Le dollar, et après ?
Le dollar demeure la principale monnaie de réserve mondiale, mais c’est une monnaie vulnérable. L’heure est venue de rouvrir le chantier de la réforme d’ensemble du système monétaire international. Le » droit de tirage spécial « , instrument monétaire du FMI, devrait élargir la composition de son panier de référence aux monnaies des principaux pays émergents. Il faudrait simultanément un programme de mesures pour en faire une véritable monnaie de réserve. L’expérience européenne de la création de l’euro suggère une telle approche.
Depuis la Deuxième Guerre mondiale, avant comme après l’effondrement du système de Bretton Woods dans les années soixante-dix, le dollar a été et demeure la principale monnaie de réserve mondiale. Il semble appelé à le demeurer pour longtemps encore.
REPÈRES
Le « Groupe des 20 » a rendu vie au droit de tirage spécial (DTS) – l’instrument monétaire du FMI – en procédant à une émission de 250 milliards de dollars pour faire face aux besoins immédiats de liquidités du système mondial. Au même moment, le gouverneur de la Banque de Chine, dont l’institution dispose d’un stock de plus de 2000 milliards de réserves en dollars, a proposé de relancer l’utilisation du DTS pour en faire la monnaie de réserve centrale du système.
Malheureusement, le problème qui a commencé à inquiéter le monde dans les années soixante se pose aujourd’hui plus que jamais : le dollar est une monnaie vulnérable ; la balance des paiements courants américaine, temporairement en amélioration, est structurellement déséquilibrée, et donc le risque d’un décrochage brutal du dollar sur les marchés des changes reste présent. S’il venait à se réaliser, une nouvelle crise mondiale d’une gravité difficilement imaginable pourrait s’ensuivre.
Un dispositif de substitution
Le travail conduit avec efficacité par le » G20 » pour corriger les carences fondamentales du droit de tirage spécial (DTS) permet de penser que l’heure est venue de rouvrir le grand chantier de la réforme d’ensemble du système monétaire international (SMI).
La crédibilité d’une réforme du système monétaire international dépend de la réponse qui pourrait être donnée à la nécessité de mettre en place un dispositif de substitution ordonnée d’une monnaie de réserve internationale à une partie des avoirs en dollars des banques centrales détentrices de balances dollar qu’elles jugeraient excessives. Longtemps jugée utopique, une telle réforme trouve, paradoxalement, aujourd’hui des chances nouvelles.
Substituer une monnaie de réserve à une partie des avoirs en dollars
La tâche est immense mais le G20 doit l’affronter s’il veut remettre en ordre les finances mondiales. Cette réforme impliquera de la part de tous les acteurs une conscience claire des enjeux et des concessions nécessaires. Pour atteindre son objectif, elle devrait s’engager simultanément dans trois directions : l’accroissement immédiat du rôle du droit de tirage spécial ; l’ouverture de discussions sur un dispositif central facilitant la diversification des actifs de réserve ; des changements fondamentaux dans la gouvernance du Fonds monétaire international.
Restaurer un niveau de liquidités mondiales
Une évolution du DTS
En s’inspirant des suggestions du gouverneur de la Banque de Chine, on pourrait imaginer la progression suivante : élargir son usage à des détenteurs autres que les banques centrales ; le transformer en un instrument de paiement utilisable dans les transactions commerciales et financières internationales ; permettre sa cotation sur un marché privé ; encourager la mise en circulation de nouveaux titres financiers libellés en DTS ; à partir de la fixation de sa valeur sur un marché libre, permettre aux pays désireux d’accroître librement leurs réserves d’y recourir.
Le G20 a redécouvert l’utilité du droit de tirage spécial pour restaurer un niveau convenable de liquidités mondiales en situation de crise ; il est aujourd’hui indispensable, si l’on souhaite avancer vers une réforme véritable du système, de le libérer des obstacles à la généralisation de son usage. Compte tenu des changements intervenus depuis les années quatre-vingt dans l’économie mondiale, il conviendrait d’élargir la composition de son panier de monnaies de référence au-delà du dollar, du yen, de l’euro et de la livre, aux monnaies des principaux pays émergents, à commencer par le yuan. Il faudrait simultanément s’accorder sur un programme de mesures pour en faire à terme une véritable monnaie de réserve, en suivant un processus analogue à celui qui a prévalu en Europe à l’occasion de la substitution de l’euro à l’écu.
Donner au FMI un rôle beaucoup plus fort de surveillance
De tels développements devraient progressivement nous rapprocher du jour où, devenant une monnaie au sens plein du terme, le DTS pourrait devenir la monnaie globale de réserve considérée comme l’ancre du système, aux côtés des autres principales devises qui, évidemment, garderont longtemps leur rôle dans un système à réserves multiples.
Mettre en place un dispositif de substitution
Les difficultés des dernières décennies ne devraient pas détourner les principaux acteurs du système d’une réflexion sur la meilleure manière de faciliter, hors marchés, la substitution du droit de tirage spécial à d’autres monnaies de réserve et en particulier au dollar.
Une alternative audacieuse
Le gouverneur de la Banque de Chine a proposé de confier à la gestion du Fonds monétaire une partie des réserves de change des pays membres. Cela, selon ses propres mots, » renforcera les moyens de la communauté internationale pour faire face à la crise et maintenir la stabilité du système monétaire et financier international tout en renforçant de façon significative le rôle du droit de tirage spécial « . N’est-ce pas, après tout, la méthode qu’avaient retenue les pères fondateurs du système de Bretton Woods lorsqu’ils ont mis à sa disposition une partie de leur réserve d’or et de devises dans des circonstances beaucoup plus difficiles qu’aujourd’hui ?
Atteindre cet objectif est de l’intérêt de tous ; c’est la seule manière de débarrasser le système de la menace permanente d’un décrochage incontrôlé du dollar. La mise en place d’un tel système au début des années quatre-vingt s’est heurtée à l’impossibilité d’un accord entre les principaux acteurs au sein du » G5 » sur le partage entre eux et le Fonds monétaire international du risque de change inhérent à ce dispositif.
À l’heure où le » G20 » semble décidé à donner au Fonds un rôle beaucoup plus fort de surveillance des grandes monnaies et des politiques macroéconomiques sous-jacentes, il semble qu’il n’y aurait rien d’aberrant à » multilatéraliser » ce risque de change. Le Fonds monétaire serait en mesure de l’assumer, à condition cependant que ses actionnaires, premiers bénéficiaires de la mise en place d’un tel dispositif, prennent l’engagement de compléter son capital par des augmentations de quotas, dans l’hypothèse où il viendrait à être trop sérieusement écorné si le risque de change venait à se concrétiser dans des proportions excessives.
Une responsabilité supplémentaire de la plus haute importance s’ajouterait ainsi à celles déjà lourdes assumées par le FMI. Cela ne rendrait que plus urgente une réforme profonde de la gouvernance de l’institution.
Réformer l’institution centrale
Parler d’une seule voix
Bien d’autres dispositions gagneraient à être prises simultanément pour donner plus de chances à cette réforme de l’échelon central. Tel serait le cas des progrès des organisations monétaires régionales, tel le dispositif asiatique de Chen Maï. De telles initiatives ne devraient pas se concevoir comme étant en concurrence avec le renforcement du FMI mais contribueraient, avec lui, à la stabilité du système. De même, des progrès de l’Europe dans ses efforts pour parler d’une seule voix dans les instances monétaires internationales seraient particulièrement bienvenus.
Depuis quelque temps déjà, de nombreuses propositions ont été formulées pour réformer les modes de gestion du Fonds monétaire international. Un groupe de personnalités désignées par le directeur général du Fonds monétaire international, sous la présidence de M. Trevor Manuel, ministre des Finances d’Afrique du Sud, vient de déposer des conclusions suffisamment ambitieuses pour adapter le Fonds aux très grandes responsabilités qui lui seraient données dans le cadre de cette vision élargie du système monétaire international.
Trois changements fondamentaux auraient ainsi à être mis en oeuvre : extension de son mandat de surveillance au-delà du domaine actuel (la sphère monétaire, les marchés des changes et les balances courantes des paiements) à toute la sphère financière, y compris évidemment les balances des capitaux ; mise en place d’une instance politique de très haut niveau en charge des décisions stratégiques essentielles, se réunissant au niveau des ministres et des gouverneurs des banques centrales ; révision de la composition de son capital, de son conseil d’administration et de ses statuts pour permettre une représentation aussi équitable que possible des pays membres par un rééquilibrage des parts détenues entre pays surreprésentés et sous-représentés.
La Banque de Chine à Hong-Kong
Éliminer tout droit de veto
Conférer un pouvoir aux petits pays dans les décisions importantes
Au-delà de ces trois dispositions essentielles, quelques autres mesures seraient nécessaires : l’abaissement des seuils de majorité pour les décisions les plus importantes de 85 % à 70 ou 75 %, éliminant ainsi, de fait, tout droit de veto et l’élargissement des cas où une double majorité serait requise, conférant ainsi un pouvoir plus important des petits pays dans les décisions importantes ; l’introduction d’un mécanisme ouvert et transparent de choix du directeur général et de ses adjoints au FMI, mettant ainsi fin au privilège réservé jusqu’ici à l’Europe, et à celui des États-Unis pour la désignation du président de la Banque mondiale.
Prudence et détermination
Cet ensemble de réformes va nécessairement prendre du temps. C’est une raison de plus pour l’engager d’urgence. Et avec autant de prudence que de détermination. L’expérience européenne de la création de l’euro suggère une telle approche. Elle montre aussi que des progrès jugés longtemps inaccessibles peuvent être réalisés à condition que chacune des étapes soit soigneusement définie dans la recherche constante du consensus. Il est donc essentiel que le G20 sache profiter des circonstances extrêmement favorables d’aujourd’hui pour concevoir et mettre en oeuvre une réforme qui n’a que trop attendu.