Le dirigeant consulte, le consultant ne dirige pas
Le consultant est le médecin de l’entreprise. Il convient de le choisir avec soin en fonction de ses compétences, sans hésiter à vérifier ses références. Le consultant n’est pas universel et la multiplicité des disciplines impose souvent le choix de plusieurs consultants.
Enfin, il ne faut pas se dessaisir de ses propres responsabilités. Les prises de décisions appartiennent toujours au dirigeant.
Du choix du consultant judicieux
Dans sa grande solitude, l’entrepreneur est généralement friand de conseils. Il apprécie d’autant plus l’avis des consultants que ceux-ci sont gratuits. Les consultants gratuits étant rares, il sera tenté de se rapprocher des « pas chers », mis en confiance par un titre ou un diplôme, sans trop de discernement.
L’entrepreneur sacrifie à la coutume qui veut que le chef d’entreprise n’écoute que les conseillers flatteurs, ceux qui lui disent ce qu’il veut entendre (tout bon consultant demande l’avis de son client avant de rédiger ses conclusions).
L’entrepreneur interroge volontiers le mauvais consultant, c’est-à-dire celui dont la compétence ne correspond pas à la question posée. Il va sans sourciller solliciter le consultant en marketing sur des problèmes de gestion, l’expert-comptable sur des problèmes juridiques et le juriste sur sa politique commerciale. Ne souriez pas, il y a une certaine logique derrière tout ça, puisque le consultant en marketing conseille sur la structure des prix, l’expert-comptable met en oeuvre la législation sur les sociétés et le juriste rédige les contrats commerciaux. Il s’agit de la même logique qui vous conduit à solliciter un diagnostic médical à un pharmacien. Tant que la maladie est bénigne, le conseil du pharmacien sera probablement judicieux. Mais s’il s’agit de quelque chose de plus grave ou de rare, il est recommandé de consulter un médecin. Le médecin étant plus à même de déterminer si l’affection est grave ou rare, il est recommandé de le consulter dans tous les cas. Et pourtant, nous continuons toujours à demander au pharmacien de nous vendre un produit pour la toux, ou pour les crampes d’estomac.
Un créateur d’entreprise économisait au maximum ses capitaux, et l’un de ses associés, expert-comptable de profession, proposa de rédiger lui-même les statuts de sa S. A. à Directoire et Conseil de surveillance. Les statuts que l’expert-comptable présenta étaient juridiquement corrects et paraissaient parfaits…, jusqu’au jour de la première augmentation de capital. Les procédures d’agréments des actionnaires, de ventes d’actions prioritaires et de convocations des assemblées se révélèrent tellement inextricables que l’entrepreneur dut faire appel à un juriste expérimenté pour démêler l’écheveau.
Le métier même de juriste est aujourd’hui tellement vaste qu’il s’avère indispensable de recourir à des conseillers juridiques différents suivant les problèmes que vous avez à traiter. Certains avocats sont spécialistes des problèmes sociaux, d’autres des problèmes de propriété industrielle, d’autres encore des accords commerciaux, d’autres enfin des fusions-acquisitions, etc.
Le consultant est un être humain. Comme vous et moi, il a tendance à donner son avis quand on le lui demande (c’est d’ailleurs ce que l’on donne le plus volontiers), même si la question posée sort de son domaine de compétence. Il est donc important de s’entourer de plusieurs juristes, et de poser à chacun les questions qui les concernent.
Mais cette précaution même ne suffit pas, car il en va du consultant comme de tout professionnel, son niveau de compétence et son professionnalisme ne sont garantis ni par son titre, ni par son diplôme.
Il m’a été donné par exemple de travailler avec un responsable financier qui téléphonait à son banquier pour savoir où en était son compte. Imaginez l’estime du banquier qui constatait que l’entreprise ne savait même pas le niveau de sa trésorerie.
Dans la même veine, un expert-comptable dans un grand cabinet saisissait la comptabilité d’un de mes clients à partir de ses relevés bancaires. Il m’est arrivé d’avoir à expliquer à un juriste l’intérêt d’un pacte d’actionnaires et les principales clauses à y faire figurer, ou à un commissaire aux comptes les méthodes d’évaluation de la valeur des actions d’une jeune entreprise.
Beaucoup d’entrepreneurs me soumettent des dossiers qu’ils considèrent comme « bétons » car rédigés ou contrôlés par des « experts ». C’est ainsi par exemple que j’ai eu à contempler des dossiers
• rédigé par un consultant en finance qui oubliait la TVA dans son prévisionnel de trésorerie ;
• vérifié par un directeur départemental de banque qui mettait le capital social dans les dépenses ;
• construit dans le cadre d’un stage huppé de formation à la création d’entreprise qui considérait une augmentation de capital comme un chiffre d’affaires ;
• bâti par un consultant en stratégie qui prévoyait un chiffre d’affaires pendant la construction de l’usine ;
etc., la liste serait trop longue car j’ai fait refaire des dossiers « bétons » par dizaines.
Spécialistes ou généralistes, les consultants sont les médecins de l’entreprise. En ce qui concerne les bébés entreprises, il est préférable de s’adresser à un « pédiatre ».
Prudence, donc, dans le choix des conseillers. L’entrepreneur ne devra pas hésiter à demander des références.
De l’intérêt d’une équipe de consultants
Souvent, l’entrepreneur va vouloir utiliser la tactique du « diviser pour régner », y compris dans sa relation avec ses consultants. Cette approche peut conduire à des catastrophes, dans la mesure où beaucoup de décisions relèvent de disciplines multiples. Il y aura alors intérêt au contraire à réunir autour de soi plusieurs consultants qui pourront, par un travail collectif, lui apporter le meilleur soutien.
Ainsi, l’entrepreneur dont je parlais plus haut, président du directoire de sa société, eut par la suite d’énormes problèmes relationnels avec son président du Conseil de surveillance. À l’approche de l’Assemblée générale annuelle, il apprit que ce dernier ourdissait un complot visant à le destituer. Il m’appela à l’aide et nous décidâmes de contre-attaquer. Nous réunîmes un conseil de crise comprenant le commissaire aux comptes, le conseiller juridique, le conseil en marketing et un consultant technologique. Fort heureusement, tous ces consultants se connaissaient et nous pûmes rapidement mettre en place une stratégie. Ils assistèrent tous à l’Assemblée générale, et s’exprimèrent de manière cohérente devant les actionnaires afin de les rassurer en confirmant les rapports financiers et moraux du directoire. Puis, avant que son adversaire puisse tenter quoi que ce soit, l’entrepreneur utilisa une clause des statuts pour faire voter une résolution nommant un nouveau Conseil de surveillance. La cohésion de son réseau de consultants lui sauva la mise… et son entreprise.
De l’utilisation judicieuse des consultants
Même si vous avez sélectionné les meilleurs consultants, il est important que vous sachiez en faire bon usage.
L’utilisation des consultants, même talentueux, est également un art souvent mal pratiqué. En effet, l’entrepreneur, soulagé de trouver quelqu’un de compétent, va tout naturellement avoir tendance à lui donner « carte blanche » dans la réalisation de la tâche qu’il lui confie. Il va, en fait, se dessaisir du problème au profit de l’expert et oublier qu’en dernier ressort, c’est bien à lui, l’entrepreneur, d’en assumer la responsabilité.
Contrairement à une idée répandue, le rôle d’un conseiller juridique n’est pas tellement de vous dire ce qu’il faut faire, mais plutôt de vous dire les risques encourus et les méthodes pour faire ce que vous voulez faire en minimisant ces risques. À vous ensuite de prendre la décision en connaissance de cause.
Le rôle d’un conseiller juridique est moins de rédiger pour vous les différents documents juridiques que d’adapter à votre besoin des documents préexistants, ou, mieux encore, de corriger des documents rédigés par vous-même en fonction de vos attentes. C’est de cette manière qu’il percevra mieux votre volonté de chef d’entreprise et qu’il vous donnera les meilleurs conseils et les suggestions les plus pertinentes.
Ainsi vois-je régulièrement des dossiers d’entreprises dont le prévisionnel a été réalisé par un tiers, souvent un expert-comptable. L’entrepreneur est alors fréquemment incapable de commenter son dossier. À des questions parfois simples sur ce prévisionnel, il va invariablement répondre : « Je ne sais pas, il faudrait demander à mon expert-comptable ».
Souvent même, il n’a pas pris la peine de relire ce prévisionnel pour le valider, pour en assumer la responsabilité en tant que chef d’entreprise.
La peur de la comptabilité fait croire à beaucoup d’entrepreneurs qu’ils seront incapables de comprendre un prévisionnel. Il n’en est rien. Tout bon consultant doit être capable de rendre compréhensible un prévisionnel à un bon entrepreneur. Si tel n’est pas le cas, soit le consultant devrait arrêter de conseiller, soit l’entrepreneur d’entreprendre.
Les meilleurs experts ne sont pas ceux qui vous expliquent que c’est trop compliqué pour vous, mais ceux qui vous font paraître simples les choses compliquées.