se déchargent directement du wagon à la barge… Le rapport Clément-Grandcourt va clairement dans ce sens et propose d’organiser une liaison entre Duisburg et Le Havre où une capacité existe sur les deux réseaux (fleuve et rail).
Pour que ce type d’opération réussisse, note Jean Gadenne (VNF), il faut réunir trois conditions : qu’une capacité existe sur le trajet concerné, que le transbordement soit efficace et surtout réussir à susciter un ou deux opérateurs qui montent le service complet et le vendent aux chargeurs.
VNF fonctionne alors comme « facilitateur », par contrats de progrès, indispensables sur certains sillons, alors que, avec la route, une telle complémentarité existe déjà.
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1. Feeder : petit porte-conteneurs permettant de collecter (ou de redistribuer) les conteneurs dans les ports secondaires pour les rassembler dans les grands ports à destination (ou à partir des) des grands porte-conteneurs.
2. Navire roulier (ou ro-ro, de l’anglais roll on, roll off) : navire muni d’une passerelle permettant aux manutentionnaires de « rouler » les marchandises à bord/à terre horizontalement.
3. Source : Livre blanc. La politique européenne des transports à l’horizon 2010 : l’heure des choix — Commission européenne, 2001.
4. Rapport demandé par Dominique Bussereau, secrétaire d’État aux Transports et à la Mer, publié courant 2004 dans la perspective du développement des trafics fluviaux.