Le DGE : Le dispositif d’optimisation des interventions de la gendarmerie
La philosophie du dispositif de gestion des événements (DGE) est l’économie des moyens par la mutualisation des ressources consacrées à la fonction intervention, afin de diminuer les contraintes reposant sur les militaires et de redonner de la marge aux commandants d’unité élémentaire. Cette transformation profonde et révolutionnaire du fonctionnement quotidien des unités de gendarmerie a permis d’importants gains de présence sur la voie publique.
Le dispositif de gestion des événements (DGE) constitue une transformation importante des modes d’action de la gendarmerie départementale sur la mission « intervention » mais aussi, plus globalement, il emporte des conséquences sur l’ensemble de l’organisation du service des brigades territoriales (gestion des procédures judiciaires notamment). Il permet d’optimiser les effectifs dédiés à la gestion des interventions sur un territoire défini en s’appuyant d’une part sur un outil d’aide à la décision fondé sur l’intelligence artificielle et d’autre part sur la mutualisation des unités au sein d’un secteur défini.
Un dispositif gagnant-gagnant
Ce dispositif gagnant pour la population, gagnant pour la gendarmerie, répond plus efficacement aux sollicitations du public et, de façon concomitante, dégage des marges de manœuvre opérationnelles significatives. Il permet également au gendarme de mieux s’organiser, d’être plus efficace et de gagner en sécurité lors des interventions. Ces gains sont redéployés au profit des missions de sécurité du quotidien, notamment celles en contact avec la population et en occupation de la voie publique. Le dispositif de gestion des événements (DGE) illustre la transformation de la gendarmerie vers un modèle d’intervention plus efficient, souple et agile, où le numérique est indispensable pour l’aide à la décision du chef territorial dans une logique d’optimisation des moyens. « Résoudre ce problème » est particulièrement complexe, car il s’agit de modéliser, de planifier ce qui n’est pas prévisible, à savoir les appels de « police secours » au 17 sur des territoires où les élongations, les conditions de circulation, l’intensité et la sensibilité de l’intervention, la disponibilité des moyens, la situation opérationnelle de l’instant sont extrêmement variables. Un des impératifs est, bien évidemment, de ne pas dégrader la réponse opérationnelle de la gendarmerie.
D’une aventure humaine artisanale à une généralisation appuyée par le numérique
La gendarmerie assure la sécurité de nos concitoyens sur plus de 95 % du territoire national, grâce à un maillage (répartition de ses unités) très fin (plus de 3 000 implantations). L’organisation du travail quotidien qui en découle est fondée sur une conception de service au niveau élémentaire complétée par deux principes fondamentaux : la complémentarité et la subsidiarité des unités. Si ces principes, couplés au statut militaire des gendarmes, permettent une excellente réponse opérationnelle en temps de paix comme en temps de crise, le défi du dispositif de gestion des événements (DGE) consiste à optimiser la ressource pour dégager des marges de manœuvre au profit de la présence de voie publique.
Lancée dans le groupement (unité de gendarmerie responsable d’un département) du Lot-et-Garonne (47) en janvier 2017, la démarche DGE a été conçue sous sa forme « artisanale » par une approche big data centrée sur la donnée d’intervention : les lieux, jours, créneaux, durées des interventions sont les éléments clés. Pour assurer une robustesse du modèle, la modélisation est effectuée à partir de deux années d’historique. La complexité du problème réside dans le fait de vouloir planifier, de manière optimale, le nombre de patrouilles à un instant T sur un territoire vaste, sans pouvoir déterminer avec certitude les heures des interventions, en réduisant le « coût global » de cette mission tout en garantissant un meilleur niveau de service rendu.
Le dispositif de gestion des événements (DGE) doit permettre de gérer au mieux le « bruit » quotidien des interventions de faible et moyenne intensités. Une fois le volume de patrouilles nécessaires à cette mission déterminé, il s’agit de répartir équitablement l’effort entre les unités contributrices, suivant différents critères paramétrables (démarche d’optimisation sous contraintes). Les principaux obstacles-enjeux sont : l’incertitude, par construction, de la survenue des événements ; l’incertitude également sur leur durée, leur intensité ; les élongations variables pour se rendre sur les différents lieux au vu de la répartition territoriale des ressources (implantation des casernes) ; l’équité de la répartition entre les unités contributrices.
Expérimenté de janvier à septembre 2017, le système DGE a démontré sa pertinence et obtenu des résultats probants : amélioration de la réponse opérationnelle sur la fonction intervention, augmentation significative de la présence sur la voie publique et forte diminution des astreintes immédiates pour les gendarmes. La particularité de la démarche tient également dans son caractère « participatif », puisque le commandement a associé dès le départ un panel représentatif de gendarmes locaux. Le système ayant fait ses preuves dans un département « classique » de la zone de compétences de la Gendarmerie nationale, il était nécessaire de le tester dans un secteur à l’activité très soutenue. L’Isère (38), par la volonté de son commandant de groupement local, teste le dispositif dès juin 2018 avec le retour d’expérience du Lot-et-Garonne. Là encore les résultats confortent l’idée de départ.
Validé par le directeur général de la gendarmerie, le dispositif de gestion des événements (DGE) a dès lors vocation à se généraliser à l’ensemble du territoire en s’appuyant sur ses forces : souplesse et adaptabilité du modèle. Un écueil important demeure : disposer d’un système d’information capable d’en banaliser la modélisation car, sans des connaissances scientifiques fortes, il est particulièrement complexe de modéliser le juste besoin. Il est alors décidé de développer un système d’information d’aide à la conception d’un DGE basé sur le big data et sur la recherche opérationnelle (RO), ainsi que de créer une task force pluridisciplinaire au niveau de la DGGN (direction générale de la Gendarmerie nationale) pour accompagner les échelons territoriaux de commandement à sa mise en œuvre.
Un développement agile et interne fondé sur des technologies big data et IA
Début 2019, un groupe projet est constitué au sein de la DGGN, composé d’experts métiers et techniques, de manière à concevoir en mode agile une application capable de modéliser un dispositif de gestion des événements (DGE) sur tout département avec le maximum de flexibilité possible, tout en « masquant » au maximum sa complexité. Développé par le service des technologies et des systèmes d’information de la sécurité intérieure (ST(SI)2) avec ses propres compétences techniques, ce système d’information DGE permet à tout chef territorial de créer facilement un dispositif en fonction de ses propres choix. En quelques mois seulement, grâce à des officiers disposant d’une double compétence technique (ingénieurs de grandes écoles telles que Polytechnique, Télécom ParisTech, Centrale) et métier, c’est une application à la fois très intuitive mais également totalement paramétrable qui voit le jour et qui permet à tout utilisateur de « trouver » son DGE en quelques minutes. Cette application DGE est composée de deux modules.
Le premier permet de modéliser le besoin : déterminer au sein d’un département le territoire sur lequel le dispositif de gestion des événements (DGE) a du sens. Pour cela, l’utilisateur visualise des informations sur les interventions (géolocalisées et horodatées) survenues au cours des deux dernières années, qu’il peut afficher comme il le souhaite en fonction d’un jour et d’un créneau horaire sélectionnés. Il lui faut découper son département en secteurs grâce aux informations à disposition et à sa connaissance du terrain. Un secteur est défini par son épicentre et par la zone couverte depuis ce centre en un temps de trajet maximal autorisé, de vingt à quarante minutes. Il est possible d’intégrer une densité de circulation afin d’affiner la modélisation dans les zones et les créneaux plus urbains.
Une fois ces secteurs déterminés, il faut, dans chaque secteur, pour chaque jour de la semaine et chaque créneau horaire (matin, après-midi, première et deuxième partie de nuit), déterminer un nombre de patrouilles qui seront dédiées à la mission « police secours », dans une logique de juste besoin. Le but n’est pas d’assurer une couverture maximale qui permette de répondre même aux événements les plus exceptionnels, mais d’optimiser la couverture en fonction des données à disposition. Le chef opérationnel doit faire des choix importants qui seront prépondérants dans la réussite du DGE. La force de l’application est qu’elle lui offre la possibilité à tout moment de revenir à une étape antérieure sans conséquence négative si le chef s’aperçoit d’une erreur de conception. Cette partie de la démarche, si elle paraît être la plus aisée, est finalement la plus importante car elle conditionne tout le reste.
“En 2021, ce sont 389 000 heures supplémentaires de présence sur la voie publique qui ont été réalisées grâce au DGE.”
Un fois la première étape totalement achevée, le besoin en patrouilles est défini ; il convient désormais de répartir cette charge entre les différentes unités de la zone pour les quatre semaines à venir. On parle de prévision à 4 semaines ou P4S. Cette phase est la plus sensible pour le personnel, car elle détermine la contribution de chaque unité. Chacune d’elles est attachée à un ou plusieurs des secteurs définis précédemment. Un système de pondération permet d’affiner la charge pour chaque unité. Le chef territorial doit décider de la participation d’une unité sur tout ou partie de la journée découpée en quatre créneaux (matin, après-midi, première et deuxième partie de nuit) et sur la totalité des quatre semaines ou seulement une partie.
Une fois la sélection achevée, un algorithme d’optimisation sous contraintes va établir en quelques secondes une planification à 4 semaines qui respecte les choix effectués, notamment les pondérations ; lisse au mieux la participation sur les quatre semaines ; veille à une répartition optimale des services de nuit entre les unités. L’un des gros atouts de cet algorithme, développé en interne par le chef d’escadron Guillaume Humeau (X09), est de permettre à un utilisateur de réaliser rapidement plusieurs simulations pour tester différents cadres et affiner sa solution.
Bilan et perspectives
Le DGE constitue une véritable transformation disruptive du fonctionnement quotidien des unités territoriales de la gendarmerie. Il doit s’accompagner d’une conduite du changement sur mesure, tant en interne qu’en externe. Modifier en profondeur des processus ancrés dans la tête de nos militaires et de nos interlocuteurs du quotidien (élus, magistrats…) n’est pas chose aisée. Lors de sa généralisation progressive, la mise en œuvre des DGE a rencontré des difficultés plus ou moins importantes, en fonction de l’implication des échelons locaux et de la phase accompagnement de la démarche.
Ce changement, s’il montre des résultats très encourageants, reste clivant à certains endroits et nécessite un suivi permanent afin de le consolider et de tirer tous les bénéfices apparus dans les premiers départements l’ayant expérimenté. De plus, même s’il ne concerne a priori que la mission intervention, il impacte en réalité l’intégralité du fonctionnement des unités, en particulier l’attribution et la gestion des procédures judiciaires, ainsi que la notion de compétence territoriale qu’il transcende. Certains us et coutumes sont profondément impactés et nécessitent un accompagnement fin et continu. L’un des grands enseignements de l’aventure DGE est l’apport considérable que représentent les algorithmes d’optimisation sous contraintes dans la transformation des modes de fonctionnement de la gendarmerie. Depuis, de nombreux autres projets ont vu le jour qui s’inspirent de cette démarche agile, concrète et révolutionnaire dans sa conduite.
En 2021, ce sont 389 000 heures supplémentaires de présence sur la voie publique qui ont été réalisées grâce au dispositif de gestion des événements (DGE). Ce projet de transformation en inspire de nouveaux et en conforte d’autres : assistant à la conception du service (« assistant P4S »), aide à la planification d’emploi des unités de force mobile, modélisation du service des centres opérationnels de la gendarmerie, projet Ubiquity, un « PC sans fil » qui numérise le vieux carnet de déclaration, projets speech to text, système d’analyse sémantique des documents (notamment judiciaires)… Ces projets numériques ambitieux s’inscrivent dans la stratégie plus générale Gend 20.24 de modernisation profonde de la gendarmerie et de ses modes de fonctionnement.